Work Text:
Dans ce monde, tous les humains étaient hantés par un membre des Cauchemars : incube, succube, jument de la nuit * …
Ce serait une des explications de l’étymologie du mot "cauchemar / nightmare".
La plupart du temps, un roulement était effectué, les démons rendant visite à de nouvelles personnes chaque nuit. Ils étaient moins nombreux que la population mondiale et le travail ne manquait pas.
C'était pour cette raison que Harry Hart ne comprenait donc pas pourquoi il retrouvait le même visage depuis une semaine, à chaque fois qu'il ouvrait les yeux, la nuit.
- Réveille-toi Harry, soufflait-il à son oreille.
Il ouvrait alors les yeux, plus ou moins rapidement selon son niveau de fatigue et où se trouvait-il dans son cycle de sommeil.
À califourchon sur son ventre, l'incube le fixait patiemment, se léchant les lèvres par anticipation, ses yeux verts brillant dans la semi-obscurité de la chambre.
- Tu es lourd… descends… suppliait Harry en tentant de s'échapper de sa prise.
Mais les cuisses qui l'enserraient étaient plus immobiles que des montagnes, l'épinglant efficacement contre son matelas, ajoutées aux mains sur ses pectoraux.
- Non, non, non, chantonnait-il.
Courbé au-dessus de l'humain, l'incube le fixait avec attention, ravi d'obtenir la sienne.
Et c'était souvent à partir de ce moment-là que les phéromones relâchées plus tôt faisaient de l'effet.
- Tu m'as l'air bien épuisé ces derniers temps, Harry…
Pour toute réponse, celui-ci se tourna pour faire face à son ami, mettant en valeur ses magnifiques cernes.
- Je me demande bien ce qui t'a mis la puce à l'oreille, ironisa-t-il.
Ils allèrent s'installer à une table avec leurs cafés, évitant leurs collègues.
- Combien de visites reçois-tu, en moyenne ? Demanda Harry en se frottant les paupières.
- Dans la moyenne, je dirais… Deux fois par mois ? Pourquoi ?
Hamish observa son ami avec inquiétude.
Les Cauchemars hantaient les adultes seulement, et leurs visites étaient réduites, quelques-unes dans l'année généralement, avec quelques exceptions provenant des goûts des démons (âge, santé, physique…) car aucune rebuffade n'était prise en compte.
- Parce que ça fait deux semaines qu'un incube me tient réveillé…
- J'ignorais que tu avais tant de succès, sourit-il. Deux semaines à être visité uniquement par des incubes, à ton âge ! Ça mériterait un article en première page !
- Hamish…
Ils étaient en public donc il ne pouvait gémir et se cogner la tête contre leur table malgré l'envie qui le prenait à la gorge.
- Pas des incubes. Un incube.
- Un seul pour toi tout seul.
N'importe qui d'autre l'aurait charrié, lancé des plaisanteries grasses ou des sous-entendus graveleux. Mais pas lui. Pas Hamish.
- Je n'ai jamais entendu de précédent de ce genre…
- Il n'y en a pas eu, j'ai vérifié. Ou, du moins, rien de répertorié. Seuls les concernés doivent être au courant…
- Et… tu lui as demandé ?
- J'ai pas vraiment le loisir de parler, grogna-t-il.
Harry évita le regard de son interlocuteur, gêné.
- Je vois, reçut-il comme commentaire.
Un nouveau soupir lui échappa. La journée allait être plus longue encore que la veille.
Tapi dans l'ombre, le démon attendait son heure.
Faisant partie du groupe des Cauchemars, il ne pouvait faire son entrée qu'une fois sa cible endormie.
Bien sûr qu'il pourrait se faire connaître avant coucher, tant qu'il restait dans les limites établies. Mais suivre les habitudes était rassurant en soi, il se permettait suffisamment d'écarts comme ça !
De sa cachette, il observa le quarantenaire dans sa routine du soir, se mordant les lèvres de culpabilité à chaque signe d'épuisement, dont le nombre augmentait chaque jour.
Il savait que ce qu'il faisait n'était pas correct.
