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La Pommeraie

Summary:

Pour la première fois depuis de nombreuses années, les quatre adelphes de la famille Todoroki se réunissent pour passer les vacances ensembles. Le cadre est superbe, la vue sur la plage n'est seulement brisée par les branches garnis de pommes.

Les tensions sont bien présentes et pèsent au milieu de tous. Alors que l'été n'a pas l'air très prometteur, au bout de quelques comptes et tartes aux pommes, le camping la Pommeraie semble démêler des nœuds bien serrés.

Notes:

(See the end of the work for notes.)

Chapter 1: Quatre heures de route

Chapter Text

Le trajet le plus long de ma vie s’élève à quatre heures de route. Je ne suis qu’aventure et recherches avides de découvertes (pas le moins du monde). Pourtant, j’ai déjà grimpé dans des voitures pour rendre visite à une vieille tante à l’autre bout du pays ; je suis monté dans un train et fais près de cinquante fois le même trajet de deux heures pour aller à l’université la semaine et rentrer chez moi le week-end ; j’ai survolé un océan, un continent et un autre océan pour un voyage en Asie. J’ai souvent bougé mais jamais aucun trajet ne m’a paru aussi long et tendu que ces quatre heures de route en direction de Saint-Jean-sur-Mer, quelque part au sud de la France.

La voiture est surchargée de valises elles-même pleines à en faire sauter les fermetures éclairs. Les fenêtres à l’avant sont ouvertes en grand et laissent passer l’air chaud du mois de juillet dans le véhicule brûlant. Je suis assis à l’arrière et à la vitesse à laquelle on avance, je ne peux que fermer les yeux pour me protéger du vent. La radio est éteinte. On ne l'entendait pas de toute façon. Et bien qu’on soit quatre dans la voiture, personne n’a de sujet de conversation, ni quelque chose à dire.

C’est la première fois depuis notre enfance que mes adelphes et moi partons en vacances tous ensemble. C’était l’idée de Fuyumi, ma sœur aînée. C’est elle qui tient le volant et qui fronce les sourcils d’inquiétude. Elle voulait qu’on renoue des liens maintenant que c’est possible. Natsuo, qui se tient derrière le siège conducteur, est plus proche de Fuyumi que n’importe qui d’autre. Il a accepté de venir par soutien, même si l’idée ne l’intéresse pas et qu’il le fait bien savoir. Devant moi, sur le siège passager, il y a Touya. Le plus âgé de nous tous. J’ai vingt-deux ans, il en a trente.

Je ne le connais pas vraiment. Il a quitté la maison peu après ses seize ans pour entrer dans un nouveau lycée. Personne n’a jamais voulu m’expliquer la raison. J’étais trop jeune pour me rappeler d’un quelconque souvenir avec lui. Je jouais plus souvent avec Fuyumi ou Natsuo. Après le départ de Touya, tout a commencé à trembler à la maison. Aujourd’hui, les choses ont changé mais cela ne veut pas dire que nos relations se sont améliorées. Loin de là.

Natsuo en veut à Touya. La raison, une fois encore, je l’ignore. Mais je ne suis pas idiot et je remarque les nombreux regards noirs qu’il lui lance dès qu’il en a l’occasion. Fuyumi cache également quelque chose derrière ses yeux doux, ses sourires forcés, voire gênés, et ses mains qui tremblent. Touya à l’air de s’en foutre au plus haut point. Il n’a pas prononcé un mot depuis qu’il est monté dans la voiture. Pas même une salutation. Pourtant, ce n’est pas la faute de ma sœur d’essayer. Elle a tenté le coup au début, pendant bien une demie-heure. Sans résultat. Elle a fini par laisser tomber et depuis maintenant une heure, le silence est lourd.

Je regarde l’écran de mon téléphone, ajustant la prise jack de mes écouteurs, dont la fragilité est si importante que le son crache déjà après deux mois d’utilisation. Il est bientôt midi et Dieu merci, on devrait arriver dans peu de temps. A travers la fenêtre, lorsque le vent est plus clément (je n’ose pas demander à Touya de la fermer un peu pour avoir moins de courant), j’observe le paysage.

La mer apparaît au fond, bleue turquoise, aux reflets sarcelles. D’ici, elle a l’air calme. Partout ailleurs, des falaises de calcaires grimpent vers le ciel, cachent des grottes inaccessibles et des sentiers de randonnées. Plus on avance, plus on découvre des habitations, des maisons blanches aux colombages et volets peints en vert ou en rouge. Sur certaines demeures, il y a même la Lauburu, gravée dans les façades ou les piliers des portails. Il fait chaud et on entend le claquement des cigales, si fort qu’il résonne dans les gorges.

Lorsque nous entrons dans la ville, la mer disparaît derrière de nouveaux édifices et les rues se sont plus peuplées, plus étroites. Beaucoup de monde se balade sur les trottoirs, flânent devant des vitrines, chapeau de paille sur le front et une glace dégoulinante dans la main. Fuyumi fait un détour en suivant le GPS. Aucun de nous quatre n’est déjà venu ici. C’est une première pour tout le monde et le nombre incalculable de sens interdit est sur le point de rendre Fuyumi plus angoissée que jamais. Ses questionnements sur la direction à suivre et le manque de connexion dans la région ont au moins le mérite d’enfin briser le silence pesant.

– Prends à gauche à la prochaine intersection, signale Natsuo en gardant les yeux fixés sur les panneaux que l’on croise.

– Là, il me dit de prendre à droite ! Pourquoi devrais-je à gauche ?

– Le camping, c’est bien le camping de la Pommeraie ? demande Natsuo en levant un sourcil.

– Oui, soupire Fuyumi, je l’ai répété plusieurs fois en partant, personne n’a rien écouté ou quoi ?

– Alors prends à gauche ! Il y a le panneau avec le nom du camping juste en face de toi !

Dans un nouveau soupir, Fuyumi finit par prendre à gauche et s’exclame de joie en apercevant le panneau. Même avec des verres correcteurs pour sa myopie, elle n’y voit pas grand-chose. Natsuo reste penché en avant pour la guider au mieux, en plus du GPS.

Finalement, on passe sous l’arche du camping. Dessus, le nom « Camping la Pommeraie » est souligné de quatre étoiles jaunes.

Fuyumi se gare sur le parking des visiteurs dans un long soupir de soulagement. Elle éteint le contact et défait sa ceinture.

– Je vais récupérer les clefs à l’accueil, dit-elle. Vous n’avez pas besoin de m’accompagner si vous ne voulez pas mais restez pas loin s’il-vous-plaît. Il faudrait qu’on décharge la voiture et qu’on s’installe avant tout.

Puis, elle sort et s’avance à toute allure vers l’accueil quelques mètres plus loin. Natsuo la suit de près. Pour ma part, j’ouvre la portière de mon côté et en profite pour étendre mes jambes sur le goudron. Le soleil brûle déjà ma peau tant il cogne, mais c’est toujours plus préférable que de rester enfermé dans la voiture à l’arrêt. Même pendant seulement deux minutes, c’est suffisant pour risquer un coup de chaleur ou un arrêt cardiaque. Même Touya sort prendre l’air. Il s’assoit un peu plus loin, sur un gros rocher à l’ombre d’un arbre. Je le regarde faire, comme si l’observer pouvait me donner des souvenirs sur le frère que j’ai vaguement connu quand j’étais petit. Je reconnais ses yeux bleus, même cachés sous ses lunettes de soleil, ses cheveux si blonds et si pâles qu’ils apparaissent blancs, comme pour tout le monde dans la famille, à part papa. Il les avait plus longs dans mes souvenirs. Aujourd’hui, il les garde coupé court, rasé de près. En revanche, je ne reconnais pas sa posture, ni qu’il était aussi grand. Le rocher n’a beau ne pas être bas, il n’est même pas tout à fait assis dessus.

Fuyumi revient assez rapidement, les joues bien plus rouges qu’à son départ. Elle tient dans sa main un trousseau de clefs et Natsuo la suit toujours, un sourire moqueur sur les lèvres alors qu’il regarde notre sœur de ses yeux rieurs.

– Bon, annonce-t-elle fortement pour attirer notre attention. J’ai les clefs du mobile-home. Il n’y en a que deux, donc il faudra qu’on s’organise pour que personne ne se retrouve enfermé ni dehors, ni dedans. La piscine est ouverte de 9h à 20h et le restaurant de 11h30 à 22h. Il y a une boulangerie ouverte le matin, si vous voulez du pain ou des viennoiseries. Elle ouvre à 6h30 et il y a apparemment du monde qui vient alors il faut être au rendez-vous si vous voulez vraiment quelque chose. Si jamais c’est trop tôt, j’irais pour vous.

Natsuo souffle du nez et Fuyumi lui lance un regard noir. On remonte ensuite dans la voiture pour rejoindre le bon bungalow. Doucement, je me penche vers Natsuo.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? je demande avec curiosité en faisant un signe de tête en direction de notre conductrice.

– Elle a trouvé le gars de l’accueil fort à son goût, sourit Natsuo. Et il s’avère que c’est également lui qui sert les croissants.

A nouveau, Fuyumi lui lance un regard sombre dans le rétroviseur.

– Je ne suis pas là pour ça, dit-elle sèchement.

On avance lentement vers le mobile-home. Il y a du monde à cette période de l’année et tous les autres autour du nôtre ont l’air d’être occupés. Celui que Fuyumi a réservé est assez grand. Un salon à la déco orange et à motifs dépassés, une kitchenette avec un petit frigo et deux plaques de cuisson. Puis deux chambres. Une petite salle de bain. Bien sûr, il donne un air assez étroit pour quatre personnes mais la terrasse en bois sera sûrement plus utilisée que n’importe quelle autre pièce et heureusement qu’elle fait presque la même taille que le bungalow lui-même.

– Hum… lance Fuyumi alors que Touya ouvre le coffre pour récupérer nos valises. Je n’ai pas demandé plus tôt, mais qui dort avec qui ?

Un court silence suit sa question. On se regarde tous avec un soupçon d’étonnement et de gêne. Je fixe Natsuo avant de répondre :

– Je peux dormir avec Touya si vous voulez. Et, si ça te ne dérange pas.

Je regarde Touya, qui hausse les épaules en réponse.

– T’es sûr ? me demande Natsuo un peu sèchement.

Je hoche la tête. Je sais très bien que de toute façon, il n’y aurait pas eu d’autre option. Natsuo ne voudrait jamais partager sa chambre avec Touya. En toute logique, Fuyumi aurait proposé à Touya, par bonté d’âme, parce que c’était son idée de base et qu’elle se démène dans tous les sens pour arriver à quelque chose de ce séjour. Mais si tel avait été le cas, cela aurait voulu dire que je partagerais une chambre avec Natsuo, qui parle dans son sommeil, ce qui m’agace profondément et m’empêche de dormir. Je ne risque pas grand-chose de dormir dans la même pièce que Touya.

Fuyumi paraît satisfaite et se lance alors pour nous aider à décharger les bagages. Ils prennent beaucoup de place dans le bungalow. Les chambres sont les mêmes. Deux lits simples séparés, deux étagères accrochées au mur, juste au-dessus des oreillers, et un placard commun. Je pose ma valise sur le lit sous la fenêtre, barricadée d’une sainte moustiquaire.

– Natsuo ne m’apprécie pas, hein ?

Je me retourne dans un sursaut. Touya se tient dans l’encadrement de la porte, son bagage à ses pieds. C’est la première fois que j’entends le son de sa voix depuis les cinq heures que l’on a passé l’un avec l’autre. Elle est grave, rocailleuse, comme s’il ne parlait jamais à part maintenant. Pendant une seconde, c’est moi qui reste muet.

Je souris timidement.

– Il ne le cache pas vraiment, non.

Touya ne répond et fait un pas dans la chambre en regardant autour de lui. Je pointe du doigt le lit que j’ai choisi.

– Je… J’ai pris celui-là, ça te va ? je demande, incertain.

– Ouais, répond-t-il. Mets toi où tu veux.

Il esquisse un sourire, les lèvres aussi droite qu’une ligne et pose sa valise dans un coin avant de faire demi-tour. Il s’éloigne vers la terrasse en sortant un paquet de sa poche. De loin, j'entends ma sœur le réprimer : 

– Tu fumes pas à l’intérieur !! 

Touya ne répond pas. Pendant un moment, je me sens alors privilégié. Il m’est arrivé d’imaginer notre première conversation. Jamais je n’aurai parié sur celle-ci. Après tout, c’est peut-être la seule qu’on partagera…

Je commence à défaire ma valise, juste l’essentiel. Je n’aime pas emballer des choses, ni les déballer. Faire ma valise m'ennuie tout autant que de retirer son contenu. Je laisse la place du placard pour Touya. Je comptais sortir à mon tour lorsque mon téléphone vibre dans ma poche. Momo. 

Bien arrivé ? Je t’ai fait un sandwich si jamais t’as faim, il est dans ton sac. Bisous xx 

Je souris et lui réponds rapidement. 

– Shoto ? j’entends de l’autre côté du mobile-home. 

Natsuo apparaît très vite devant moi. 

– Je vais faire un tour dans le camping pour repérer les endroits importants. Tu veux venir avec moi ? 

– Et Fuyumi ? 

– Elle veut rester faire l’inventaire, je ne préfère pas déranger vu la catastrophe de la dernière fois. 

Je ne réprime pas un sourire amusé. 

– Tu l’avais cherché ! je réplique, un brin moqueur. 

Natsuo lève les yeux au ciel mais je remarque la commissure de ses lèvres qui s’élargit vers ses pommettes. 

– Tu viens avec moi donc ? il reprend et je hoche la tête en signe d’affirmation. 

– On y va Yumi ! s’écrit-il alors. 

On reçoit un “Ok à toute à l’heure” depuis la deuxième chambre et puis on sort braver la canicule. 

Touya a déjà quitté la terrasse. 

Chapter 2: Des pommiers en pagaille

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Natsuo soupire.

– J'espère qu'il ne va pas se comporter ainsi tout le séjour, il va ruiner l'optimisme de Fuyumi.

Mon frère me sourit doucement, les yeux plein d'un mélange de colère et de déception. Nous nous engageons dans le sentier poussiéreux, entre les autres vacanciers et les mobile-homes. Partout sur les espaces verts, sont plantés des pommiers qui grimpent haut vers le ciel. Les branches sont vertes et fournies et certains arbres ont déjà des multitudes de fruits, près à être cueillis. De belles pommes rouges qui donnent plus de couleurs que ce qu'il y a déjà. Entre les banderoles décoratives suspendues au dessus des allées, les plaques d'emplacement peintes avec tous les tons de rouge et de jaune possible, ou les mosaïques arc-en-ciel incrustées dans les bâtisses principales, ce camping est un véritable feu d'artifice.

– Tu penses qu'on a le droit de se servir ? je demande à Natsuo, le nez levé vers le ciel.

– De quoi ?

– Les pommes. Tu penses que c'est une propriété du camping ou en libre-service aux clients ? Je n'ai vu personne n'en cueillir.

Natsuo lève la tête à son tour et regarde autour de lui. Dans un haussement d'épaule, il répond qu'il n'en a aucune idée et ne s'étale pas davantage sur le sujet. Il poursuit sa route, guidé par les panneaux de direction. Nous passons devant les sanitaires communs, ainsi que les cabines de douches. D'autres mobile-homes encore et des emplacements de tentes, ou des campeurs se sont installés. Puis, après seulement quelques minutes de marche, nous descendons un escalier étroit et Natsuo s'exclame gaiement :

– Voilà ce que je cherchais ! Si jamais vous avez besoin de moi, il faudra venir ici !

Devant nous, juste derrière une barrière blanche en métal, le bassin d'une grande piscine est d'un bleu électrique. Presque aussi bleu que l'océan à quelques kilomètres du camping. Des gens s'y baignent, d'autres ont étalés des serviettes de plage sur le carrelage brûlant ou les transats mis à disposition. Un maître nageur observe la zone sur sa chaise de surveillance avec son sifflet dans la bouche et protégé sous un large parasol rouge.

Dans la famille, on a tous une affection quelconque pour l'eau. Maman nous a obligés à prendre des cours de natation lorsque nous étions plus jeunes. Pour elle, savoir nager est important, indispensable même. Avec le temps et l'obligation de se rendre à la piscine municipale avec des bonnets immondes sur le crâne, l'aversion de cette passion s'est modifiée. Natsuo est le seul qui apprécie encore les piscines, surtout celles qui ressemblent à celles du camping « La Pommeraie », avec ses grands toboggans et jets d'eau qui sortent de terre à l'improviste. Pour Fuyumi et moi, les vagues et l'écume de toutes mers ou océans ont su gagner notre cœur. Pour Touya, et bien... J'en sais rien.

Heureusement, Natsuo ne s'attarde pas. Il sourit en repartant repérer de nouveaux endroits et je le remercie de ne pas avoir pris son maillot ni sa crème solaire.

Nous parcourons plein d'autres chemins, passant devant d'autres emplacements pour campeurs et de nouveaux noms de mobile-homes. Je me rends compte assez tardivement que tous portent le nom d'une variété de pomme. Je ne les connais pas toutes, il en existe des milliers dans le monde, mais lorsque certains noms comme « Reinette », « Granny Smith », « Gala » ou « Pink Lady » me semblent familiers, ma logique fait tilt.

Un peu plus loin, nous trouvons un autre panneau qui indique la direction vers la plage. Nous nous approchons assez pour voir la raideur des escaliers en pierre, qui descendent assez bas pour qu'on n'en voit pas le bout. Au loin, on entend les vagues s'écraser sur le rivage et j'échange un sourire impatient avec Natsuo. Nous ne descendons pas. D'un commun regard, nous savons que ni lui ni moi n'aurons l'envie de remonter les marches en suivant. A la place, nous retournons vers les bâtiments communs.

– Tu veux voir le mec mignon de l'accueil ? me demande Natsuo avec un sourire en coin.