Ils avaient peu de règles de leur côté, donc les suivre était aussi simple qu'évident.
Sauf quand notre petit cœur noir s'amourachait d'une source de nourriture…
Il réprima son propre soupir de bonheur alors qu'il contemplait ses traits apaisés et plongés dans le sommeil. Il pouvait le laisser dormir, après tout, il était plus que bien nourri, mais il se ferait taper sur les doigts à son retour…
Alors, il prit place et le réveilla.
- Réveille-toi, Harry…
- Tu as l'air resplendissant ces derniers temps, Eggsy.
- Oh, tu trouves ? Rougit-il.
Embarrassé, il se frotta la nuque alors que la Drioma* lui tapotait la joue en le félicitant pour sa bonne mine. C'était un peu le souci avec ces vieilles femmes, elles aimaient beaucoup trop les enfants.
"Dans la mythologie slave, Drioma (en russe Дрёма) est un esprit du soir et de la nuit."
- Encore en vadrouille ?
- Roxy !
Il profita de l'arrivée de son amie pour s'extirper poliment de la prise de la baba slave et rejoindre la lavandière de nuit qui patientait.
- Tu me sauves, souffla-t-il une fois à sa hauteur.
- Allons parler de ma récompense autour d'un bon sundae, dans ce cas !
Elle l'attrapa par le bras et le tira après elle, saluant des connaissances sur le chemin jusqu'au glacier.
Elle poussa son ami dans une chaise et interpella la serveuse pour lui donner leur commande habituelle, se débarrassant de son bonnet et de son tablier taché de sang.
- Rude soirée ? Lança Eggsy.
- Les ivrognes ne manquent pas et plus personne n'a de force dans les bras ! Soupira-t-elle dramatiquement. Avant, je pouvais en faire un ou deux en une nuit, maintenant j'ai une moyenne de dix ! Le monde va mal…
Ils réceptionnèrent leurs glaces et les dégustèrent un temps en silence.
- Crache le morceau, finit par demander la jeune femme.
Malheureusement pour elle, elle avait mal choisi son moment et un noyau de cerise atterrit sur la surface de la table, sous son regard effaré. Regard qu'elle releva sur le visage de son ami qui affichait plutôt un air innocent.
- Si j'avais dit « accouche »…
- Je te jure que tu ne veux pas finir cette phrase.
Du revers de sa cuillère, elle lui renvoya son noyau, l'air dégoûtée.
- Redevenons sérieux, s'il te plaît. Je ne suis pas venue te voir uniquement pour te sauver des mains de la vieille Valia.
- Pour la glace, alors ? Tenta-t-il.
- Pour ton teint.
L'air profondément sérieuse, Roxanne dardait ses orbites abîmées sur lui, occasionnant le mouvement agité de sa queue de lion en réponse à sa nervosité.
- Tu veux des conseils maquillage ? Tu es très bien comme ça, tu sais !
Mais il se trahit en évitant ses yeux.
Le malheur des amitiés de plusieurs décennies… Difficile, voire impossible, de parvenir à mentir avec succès !
- Bien essayé, mais merci quand même.
Elle repoussa quelques mèches blondes de son visage mais ne détourna pas son attention pour autant.
- Tu es resplendissant, Eggsy.
- Je… merci ?
- Tu es resplendissant, depuis un foutu mois. Et tu sais comme moi que c'est impossible. Ou illégal. Au choix.
Les orbites de son amie ne lui avaient pas parues aussi culpabilisante depuis un sacré bout de temps. Sa dernière grosse bêtise, en somme.
- Oh, tu sais, l'illégalité, c'est un bien grand mot… Toute loi est sujette à interprétation…
Des commentaires agacés fusaient autour d'eux, ciblant les mouvements erratiques de l'appendice caudal.
Ces gens qui ne savaient pas se tenir en public !
- Eggsy. Tu n'as pas recommencé, j'espère ?
- Ce n'est arrivé qu'une seule fois ! Combien de temps comptes-tu me la ressortir ?!
- Le temps qu'il faudra. Que la leçon rentre.
- Et… et si on poursuivait cette discussion ailleurs ? Genre chez toi ? Ou chez moi ? Ou, peu importe, mais pas chez le glacier le plus populaire de la capitale, à cinq minutes du travail, avec le pourcentage très élevé que n'importe qui de notre entourage s'arrête pour nous taper la discute.
De glaciale, Roxanne passa à désespérée, se frottant le front de la main.
- C'est gros à quel point ?
- Je pourrais être banni si ça se sait… murmura-t-il, le nez baissé.
Ils engloutirent la fin de leurs coupes, Eggsy paya et ils rejoignirent l'appartement de l'incube où ils furent accueillis par JB, son carlin des Enfers, qui leur fit une fête de tous les diables, ce qui fut très apprécié.
Ils reprirent leur conversation une fois le chiot apaisé, installé dans les bras de son maître qui en avait profité pour s'habiller un peu plus chaudement. Le pagne, c'était bien sympa et très folklorique, mais un incube enrhumé perdait pas mal en charisme.
- Raconte-moi tout, Eggsy. Quelle nouvelle absurdité as-tu décidé de mettre en place ?
- J'ai rien décidé du tout, Roxy… soupira-t-il en jouant avec les oreilles de son chien. Ça m'est tombé dessus comme ça, sans prévenir… Comme souvent.
- Raconte, répéta-t-elle.
Ils avaient peu de règles de leur côté.
Les Enfers avaient leur hiérarchie. Les diables, anges déchus, régnaient sur les démons et les âmes mortelles. Parmi ces démons, d'autres catégories les divisaient, selon leur but, leur espèce, etc.
Eggsy, incube, Valentina, Drioma, Roxy, lavandière de nuit, étaient de la catégorie des Cauchemars. Ces créatures agissaient la nuit, oppressant, dorlotant ou jugeant les humains selon leurs cibles et leur nature.
Chaque catégorie avait ses règles et son souverain.
Gary, en tant qu'incube, était sous les ordres de Pan, prince des incubes, et vivait dans le deuxième cercle, celui de la Luxure, par exemple.
En tant que Cauchemar, il avait décidé de rejoindre les rangs de Gaueko*, lui permettant ainsi d'aller sur Terre et d'avoir des contacts avec les humains.
"En basque, Gaueko signifie littéralement « celui de la nuit »"
Et pour cela, il devrait suivre les préceptes en rapport avec cette activité.
Ils étaient au nombre de six (ils étaient quatre à ses débuts) :
- N'intervenir que du coucher au lever du soleil. Dans le cas échéant (heure d'été, jour polaire), lors des heures du coucher.
- Partir avant le réveil effectif de l'humain.
- Ne pas s'attacher sentimentalement aux humains.
- Diversifier les visites, ne pas se rendre toujours auprès de la même cible.
- Ne JAMAIS mentionner quoi que ce soit provenant des Enfers.
- Tuer le moins possible !
Le dernier était le plus récent, en réaction avec la surpopulation infernale, forçant certains démons au chômage technique ou à se restreindre à des quotas. Comme Roxy.
Ce n'était qu'un travail permettant ainsi d'alléger le tri des âmes en amont pour certaines, ou un moyen de subsistance, de reproduction, pour d'autres.
Les Enfers étaient une société à part entière, avec ses commerces, ses castes, sa hiérarchie et ses lois.
Et ses prisons.
- T'as pas fait ça… gémit Roxy.
Roulé en boule sur le canapé, Eggsy ne relevait plus le visage depuis le début de ses explications, honteux.
- Tu es l'incube le plus suicidaire du deuxième cercle, poursuivait-elle.
Elle s'était étalée sur son propre siège, renversant la tête dans un élan de tragédienne.
- Tu en connais tant que ça ?
C'était autant une surprise qu'un moyen de détourner le sujet de conversation. Les espèces ne se mêlaient pas tant que ça…
Mais il ne reçut qu'une œillade agacée.
- Je ne suis pas suicidaire, Roxy. Je te l'ai dit, je n'ai pas fait exprès…
- C'est déjà la seconde fois ! D'abord cette princesse norvégienne et maintenant lui…
- Tilde était Suédoise.