– Ouais !

Son sourire s'élargit et il sort ses mains négligemment rangées dans ses poches pour marcher plus vite. Lorsque nous nous approchons, il n'y a personne à l'accueil et mon frère est déçu.

– Tu aurais vu la réaction de Fuyumi, rit-il. Elle est devenue toute rouge d'un seul coup et c'était la première fois que je la voyais bégayer devant quelqu'un !

Je souris à mon tour. Fuyumi n'est pas quelqu'un qui perd facilement ses moyens. Je crois bien que c'est l'unique personne que je connaisse qui parvient à garder son sang-froid dans des situations extrêmement stressantes. Son métier de professeur des écoles lui a forgé une patience de fer et elle sait l'utiliser dans toutes situations. De ce fait, c'est souvent elle qui organise un peu tout, et qui gère aussi la maison. Elle ne supporte pas lorsque quelque chose n'est pas bien rangé, ou pas à sa place. Elle est parée à toutes éventualités. Toutes, en dehors des hôtes d'accueil dans des campings en bord de plage visiblement.

– A quoi il ressemble ?

– Oh quelque chose comme un mètre quatre-vingt facilement, des cheveux bien coupés courts et des lunettes sur le nez. Ah, et on aurait dit un frigo, je suis sûr qu'il fait du rugby ou un sport dans le genre. Après pour les détails, demande à Yumi, elle en a observé plus que moi.

Une voix nous appelle dans notre dos.

– En parlant du loup... chuchote Natsuo en haussant suggestivement les sourcils.

Je souris d'autant plus.

– Je vous cherchais ! lance Fuyumi lorsqu'elle arrive à notre rencontre.

– Ah vraiment ? demande Natsuo en croisant les bras sur sa poitrine, il n'a pas cessé de sourire. Il n'est pas là si tu veux savoir !

Fuyumi roule des yeux et siffle un « imbécile » entre ses dents.

– Touya n'est pas avec vous ?

Nous secouons la tête de gauche à droite. Ma sœur soupire.

– Je voulais vous offrir un verre pour fêter le début des vacances, quelque chose de frais en tout cas, parce qu'il fait une chaleur à crever ici.

– On peut boire un coup sans lui aussi.

– Je sais pas... J'ai galéré à le convaincre de venir, j'ai pas envie qu'il se sente rejeté, tu comprends ?

Le sourire de Natsuo se fane et il resserre ses bras autour de lui. Il soupire et ne lâche pas son regard de Fuyumi. Elle aussi ne sourit plus. Je ne sais pas quoi dire.

– Touya n'était déjà plus là quand Shoto et moi on a commencé notre balade. S'il ne veut pas être rejeté il n'a qu'à être là--

– C'était pas trop long, votre tour ? demande abruptement Fuyumi en se tournant vers moi.

Elle ignore complètement la grimace de Natsuo et reste focalisée sur moi. Après une hésitation et un rapide coup d'œil vers mon frère, je lui raconte les chemins qu'on a pris et les directions trouvées. Surtout celle pour aller vers la plage. Je lui parle aussi des noms des mobile-homes et des pommes. Elle ne répond pas, se contente de m'écouter et entre-temps, nous nous sommes mis en route vers le bar du camping. Natsuo nous suit à la traîne.

Malgré l'absence de Touya, nous prenons place autour d'une table et le silence retombe lorsque je n'ai plus rien à raconter. À nouveau, l'ambiance est pesante.

– Euh... je commence, incertain. Vous prenez quoi ?

– Une bière, répondent mes adelphes d'une même voix.

Ils s'échangent un regard que je ne parviens pas à décrypter et trop heureux de m'éloigner pour quelques minutes, je me lève pour commander au bar.

Le barman est seul à jongler entre les commandes et le service des clients. Les cheveux en bataille, un torchon sur l'épaule et ses yeux à l'affût de chaque détail. Dans ma tête, je me prépare notre conversation.

– Bonjour, deux bières et un... Euh.

Merde. Je ne sais pas quoi prendre. Je repère la carte et secoue la tête. Je me décide sur un soda, tout ce qu'il y a de plus facile à dire.

– Bonjour, je vais prendre deux bières et un Coca, s'il vous plaît.

– Voilà, cela vous fait nianiania euros.

– Par carte. Merci beaucoup. Au revoir.

J'inspire, prêt. Je fais un signe garçon en furie lorsqu'il passe devant moi. Il sert une femme et récupère la monnaie, marmonne une injure, encaisse, lève les yeux au ciel et grimace lorsque la femme s'éloigne sans le remercier et enfin, s'approche. J'expire lentement, stressé.

– Ouais ? demande-t-il en reniflant, les yeux blasés.

Je fronce les sourcils. Les mots se bloquent dans ma gorge.

– Euh...

Respire, Shoto.

– Tu veux quoi ? me coupe le barman, visiblement ennuyé.

– Deux bières et un Coca, je murmure.

Dans mon dos, un bruit de verre parle plus fort que moi. Le barman soupire tout aussi bruyamment et fusille le responsable de la casse. Ses yeux pourraient fusiller sur place. Il se retourne vers moi et j'hésite à m'enfuir aussi rapidement que possible.

– J't'ai pas entendu, déso. T'as dis quoi ?

Il se penche, tend littéralement l'oreille et fronce les sourcils. Je répète, plus doucement et plus stressé que la première fois. Je m'en fiche cependant, car il recule et attrape deux verres similaires. Je soupire. Je regrette de m'être levé car au final, cette situation est cent fois plus affreuse que de rester avec mes adelphes. Le barman est en train de remplir le deuxième verre lorsqu'une personne le rejoint. Il s'agit d'une jeune femme, qui doit avoir mon âge. Elle est petite. Si petite que le comptoir du bar lui arrive juste en dessous des épaules. Elle coince ses cheveux courts dans une petite couette sur la nuque.

– Putain, pas trop tôt... râle le barman. Ça fait un siècle que t'es partie.

La fille hausse les sourcils, l'air de ne pas y croire.

– Je suis partie il y a trois minutes Katsuki, exagère pas !

– Ouais bah en trois minutes, y'a un connard qui t'a déglingué un verre en salle !

La fille soupire à son tour. Ledit Katsuki se tourne vers elle, délaissant complètement ma commande en cours de route.

– Tu veux qu'j'aille lui casser la gueule ? demande-t-il en levant le menton et en bombant le torse.

– Non, c'est bon, donne lui juste le balais et la pelle pour qu'il nettoie. Ça devrait suffire.

Le barman hausse les épaules, l'air déçu et s'en va, retirant le torchon de son épaule. Les yeux de la fille font alors le tour du comptoir avant de s'arrêter sur les deux verres de bières laissés là. Elle fronce les sourcils et se tourne vers Katsuki, qui a déjà disparu. Prenant sur moi, j'interviens.

– Elles sont pour moi.

Ses yeux s'illuminent et elle sourit en grand. Elle monte sur un petit escabeau en plastique pour servir sans avoir à trop lever les bras.

– Je suis désolée, dit-elle. C'est chaotique par ici. Il vous fallait autre chose ?

– Un Coca, s'il-vous-plaît.

Elle sourit à nouveau, descend de son escabeau et attrape un autre verre. Lorsqu'elle remonte, j'ai déjà ma carte de prête.

– Je vous offre le soda, dit-elle doucement. En compensation de la plaie qu'est mon ami. Ça vous fait treize euros, s'il-vous-plaît.

– C'est gentil, merci.

Elle hausse les épaules en tendant le TPE.

– Si vous revenez et qu'il est là, vous pouvez me demander, il n'y a pas de soucis. Je m'appelle Ochako !

Elle sourit et déchire le ticket. Elle me le tend et je secoue la tête de gauche à droite. Elle ouvre la bouche comme pour ajouter quelque chose mais les verres déjà coincés dans mes paumes, je ne m'attarde pas. Je lui souris une dernière fois avant de retourner à ma table.

Fuyumi et Natsuo ont l'air d'avoir fait la paix.

– T'en a mis du temps ! me fait remarquer Natsuo avec un demi-sourire.

En réponse, je hausse les épaules. 

Notes:

Deuxième chapitre ! Avec de nouveaux personnages !!
Ce n'était qu'une présentation et j'ai déjà hâte de les voir plus souvent. Le duo Katsuki & Ochako dans cette fic, c'est sûrement ma dynamique que je préfère ! Et puis aussi, qui dit ces deux-là dans le coin, dis également Izuku qui ne va pas tarder !

Des bisous, Koala.

Chapter 3: Lucioles et rapprochement

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Du reste de la première journée, je ne fais pas grand-chose. Ravi de prendre du repos après les examens de fin d'année, je fais une bonne sieste avant de retourner vagabonder dans le camping. Fuyumi a prévu de visiter la ville un jour ou l'autre alors j'évite de m'y aventurer pour garder la surprise. A la place, je mets des claquettes et descends l'escalier qui mène à la plage. Il y a du monde et l'étroitesse des marches devient presque inconfortable. Cela me dérangerait si le bruit des vagues ne se faisait pas de plus en plus entendre au fur et à mesure que je m'approche.

A ma grande surprise, la plage est grande. Avec un chemin aussi biscornu, je ne m'attendais pas à ce qu'elle longe une longue route décorée d'arbres et de bancs où profitent des personnes âgées ou des enfants gourmands. La ville s'étend juste derrière eux et fait face à l'immense océan Atlantique.

Il y a un petit portillon avec un panneau du camping, un court chemin à traverser, une route peu fréquentée et enfin, j'enfonce mes pieds dans le sable chaud. Partout où je pose les yeux sur la plage, elle est occupée. Tous profitent des fortes chaleurs de l'été et ainsi, c'est bondé. Il n'y qu'une parcelle de plage qui demeure inoccupée. Délimité par des rubans rouge et blanc, elle empêche les gens de s'y installer. Un peu plus loin, une grue soutient des agents qui installent une grande arche ainsi qu'une immense banderole.

« DÉFI NATATION DE SAINT-JEAN-SUR-MER ÉDITION 2024 »

Comme moi, il y a des gens qui observent et commentent l'installation. Sur certains visages, l'impatience et l'excitation sont de mise. J'ignorais totalement qu'une course était organisée dans cette ville. À vrai dire, je n'ai fait aucune recherche sur cet endroit. Je me suis contenté de fermer les yeux et de faire aveuglément confiance à Fuyumi. Je me suis dit que si ma sœur avait décidé de venir ici pour deux semaines, c'est qu'il s'agit sûrement d'un bon lieu. Puis j'ai regardé la météo, fait ma valise et je me suis engagé à passer les quatre heures de route dans le plus grand silence.

Cependant, maintenant que je me perds entre les serviettes étendues au sol et les parasols ouverts en grand, je remarque facilement le nombre conséquent de nageurs au milieu de la baie. Tous plus ou moins équipés de combinaisons, de bonnet de natation et de lunettes de plongée. Ils s'entraînent tous.

Je marche un temps au bord de l'eau. J'ancre mes pieds dans le sable et laisse l'écume froide caresser mes chevilles. Je sors mon téléphone pour envoyer une photo à Momo. Elle m'en a demandé tout un album si possible, pour elle qui se retrouve coincé chez elle cet été. Elle semble avoir attendu la notification puisqu'à peine une minute plus tard, elle m'appelle toute joyeuse. Nous discutons pendant que le soleil descend vers l'horizon et ses rayons, qui ont chauffé la terre jusqu'à nous faire suer abondamment, disparaissent un à un. Je lui parle de ce que j'ai vu jusqu'à présent, évite des problématiques sur ma famille et elle n'en pose aucune question. Le temps de l'appel, j'ai l'impression de l'avoir à mes côtés et cela me rassure. Momo a toujours eu cet effet sur les autres.

Je l'ai rencontré lors de mon entrée au lycée. Nous étions dans la même classe de seconde et à plusieurs reprises, nous nous sommes retrouvés dans les mêmes groupes de travail. Elle était studieuse – elle l'est toujours d'ailleurs – et elle s'investit dans les devoirs et les examens avec une telle ferveur que travailler avec elle était toujours agréable. Nous sommes devenus amis petit à petit. Aujourd'hui, j'avoue que j'ai du mal à m'imaginer un futur où elle n'est pas à mes côtés.

A la fin de notre appel, je me sens un peu plus détendu. Prudemment, je rebrousse chemin avant qu'il ne fasse noir.

Au retour, je remarque un détail qui n'apparaissait pas à l'aller. Sur de nombreux emplacements de mobile-home, des guirlandes lumineuses sont enroulées autour des pommiers et dans leurs branches. Elles éclairent faiblement, juste ce qu'il faut de lumière pour se faire remarquer. On dirait des petites lucioles. J'espère qu'il y en a autour de notre mobile-home.

À ma déception, mon rêve se brise. Il n'y aucune lumière qui ressemble à des étoiles ni à des incestes, ni de près ni de loin. Il n'y a que la lumière au-dessus de la porte qui est allumée et qui plonge la terrasse dans une atmosphère délicate. Il est tard et pourtant, des gens se promènent encore dans les sentiers. Touya est assis sur une des chaises en plastique et fume une cigarette, les pieds posés sur la balustrade. Nos yeux se rencontrent et il crache sa fumée sans plus de réaction.

– Salut, je lance sans m'avancer davantage.

Au creux de mon estomac, j'ai envie de lancer une conversation. Ce n'est pas quelque chose à laquelle je suis habitué de faire, vraiment pas. Mais on est tous venus ici pour une raison et avec Natsuo qui râle dès que le prénom de Touya est mentionné, ou encore ce dernier qui disparaît sans raison à la moindre occasion, il faudrait que quelqu'un essaie. Cela m'embête de porter le chapeau mais d'un autre côté, rencontrer un frère que je connais à peine, et pouvoir en apprendre sur lui, lever le mystère qui perdure depuis si longtemps... Cela me tient à coeur. 

– Salut, répond-t-il.

Il écrase sa cigarette dans le cendrier.

– Fuyumi et Natsuo ne sont pas là, annonce-t-il de but en blanc. Je ne sais pas où ils sont.

– Oh, d'accord. Je ne les cherche pas spécialement... Je--

J'inspire profondément. Ne pas bégayer, ne pas bégayer... 

– J'étais à la plage. Ça... Tu as visité un peu ?

Touya hausse un sourcil et secoue la tête de gauche à droite. Il se redresse sur sa chaise.

– Non, répond-t-il. Je suis parti en ville. C'était pas si intéressant. T'as goûté les pommes d'ici ? Elles sont bonnes.

Cette fois-ci, c'est moi qui secoue la tête. Hésitant, je grimpe les petites marches de la terrasse et désigne l'autre chaise libre.

– Je peux m'asseoir ?

Il hoche la tête et sort son paquet de cigarette de sa poche, en attrape une et me tend le reste. Je refuse et il hausse les sourcils, l'air satisfait. Pendant quelque temps, nous ne parlons pas. Un papillon de nuit tourne autour de l'ampoule au-dessus de la porte. J'écoute les grillons dans les autres herbes, maudit les moustiques qui rôdent dans les airs mais ne fait rien pour les arrêter. Touya les écrase dès qu'il sent quelque chose le frôler. Je l'observe à la dérobée. Ses cheveux rasé très court, son tee-shirt blanc qui ne cachent aucune de ses cicatrices sur ses bras, son cou et sa mâchoire. Son short s'arrête au niveau de ses genoux et à également, ses jambes sont couvertes de cicatrices. Je ne sais rien sur celles-ci, ni comment elles sont arrivées ici. Je ne pose pas de question. Éventuellement, Touya finit par prendre la parole, un léger sourire au coin de ses lèvres.

– Ça fait bizarre, hein ?

Je sursaute, son regard croise le mien. Il sourit doucement.

– De se retrouver, précise-t-il alors devant mon silence. La dernière fois que je t'ai vu, tu n'étais même pas au collège. T'as pas trop changé tu sais.

Je hausse les épaules. Je ne me souviens de lui que par ce que ma mémoire veut bien m'offrir, et grâce à ce que m'a raconté Fuyumi. Je me souviens de lui à travers les quelques photos que maman a gardé. Je n'ai pas vraiment les moyens de confirmer ses dires. Je ne sais pas moi-même à quel point j'ai pu changer depuis ma rentrée en sixième. Je me tords les doigts, mes pensées remuant dans mon esprit.

– Pourquoi t'es parti ? je demande doucement, osant le tout pour le tout.

– C'était compliqué, soupire-t-il.

Il n'ajoute rien. Allume sa cigarette qu'il gardait entre ses doigts et tire une première taff. Je devine facilement que les choses sont toujours compliquées, et qu'il n'a clairement pas envie d'en parler. Je n'insiste pas. J'aimerai me rapprocher de lui, pas me le mettre à dos dès la première soirée. Le silence retombe et je replie mes jambes sur ma chaise. Je ne bouge pas non plus. Contrairement aux autres fois, ce n'est pas aussi pesant. A la fin de sa cigarette, Touya l'écrase à son tour dans le cendrier.

– T'as mangé ?

Je secoue la tête. Il se lève alors et tire sur le pan de son tee-shirt pour le lisser légèrement. Il inspire et fait un signe de tête à l'opposé du mobile-home.

– Si tu veux, je t'invite ce soir.

– Vraiment ?

– Ouais. T'es pas obligé mais ça peut se faire. Le restau est pas mal ici.

Je reste un instant avec des yeux ronds et la bouche entrouverte. Et puis finalement, je souris tout doucement, ravi de la proposition.

– D'accord !

Je le suis dans les sentiers. Il avance à grands pas et je tiens sa cadence avec précipitation. Il ne regarde pas les panneaux et tourne systématiquement aux bons croisements. Il a l'air de connaître le chemin sur le bout des doigts.