- N'essaye même pas de me faire croire que tu es calé en géographie terrienne, tête d'œuf. Ça n'allégera pas ta peine.
- Je l'ai déjà purgé…
Ce souvenir déplaisant apporta le silence entre eux et Eggsy resserra son étreinte sur JB, à la recherche de réconfort.
- Pourquoi t'infliges-tu ça à nouveau ? Voulut-elle savoir.
Son ton était doux, inquiet. Et elle n'obtint aucune réponse.
Au moment de passer le portail de téléportation, il hésita.
Retourner auprès de Harry, absorber toujours plus de son énergie vitale l'envoyant toujours plus près de la mort, ou passer à autre chose, d'autres bras, et laisser son petit cœur noir oublier ce stupide crush qui ne lui apporterait que des ennuis ?
Il traversa la surface réfléchissante sans avoir fini son débat intérieur et ne fut finalement pas surpris en reconnaissant le papier peint.
À croire que son subconscient avait pris sa décision, lui.
Diversifier les visites, ne pas se rendre toujours auprès de la même cible.
Chaque geste était une souffrance. Chaque minute éveillé, un supplice.
Mais Harry serrait les dents et assurait son travail, soignant les apparences de manières à n'inquiéter personne.
Sauf Hamish.
Mais Hamish était un radar humain qui savait déceler l'anti-cernes comme personne. Un vrai chien de détection !
- Cette nuit encore ?
- Bonjour Hamish. Je vais bien, merci de le demander. Tu devrais penser à une reconversion dans les stups, sincèrement. Tu me sers un café ?
- Un thé fort. Ta consommation de caféine est trop importante ces derniers jours. C'est mauvais pour toi.
Il lui tendit sa tasse personnalisée où refroidissait le breuvage susmentionné.
- Il va te tuer à ce rythme, commenta son ami en buvant son propre café.
- C'est peut-être son but, proposa-t-il sans conviction.
- Même toi, tu n'y crois pas. La dernière mort provoquée par un « cube »* remonte à des décennies.
Contraction personnelle pour incube et succube.
- Peut-être leurs ordres ont-ils changé ? Ce n'est pas comme si nous étions tenus au courant…
En effet, du jour au lendemain, le taux de mortalité suite au passage des Gaueko avait réduit de moitié. Ceux questionnés avaient marmonné quelque chose sur des lapins et des quotas.
Incompréhensible, mais personne n'allait se plaindre, si ?
- Ça va aller pour aujourd'hui ?
- Il va bien falloir… soupira Harry. Je doute qu'une vie sexuelle bien remplie aux côtés d'un incube à l'apparence plus jeune que moi passerait comme motif de congé maladie.
- Présenté ainsi, j'en suis moi-même sceptique. Après, si tu tentes ta chance et que tu réussis, je veux bien ta technique. Et son numéro, bien sûr.
- Je crains qu'ils n'aient pas de réseau, aux Enfers.
Ils se séparèrent là-dessus, rejoignant leurs postes respectifs.
Une fois de plus, la chambre était plongée dans une semi-obscurité, les volets à claire-voie filtrant la lumière des lampadaires, glissant sur les traits paisibles du quarantenaire qui dormait profondément.
De nouveau présent, Eggsy restait en retrait, assis sur le siège en velours se trouvant à côté du valet où la veste de costume attendait une nouvelle journée.
Les genoux rassemblés sous le menton, sa queue léonine reposant sur ses pieds, il fixait le mouvement de torse à chaque respiration.
Il essayait de comprendre ce qui l'avait attiré dans cet homme sur la pente descendante de son âge et avec lequel il avait échangé si peu de mots – leurs étreintes les filtrant efficacement.
Roxanne avait fait un parallèle avec la zoophilie. Harry était sa source de nourriture et lui voulait créer une relation amoureuse avec.
Mais même répéter ça ne suffit pas pour le convaincre que c'était une autre de ses pires idées. Comme la fois où il avait tenté de séduire une sarramauca*. Ses côtes le lançaient encore à ce souvenir…
"La sarramauca est un personnage féminin imaginaire qui, dans les croyances populaires de l'Occitanie et des Pyrénées, venait la nuit perturber le sommeil des dormeurs en les écrasant sous son poids."
Gracieusement et sans un bruit, il quitta le fauteuil crapaud, ses pieds s'enfonçant dans les tapis moelleux. Le matelas s'affaissa sous son poids alors qu'il s'y agenouillait, ses genoux encadrant rapidement le pelvis de l'humain, et ses doigts baissèrent les couvertures, dévoilant son buste.
Un léger froncement de sourcil vint briser la tranquillité des traits du dormeur mais il ne se réveilla pas, s'abandonnant à ses attentions.
Il hésita face à la boutonnière, frôlant les bouts de bois sans oser les faire glisser de leurs fentes.
Là, il pouvait encore faire demi-tour et se trouver une autre cible pour la nuit. Ou même rentrer chez lui cajoler JB, son quota plus que dépassé et son appétit satisfait depuis des jours !
Mais il resta là.
Ses doigts noirs glissèrent sur le visage calme, le retraçant. Les traits étaient tirés. Les cernes visibles et les cheveux blancs semblaient plus nombreux que lors de sa première visite.
Les humains étaient si fragiles…
Quelques étreintes et ils s'éteignaient, telles des bougies dans une tempête.
À peine un siècle quand lui en vivait plusieurs.
Et pourtant…
Ils s'échouèrent dans les mèches châtain, appréciant leur douceur.
Les bijoux qui le parsemaient frôlèrent le tissu fin alors qu'il se penchait toujours plus, le surplombant, son nez se gorgeant de l'odeur boisée qu'il dégageait encore.
Il se retrouvait au-dessus de lui, l'encadrant de ses membres, à quelques centimètres du corps endormi, les doigts enfouis dans ses cheveux.
Il était pathétique…
Soupirant, il accola leurs fronts après avoir repoussé les bijoux s'y trouvant, faisant attention à ne pas le blesser avec ses cornes.
Eggsy ferma les yeux.
Harry ouvrit les yeux.
Il fut surpris de la luminosité de sa chambre. Il était déjà si tard ? Heureusement qu'il ne travaillait pas…
Il eut envie de paresser plus longtemps au lit, de profiter de cet intermède que son visiteur régulier lui octroyait aimablement.
Ou bien s'était-il lassé et était passé à autre chose – quelqu'un d'autre ?
Un bref pincement au cœur le surprit mais il n'y prêta pas plus attention et se tourna, bien décidé de rattraper le plus de sommeil perdu de ces dernières semaines.
Du moins, c'est ce qu'il avait prévu, mais la surprise d'un visage pas si inconnu que ça, mais pas attendu non plus, le réveilla tout à fait.
Il se redressa trop brusquement, emportant les draps avec lui et réveillant tout à fait son hôte impromptu qui ouvrit péniblement les yeux et bailla largement, dévoilant des dents bien carnassières.
Harry frissonna à leur vue, se remémorant toutes les parties de son corps mises en contact avec cette bouche et, en particulier, ces dents. Il ne se doutait pas, alors, du risque qu'il encourait quand il sentait de légères morsures aux endroits les plus stratégiques.
Une vraie douche froide.
- Je suis fatigué Roxy, laisse-moi dormir, marmonna-t-il en se retrouvant, dévoilant une musculature agréable.
Harry resta figé, interloqué.
Il n'avait pas été réveillé cette nuit et était toujours habillé de son pyjama. Alors, pourquoi la présence de cet incube auprès de lui, à une heure si avancée de la matinée ?
Il avait l'air bien différent sous la lumière solaire, presque… normal, ce qui était très surprenant, loin de la lueur surnaturelle que lui conférait la lune. Mais ce n'était pas le cas, ainsi.
Harry se pencha au-dessus de lui pour mieux l'observer.
Chacun son tour !
Cette peau qu'il avait pensée sombre avait en fait un teint de lait, constellée de taches de rousseur, à l'exception des avant-bras et des jambes, maculés de noir s'estompant au niveau des articulations, ainsi qu'au niveau des yeux, allant d'une tempe à l'autre.