Au restaurant, si je m'inquiétais de ce que pouvait donner une conversation avec lui, mes doutes se sont rapidement envolés. Nous avons commandé un menu et Touya a insisté pour que je me prenne une boisson. Puis, tout est allé comme sur des roulettes. Il m'a posé des questions sur l'école, sur mes amis. Je lui ai parlé de Momo, évoqué Kyoka et Koda. J'ai parlé de mes notes auxquelles Touya avait l'air fier. Nous avons surtout parlé de moi. Il ne répondait pas à mes questions, ni de près ni de loin. Le seul sujet sur lequel j'ai découvert quelque chose, ce sont les histoires de cœur. J'en ai rapidement fait le tour pour ma part. En revanche, Touya m'a parlé de Keigo, son compagnon. Il en a fait les éloges pendant bien cinq minutes, les yeux fixés sur une feuille de salade dans son assiette et un sourire béat sur les lèvres. Je l'ai écouté, captant chaque petit détail qu'il voulait bien m'offrir. Puis, j'ai tout gâché en lui demandant si un jour, ce serait possible de rencontrer Keigo. Touya s'est tût et n'a répondu qu'en posant une question sur un nouveau sujet.

Nous n'avons pas évoqué la famille. Rien de ce que nous aurions pu être si nous nous étions connus pendant toutes les années passées. Rien non plus sur le temps où nous étions sous le même toit. Ce sont des sujets tabous.

Il est tard lorsque nous quittons le restaurant. Nous traînons sur le retour, éclairés par les quelques pommiers aux troncs décorés de guirlandes et au flash de mon téléphone. La discussion est de nouveau plus légère et c'est en riant silencieusement que nous entrons dans le mobile-home plongé dans le noir.

Un raie de lumière coule sous la porte de la chambre de Fuyumi et Natsuo, alors sans faire de bruit, Touya se dirige vers la notre sur la pointe des pieds. Je m'écroule sur mon lit, soupirant bruyamment.

– Merci, je lance en me tournant vers Touya. C'était super.

Il me sourit et croise les bras sur son torse.

– Quand tu veux. Je te préviendrais quand je serais à sec.

Je lui souris en retour. J'ai hâte de trouver un moment pour en discuter avec Fuyumi. Cela lui fera plaisir de voir que son plan fonctionne comme elle le souhaite. Personne n'est dupe parmi nous quatre. Nous savons tous pourquoi cette idée est arrivée dans son esprit, et la raison pour laquelle nous avons tous accepté de participer sans broncher. Même Natsuo, alors qu'il n'a pas l'air ravi, est présent.

La dernière fois qu'on s'est vus tous les quatre, avant le départ pour Saint-Jean-sur-Mer, c'était cinq mois plus tôt, à l'enterrement d'Enji Todoroki, notre père. 

Notes:

Bonjour ! Le chapitre 3 est là !

La première journée de Shoto se termine et c'était mouvementé pas vrai ? :D Heureusement, il y a une pointe de rapprochement avec Touya, une légèreté dans le mystère qui plane.

Dans le prochain chapitre, nouveaux personnages ! (Oui oui, au pluriel :p)

Des bisous, Koala.

Chapter 4: Inscription ?

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

C’est le bruit incessant des insectes qui me réveille le lendemain.  La fenêtre de la chambre a été ouverte et la brise légère chauffe ma peau. Je ne me suis même pas installé sous les draps. C’est complètement inutile. Le mobile-home est silencieux et en sortant, je découvre Fuyumi assise sur la terrasse, un livre à la main et l’air complètement absorbé. Je souris et me racle la gorge pour attirer son attention. 

– Oh ! s’exclame-t-elle. Tu es réveillé. Bien dormi ?

Je hoche la tête et tire la chaise à ses côtés. Il n’est pas encore dix heures mais rester là toute la journée n’est pas quelque chose qui me déplairait de faire. Fuyumi marque son livre avec une carte postale de notre ville natale. Elle a toujours la même qu’elle garde dans son sac. Elle dit qu’elle lui rappelle maman. Elle m’annonce en souriant : 

– Natsuo est déjà parti à la piscine et Touya est en ville. Aucun n’a précisé l’heure à laquelle ils comptent revenir mais c’est pas grave, ça nous laisse du temps tout les deux. Ça fait longtemps.

Je lui sourit doucement. Fuyumi et moi habitions ensemble chez maman lorsque j’étais au lycée. Maman avait des problèmes de santé et ne pouvait pas s’occuper de moi. A cette époque, lorsque j’ai convaincu maman de demander de l’aide, Fuyumi a mis en pause sa vie et est revenue. Elle étudiait pour devenir infirmière et devait se démener pour passer des concours ou passer son année. Sa précédente relation s’est mal terminée à cause de cette pause. Sa copine ne supportait plus qu’elle passe autant de temps perdu à s’occuper de maman ou de moi. Je n’avais pas vraiment besoin d’aide à proprement parler mais maman m’inquiétait. Fuyumi n’a pas hésité à tout prendre sur ses épaules. 

Pendant deux ans, elle était là, tous les jours, à veiller sur les repas qu’elle préparait et nous donnait. Elle faisait attention à ce que maman prenne ses médicaments sans en rater un seul. Lorsque son ex l’a quitté, Fuyumi l’a encaissé rapidement et elle est restée avec nous. C’était une époque assez étrange et dont les souvenirs me parviennent flous. Je me souviens de Fuyumi à la maison mais je ne pourrai rien mentionner sur ce qu'on a fait tous les deux. Ce n’était pas une bonne période pour personne. Maman pleurait souvent et Fuyumi a tout laissé tomber. Avec Momo à mes côtés, les journées au lycée étaient heureusement plus supportables.

Maman est décédée en septembre de cette année. Cela ne faisait pas trois mois que j’avais quitté le lycée. Depuis, il n’y a pas beaucoup de choses qui ont changé j’ai l’impression. J’ai passé le bac et j’ai obtenu avec la meilleure moyenne de la classe et les félicitations des jurés. J’ai été accepté à l’université, Momo également. Fuyumi est restée un temps avec moi, jusqu’à ce que je trouve un studio plus proche de la fac. A partir de là, Fuyumi est repartie. Son chemin a croisé celui de Natsuo, qui vivait près d’elle. Elle a changé de parcours, préférant laisser tomber ses études d’infirmière plutôt que de les reprendre avec énormément de retard. Elle s’est lancée dans l’institution et maintenant, elle travaille en tant que professeur des écoles dans des classes de maternelle. Je passais la voir tous les week-end et pendant les vacances scolaires, lorsque je ne croulais pas sous les révisions. On s’est quelque peu éloignés mais le lien que nous avons tissé s’est renforcé avec la distance. Je sais que Fuyumi est un pilier. Une grande sœur aux épaules solides et je l’admire beaucoup pour cela. Lorsque j’ai validé ma licence, j’ai eu la chance d’entrer dans un master dans une autre fac, cette fois à côté de Fuyumi et Natsuo. Le décès de maman nous a rapprochés et tout le temps que nous avons passé à nous reconstruire à affirmer notre entente. C’était comme si nous étions redevenus enfants, les problèmes et les angoisses en moins.

Et puis papa est mort lui aussi. 

– Avec Natsuo, on a trouvé un passage qui mène directement à la plage.

Fuyumi hausse les sourcils de curiosité. Ses yeux brillent. 

– Ce n’est pas un passage secret, il n’est pas loin dans le camping. Mais on peut y aller tous les deux. La plage est sympa.

Elle sourit. 

– Avec plaisir Shoto !

Le temps d’enfiler un maillot de bain sous nos vêtements, de prendre un sac avec serviettes de plage, chapeaux de paille, crème solaire et lunettes protectrices, je l’emmène devant l’étroit escalier de pierre. Il est encore très tôt dans la matinée mais il y a déjà pas mal de monde qui s’installe sur le sable. Des équipes de nageurs s’entraînent dans la mer, calme aujourd’hui. Fuyumi fronce les sourcils. Je lui montre la bannière avec le nom de la course. 

– Je ne savais pas que la ville organisait une course, annonce-t-elle surprise.

– Je me suis dit la même chose.

Je souris. Je trouve un endroit assez éloigné de la mer. Elle est basse à cette heure et à en juger par le sable mouillé à quelques mètres à peine, elle doit monter suffisamment haut pour réduire la plage de moitié. Je suis en train d’étendre ma serviette lorsque ma sœur me pose une question, les yeux toujours rivés sur les nageurs au loin. 

– Tu vas t’y inscrire ? À la course ?

Je hausse les épaules. Une étincelle passe dans ses yeux, un éclat de curiosité. Elle se tord les doigts et trifouille la bague à son pouce, l’air hésitant. Puis elle s’assoit à mes côtés sur la serviette, retire ses lunettes de vue de son nez et les remplace par une paire teinte. Docilement, j’attends la bombe. 

– Tu faisais beaucoup de compétitions de natation avant.

Boom .

– Tu pourrais essayer.

– Non… Je n’ai pas le temps d’aller à la piscine avec les cours et les révisions. De toute façon, les courses de longueur n’ont rien à voir avec les courses en eaux libres… Et puis, les inscriptions sont sûrement déjà closes.

J’ai arrêté la natation à la mort de maman. Il y a des tas de choses auxquelles j’ai renoncé. Je passe du temps à la piscine avec Natsuo, surtout en hiver parce que les bassins sont chauffés. Je nage, mais je ne bats plus mes records, je ne fais plus de compétitions, je ne cherche même plus à y aller s’il n’y a pas Natsuo ou Fuyumi pour m’accompagner. Fuyumi n’insiste pas. 

La matinée passe rapidement. Nous profitons du soleil, ma sœur alterne entre l’océan et la plage. Elle lit de nouveau. Je lui parle de ma soirée avec Touya et elle sourit en grand. Ses yeux sont tristes malgré tout. Elle me parle de quelques moments passés avec notre frère aîné, sans entrer dans les détails. Je l’écoute avec attention. 

Au bout d’un moment, je ne peux m’empêcher de lorgner sur la zone dédiée à la course. 

– Je vais marcher, j’annonce à ma sœur.

– D’accord, répond-t-elle sans lever les yeux de ses pages.

Sans hésitation, je me dirige vers la zone de départ. Il y a plus de monde que la veille, toutefois, je reconnais dans la foule une petite figure avec des cheveux courts. Ochako. A ses côtés, Katsuki fixe l’océan, un chronomètre à la main. Je me fige. Si je m’avance et que je les salue, cela ne fait pas trop bizarre, ni peu approprié ? 

De loin, Ochako éclate de rire et comme si elle se sentait surveillée, elle se retourne en scrutant les environs. Ses yeux brillants se posent sur moi et alors, son sourire s’agrandit. A court d’option, je m’avance vers elle. 

– Salut ! m’accueille-t-elle.

Katsuki me dévisage une seconde avant de retourner à son chrono. 

– Tu participes à la course ? demande Ochako, complètement déconcentrée de sa précédente observation.

Je secoue la tête. 

– Non, j’étais juste curieux. Et toi ? Vous ?

Elle secoue la tête également. Elle pointe du doigt une tête dans l’eau mais avec le nombre de nageurs, je ne suis pas sûr de regarder au bon endroit.

– Non, Katsuki et moi on vient encourager un ami à nous. Lui, il participe et il tient à la remporter ! Katsuki vérifie son temps.

– Et il est nul à chier, s’exclame ce dernier sans lever les yeux.

– Tu ne ferais pas mieux, réplique Ochako sans hésiter.

– Quel est son record ? je demande.

Ochako sourit en grand, visiblement plus que fière. 

– Une heure trois minutes ! Pour les cinq kilomètres de course !

– C’est un super score ! je m’exclame plus que surpris.

– Je sais !!!

Ochako se lance alors dans un éloge de plusieurs paragraphes. Au bout de la troisième fois, je capte le prénom d’Izuku, ses deux victoires consécutives et sa défaite de l’année dernière. Battu de deux dixièmes de secondes par une championne de natation japonaise. Une certaine Tsuyu Asui. Ochako m’explique que personne ne l’avait vu arriver. Inconnue au bataillon, Tsuyu a commencé avec du retard, mais elle a rattrapé Izuku dans les trois derniers kilomètres. Pour tous les amateurs, sa victoire a été une véritable surprise. Son record, d’une heure, trois minutes et vingt centièmes, est le plus haut jamais enregistré pour le défi natation. Depuis, Izuku n’a fait que s’entraîner pour battre son record. 

Katsuki soupire bruyamment et met en pause le chronomètre. 

– Il en est loin, dit-il en coupant Ochako dans sa tirade. Une heure et dix-sept minutes.

Quelques minutes plus tard, une personne s’approche de nous, trempé de la tête aux pieds, essoufflée. 

– C’est Izuku, me chuchote Ochako.

Ledit Izuku se dirige droit sur Katsuki, le pas pressant et les sourcils froncés. Sans plus de formalité, il demande son temps et soupire lorsqu’il le reçoit. Katsuki en profite pour ricaner et se moquer de lui. Le temps de reprendre son souffle, il m’aperçoit. Ses cheveux mouillés collent sur son front, les boucles emmêlées les unes aux autres. Ses lunettes de natation ont laissé des traces sur l’arrête de son nez et ses yeux… Je n’avais jamais vu des yeux aussi verts avant de croiser les siens. J’inspire et lui tend ma main. 

– Shoto, enchanté.

Izuku la serre, l’air incrédule. Son regard passe du mien à celui d’Ochako. 

– Je l’ai rencontré au bar, explique-t-elle en levant le menton. Je lui ai parlé de toi.

– De tes records surtout, je précise. C’est impressionnant.

Izuku entrouvre les lèvres et répond par un « Oh ». 

– Merci. Tu participes aussi à la course ? demande-t-il.

Pour la troisième fois de la journée, je secoue la tête négativement. Cependant, cette fois, je suis beaucoup moins convaincu qu’avant. Poussé par une soudaine et étrange envie de parler, j’enchaîne : 

– J’ai fait plusieurs compétitions de natation avant, mais toujours en bassin. J’étais doué mais clairement, je ne suis pas fait pour la nage en eau libre.

– Tu pourrais essayer. Si tu es doué en bassin, c’est déjà un très bon début pour une course en eau libre, même si c’est différent, je te l’accorde.

Il fait une pause et fronce les sourcils. Il ouvre la bouche et la referme presque aussitôt, comme s’il hésitait à formuler ses pensées. Katsuki sourit en coin. Izuku inspire et reprend finalement : 

– Si jamais tu participes, je serai ravi de t’accompagner. Enfin, on pourra s’accompagner l’un l’autre. Je veux dire. Voilà. En support quoi.

– Je n’ai pas ton niveau, dis-je en soufflant du nez. Ce serait plutôt régresseur pour toi, non ?

Izuku rit nerveusement et secoue la main devant lui. Puis soudainement, il se met à parler à toute vitesse : 

– N’importe quoi ! Non, non, non, rien à voir ! Tu vois… Euh… Tsuyu est arrivée ce matin et même si elle n’est pas encore passée sur le parcours prévu, elle me terrifie. Elle est impressionnante mais elle me stresse quand même alors si on pouvait se soutenir, ça me permettrait de me la sortir de la tête et je pense que c’est une bonne idée, d’avoir un appui, quelqu’un, ou un truc dans le genre. Non pas que tu sois un truc mais tu vois ce que je veux dire, quoi. Katchan et Ochako, je les aime beaucoup mais les deux refusent de participer parce qu’ils ne savent pas nager, ni l’un, ni l’autre, alors si ça te dis, je ne veux pas te forcer à quoi que ce soit mais c’est avec plaisir que tu sois là, ça ne me dérange pas du tout, non vraiment pas. Tu ne seras pas dérangeant. Voilà. Pardon je parle beaucoup, j’ai tendance à beaucoup parler, ce qui énerve beaucoup de monde, surtout Katchan, qui a l’air de vouloir m’assassiner sur place donc j’évite son regard. M’en veux pas, je suis désolé. Je comprendrai si tu changes d’avis par ma faute.

– D’accord.

D’accord. 

D’accord. 

D’accord. 

– D’accord. S’il reste des places, je veux bien m’inscrire.

Les yeux d’Izuku s’écarquillent. Après son discours, la seconde de silence qui passe entre nous est aussi longue que plusieurs siècles. 

– Vrai… Vraiment ? demande-t-il.

– Oui.

Katsuki s’exclame, incrédule, la bouche grande ouverte et les doigts serrés sur son chronomètre. Ochako quant à elle, sautille sur place. 

– Je vais en parler à Toga ce midi! s’exclame-t-elle. Je suis sûre qu’il reste des places ! Ça va être génial j’en suis sûre ! Shoto ! Qu’est-ce que tu fais cet après-midi ? On pourrait passer du temps ensemble !

D’accord… 

Un long sifflement aigu retentit dans mes oreilles, ma tête commence à tourner.  

– D’accord, je réponds. Je mange avec ma famille à midi mais ensuite, pas de soucis.

Izuku sourit en grand. 

– On t’attendra devant la réception, dit-il avec un léger sourire. A tout à l’heure, Shoto.

Il me fait un signe de la main et se fait entraîner par Katsuki et Ochako. J’inspire profondément. 

Je n’ai aucune idée de ce qui vient de se passer.

Notes:

Bonjour !

Izuku est dans la place ! Et ça s'annonce bien ! Not Shoto qui décide de s'inscrire à la course juste pour passer du temps avec lui 🤭

Des bisous, Koala.

Chapter 5: Visite guidée

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

S’il y a une chose que Fuyumi nous a demandé de respecter, en dehors de faire des efforts surnaturels pour maintenir des relations saines et normales avec un inconnu du même sang, c’est de partager le repas du midi à quatre. Surtout au début. l’exception à la règle, c'était hier lorsque nous sommes arrivés. Disons qu’on a eu droit à un silencieux pique-nique sur une aire d’autoroute avant de repartir pour deux heures de route dans un nouveau silence. Aujourd’hui en revanche, c’est plus difficile de trouver une excuse pour y échapper.