Il était simple de scruter cette peau car il ne portait qu'un pagne très bas sur les hanches et qui avait glissé pendant son sommeil, dévoilant l'appendice caudal qui s'agitait paresseusement. Il présentait aussi une chaîne de corps dorée, des gouttes d'émeraude la parant, autour de ses épaules, bras et torse. On retrouvait la même chaîne autour de ses épaisses cornes, retombant sur son front, s'il se souvenait bien des éclats de lumière entraperçus durant la nuit. Il n'y avait pas que les pierres, d'ailleurs, il se souvenait aussi de la phosphorescence de ses yeux, de la même teinte.
Finalement, il n'y avait pas grand-chose à voir…
Quittant le lit, il enfila sa robe de chambre et ses mules puis contourna le meuble, faisant face au Cauchemar qu'il secoua.
- Roxy, gémit-il. Va sortir JB, moi je dors.
- Hors de question, déclara Harry. Vous avez suffisamment habité mes draps comme ça ! Debout !
Sans doute étonné de cette voix bien loin de celle de son amie, Eggsy ouvrit grand les yeux et se redressa dans la foulée.
- Que… qu'est-ce que vous foutez aux Enfers ?
- Navré de vous corriger, mais vous êtes chez moi. Encore.
L'air encore endormi, il observa autour de lui et dut en convenir : il n'était nullement chez lui.
- Le soleil est déjà levé, balbutia-t-il.
Il semblait pâlir à cette constatation et sauta hors du lit, s'emmêlant avec les draps et risquant de peu de se tordre le cou, ne se rattrapant que par réflexe, pour se précipiter à un coin de la chambre, y accolant les mains et pressant contre.
Mais rien.
Sous le regard attentif du propriétaire des lieux, l'incube déplaça ses mains le long de la paroi, angoissé au plus haut point, lâchant quelques couinements d'inquiétude alors que rien n'arrivait.
Il finit par se retourner vers l'humain, désemparé.
- Avez-vous un problème ? Demanda celui-ci.
C'était assez évident que oui, il ne réalisait pas une danse de la pluie, mais parfois il était bon d'exprimer des évidences.
- Je… je ne peux plus rentrer… avoua-t-il.
Soudainement bien pâle, il s'assit par terre, se prenant la tête dans les mains.
- Ça recommence, murmura-t-il.
Harry ne savait pas quoi dire ou faire, la situation le dépassant à des hauteurs himalayennes, mais il n'aurait pu rester là sans réagir.
- Puis-je… puis-je vous offrir une tasse de thé ?
À l'invitation, Eggsy releva la tête, le fixant, un peu abasourdi.
- Euh… ce serait avec plaisir, bafouilla-t-il.
Il semblait vraiment petit, vraiment jeune, assis en tailleur sur le tapis de sa chambre, l'air perdu, se faisait la réflexion Harry. On était loin de l'être terrifiant de la nuit.
- Est-ce que… Est-ce que vous souhaitez des vêtements chauds ?
Amorphe, assommé par la situation, il hocha la tête et se leva, s'emparant de la robe de chambre tendue, similaire à la sienne, mais en bleu roi.
- Un petit déjeuner serait une bonne suite, non ? Poursuivit-il.
Harry prenait les rênes de la situation, les dirigeant vers la cuisine où il prépara quelque chose d'aussi rapide que consistant. L'heure tiendrait plus du brunch, mais la faim le pressait trop pour patienter plus.
Assis à la table de la salle à manger, Eggsy ne savait pas trop où se mettre. Sa situation commençait à se faire plus nette pour lui : au lieu de se nourrir, il s'était endormi aux côtés de l'humain, ratant ainsi le dernier instant pour passer le portail en sens inverse et le forçant à patienter jusqu'au soir, où il sera de nouveau disponible.
Bien sûr, d'autres légions travaillaient en journée, mais il lui faudrait alors les repérer, leur expliquer la situation à eux puis à la hiérarchie une fois rentré…
Pour un simple diablotin, il s'en sortirait au mieux avec une réprimande amusée, au pire avec un avertissement. Mais pour un Cauchemar avec son casier…
Ou alors, rejoindre la partie endormie du globe, où il n'aurait qu'à trouver un portail et le passer.