Fuyumi est déjà rentrée et lorsque j’arrive, le pas plus pressé que nécessaire, Touya installe la table avec Natsuo. Tous deux évitent le regard de l’autre et une fois n’est pas coutume, l’ambiance est maussade. Je soupire. Natsuo me salue, Touya m’ignore et je ne réponds pas.

Personne ne parle. J’avale ma part de salade à toute vitesse, pressé de m’échapper pour rejoindre le trio. Je n’ai aucun remords lorsque je me lève le premier et débarrasse mon assiette.

– Je vais en ville, j’annonce en repassant sur la terrasse, les mains dans les poches.

Fuyumi me regarde avec des points d’interrogations dans les yeux et je réalise, quelque peu en retard, qu’elle avait prévu de nous faire visiter l’endroit. Et puis merde, j’ai pas envie de passer mes vacances à mes poser des questions sur ce que je dois faire ou non. Izuku, Ochako et Katsuki m’attendent sûrement et j’ai envie de me créer des souvenirs. Des vrais, pas des faux que l’on doit forcer avec le reste de la famille. Je n’ajoute rien et quitte le mobile-home sans attendre qu’on me pose des questions.

Le trio est déjà là lorsque j’arrive. Il est facile de se repérer dans le camping, alors j’ai vite-fait de trouver mon chemin et de marcher au pas. Izuku a délaissé la combinaison de nage qu’il portait ce matin et avec la chaleur du midi, ses boucles brunes ont eu le temps de sécher. Elles s’enroulent davantage derrière ses oreilles. Il sourit en grand lorsqu’il me voit approcher.

– Parfait ! s’exclame-t-il. Tout le monde est là alors en route, les Loulous ! Visite de Saint-Jean-sur-Mer, première du nom, c’est parti !

Katsuki réagit aussitôt :

– Appelle-moi Loulou encore une fois et je t’arrache la langue.

Ochako éclate de rire et Izuku la suit. Rapidement, Katsuki part en tête de la marche. Il avance vite, les mains fourrées dans les poches de son bermuda. Ochako le suit de près, ravie de chercher la petite bête pour l’agacer. Je suis derrière, Izuku sur mon rythme.

– Alors ? commence-t-il en se tournant vers moi. C’est vraiment la toute première fois que tu viens ici ?

Je hoche la tête :

– Oui, et toi ? Si tu participes à la course, tu dois venir souvent.

– J’habite au camping, rit-il. Ma mère en est propriétaire.

– Oh, j’imagine qu’il n’y a personne de mieux placé pour me faire découvrir le coin alors.

Il sourit et écarte les bras devant lui, comme s’il s’apprêter à animer une conférence.

– Je suis ton guide !

Tous les quatre, nous partons alors dans une expédition qui nous occupe pendant toute l’après-midi. Izuku commence sa visite par la promenade qui longe la plage, puis le port. Il nous raconte des anecdotes dont je suis le seul à ne pas savoir, sur le type de bateaux qui amarrent, les détails de construction de certains bâtiments, ou une terrasse de café dont tourne une légende à propos d’une femme qui serait une sirène. Les odeurs de sel, de poisson mort et des pavés emplissent nos narines. Le brouhaha des visiteurs et des habitués sur les terrasses sont un bruit de fond constant.

Nous repassons dans certaines rues, j’y découvre des boutiques typiques qui vendent des produits de la région, des magasins d’espadrilles aux multiples couleurs. Dans certaines boucheries ou fromagerie, on nous laisse même goûter des petits morceaux. Izuku me fait part de ce qu’il préfère, et aveuglément, je l’écoute et choisis les mêmes choses.

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons devant l’entrée d’un funiculaire. L’arche est en fer forgé et il doit dater du début du dix-neuvième siècle. Il monte le long d’une colline, les rails s’envolent par delà les bas nuages.

– Je vais vous laisser ici, annonce Ochako en faisant un pas en arrière. Je dois retourner au camping.

Izuku a une moue déçue.

– Vraiment ? Je peux demander à ma mère de laisser couler ?

– Izu, je t’aime beaucoup, et j’aime beaucoup Inko aussi. Tout comme j’aime recevoir mon salaire à la fin du mois. On se refera quelque chose !

– Ouais ! intervient Katsuki d’une voix forte. On montera sur le pic cette fois !

La jeune femme approuve d’un signe de tête enthousiaste et nous fait signe de la main avant de retourner sur nos pas pour rentrer. De notre côté, nous montons dans le funiculaire et glissons le long de la colline.

Grâce à Izuku, j’apprends que Saint-Jean-sur-Mer est une ville coupée en deux. La Basse-ville, proche de la plage et du port, que l'on vient de visiter, est le centre historique. C’est également le centre touristique, avec le plus de restaurants, de bars ou de monuments à visiter. Et puis il y a la Haute-ville, perchée sur les hauteurs, qui domine la Basse-ville. D’en haut, l’ambiance est totalement différente. La Haute-ville se constitue majoritairement de quartiers résidentiels chic. Les rues sont plus larges et mieux entretenues ; les façades des maisons sont blanches et les dessous des fenêtres sont décorés de fleurs colorées. Les colombages verts et rouges sont encore plus saillants. On se croirait plongés dans une couverture de brochure immobilière basque, ou un plan séquence d’un film mélodramatique. Il n’y a pas autant de lieux appropriés par les touristes mais la vue panoramique et la gratuité du funiculaire font que les points de vue et les rues sont tout de même bondés.

Izuku et Katsuki passent dans tous les petits endroits invisibles des passagers. Les rues étroites entre deux maisons, des escaliers semblables à ceux qui mènent du camping à la plage, des raccourcis utiles et pratiques pour éviter la foule.

– On va s’arrêter au meilleur glacier de la ville, m’annonce Izuku en ralentissant légèrement le pas. Il n’est pas bien connu des touristes et c’est tant mieux parce que ses glaces sont exquises ! En plus, Katchan a découvert un spot sympa pas très loin, on pourra s’y arrêter.

Katsuki se retourne en attendant son nom.

– C’est petit comme endroit, dit-il avec une moue. Il n’y a pas de place pour s’installer à trois.

– On se débrouillera ! persévère Izuku. La Haute-ville est suffisamment grande pour qu’on se pose ensemble !

Katsuki roule des yeux mais ne proteste pas davantage. Rapidement, nous arrivons devant un camion de glace ambulant. Des gens y font la queue et patientent devant et deux glaciers remplissent des cônes d’un coup de main expert. Izuku énonce les différents parfums. Des classiques : vanille, chocolat, fraise, pistache, citron, caramel… Et Katsuki râle en mentionnant que ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur. Pour lui, son choix porte sur des parfums de lavande, coco, rose, palets normands, goyave, réglisse ou yaourt. Je me décide sur un parfum lavande, dont je suis sûr de ne pas connaître. Izuku choisit vanille et Katsuki réglisse. Alors que nous attendons notre tour pour commander, Katsuki se tourne vers moi, croise les bras sur son torse, l’air grave.

– Bon, commence-t-il. On a bien rigolé, Izuku nous a bien saoulé avec ses explications et détails futiles sur la ville pour bien nous montrer qu’il est intelligent et intéressant et certainement pas casse-couilles. Mais on va passer aux choses sérieuses. Shoto, tu préfères la glace en cornet ou en pot ? Choisis ton camp, et fait attention à ta réponse.

Je souffle du nez.

– En cornet, évidemment.

Le sourire de Katsuki s’étire en coin et il jette sur Izuku un regard victorieux. L’autre garçon soupire et secoue la tête.

– Bonne réponse, répond Katsuki. La glace en pot, c’est dégueulasse.

– Ça a exactement le même goût Katchan ! Au moins en pot, on en a pas plein les doigts…

– Une glace en pot, ce n’est plus une glace. Tout son intérêt réside dans le cône !

– J’ai un faible pour le biscuit, j’interviens avec un sourire. J’aime bien l’idée d’avoir plus de glace.

– MERCI ! s’exclame Katsuki presque en hurlant et sa réaction démesurée me fait rire. Enfin quelqu’un avec de la raison !

Il persiste dans son débat jusqu’à ce que nous avons chacun nos glaces en main. Izuku mange la sienne avec une petite cuillère en bois et ne manquant aucune occasion, Katsuki se moque de lui une fois encore.

Un peu plus tard, nous nous asseyons sur un banc face à un merveilleux panorama de la basse-ville. Katsuki avait raison, il n’y avait pas assez de place pour trois à sa dernière découverte. Izuku avait raison. La canicule a fait fondre la glace bien trop rapidement et alors, j’ai les doigts qui collent à cause du sucre. Je parle beaucoup avec Katsuki, qui s’avère être assez bavard. Pas autant qu’Izuku mais il a un débit important, et un décibel de voix qui l’est encore plus. Je crois bien que Katsuki ne peut pas parler sans donner l’impression de hurler.

Si Izuku est le mieux placé pour faire visiter la ville, il n’y a pas meilleur guide que Katsuki pour faire des randonnées en montagne. Heureusement pour lui, la région de Saint-Jean-sur-Mer, située à quelques kilomètres à peine de la frontière espagnole, est entourée de sommets et de sentiers.

– Quand j’ai eu mon bac, explique-t-il en déchirant peu à peu le mouchoir de sa glace, j’ai fait des études en comptabilité. Parce que j’étais doué en maths et parce que j’aime bien compter. C’était la solution facile. Puis ça m’a fait chier.

Pendant un bon moment, nous parlons de nous, de ce qu’on fait. Izuku est dans le commerce, même s’il a changé trois fois d’orientation avant d’en arriver là, à l’instar de Katsuki. Je m’entends bien avec ce dernier, étonnement. Il n’a pas le profil de genre de personne avec qui je me serait lié d’amitié au premier abord et pourtant.

Devant nous, le soleil entame sa descente derrière l’horizon. Nous avons terminé nos glaces depuis un bon moment déjà, mais nous n’avons pas bougé. Je suis assis à la gauche d’Izuku sur le banc. Katsuki est devant nous, à même le bitume et les jambes pliées en lotus. Il nous regarde Izuku et moi en alternance. Izuku. Moi. Encore Izuku. Encore moi. Je tourne la tête vers Izuku, lui évite mon regard, les oreilles rouges. Katsuki sourit malicieusement.

– T’es en couple ? me demande-t-il alors soudainement.

Izuku s’étouffe et je plisse des yeux, soupçonneux.

– Non, je réponds sans lâcher le regard du garçon devant moi.

– Bienvenue au club, soupire Izuku. On est tous dans le même bateau.

– Parle pour toi ! s’offusque Katsuki, un air toujours aussi amusé sur le visage, ce qui fait soupirer Izuku une deuxième fois. T’es jaloux parce que Riot me parle.

– Katchan, parler avec un type sur internet, c’est pas être en couple.

– Bien sûr que si.

– Tu ne connais même pas son nom !

– Et alors ?

– Il habite en Bretagne !

– T’as un problème avec les bretons ?

Pendant encore un moment, Izuku et Katsuki se renvoient des balles. Je les laisse faire, je ne comprends pas cette histoire. Puis, remarquant mon air perdu, Izuku se pince l’arrête du nez et m’explique qu’il a cinq mois environ, Katsuki a commencé à discuter avec un certain « Riot » sur les réseaux. Rien de sérieux selon lui, bien que Katsuki insiste sur le contraire. Izuku est même persuadé que ce Riot n’existe pas.

– Je pensais que tu sortais avec Ochako, j’avoue avec un sourire coupable.

Katsuki éclate de rire. Il rit tellement qu’il en a les larmes aux yeux.

– J’aime beaucoup Miss Bulle, mais non, je ne sors pas avec elle. Riot par contre… Je l’ai invité à la course d’ailleurs, il m'a dit qu'il viendrait. Vous verrez s’il n’existe pas comme ça.

Cela semble mettre fin au sujet. Nous reprenons le funiculaire pour rejoindre la Basse-ville. Le soleil est resté quelques minutes supplémentaire, laissant traîner de merveilleuses teintes de rouge et d'orange dans les nuages.

Nos routes se séparent à l’accueil du camping. Katsuki rejoint le bar directement, sûrement pour retrouver Ochako. Je m'apprêtais à faire de même quand Izuku m’attrape doucement par le bras.

– Comment veux-tu qu’on s’organise pour les entraînements ? demande-t-il.

Sa question me surprend. Avec tout le temps passé à discuter de tout et de rien, la perspective de nager en eaux libres d’ici deux semaines m’était sortie de la tête.

– Heu… Je sais pas, comment veux-tu faire ?

Les rouages dans l’esprit d’Izuku se mettent à tourner. Je sens qu’il a déjà réfléchi à sa propre interrogation mais n’a visiblement pas tous les détails de prêts.

– Puisque tu es un nageur en bassin, on pourrait voir comment tu te débrouilles à la piscine en premier lieu. Puis ensuite, on ira dans les vagues ? Sept heures à la piscine du camping, ce n’est pas trop tôt pour toi ?

– Non, mais la piscine n’ouvre pas à neuf heures ?

– Je prendrais les clefs, ne t’en fais pas.

– Alors d’accord.

Il me sourit et nous restons bêtement à nous regarder dans le blanc des yeux.

– À demain alors…

– À demain.

J’ai le pas léger lorsque je rejoins le mobile-home. Il n’est pas si tard, contrairement à la dernière fois et pourtant, tout comme la veille, je trouve Touya sur la terrasse, une cigarette à la main. Je lui souris et il fait de même. Ses yeux posent une question muette et alors, je m’assoie sur la chaise à ses côtés et lui raconte la totalité de ma visite guidée dans les moindres détails.

Notes:

Saint-Jean-sur-Mer n'existe pas réellement, on s'en doute. Mais c'est fortement inspiré de Saint-Jean-de-Luz et Biarritz dans le Pays Basque, puis du lac Como en Italie et les alentours (qu'on verra par la suite dans les futurs chapitres), sont inspiré à la fois du Pays Basque et de la Provence.

Des bisous, Koala.

Chapter 6: Une rencontre improbable

Chapter Text

Il fait déjà chaud à cette heure. L’eau coule sur ma peau, rapide, agile, agréable. Elle pénètre dans mes articulations et mes muscles se réchauffent à mesure que j’accélère la cadence. C’est mon deuxième cent mètres.

J’ai rejoins Izuku à l’heure que l’on s’était fixé et malgré le fait que j’ai croisé quelques campeurs si tôt de bon matin, la piscine de la Pommeraie demeure à nous deux seulement. Mon ami reste sur les dalles et me suit dans mes longueurs, un chronomètre à la main. Mon premier temps était catastrophique, lent, inefficace. Une part de moi pensait naïvement que je parviendrais à suivre un rythme comme j’en avais l’habitude. Maman est morte il y a quatre ans maintenant et je n’ai pas plongé un orteil dans un bassin jusqu'à aujourd'hui. Le manque d’entraînement, le rythme cardiaque, la motivation, rien n’est plus pareil, je devais m’en douter.

Alors Izuku a insisté pour que je recommence une longueur. Puis deux, trois, quatre. Il change les réglages du chronomètre à chaque fois, contrôle des choses qu’il ne dit pas et siffle le signal de départ à chaque nouvelle longueur. Plus le temps passe, plus je retrouve mes habitudes. Faiblement, mais elles n’ont pas disparu. De plus, je profite d’être immergé pour me vider la tête.

La veille, je suis resté avec Touya pendant un long moment. Tout était beaucoup plus fluide que la fois d’avant. J’avais envie de lui parler, il m’a écouté. J’ai eu l’impression pendant un temps qu’un lien se créait. J'arrivais à découvrir mon frère sous une vieille couche de poussière. J’en avais chaud au cœur. Je suis parti de mon coucher sur son conseil, mes yeux se fermaient d’eux-mêmes. Touya avait un léger sourire que je ne lui connaissais pas encore. Sur le moment, j’ai hésité à en chercher davantage. Je me suis retenu.

J’ai le sommeil léger. Je me réveille au moindre bruit, au moindre mouvement. Si Touya était entré peu de temps après moi dans la chambre, il m’aurait réveillé.

Il n’est jamais venu.

Il n’était pas là non plus lorsque j’ai ouvert les yeux ce matin. Il n’était pas encore six heures. Sur la terrasse, le cendrier était toujours là, une fin de cigarette écrasée dans la cendre. Touya n’était nulle part. La poussière s’est épaissie.

– C’est bien ! lance Izuku lorsque je sors de l’eau. C’est sûr qu’on n’est pas sur un score d’un champion olympique mais ce n’est pas non plus le but recherché.

Il garde les yeux rivés sur la montre, même si celle-ci clignote, mise en pause. Il poursuit :

– Le plus compliqué, ça va être sur le temps. L’endurance. Je ne sais pas si tu as fait des recherches sur Tsuyu Asui mais sa technique est basée sur l’endurance. Comme le lièvre et la tortue dans la fable de La Fontaine.

– Je n’ai pas regardé. Je ne crois pas que je parviendrai à battre Tsuyu de toute façon.

– Je ne pense pas non plus… Ce n’est pas non plus notre but.

Izuku me sourit, compatissant. Il a des fossettes qui se creusent sur les joues.

– Donc, je le charrie, si notre but n’est pas de faire de moi un médaillé d’or aux JO, ni de battre Tsuyu, pourquoi ai-je accepté de participer ?

Son sourire s’agrandit.

– Je suis un excellent négociateur, que veux-tu ? J’ai le charme dans la peau !

Je souffle du nez.

– Ça doit être ça, oui.

Nous rions et son regard dévie légèrement. Il fait de plus en plus chaud ; le soleil tape de plus en plus fort. Il ne nous reste pas beaucoup de temps avant l’ouverture officielle de la piscine et connaissant Natsuo, je sais qu’il est déjà en chemin. Je n’ai pas spécialement envie d’avoir affaire à l’un de mes adelphes. Pas après le nouveau mystère sur l’absence de Touya. Et puis, Natsuo s’est déjà mis en tête de jouer les cupidons avec Fuyumi et le garçon de l’accueil, je ne veux pas me rajouter sur sa liste de cœurs en peine. J’inspire : 

– Tu as quelque chose d’autre de prévu aujourd’hui ? En dehors de nos « entraînements » ?

– Pas vraiment, répond Izuku en secouant la tête de gauche à droite. Ma mère voudrait que je travaille, mais je préfère passer du temps en vacances, tant que c’est possible…

– Tu as d’autres visites à me proposer ? je demande avec un petit sourire.

– Des tas.

Ainsi, Izuku me propose un itinéraire. Je me change rapidement et le suit. Contrairement à la veille, nous marchons moins longtemps. Nous ne parcourons pas les mêmes chemins également. Puis, lors d’un détour, nous nous installons sur la plage. La conversation est légère et agréable. Je pensais que sans Katsuki, ni Ochako, qui trouvent des sujets de discussion plus vite que l’éclair, l’ambiance serait plus dense.

C’est différent avec seulement Izuku, certes. Mais c’est plus posé, plus tranquille. Izuku n’en est pas moins un bavard mais c’est tout mon opposé. Alors il parle et je l’écoute. Il me fait des commentaires sur chacun des participants qu’il reconnaît sur le rivage. Certains qui étaient déjà là les années précédentes, ainsi que leurs records et leur niveau. Il y a tellement de nom et de numéro que pendant un temps, je me perds. Comment fait-il pour se souvenir de chacun des participants ? Je n’en ai pas la moindre idée.

Au bout d’un moment, c’est une femme qui s’approche. Izuku écarquille les yeux en grand en la reconnaissant.

Elle est petite, à vue d’œil, elle est même plus petite qu’Ochako. Ses longs cheveux bruns sont attachés en tresse dans son dos. Et ses cuisses sont sûrement les cuisses les plus musclées que je n’ai jamais vu. Même sous sa combinaison de plongée, elle pourrait facilement éclater une pastèque sans difficulté.

– Bonjour, dit-elle lorsqu’elle arrive à notre niveau.

Elle me regarde une seconde avant de s’attarder sur Izuku. Elle hoche la tête dans sa direction et il fait de même.

– Prêt pour la course ? demande-t-elle avec un petit sourire en coin.

Il n’y a pas d’animosité dans sa voix mais une lueur compétitive mêlée de malice et d’admiration brille au fond de ses yeux. Soudainement, je comprends que je me trouve devant Tsuyu Asui. La fameuse championne qui effraie Izuku, sortie de nulle part l’année passée et qui a raflé la médaille d’or en un temps record. Elle n’a pas l’air mauvaise ou prête à faire des coups bas, mais son amusement dans sa voix indique clairement qu’elle ne se laissera pas marcher sur les pieds.

– Bien sûr, répond Izuku sur le même ton. Je n’ai pas l’intention de rester derrière.

Tsuyu sourit un peu plus.

– Si la mer reste ainsi jusqu’à la course, tu ne devrais pas avoir trop d'obstacles. Si tu veux, je viens te proposer de s’entraîner ensemble cette semaine.

– Vraiment ? s’étonne Izuku.

– Oui. Tu es un adversaire redoutable, j’aimerai beaucoup en apprendre sur toi pour m’améliorer. J’ai gagné l’année dernière mais seulement de peu. Et puis, tu m’a l’air d’être d’une personne intéressante.

Izuku réplique avec modestie et aussitôt, le sujet s’approfondit. Je n’interviens pas. Ils parlent majoritairement de la course de l’année précédente et de différentes techniques en nage et en endurance.

Lorsque Tsuyu s’en va enfin, Izuku a l’air d’une nouvelle personne. Il ne dit rien pendant une minute, plonge sa main dans le sable et laisse les grains glisser entre ses doigts. Puis, il tourne la tête vers moi, comme s’il venait soudainement de se rappeler ma présence. 

– Une conversation et je suis déjà sur le banc de touche ? je demande d’un ton léger, quelque peu moqueur. 

Son visage tombe d’un coup. Il a l’air catastrophé.

– Non ! Non, pas du tout ! Je suis désolé ! C’est juste que je ne m'attendais pas à tomber sur elle et que la conversation m’a emporté. Je ne voulais pas que tu te sentes mis à l’écart, surtout pas, tu restes mon partenaire. Euh mon coéquipier je veux dire, plutôt. Puisqu’on n’est pas vraiment partenaire, la course est toujours individuelle. 

Il se tait tout d’un coup et murmure quelque chose dans sa barbe. Il ferme fortement les yeux et des plis se forment sur son nez. 

– C’est pas grave, je lui dis en riant doucement. Tu peux parler avec elle, il n’y a pas de soucis. 

– Pas quand tu es à côté… Tu ne t’es pas senti mis à l’écart ? 

Je secoue la tête négativement. La tension dans ses épaules semble se dissiper et j’étends mes jambes devant moi. Je prends appui sur mes coudes, tant pis si des grains de sable viennent se glisser dans les coutures. La tête face au soleil, j’essaie de paraître décontracté.

– Tu veux bouger ? je lance. 

Il hoche vivement la tête. Il doit être aux alentours de midi. Le temps est passé si rapidement que je ne l’ai pas remarqué avant de poser mes yeux sur une montre. Je devrais déjà être de retour au mobile-home. Natsuo doit être en train de préparer le repas. 

– Il y a une brasserie sympa pas loin, annonce Izuku en se levant. On y va souvent avec Katchan et Ochako. 

Je devrais être en train d’aider à mettre la table, dans l’unique silence qui traîne. Fuyumi nous a seulement demandé de passer tous les repas ensemble, pour essayer. 

– C’est super bon en plus, renchérit Izuku. 

Je ne devrais pas me laisser tenter. Je devrais être avec ma famille. 

– D’accord, je te suis. 

Izuku me sourit et se met en route. Une fois n'est pas coutume, il me guide jusqu’à la façade de la brasserie. C’est un serveur aux cheveux blonds et au trait d’eye liner bien dessiné qui nous accueille avec un gigantesque sourire enthousiaste. Il a une aisance familière. Une façon de se tenir qui me donne l’impression de l’avoir déjà croisé quelque part.

Izuku s’avance sans hésitation jusqu’à une table à l’intérieur, proche de la fenêtre et pas si loin de la climatisation. Il ne regarde pas la carte tandis que moi, je plonge dedans. Izuku me donne des recommandations. Il se met à parler à toute vitesse de chacun des plats, qu'il aurait apparemment tous déjà goûté une fois. 

Je ne sais pas quand exactement, mais Katsuki et Ochako finissent par nous rejoindre. La conversation part dans plus d'éclat de voix encore. Je ne regrette pas d’être resté là au lieu de rentrer. Malgré tout, une pensée pour ma sœur traverse mon esprit. Je m’en veux tout de même de lui donner l’impression que je ne fais pas d'effort. Je n’ai aucune idée de ce dont elle peut parler avec Touya, ni de ce qu’elle fait la journée, quand moi je ne suis pas là. Je ne sais pas non plus ce qu’elle ressent au sujet de ces vacances. Ce n’est que le troisième jour et rien n’a changé depuis que nous sommes arrivés. Peut-être que je parle à Touya le soir, mais cela s’arrête là. Et je suis convaincu que si je ne lui parle pas, il ne viendra pas engager la conversation. 

– Salut salut ! arrive le serveur au liner parfait. 

Je ne porte pas de maquillage mais pouvoir porter un trait aussi droit est impressionnant.

– Salut Keigo, répond Katsuki. T'as l’air débordé. 

Ledit Keigo sourit et hausse les épaules, nonchalant.

– Mirko ne revient pas avant demain et Dabi nous a lâché jusqu'à la semaine prochaine. Qu'est-ce que vous prenez ? Comme d’habitude ?

Katsuki hoche la tête et Keigo l’inscrit sur son carnet. Izuku commande également et alors Ochako énonce la sienne, je fronce les sourcils. Quand vient mon tour, je ne réponds pas de suite. Je reste les yeux fixés sur le serveur. Lui évite mon regard. 

Est-ce que Keigo est un prénom répandu ? Touya m’a dit que son compagnon s’appelait Keigo lui aussi et avant lui, je ne connaissais pas ce prénom.

Ochako me donne un coup de coude dans les côtes. Je sors de ma transe et réalise que le serveur attend toujours ma commande. Son regard n’a pas bougé de son carnet de note. Je choisis quelque chose au hasard et le fixe alors qu’il repart en courant vers la cuisine.

– Tout va bien ? me demande Ochako en se penchant vers moi.

Izuku me regarde aussi avec un éclat d’inquiétude dans les iris.

– Il est pris, m’annonce Katsuki d’un ton presque cassant.

– Il ne m’intéresse pas, je réponds aussitôt. J’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part, c’est tout. Je ne me souviens pas d’où.

Mon esprit tourne à toute vitesse. Est-ce que les règles de bonne conduite et de respect d’autrui de Fuyumi s'appliquent à tout le monde ou est-ce que Touya en est exclu ?

– Tu as dit qu’il est pris, dis-je en me tournant vers Katsuki qui me toise, le menton haut et les yeux perçant. Avec qui ?

C’est Ochako qui répond :

– Dabi, un serveur d’ici. On le croise assez souvent ici, même s’il n’est pas des plus bavards. Personne ne sait vraiment qui il est.

– Est-ce qu’il est grand, des cheveux coupés courts presque blancs, et avec des cicatrices sur le cou, les bras et les jambes ?

Le trio s’échange un regard circonspect, sourcils froncés.

– Tu le connais ? me demande Ochako.

J’aurai aimé répondre non.

Chapter 7: Malentendu

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Une boule me tord l’estomac tout au long du repas. Le jeu, je le connais. Écouter, sourire, hocher la tête, disparaître. Keigo n’est pas revenu de tout le service et une autre personne a pris la relève. Dès l’instant où l’addition est réglée, je trouve un prétexte pour m’enfuir. Je m’excuserai auprès du trio la prochaine fois que je les reverrai, si par miracle, ils voudraient bien accepter de me revoir.

La mâchoire serrée, mes efforts, effacés.

Je marche vers le mobile-home en évitant les passants. Je ne sais même pas si quelqu’un est là-bas. Je n’ai pas les clefs pour entrer, Natsuo a pris le premier trousseau et Fuyumi le deuxième. Ni l’un ni l’autre n’est présent lorsque j’arrive. La porte est verrouillée.

L’endroit est vide.

Dans un soupire, je m’installe sur la chaise en plastique de la terrasse, celle sur laquelle je m’assoie lorsque je débite l’entièreté de ma vie à un inconnu depuis deux soirs. J’attrape mon téléphone dans la poche de mon short. Je ne sais pas vers qui me tourner à l’heure actuelle, certainement pas un membre de ma famille, alors à la place, je décide d’appeler la personne à quatre heures de route d’ici.

Si j’ai été capable de raconter tous les moindres petits détails de mes journées à Touya sans difficulté, cela l’est encore moins pour le dire à Momo. Par chance, elle décroche assez rapidement et après m’être assuré qu’elle n’a rien de prévu dans l’après-midi, je lui dit tout.

Ce que j’apprécie chez Momo, c’est son écoute. Elle peut être aussi taciturne que je le suis, tout comme souvent lorsque nous sommes tous les deux, le flot de parole ne s’arrête qu’en présence d’une tierce personne.

Je me rappelle très bien au début, pendant les séances de travail de groupe. Nous ne nous parlions que pour échanger des idées de projets, avancer sur une prise de note ou un powerpoint, ou pour revoir certains points importants. Nous étions cordiaux et nous nous souriions dès que nous recevions nos excellentes notes. Notre première véritable conversation est basée sur l’histoire romantique la plus catastrophique que nous ayons pu vivre.

Nous travaillions avec Kyoka et son copain Denki, ex-copain à présent. Même si de retour en seconde, nous étions loin de savoir comment appeler le couple. Le classique de rompre pour se remettre ensemble dans les quinze jours suivants. Ni Momo ni moi n’avions posé de question aux principaux personnages mais nous surveillâmes les chapitres à chaque nouveau paragraphe. Lorsque nous nous sommes rendu compte que nous faisions la même chose, la parole s’est libérée aussi rapidement qu’une colombe à une cérémonie de mariage.

Lorsque j’ai compris que je ne pourrai jamais faire autant confiance à d’autre personne que Momo, lui parler est devenu un échappatoire. Je ne compte plus les fois où je me suis réfugié chez elle et des heures passées à discuter de tout et de rien sur son lit de princesse. À partager des rêves, des angoisses, des doutes, des amours. Des histoires rapportées sur d’autres élèves de la classe où même du lycée. Momo rayonne d’une confiance et d’une bienveillance si attirante que beaucoup d’autres parviennent à lui confier des secrets, qu’elle vient me raconter par la suite, dans la sphère paisible de ses murs. Secrets que souvent, j’ai tendance à oublier lorsque je ne les trouve pas suffisamment croustillants.

Momo sait tout sur ma famille, sur la disparition de Touya il y a des années, sur mes parents, la maladie de ma mère et les décisions parfois difficiles de mon père. Tout comme je sais tout sur elle. Sur sa vie de famille qui l’oppresse, ses devoirs qu’elle ne supporte plus, le poids de sa sexualité qu’elle cache pour ne pas être en danger. Je connais ses peurs autant qu’elle connaît les miennes. Je connais ses pleurs et elle porte du bout du doigt celles que j’ai laissées sur son oreiller.

S’il y a bien une personne sur cette planète qui peut comprendre ce que je ressens, c’est Momo.

Elle m’écoute déblatérer mes idées et remords sur mon frère aîné et j’entends le rythme calme de sa respiration. Je lui reparle une fois encore de son départ, si précipité et soudain, comme une ombre qui disparaît au soleil. Touya est parti lorsque j’avais huit ans. Je me souviens parfaitement de la date puisque c’est juste après son départ que maman est tombée malade.

Pendant près d’une décennie, papa possédait une entreprise du nom d’Endeavour, qu’il considérait comme sa plus grande réussite. Touya, son premier fils, devait en hériter. Malheureusement, après quelques années chargées et compliquées, Endeavour a coulé face à de plus gros concurrents. Papa a dû fermer les portes et c’est ma mère qui a eu du mal à s’en remettre. Les changements soudain de quotidien, voir son mari au chômage, elle en a perdu les esprits.

Le jour où, l’année de mes six ans, maman a été prise dans une crise plus grande que d’ordinaire, elle m’a brûlé la moitié du visage. Elle me répétait que je lui ressemblait, que c’était une erreur et que sais-je encore. Ce jour-là, papa a pris les choses en main et a décidé de l’envoyer en centre de soins. Il était convaincu que c’était le mieux pour elle, afin qu’elle ne blesse plus personne autour d’elle. Il a pris soin de moi et de ma blessure. Même si elle m’a valu d’être comparé à des vilains dans les dessins animés ou dans un film de super-héros, cela m'était égal. Papa m’a toujours fait comprendre qu’à ses yeux, je restais précieux.

Après le départ de Touya, je me suis rapproché de papa. Nous passions beaucoup de temps ensemble et il me parlait presque tout le temps de son ancienne entreprise et de son projet d’en bâtir une nouvelle, qui serait encore meilleure que la précédente.

Avec les années, j’ai fini par réaliser que la blessure que m’avait causé maman n’était pas réellement de sa faute. Elle a fini par se sentir mieux et grâce au soutien de Fuyumi, elle est sortie de sa chambre d’hôpital. Ce n’est que lorsque je suis entré au lycée que j’ai décidé de lui pardonner. À l’âge légal, j’ai demandé mon émancipation à papa, qui me l’a accordé et j’ai passé les trois années suivantes chez Fuyumi et maman. Tout est resté stable jusqu’à la mort de maman. Puis les choses se sont arrangées, doucement, légèrement, jusqu’à la mort de papa. Et ce foutu voyage au bord de la mer. 

Au milieu de ma tirade, qui dure depuis un moment maintenant, je m’arrête.

– Je ne comprends pas ce qui m’embête chez Touya. Sur ce qu’il dit ou plutôt, ce qu’il ne dit pas. Je n’arrive même pas à comprendre pourquoi je me sens aussi trahi d’apprendre que son copain vit ici. On est là pour renouer des liens, et il ne fait aucun effort ! Pourquoi est-ce qu’il cacherait ça ? Ce n’est pas comme si je ne lui avais rien raconté depuis qu’on est arrivés !  

– De quoi parlez-vous quand vous vous retrouvez le soir ? me demande Momo à l’autre bout du fil.

– Je lui raconte mes journées au camping, principalement. Je lui ai parlé de toi, du lycée, des études, du temps...

– Pas de vos parents ? Ni de la famille en général ?

– Non. J’aimerai bien aborder le sujet mais je ne sais pas comment. Il ne dit rien non plus, pas même un mot. Au tout début oui, c’est comme ça que j’ai appris pour Keigo. Mais pas un seul son depuis. Tu penses que j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?

Momo ne répond pas avant quelques minutes. Elle doit penser à des tas de possibilités et à cet instant, j’aimerais comprendre ce à quoi elle pense exactement.

– J’en sais rien, Shoto, pour être honnête avec toi. Juste… Essaie de lui parler ? De vos parents, même si c’est tout petit.

Je hausse les épaules, inconscient du fait qu’elle ne peut pas me voir. Momo à raison, ce serait l’idéal. Seulement, l’écart d’âge qui me sépare de Touya, et le fait que je n’ai presque pas de souvenir avec lui, je ne saurais même pas par quoi commencer. Je soupire :

– C’était tellement moins compliqué quand je ne le connaissais pas.

– Ne dis pas ça Shoto, c’est ton frère.

– Jusqu’à il y a trois jours, il ne l’était pas et il ne me manquait pas.

– Et maintenant ? Si demain vous décidez de mettre fin à ces vacances, tu en penserais quoi ?

Je m’adosse à la chaise. Cette dernière craque sous le poids et avant qu’elle ne cède brutalement, je me relève. Inconsciemment, je me mets à marcher. Je m’éloigne du mobile-home et avance entre les pommiers et les emplacements de camping.

– Que c’est prévisible. Ça serait chiant puisque j’aime bien passer du temps avec Izuku, Ochako et Katsuki mais je sais bien que la probabilité pour qu’on n’aille pas plus loin, ni avec eux, ni avec mes adelphes, est très élevée. Au moins, je passerai le reste de mes congés avec toi et Kyoka.

– Oh d’ailleurs ! s’exclame Momo soudainement et avec une voix si claire que j’en fronce les sourcils. Puisqu’on parle de Kyoka, est-ce que tu te rappelles le concert que son groupe voulait donner cet été ?

– Oui.

En terminale, Kyoka, qui est une excellente guitariste, a décidé de monter un groupe de rock. Ils jouent principalement des reprises mais de plus en plus, Kyoka s’est mise à écrire leurs propres chansons. Ils doivent en posséder une dizaine maintenant et alors, Kyoka a proposé l’idée de jouer en public pour se faire connaître d’un plus large public.

– Ils ont fixé la date pour le quinze juillet. A l’occasion d’un événement musique et art qui est donné au parc des Frênes.

Soit la veille de mon départ de Saint-Jean-sur-Mer, dans un monde où les miracles existent et que la paix revienne avec ses réponses graciées sur le mystère « Touya ». Momo poursuit :

– Sauf que Hanta, le pianiste, n’est pas disponible et a demandé aux autres membres de ne pas décaler la date pour ne pénaliser personne. Alors pour le remplacer, Kyoka m’a proposé de jouer ! Je sais bien que je n’ai jamais joué dans un groupe avant, ce n’est même pas mon domaine de prédilection… Mais, je sais jouer du piano depuis que je sais me tenir droite sur une chaise alors je me tente quand même. Je répète avec Kyoka presque tous les jours et on avance super bien !

Pendant de longues minutes encore, elle me parle de ses cours particuliers avec sa nouvelle professeure de musique et du temps qu’elles passent toutes les deux à répéter différentes partitions et à discuter de tout et de rien pendant des heures. Elle m’annonce qu’heureusement, l’entièreté du concert sera diffusée en live sur les réseaux et qu’ainsi, si je ne rentre pas avant le quinze, je pourrai toujours y assister, même de loin.

Puis, le sujet dévie, encore, encore et nous ne parlons plus de Touya, ni de ma famille, ni de Kyoka. Simplement, au moment où je m’apprête à raccrocher, Momo m’annonce du voix rassurante :

– Pour ton frère, si vraiment ça te prend la tête, va lui parler. Tu ne risques rien à tenter le coup. Sinon, laisse couler. Laisse-le venir à toi. Peut-être également qu’il a besoin d’un peu d'espace.

J’ai passé presque trois heures au téléphone avec elle. Ses conseils ont toujours été d’une grande utilité à mon égard et pourtant, cette fois, j’ai l’impression de savoir encore moins ce que je dois faire. C’est vrai que je me vois mal insister pour réclamer quoi que ce soit. J’ai déjà fait des efforts, j’ai commencé, j’ai fait le premier pas. Alors même si ce n’est pas grand-chose, je vais poursuivre dans cette direction et laisser Touya se confier si lui en a envie.

J’ai prétendu ne pas avoir d’autre frère que Natsuo pendant de nombreuses années, je peux très bien continuer de faire semblant.

Chapter 8: Sur le fil

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N’ayant pas envie de rentrer de suite et de me confronter à Fuyumi ou Natsuo, je passe le reste de la journée à marcher sur la plage. Le ciel dégage des couleurs plus brillantes encore que tous les autres soirs alors que le soleil entame sa quotidienne descente derrière l’horizon. Au bord de l’eau, les pieds trempés dans la blanche écume, je distingue Tsuyu. Les mains sur les hanches, le torse bombé et le menton levé, elle ressemble à l’un de ces super-héros avant de partir sauver le monde.

Je l’observe de loin. Je la vois respirer lentement et sourire fièrement aux rayons dorés. Elle donne l’impression de flotter, comme si le concept d’attraction terrestre lui était inconnu. Lorsqu’elle se retourne, ses yeux trouvent directement les miens et elle me sourit. Je lui fais un signe de la main qu’elle me renvoie instantanément.

Et lorsqu’elle s’éloigne, mon cœur se serre. Je n’arriverai pas à mentir à Touya.

***

Il n’est pas si tard lorsque je rentre. Fuyumi déplie une nappe à carreaux et la déploie sur la table extérieure. Juste derrière elle, Touya attend qu’elle ait terminé pour mettre le couvert. Je perçois Natsuo à l’intérieur du mobile-home, qui s’affaire à je-ne-sais-quoi.

– Enfin de retour ! s’exclame ma sœur avec un immense sourire en me voyant approcher. Où étais-tu passé ?

– A la plage, je réponds en regardant Touya.

Lui évite mon regard. Je me tourne vers Fuyumi.

– Désolé pour ce midi, je n’avais pas l’intention de sauter ta règle.

– Tu as mangé au moins ?

Je hoche la tête.

– Alors ce n’est pas grave, je te fais une exception.

Elle sourit doucement et prend mes joues dans ses paumes. Je m’attendais à une réaction plus vénéneuse. Fuyumi est très attachée aux règlements et aux cadres. Elle pense qu’elles apportent une certaine stabilité et un confort inestimable. Surtout dans des situations inhabituelles, comme par exemple, deux semaines de prétendues vacances avec ses frères.

– Tu as besoin d’aide ? je lui propose, pour me rattraper.

– Non, tout est prêt. Installe-toi.

Elle tourne les talons et entre dans le mobile-home. Pendant une seconde, je me retrouve seul avec Touya. L’air est pesant mais je tente de passer outre. Je lève la tête et mon regard croise le sien. Je lui sourit doucement mais il ne me le rend pas. Dans ces yeux, j’aperçois des tas de mots dont je ne suis pas sûr de savoir parler. Cela ne dure pas, Fuyumi revient aussitôt avec la carafe d’eau et le pain, suivie par Natsuo et sa salade de pâtes.

Pendant le repas, Fuyumi et Natsuo font la conversation. Plusieurs fois, Natsuo me donne un coup de coude involontaire et je râle à chaque fois, ce qui ne l’empêche pas de continuer de gesticuler. Lorsque tout est débarrassé, Natsuo part avec Fuyumi vers le bar du camping et je me surprends à retourner sur ma chaise. Je ne fais toujours pas confiance en sa solidité, surtout lorsqu’elle craque de nouveau.

L’air est lourd ce soir, au loin, de gros nuages se rapprochent à toute vitesse. Lorsque Touya passe devant moi après avoir terminé de faire la vaisselle, je lève la tête, un nœud dans l’estomac. La porte claque derrière mon frère. Avant qu’il n’est eu le temps de descendre les marches de la terrasse, je m’exclame :

– Je suis désolé.

Il s’arrête et se tourne, un sourcil levé. Ses yeux posent une question muette et je me rends compte abruptement que dans toutes nos anciennes conversations, je ne l’ai jamais regardé dans les yeux. Il ne dit rien, mais son regard est le plus bavard de nous deux.

– Si j’ai fait quelque chose que je n’aurai pas dû faire. Ce midi.

Ses épaules se tendent. Je n’ai pas besoin d’en dire plus, je sais que c’est inutile. Toutefois, Touya se rapproche de moi, installe une cigarette derrière son oreille et croise les bras sur son torse, son zippo bien serré entre ses doigts.

– J’en ai rien à foutre, me dit-il alors d’un ton détaché. De ce que tu fais, ou non. Des gens avec qui tu traînes, avec qui tu parles et de qui tu croises. Rien à battre.

Je hausse les sourcils de surprise. Il continue :

– Tu peux continuer à me raconter ta vie si ça te chante, ça fera plaisir à Fuyumi. Et rien que pour elle, on va passer ces deux semaines à faire comme si on s’entendait et on ne gâchera rien. Compris ?

Je ne réponds pas. Ma gorge me brûle. De son côté, Touya allume sa cigarette, referme son briquet dans un claquement et tourne les talons sans rien ajouter. Il me laisse là, le menton tremblant et les joues trempées.

***

Je dors mal cette nuit-là. Juste au-dessus de Saint-Jean-sur-Mer, l’orage a éclaté et la pluie est tombée pendant plusieurs heures. Même si elle a bien été reçue au petit matin, les températures sont encore plus insupportables qu’elles ne l’étaient déjà.

Je me lève vers onze heures. La chaleur m’a empêché de dormir une bonne partie de la nuit, pour ainsi éviter de blâmer Touya et ses mots tranchants lorsque Natsuo me pose la question.

– C’est ma salade de pâtes, c'est ça ? dit-il avec un petit sourire amusé. C’est parce que j’ai utilisé des pennes au lieu des farfalles comme tu préfères ?

Je lui donne un coup dans le bras.

– Bien sûr que c’est à cause des pennes, tu croyais quoi ?

– Eh ! J’ai fait des efforts par rapport à la dernière fois, j’ai rajouté de la mayonnaise !

– Tu n’en mettais pas avant ? je demande les sourcils levés.

Natsuo hausse les épaules.

– Je n’ai jamais été un grand chef, tu sais…

Je lui souris. Il a plu une bonne partie de la matinée. Natsuo est resté au mobile-home tout le long, le nez ancré sur l’écran de son ordinateur. Il a grimacé lorsque je suis rentré dans la pièce principale et a assuré qu’il ne faisait rien en lien avec son travail (ce dont je ne crois pas le moins du monde). Fuyumi est partie Dieu-sait-où pour fait Dieu-sait-quoi. Je ne l’ai pas vue depuis le repas de la veille. Touya également. Natsuo m’a dit qu’il n’était même pas revenu.

– J’ai dû le faire fuir, dis-je avec un ton amer.

Mon frère me lance un regard interrogateur mais devant mon manque de développement, il n’insiste pas.

– Tu veux faire un jeu ? me demande-t-il en se redressant sur le canapé. J’ai apporté des cartes de tarot, de cinquante-quatre cartes et un jeu de belote. Même si la belote à deux, c’est pas dingue. J’ai aussi un jeu de petits chevaux en version miniature si tu préfères, ou on peut faire un petit bac, des échecs, ce que tu veux.

– T’as apporté tout ça ?

Il hausse les épaules une nouvelle fois. Son sourire s’agrandit.

– Tu as de la chance, mon sac était trop petit pour Risk.

Nous partons sur un jeu de crapette et le temps de plusieurs parties dans lesquelles Natsuo gagne plus que moi, j’oublie Touya. Natsuo n’a que deux ans mon aîné, presque rien. Lorsque nous étions enfants, Natsuo venait le plus souvent dans ma chambre. Nous nous voyons pas autant que nous l’aurions voulu, papa n’a jamais autorisé que je passe plus de temps avec mes adelphes qu’avec lui et donc, Natsuo se faufilait pour me rejoindre une fois la nuit tombée. Nous lisions des livres avec une lampe torche mais ce n’était que lorsqu’il oubliait ses jeux. Ses venues se sont faites de plus en plus importantes après le départ de Touya et l’internat de maman. Éventuellement, papa a fini par nous attraper et a fait en sorte que Natsuo ne vienne plus. Cela n’a pas duré longtemps heureusement et lorsque j’ai rejoint maman et Fuyumi au lycée, retrouver Natsuo m’a fait me souvenir de toutes nos anciennes parties. Nous avons recommencé à jouer ensemble très vite et à chaque occasion, il ne manque jamais de me prouver qu’il reste meilleur que moi. Chez lui, il y a toute une étagère du sol au plafond de jeux de société et nous y jouons presque plusieurs fois par semaine.

Fuyumi est comme une seconde maman à mes yeux. Elle reste ma sœur, elle le sera toujours. Mais c’est elle qui a pris soin de moi pour mon émancipation, même si elle n’en avait pas besoin. C’est elle qui a pris soin de maman. Qui fait tous les efforts possibles et inimaginables pour organiser des sorties ou des week-ends, qui prépare des repas de l’entrée au digestif pour les fêtes de fin d’année. C’est elle qui a organisé les funérailles de nos parents et c’est toujours vers elle que je me tourne lorsque j’ai un problème. Je l’appelle quand mon four fait un bruit étrange, lorsque je perds un vêtement, lorsque j’ai un doute sur la date limite de consommation d’un produit. Je lui parle de mes notes et des problèmes entendus à l’école, de mes cours, de mes présentations et de mes examens. Je lui parle de mes fiertés et de mes déceptions sur mes stages ou des possibles relations que j’aurai pu avoir si je n’étais pas aussi réticent. Elle me donne des conseils et m’ouvre ses bras pour une minute de réconfort. Fuyumi fait les meilleurs câlins. J’adore sentir son cœur battre sur le mien et sa main dans mes cheveux. Ses doigts sur ma cicatrice, comme si elle pouvait l’effacer d’une simple caresse.

A l’inverse, si Momo n’était pas déjà promue Meilleure Amie, Natsuo porterait ce badge. C’est Natsuo qui m’accompagnait toujours à la natation, qui je marche le plus souvent avec moi, qui a toujours accepté de passer du temps avec moi, pour regarder un dessin animé à la télé, faire un jeu ou simplement se taper dessus continuellement. C’est avec lui que je m’entendais le moins enfant, parce qu’il était à peine deux ans plus grand et parce que je le voyais plus souvent que Touya. Je voulais devenir comme lui. Natsuo est mon frère modèle, puis j’ai vite compris à un certain âge que je ne devrais pas spécialement reproduire ses faits et gestes. C’est avec Natsuo que j’ai bu pour la première fois. C’est aussi avec lui que je me suis retrouvé à vomir mes tripes à cinq heures du matin, hilare et perdu en plein milieu d’une route de campagne. Je me souviens très bien de cette soirée. Lui avait trouvé une grenouille dans le fossé et s’était rétamé en essayant de l’attraper. C’est avec Natsuo que j’ai conduit une voiture pour la première fois. Il venait de passer son permis et s’était acheté une voiture d’occasion grâce à son salaire d’apprentis. Il m’a appris à trouver le point de patinage, à accélérer en même temps, le tout avec sa paume bien accrochée au frein à main. Nous n’avons jamais révélé à Fuyumi que sa voiture à fini écrasée contre un lampadaire, ni la cicatrice qui borde le bras droit de Natsuo fait partie de l’histoire. Natsuo, c’est le genre de type qui se retrouve dans des situations de merde comme dans Very Bad Trip ou American Pie.

C’est aussi un terrible cuisinier. Je ne l’ai jamais vu succéder dans un plat qui n’était pas des œufs brouillés, des converses toutes prêtes ou des pâtes. En revanche, j’ai passé plusieurs heures à le suivre dans un refuge de la SPA pour trouver sa boule de poils. Chuck Norris est devenu le chat de gouttière le plus heureux de France depuis. Il a un grain, c’est sûr mais Natsuo est persuadé que c’est uniquement parce qu’il est roux. Il fait autant de bons câlins que ma sœur. Je ne suis pas sûr qu’il existe sur Terre une personne aussi amoureuse des animaux que Natsuo. S’il le pouvait, il ouvrirait son propre refuge et adopterait toutes ces petites boules de poils en besoin d’amour.

A midi, j’abandonne la crapette.

– Tu comptes me laisser gagner ou non ? je dis devant ma cinquième défaite sur cinq.

Natsuo éclate de rire puis secoue la tête.

– Bien sûr que non. T’es mon petit frère, c’est ta place d’être plus bas que moi.

Il rit encore et jette un coup d’œil à l’heure. Il récupère les cartes en un seul tas et les mélanges

– Il est midi, tu veux manger ? Il reste des pennes.

– Tu veux m’empoisonner ? je réplique faussement outré.

Il remue les sourcils suggestivement et j’éclate de rire. Nous finissons quand même le gigantesque saladier de la veille et à la vue du soleil au travers des pommiers, nous décidons de passer l’après-midi à la piscine. Touya ne me revient pas en tête une seule fois de la journée et devant le regard adouci de Natsuo, je comprends bien vite qu’il n’est pas stupide.

Je ne lui ai rien dit, et pourtant, il sait comment me retenir de couler. 

Chapter 9: Le sable est un cousin du ciel

Chapter Text

Pendant bien trois jours, Touya et moi nous nous évitons comme la peste. C'est lui qui fuit. Sans poser de question, Fuyumi a proposé un changement dans l'organisation des chambres, comme si Touya s'embêtait à passer ses soirées avec nous maintenant. Je ne le voit presque pas, et après qu'il m'a balancé, je me dis que c'est tant mieux.

Le reste de mon temps, je l'ai passé avec Izuku, Katsuki et Ochako. J'ai tenu à m'excuser pour la dernière fois au restaurant mais aucun d'entre eux - surtout Izuku, n'avait pas l'air d'en tenir compte. J'ai repris les pseudo entraînements et même si j'ai bien compris que je ne fais pas le poids à côté d'Izuku et de Tsuyu, c'est plus amusant que je ne l'aurai pensé. Nos séances sont plus souvent des cours de motivation et des sessions de discussions. Izuku parle beaucoup, et très vite. Il marmonne parfois mais se ne vexe pas quand je lui fais la remarque. Lorsque nous n'avons pas la tête sous les vagues, le temps passe à une vitesse folle.

Aujourd'hui, le soleil tape plus fortement que les jours précédents et d'après la météo locale, la canicule ne s'estompera pas d'ici la fin du mois. Alors avec Izuku, nous ne sommes même pas sortis de l'eau une seule seconde. Ma peau de mes épaules brûlent et je ne serais pas surpris d'apprendre que j'ai cuit comme un homard grillé dans un restaurant haut de gamme. La peau d'Izuku quant à lui, semble absorber les rayons du soleil comme une éponge. Ils colorent son teint d'une magnifique couleur bronze et cela fait ressortir ses yeux vert autant que ses points de beauté dans son cou et sur ses bras, juste en dessous de la couture de sa combinaison de plongée. Mais ce ne sont que des observations que je me fais mentalement, des détails futiles à reporter à Momo pour combler les silences.

Rien à voir avec la chaleur dans mon ventre ou le fait que ces constatations agrandissent mon sourire au millimètre près.

Rien à voir.

Rien du tout.

Peut-être un peu.

Je sais qu'il n'est pas l'être le plus affreux à regarder, c'est même le contraire. Izuku est attirant. Beaucoup . Et je ne suis pas aveugle.

– Shoto ? m'appelle-t-il soudainement.

Ses yeux sont posés sur moi avec un brin d'inquiétude. Merde . Il se peut que je sois resté bloqué sur lui un peu trop longtemps. Je ne sais même pas depuis combien de temps il me parle et j'ai complètement perdu le fil de la conversation.

– Tout va bien ? demande-t-il.

Je hoche la tête, tentant d'être convainquant. Il me faut une excuse, je sais également que je n'ai pas assez de courage pour me confesser si tôt.

– Oui, je... Je pensais à mon frère.

Je ferme les yeux et regrette aussitôt d'avoir menti. De toutes les choses que je pouvais dire ou inventer, il fallait que je parle du seul sujet que je ne veux pas aborder. Je n'ose même pas regarder Izuku maintenant que ma dernière rencontre avec Touya me remonte à l'esprit.

– Tu veux en parler ?

Je relève la tête lorsque je sens la main d'Izuku se poser sur mon bras. Sa paume est chaude mais ne brûle pas et pendant bien une dizaine de secondes, je me perds de nouveau dans la contemplation de sa peau. Il a trois grains de beauté sur le poignet qui ressemblent de loin à la ceinture d’Orion.

– Non, je réponds finalement. Je ne suis pas sûr de comprendre quelque chose moi-même, alors l'expliquer...

– Ne t'inquiètes pas, sourit Izuku en retour. Je ne force pas. Mais je reste là si tu en as besoin. Je t'écouterai.

Je lui sourit. Nous restons dans l'eau encore un moment et je le remercie mentalement.

– Tu fais quoi ce soir ? demande-t-il pour couvrir le son de son ventre gargouillant.

Par dessus mon épaule, je jette un coup d’œil à l’horloge sur le casino de la plage. Il est déjà presque dix-huit heures. J’ai le bout des doigts complètement fripé et les lèvres asséchées par le sel. Je hausse les épaules. En temps normal, et si le planning de Fuyumi n’avait pas été chamboulé, je ne devrais même pas être à Saint-Jean-sur-Mer aujourd'hui, mais dans un village plus reculé dans les plaines, à faire des visites de cidreries et des dégustations de saucissons secs et jambon de Bayonne. Maintenant, vu que l’activité a été rayée d'un coup de crayon de la liste, je n’ai plus rien à faire du tout.

– Aux dernières nouvelles, rien du tout.

– Ochako prévoit une soirée avec Katsuki et d'autres potes. Tu veux venir ?

Je considère l’offre pendant très peu de temps avant d’accepter. Je ne dis pas non à un changement de décors. Passer du temps au mobile-home est étouffant. Izuku me donne l’adresse – la direction pour s’y rendre plus précisément. À côté de la place avec le kiosque, puis sur la droite, derrière le camion de glace, là y’a une boutique de souvenir, tu sais, avec les présentoirs de cartes postal et aux aimants dégueulasses, puis c’est le bâtiments rouge (Comme si aucun autre immeuble en centre-ville n’avait pas les volets peints en bordeaux…), numéro sept, sonne à « Bakugou ». Il me l’a répété trois fois pour être sûr et certain que je ne sonnerai pas chez quelqu’un d’autre. Puis, j’ai récupéré son numéro de téléphone.

– Appelle-moi quand t’es en bas, ce sera plus simple. Si besoin, je viendrai te chercher.

C’est comme cela que pas moins de deux heures plus tard et après une bonne douche tiède, je me retrouve devant une porte en bois. Une plaque marquée d’un sept surplomb l’entrée mais je n’ose pas faire un mouvement. Il y a du monde dans la rue, c’est tout le temps animé. Je serre mon téléphone entre mes doigts. J’ai déjà prévenu Momo de ma sortie et de l’avancée monstrueuse que j’ai faite avec le nouveau contact dans ma carte SIM. Attendre dehors et prétendre que je me suis perdu serait une bonne opportunité pour lui envoyer un message, non ?

– Excuse-moi, m’interrompt une voix. Tu entres ?

Je me retourne et fait alors face à Tsuyu. C’est la première fois que je ne la vois pas avec une combinaison de plongée. Elle me sourit doucement, un plat recouvert de filme plastique dans les mains. Ses yeux scannent la façade et analysent les noms sur l’interphone avant de revenir sur moi.

– Euh…

– Ochako t’as invité ? demande-t-elle.

– Izuku. Je ne savais pas que tu venais aussi.

– On ne m’a pas prévenu non plus. Déçu ?

Elle hausse les sourcils, un air mêlé de malice et d’amusement. Je lui souris et secoue la tête négativement. C’est une bonne surprise, je pourrai essayer d’en savoir plus sur la paix intérieure qu’elle semble contenir en permanence.

Nous montons ensemble les quatre étages de l’immeuble. Tsuyu a le numéro de l’appartement. Contrairement à Izuku, Ochako n’a pas oublié cet important détail. C’est Katsuki qui nous ouvre. Comme toujours lorsque je le vois, il est en tee-shirt léger et bermuda. Il soupire en nous voyant, murmure une phrase incompréhensible et nous laisse entrer. Il s’en va à grande enjambées vers un coin de l’appartement, où je repère Izuku en pleine conversation avec Ochako. Les deux amis se tournent vers Tsuyu et moi avec de grands sourires. Ils n’ont clairement pas prévenu Katsuki de leurs invitations supplémentaires.

Il y a d’autres personnes qui traînent et que je ne connais pas. Mais avant que je n’ai le temps de me sentir mal à l’aise, Izuku est déjà devant nous. Sa main attrape la mienne et je perds la notion du temps.

Pendant une bonne partie de la soirée à discuter, manger des parts de pizzas et du saucisson, s’inventer des cocktails ou des jeux avec des règles qui perdent tout sens logique à mesure qu’on vide nos verres. Je n’écoute même pas ce qu’on m’explique : la jambe d’Izuku est collée tout contre la mienne alors je hoche la tête en signe d’approbation (quelle qu’elle soit).

Vers cinq heures du matin, nous ne sommes plus que cinq et Katsuki nous propose de partir à la plage. Tout le monde accepte à part Ochako mais lorsque Tsuyu lui étale des arguments dont elle ne peut réfuter, elle finit par céder.

– A chaque fois qu’on fait une soirée, on se retrouve dehors ! On peut pas rester bien au chaud pour une fois ? se plaint-elle.

– Il fait chaud dehors aussi, réplique Izuku. Et puis on risque rien si on ne s’éloigne pas de Kacchan, il effraie toute espèce vivante à deux kilomètres à la ronde !

Katsuki grogne de mécontentement en réponse et cela fait rire tout le groupe.

En pleine nuit, les rues sont désertes et les volets des immeubles, fermés. Même la plage est vierge de vacanciers. C’est la première fois que j’y vais de nuit. Le sable est froid sous la plante des pieds et les vagues font un bruit plus assourdissant que de jour. Katsuki et Ochako s'élancent à toute vitesse vers le rivage. C’est Katsuki qui arrive et plonge le premier dans l’eau et son cri de victoire résonne par delà l’horizon. Izuku éclate de rire et s’allonge sur le sable dans un soupir de contentement. Tsuyu et moi l’imitons.

– Je pourrai m’endormir ici, annonce notre ami en fermant les yeux.

– Compte pas sur nous pour te ramasser, plaisante Tsuyu.

Au loin, Katsuki empoigne Ochako et la jette dans la première vague. Elle revient à charge et même si elle ne parvient pas à le faire tomber en retour, Tsuyu se relève à son tour et court porter du renfort. Il ne reste plus qu’Izuku et moi sur la plage. Ce dernier tourne la tête vers moi.

– Je vais vraiment m’endormir ici, dit-il. C’est confortable.

– On a passé la journée ici, t’en n’a pas marre ?

Il secoue la tête de gauche à droite.

– Impossible. Je pourrai passer ma vie ici sans me lasser.

– Et si un jour tu dois partir ?

Il hausse les épaules.

– Je partirai. Et puis je reviendrai. Boomerang.

– Vraiment ?

– Mhmm.

Du coin de l’œil, je le vois se redresser. Appuyé sur ses coudes, il se tourne vers moi. Les autres continuent de hurler leurs peines à la lune mais je ne les entends plus. Dans mes oreilles, il n’y a que le bruit assourdissant de mon cœur qui rate un battement.

– Tu veux bien m’embrasser ? demande tout bas Izuku.

Tel un pantin désarticulé, je m’exécute sans poser de question. Ma bouche s’écrase sur la sienne, sa langue a le goût de rhum et d’huile pimentée. Ma peau me brûle lorsque ses mains se pressent sur ma nuque et le long de mon dos. Ses hanches sur mes cuisses me font tourner la tête et si ce n’était pas le long sifflement suggestif de Katsuki au loin, j’aurai sans doute oublié où je suis. Izuku inspire longuement, ses doigts emmêlés dans mes cheveux.

– Tu veux rentrer ? demande-t-il.

Précipitamment, plus qu’impatient, je hoche la tête. Son excitation ne cache en rien la mienne, je me laisse guider. Tout est flou, précipité. Je n’ai pas de réponse lorsque je lui pose une question, juste sa bouche sur la mienne. Cela suffit à me faire taire. Nous ne rentrons pas chez Katsuki, sous prétexte que ce dernier nous tuerait tous les deux s’il le découvrait. A la place, Izuku m’emmène dans une maison qui m’est inconnue.

– T’es sûr que tu ne profites pas de la situation pour me kidnapper ? je plaisante lorsqu’il ouvre la porte d’une chambre.

Il éclate de rire et se presse tout contre moi. Je soupire d’aise en sentant sa langue le long de mon cou. Il susurre à mon oreille :

– Je l’aurai fait bien plus tôt, si c’était le cas.

Ses doigts agrippent la couture de mon tee-shirt et l’envoient valser dans un coin de la pièce. Du reste de la soirée, il n’y a que le souvenir de sa peau brûlante, de sa langue et de sa voix.

Chapter 10: Nous deux

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Je me réveille un peu perdu. Il fait encore nuit Au début, il me faut quelques secondes pour me situer. Je ne suis pas dans le mobile-home. Là-bas, il n'y a pas de poster de comics accrochés aux murs, ni de bureau mal rangé, ou de rideaux suspendus à la fenêtre. Puis surtout, Izuku ne dort pas non plus au mobile-home.

Il est encore collé à moi, son nez dans mon cou, ses mains nouées dans mon dos et ses jambes nues emmêlées aux miennes. Il dort encore, son souffle est régulier et apaisé. J'ignore quelle heure il est, ni combien de temps j'ai dormi, même si je suis parvenu à dormir un peu. La soirée de la veille me revient d'un seul coup. Est-ce que je regrette ? Pas le moins du monde. Est-ce que j'appréhende la suite maintenant ? Absolument.

Je n'ai eu qu'une seule relation, au lycée. Shinso Aizawa. Cela n'a pas duré très longtemps mais il a été un ensemble de première fois. C'est lui que j'ai embrassé pour la première fois, c'est avec lui que j'ai eu un rendez-vous pour la première fois, ma première Saint-Valentin, ma première fois tout court. Avec le recul, l'ensemble était carrément gênant. Lui comme moi ne sommes pas bavards, c'est même le contraire. Nous ne discutions pas plus que nécessaire et donc nous n'avions aucune idée de ce qu'il fallait faire — ou de ce qu'il aurait fallu faire pour que cela dure plus de trois mois. C'était assez précipité, impatient, bâclé. Un peu comme avec Izuku, mais en moins bien.

Avec Izuku, c'est limité, puisque je pars de Saint-Jean-sur-Mer dans une semaine maintenant. C'est limité mais cela vaut le coup de tenter. C'est ce que je me dis lorsque je passe mes doigts dans ses boucles. Touya, papa et les autres disparaissent aussitôt lorsqu'Izuku apparaît.

J'ai mal à la tête.

Izuku remue doucement avant d'ouvrir les yeux. Il retient un sourire devant sa fatigue, il semble encore plus perdu que je ne l'étais.

– J'ai chaud, chuchote-t-il comme s'il partageait un secret.

Il se redresse et s'assoit sur le matelas. Même sous les rayons de la lune, sa peau brune est parfaite.

– Tu veux boire ? je lui propose.

– Il faut aller en bas, j'ai rien ici.

Je hoche la tête et attend qu'il se lève en premier. Nous restons stoïques pendant plusieurs minutes, aucun de nous ne se décide à faire le moindre mouvement. Puis finalement, abandonnant les verres d’eau, Izuku se retourne vers moi. Il me sourit, les joues rouges et devant son regard, je me sens exposé. Un livre ouvert dont il se perdrait dans la lecture.

– Ça va ? demande-t-il et je hoche la tête une nouvelle fois avec un petit sourire. Je peux t'embrasser ?

Je ne lui donne pas de réponse. À la place, je m'appuie sur mes coudes pour me redresser et capturer ses lèvres. C'est comme cela avec lui, il demande et attend toujours que je sois le premier à bouger. Ses mains remontent le long de mes côtes, frôlent la peau de mon cou et se perdent dans des mèches de cheveux. Alors que je me rapproche de lui, ivre de son toucher, mon téléphone vibre bruyamment sur la table de chevet et fait sursauter Izuku. Il rit de sa propre surprise tout contre ma bouche. A contrecœur, je me penche pour éteindre la sonnerie bruyante. Sur l'écran, j'y lis le prénom de Fuyumi. Dans un soupir agacé, je raccroche immédiatement.

– Pardon, je dis lorsque je me retourne vers Izuku.

Ce dernier sourit doucement. Nous restons un bon moment ensemble, jusqu'à être coupés de nouveau par un réveil. Cette fois-ci, c'est plus agréable. Nous discutons de tout et de rien, simplement pour combler le silence. Dehors, le jour a eu le temps de se lever. Il doit être autour de midi.

– Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? je m'inquiète, traçant des cercles à l'intérieur de sa cuisse.

– Tu as toujours l'intention de participer à la course ?

Je hausse les épaules.

– Je m'entraîne que depuis une semaine, je ne pense même pas parvenir à la première étape.

– Ça c'est sûr, rit-il et je lui donne un léger coup dans le bras. Pour être honnête, tu pourrais l'être. Champion je veux dire. Tu n'es pas mauvais, mais tu manques d'entraînement. Peut-être dans un an ou deux si vraiment tu te lances à fond.

– J'habite à quatre heures de route. Il n'y a pas d'océan près de chez moi, même si je voulais continuer, je n'aurai rien d'autre que les piscines municipales. Et puis, ce ne serait pas pareil qu'ici.

Sans toi. Mais je ne le dis pas à voix haute. Dans un « Mmh » d'approbation, Izuku ne répond rien de plus et le silence s'étend. Jusqu'à ce que ma sœur appelle une nouvelle fois.

– Je déteste mon père, annonce Izuku de but en blanc lorsque je raccroche encore.

Les yeux ouverts de surprise, je me tourne vers lui. Il garde les siens fixés sur le plafond. L'ambiance se refroidit quelque peu alors que je m'allonge à côté de lui. Lors de nos discussions, j'évite tous les sujets auxquels je ne veux pas participer. Je ne lui donne que des informations capitales et facilement oubliables. Des détails sans importance, juste pour simplement animer un silence perturbant ou pour entendre à nouveau le son de sa voix. Izuku a fait de même. Cependant, au ton qu'il emploie lorsqu'il poursuit le long de ses pensées, je sens qu'on a franchi un cap.

– Il est parti lorsque ma mère est tombée enceinte de moi, explique-t-il. Je ne le connais pas. Je ne l'ai jamais vu. Soudainement, il a obtenu une mutation loin d'ici et n'a jamais eu assez de temps libre pour revenir le temps d'une semaine de vacances, voire même un simple week-end. Tout ce que je sais de lui, c'est ce que ma mère m'a raconté et les lettres qu'il envoie pour mon anniversaire. Rien de plus. À mes dix-huit ans, lorsque j'ai eu accès à mes comptes et tout le reste, il m'a fait un virement de ce qu'il gardait et dont il ne pouvait se débarrasser plus tôt. Puis après ça, j'ai même arrêté de recevoir des lettres.

Il y a un autre silence.

– Je ne sais pas pourquoi je le déteste autant alors que c'est un parfait inconnu.

– C'est ton père.

– Non, il hausse les épaules. Je ne peux pas l'appeler comme ça, il s'est enfui avant même que j'arrive.

Je lui fais face et attrape sa main. Il regarde nos doigts entrelacés avant de murmurer. Son nez frotte le mien tellement nos visages se sont rapprochés.

– Tu repars chez toi quel jour ?

– Le seize, je chuchote en retour.

– Tu penses que ça peut marcher ? Nous deux.

Ma bouche s'assèche soudainement. Je secoue la tête.

– J'en sais rien, je réponds honnêtement. Ça fait loin, quatre heures de route.

Il approuve doucement d'un hochement de tête. Dans le silence qui s'éternise, je prends une grande inspiration. Je n'ai pas envie de m'avouer vaincu en annonçant que les chances pour que cette relation fonctionne au-delà de mes vacances sont faibles, mais il reste encore une semaine. Six jours à traîner ici, dans les allées gravillonnées du camping, sur la plage, dans les rues de Saint-Jean-sur-Mer. Qui sait ce qu'il peut se passer en plusieurs jours, tout et n'importe quoi. Alors j'ai envie d'essayer, ainsi, si cela ne fonctionne pas, je n'aurai rien à me reprocher.

– Tu sais, je commence alors, dans ma famille, l'absent c'est mon frère aîné. Il est parti quand j'étais enfant et je l'ai revu pour la première fois depuis son départ il y a trois mois. Ma sœur voulait qu'on passe des vacances ici pour essayer de se rapprocher. C'est pas vraiment concluant...

Je lui raconte tout, sans la moindre censure. Tout ce que je savais, tout ce que j'ai appris depuis que mes adelphes et moi sommes arrivés sur la côte, tout ce que je pense savoir sur le reste. Izuku m'écoute mais ne commente rien, ce que j'apprécie beaucoup. Puis, lorsque je termine, il soupire et se met à parler à son tour, la parole libérée. C'est comme si j'avais jeté une ancre à la mer, le poids du métal tire sur la corde et l'entraîne avec lui, filant à la vitesse du vent dans des profondeurs encore sombres.

Izuku me parle de Katsuki. Malgré ma surprise, je l'imite et le laisse parler sans l'interrompre. Il me dit alors qu'ils ont grandi ensemble, voire même s'ils ne se connaissaient pas déjà avant leur naissance. Leur mère sont meilleures amies depuis leurs années lycée et ce, que Katsuki et Izuku passent tout leur temps ensemble étaient une évidence. Puis Izuku me raconte leur entrée au collège. La manière dont subitement, leur super-héros d'enfance, All Might est devenu ringard aux yeux de Katsuki, qui lui, était alors bien trop cool pour suivre des histoires de gamin. Le duo n'était pas la même classe, au collège, ils ne l'ont jamais été. Alors Katsuki s'est éloigné sans prévenir, et s'est senti pousser des ailes devant des élèves plus âgés. Pendant deux ans au moins, Izuku est devenu sa cible principale. Ce dernier m'explique que même si une fois la tempête passée, il ne comprend pas encore la raison de cet acharnement.

J'allais intervenir pour m'offusquer à sa place lorsque Izuku me coupe d'un baiser.

– Tu sais, dit-il, j'ai grandi depuis le collège, ça remonte à loin maintenant. Et puis, Katsuki s'en veut plus à lui-même que je ne lui en veux. Alors, tout est bien qui fini bien. Je ne suis pas rancunier.

Éventuellement, nous finissons par bouger. Izuku m'entraîne dans le reste de sa maison, une grande bâtisse aux poutres apparentes et aux murs couverts de tableaux colorés. La bouche pleine d'un reste de gâteau glacé à la banane trouvé dans son frigo, il propose :

– Ce soir en ville, il y a des feux d'artifices, ça te dirait de venir avec moi ? Il font ça tous les mercredis en juillet et août, il y a des confettis et un taureau de Fuego. On y va avec Katsuki et Ochako, peut-être qu'aujourd'hui il y aura Tsuyu...

– Tu vas m'embarquer partout maintenant ? je demande avec un sourire en coin.

Il me répond avec la même expression, le ton de sa voix devient narquois :

– Evidemment.

Par la suite, il n'a pas besoin de ma réponse à voix haute pour savoir que je le suivrai partout. A peine une heure plus tard, nous rejoignons le groupe dans un bar. Il est facile d'ignorer les questions moqueuses et les regards complices que s'échangent Katsuki et Tsuyu comme s'ils se connaissaient depuis des années. Ochako nous regardent tour à tour en sirotant sur sa paille mais s'abstient de tout commentaire.

En juillet, la nuit tarde à tomber. Sur la place où se déroulent les festivités, la foule est compacte et bruyante. Elle chante par dessus les trompettes et percussions de la banda qui traîne entre les tables des terrasses, vêtue de blanc et rouge. Des reprises de classiques du répertoire français ou hymnes paillards du sud-ouest. Tsuyu et moi échangeons un regard, ni elle ni moi ne connaissons les paroles et pourtant, nous nous laissons entraîner par le trio. Miraculeusement, nous trouvons une table de libre et commandons des verres. Des enfants passent à côté de nous, envoient des confettis par-dessus leur tête et s'en mettent plein les cheveux.

Assis à ma droite, Izuku prend ma main dans la sienne. Il sourit jusqu'aux oreilles et contaminé par ses fossettes et ses tâches de rousseurs sur son nez, je fais de même.

Jusqu'à ce que soudainement, par-dessus son épaule, je remarque la courbe peu familière de la silhouette de Touya, ses cheveux blancs coupés à ras, ses yeux froids posés sur moi.

C'est la première fois que je le vois en quatre jours. Il n'est jamais revenu au mobile-home après notre confrontation. Natsuo a beau cracher sur lui dans son dos, je lui en veut toujours. De loin, je soutiens son regard, je vois détourner les yeux. D'une main, j'attrape mon verre plein, le vide d'un coup sec. Pour le courage sans doute. Avec un dernier regard dans les émeraudes d'Izuku, je me lève et m'élance dans la direction de mon aîné.

Chapter 11: Boule de parole

Chapter Text

La musique est devenue trop forte et l'air de la soirée bien trop étouffant. La foule est dense mais ni Touya ni moi ne détournons le regard l'un de l'autre. Il tient une pinte de bière dans une main et la taille de Keigo dans l'autre.

Je ne suis qu'à quelques pauvre mètres de mon frère lorsqu'une voix me fait plier net :

– Shoto !

Fuyumi accourt vers moi, Natsuo sur ses talons. Elle est rouge de colère et du coin de l'œil, je remarque que sa furie fait naître un sourire sur le visage de Touya. Je serre les poings. J'ai plus de chance de me faire mal aux phalanges que de blesser mon frère mais mon cœur bat si fort, ma colère monte en flèche si rapidement que je m'en moquerai d'avoir la main en sang.

– Tu trouves ça drôle d'ignorer mes appels et de ne pas répondre à mes messages ? Je t'ai cherché partout ! Je me suis inquiétée !

Je me retient de lever les yeux au ciel.

– Yumi... tente Natsuo en posant sa main sur son épaule.

Elle s'en dégage d'un coup sec.

– J'ai passé la journée à te chercher, à essayer de te joindre et toi tu restes introuvable ! J'ai demandé qu'une seule chose en arrivant ici, une seule ! Et il n'y en a pas un parmi vous qui m'a écouté et qui a fait ne serait-ce qu'un effort !

– Tu n'as pas le droit de dire ça ! je réplique. J'ai fait des efforts, avec Touya et c'est lui qui s'est refermé la seconde qui a suivi. Puis tout le reste, les silences, les regards, la tension... Excuse-moi d'avoir préféré passer du temps avec d'autres personnes qu'avec ma famille parce qu'il est difficile d'appeler ça une famille.

Fuyumi me dévisage, les traits tirés et des éclairs dans les yeux. On ne s'est jamais engueulé de cette façon, même lorsque la maladie de maman pesait sur nos épaules et que chaque jour était une difficulté supplémentaire. Cependant, l'adrénaline parcourt mes veines à toute vitesse et de ce fait, je continue sur ma lancée :

– Si tu tiens réellement à accuser quelqu'un de ne pas faire d'effort, tu as Touya qui t'observe juste à côté.

Je tourne les talons avant d'entendre sa réponse. Je retourne près d'Izuku, où personne n'a raté un bout de la conversation. Sans un mot, Izuku presse sa main sur mon avant-bras et Katsuki me tend un verre rempli de je-ne-sais-quoi. À sa mine, je ne lui pose même pas la question. Je le vide d'une traite et me laisse entraîner par la musique et la foule.

***

Ce n'est que le lendemain que je retourne au mobile-home. Je n'ai plus aucun souvenir de la soirée, mis à part cette maudite conversation avec Fuyumi, et le fait que je me suis réveillé coincé entre Izuku et Ochako. Je n'ai pas osé poser de question et personne n'a tenté de me donner des réponses.

Avant de partir directement, je me suis arrêté dans une boulangerie pour acheter des mille-feuilles. C'est le dessert préféré de Fuyumi et j'ai bien l'intention de m'excuser après notre dispute. Le camping est animé mais rien n'est comparable au bruit qu'il s'échappe du mobile-home. J'entends distinctement Fuyumi, des pleurs dans la voix. Malgré moi, je ralentis le pas.

Il y avait beaucoup de cris avant, à la maison. Papa criait souvent pour diverses raisons. Il avait la voix qui portait facilement et il le savait. Il hurlait au téléphone lorsqu'un problème surgissait à son travail et que ses employés avaient besoin d'aide. Il hurlait sur nous pour un tout et un rien, puis venait s'excuser par la suite. Il a hurlé sur maman lorsqu'elle m'a jeté de l'eau bouillante à la figure. Il a hurlé sur chaque personne qu'il voyait à l'hôpital où maman est restée. Puis quand elle est partie, et qu'il ne restait plus que lui, Fuyumi, Natsuo et moi, il s'est arrêté. Maintenant il ne hurle plus du tout. Fuyumi en revanche, elle commence.

La porte s'ouvre brutalement et rebondit sur les gonds. J'ai le reflexe idiot de me cacher derrière un tronc. Touya sort de l'habitacle, un sac à la main.

– Il lui ressemble trait pour trait Fuyumi ! C'est presque s'il n'est pas son clone ! Et toi, tu tolères qu'il te traite de cette manière ?

Fuyumi le suit, soupire et se pince l'arrête du nez.

– Tu ne sais rien Touya, dit-elle.

– Tu le défends ? Après ce qu'il a balancé hier soir ?

– Il avait raison !

Touya laisse échapper un son moqueur.

– Pourquoi tu le défends ? demande-t-il avec véhémence.

– Parce que moi j'étais là quand t'es parti ! Parce que même si je sais à quel point papa a été un monstre avec toi, je sais que Shoto n'est pas comme lui. Et que pendant toutes ces années où tu n'étais pas là, où personne n'était là, j'ai vu. Shoto n'a rien à voir avec papa et tu ne lui laisse aucune chance ! Tu t'es basé sur une seule conversation et deux ou trois soirées et tu refuses de voir plus loin.

– J'en ai vu assez crois-moi.

Fuyumi soupire une nouvelle fois. Ses mains tremblent lorsqu'elle les lève pour effacer nerveusement les plis de son short.

– Dis-moi, continue Touya. S'il est vraiment si différent de son père, où est-il ? Il serait déjà revenu, non ?

– Il va revenir. Je le connais mieux que toi. Partir, c'est ta spécialité Touya, pas la sienne.

– Oh arrête ! Si vraiment je voulais partir, je ne serais pas ici.

– Alors pourquoi tu pars ?

Touya reste bouche bée pendant plusieurs secondes. Son regard est fixé sur Fuyumi et aucun des deux ne le détourne. Bien caché derrière le pommier, j'ai l'impression de faire intrusion sur une scène qui ne me regarde pas. Ce serait réellement le cas, si je n'étais pas le sujet principal de leur conversation houleuse. Le silence s'étend sous les bruissements des feuilles et les cris qui résonnent au loin. Leurs mots tournent dans ma tête.

Je recule de quelques pas, histoire de ne pas apparaître comme un voyeur qui sort de nul part. Puis, tout de même incertain, je m'avance, droit vers le mobile-home. Touya et Fuyumi me dévisagent sans rien dire. Mon frère se ferme mais je ne le regarde pas. Fuyumi n'a également pas l'air ravie sous sa dure expression. Je fonctionne en autopilote.

– Euh... je commence, mon courage envolé. J'ai acheté ça.

Je tends la boîte à ma sœur et attend qu'elle l'ouvre, les yeux rivés au sol. Elle n'a pas de réaction lorsqu'elle découvre le dessert, si ce n'est un rapide coup d'œil à Touya.

– Je vais pas déranger...

Je m'apprête à faire demi-tour lorsque Fuyumi m'attrape par le bras.

– Reste, dit-elle tout bas. Rentre, il y a de quoi boire. Touya, pareil. Je vais chercher Natsuo.

– Hors de question, proteste Touya.

– Ce n'était pas une suggestion.

Le silence s'abat de nouveau sur nous. Fuyumi ne nous laisse pas le temps de broncher qu'elle accourt dans la l'allée, probablement en direction de la piscine. Touya et moi échangeons un regard froid.

Un peu plus tard, nous sommes tous les quatre autour de la table extérieure. Ma chaise ne manque pas de craquer sous mon poids. Natsuo est arrivé il y a peu, les cheveux trempés et les yeux rougis par le chlore. Il est assis à ma droite, Touya en face de lui. Fuyumi me regarde droit dans les yeux lorsqu'elle prendra la parole :

– Il faut qu'on parle, tous ensemble.

Touya et Natsuo soupirent d'une même note. Fuyumi, un petit sac sur les genoux, croise les mains sur la table pour s'empêcher de trembler.

– J'ai voulu faire ce séjour pour qu'on se rapproche, dit-elle. Je sais qu'on ne se connaît pas, pas tous. Que nous sommes tous des étrangers les uns aux autres. On a tous des versions différentes de la maison et de ce qu'il s'est passé là-bas. Mais, on s'est tous retrouvés pour l'enterrement d'Enji et c'est pour ça que j'ai voulu tenter quelque chose ensemble.

Dans sa manie de vouloir bien faire, elle se penche légèrement et attrape une boule de laine dans son sac.

– C'est la boule de la parole, annonce-t-elle solennellement.

– Sérieusement ? lance Natsuo.

Il reçoit un regard noir.

– Oui, celui de nous qui la tient est le seul qui peut parler. Les autres l'écoutent. Je m'en fous si vous trouvez ça gamin ou si ça fait trop "prof" de ma part, si ça nous évite de nous entre-tuer... Qui veut commencer ?

Le silence lui répond. Je n'ai pas envie de commencer pour la simple et bonne raison que je ne sais pas quoi dire. Non, en vérité, je le sais. Mais les pensées et les intentions des autres sont aussi claires que de l'eau de roche. Touya n'a même pas eu besoin de boule de laine pour annoncer de vive voix qu'il me déteste sans raison. Pourtant, le silence s'allonge. Fuyumi se ratatine sur sa chaise, Natsuo garde les sourcils haussés dans une expression têtue et Touya ne décroche pas les yeux de ses ongles. Je me retiens de l'étrangler sur place.

A la place, j'attrape la boule et devant le regard surpris de tous, je lance en direction de Touya :

– Je ne comprends pas pourquoi tu es venu ici avec nous.

Il ouvre la bouche pour répondre.

– Tu n'as pas la boule de parole, je le coupe.

– Donne-la moi alors.

– Non, j'ai pas terminé.

Touya se ride sur le dossier de sa chaise. Je reprends :

– Je ne comprends pas pourquoi tu es venu si tu n'as pas envie d'être là. Si tu ne peux pas nous supporter et si tu ne passes pas une minute de ton temps avec tout le monde. Tu t'es plaint à Fuyumi tout à l'heure, j'ai entendu. Tu as dit qu'elle me défendait sur notre dispute d'hier soir et c'est légitime. Mais tu es loin d'avoir un meilleur palmarès que le mien. Pas une seule fois tu es resté passer une matinée ou un après-midi avec nous. Tu es parti dès le premier jour et tu ne revenais que le soir, là tu as accepté de me parler. Puis tu es reparti et n'est pas revenu. Donc ne viens pas me prendre la tête pour une soirée ou une journée que j'aurai manqué, ça ne te regarde pas.

Je lâche la boule. Touya me dévisage, la mâchoire serrée. Il attrape la laine.

– T'es un enfoiré, lâche-t-il alors.

Fuyumi réplique aussitôt mais il lui colle la boule sur les verres de ses lunettes.

– T'es un enfoiré, reprend-t-il. Le monde ne tourne pas autour de toi et de ta petite personne. Je trouve que tu as tendance à profiter des gens autour de toi. Tu te dis malheureux ?

Non.

Peut-être.

– ... mais tu as tout le monde autour de toi qui se casse en deux pour maintenir ton égo à flot. Ton père, Fuyumi, même maman alors qu'elle avait plus besoin d'aide que toi.

Je lui arrache la boule de la main et ignore le nouveau commentaire de ma sœur.

– Culotté de me sortir ça maintenant. Qu'est-ce qui s'est passé, entre notre première discussion et le moment où tu as décidé que je serais ton ennemi numéro un ? Parce que j'ai repasser chaque instant dans ma tête, chaque chose que j'aurai pu dire ou faire et rien, absolument rien ne me donne une raison valable. C'est parce que j'ai vu Keigo ? Tu t'es dit que c'était trop d'informations ? Toi qui n'a rien dit et qui a passé l'entièreté de notre conversation à me poser des questions sur ma vie comme si tu étais journaliste ?

– Tu veux savoir pourquoi ? répond Touya. C'est pas difficile, vraiment. Lorsqu'on a discuté cette première fois, puis la fois d'après et celle d'après encore, lorsque je ne te connaissais pas, j'ai pensé que tu étais comme moi. Un frère que j'avais perdu aux mains d'Enji, et que je regrettais. C'est ce que j'ai pensé pendant tout le temps que j'ai passé seul. Et puis j'ai remarqué que tu étais tout l'inverse. Tu ressembles en tout point à ton père, et c'est tout ce que je ne peux pas supporter.

– On a le même père !

– Non ! Certainement pas !

Il se lève brusquement de sa chaise et se penche au travers de la table. Elle n'est pas très grande et ses bras atteignent mon col avec facilité. J'entends Fuyumi et Natsuo s'écrier autour de nous tandis que je me penche en arrière pour éviter mon aîné.

La chaise qui me supporte craque d'un seul coup, l'un des pieds fissuré se casse et s'effondre. Je tombe à la renverse et emporte Touya dans ma chute. Nous nous écrasons sur le parquet de la terrasse, se tête se cogne contre la mienne et rebondit fortement sur le sol.

Ma vision devient floue le temps d'une seconde.

Notes:

Bienvenue sur cette fanfiction ! :)
Globalement, ça va être une fic assez légère et plaisante, très mignonne, si on ignore les tags et les gros sujets :)
Il y a une playlist spotify de disponible aussi !! (J'espère que le lien fonctionne...)

Des bisous, Koala <3