Cette solution était relativement simple, mais le moyen de transport posait problème. Il n'était qu'un petit incube, lui ! Ses ailes d'aigle n'étaient qu'un souvenir, un vestige des précédentes générations. Il ne les sortait que pour la frime ou l'entretien.
Le moins problématique serait de rester ici et d'attendre que le soleil se couche… À moins que le proprio ne tente de le mettre à la porte ou ne le balance au gouvernement.
D'un autre côté, ce type était en train de lui apporter du bacon si croustillant qu'il en avait l'eau à la bouche.
Ses yeux passèrent de l'assiette déposée devant lui au quarantenaire immobile, plusieurs fois.
- C'est pour moi ? Coassa-t-il.
- Évidemment. À moins que vous ne consommiez pas de viande…?
- Tu rigoles ?! T'as devant toi le grand champion de sanglier à la broche, cinq fois d'affilée ! Se vanta-t-il. À la base, on est des carnivores, tu sais ?
Emporté par son engouement, il s'était mis à le tutoyer sans s'en rendre compte.
Ce n'était pas particulièrement reluisant comme titre mais il était assez fier de son exploit, sa cote de popularité ayant explosé suite à sa première participation.
- Oh et… en quoi consiste ce concours ?
Harry prit place en bout de table, dépliant sa serviette d'un coup sec.
- Oh, c'est assez simple. Nous devons débusquer un sanglier, le courser, le mettre à mort, le faire rôtir et le manger, le tout en un temps record. Et avec une lame de notre choix seulement.
- C'est assez… primitif, se permit-il de commenter.
- C'est ce qui plaît le plus. Après, c'est aussi une épreuve de force ! Les sangliers sont des descendants de celui d'Érymanthe, vaincu par Héraklès, tu vois ? C'est loin d'être une partie de plaisir, les plus faibles finissent souvent plus morts que vifs.
- Ça me semble particulièrement… dangereux.
- Et ça l'est, je peux te l'assurer ! Je me suis fait piétiner la première fois que j'ai tenté ma chance. Ce n'était pas passé loin mais je me suis accroché et je suis allé jusqu'au bout !
L'un des soucis d'Eggsy, c'est qu'il pouvait être très bavard, une fois lancé. Ça lui donnait un petit côté naïf qui lui avait posé problème à de trop nombreuses reprises, mais aussi attiré l'amitié de Roxy qui trouvait cela rafraîchissant en comparaison des autres démons dont l'ego n'avait d'égal.
Évidemment, il n'avait rien de naïf, ç'aurait été un véritable suicide de l'être, en tant qu'incube, et sa communauté ne l'aurait pas permis, de toute façon.
- Et pour quelle raison cette compétition a-t-elle été créée ?
- Un genre de parade de séduction, je crois. Le grand classique : les plus élevés dans le classement avaient les meilleurs gènes, je suppose. Ça doit bien faire trois siècles qu'elle est organisée pour le sport et l'amusement. Et réduire la population de sangliers, y'en a partout, une véritable invasion !
Ils poursuivirent leur conversation sur cette lancée, Harry découvrant bien des choses au sujet de son visiteur nocturne.
Ne JAMAIS mentionner quoi que ce soit provenant des Enfers.
Partir avant le réveil effectif de l'humain.
Face au miroir, Eggsy tentait de dompter ses mèches rebelles sous le regard amusé de Harry qui se brossait les dents au lavabo à côté.
- C'est les cornes, grommela-t-il pour se défendre. Elles sont sur le chemin…
- Oui, j'en suis sûr.
Il camoufla son sourire moqueur avec sa brosse à dents et retourna à son reflet pour éviter de ricaner, surtout suite aux gémissements de fin du monde qui s'échappaient à côté de lui.
Malgré leurs âges respectifs, il n'était pas le plus gamin des deux. De loin.
Il lui avait prêté d'autres habits, le pagne était bien trop court pour suffire durant cette journée d'automne pluvieuse, mais leurs carrures différentes faisaient qu'il nageait dedans.
Il était adorable… Mais il n'en dira rien.
Cette scène faisait vraiment trop domestique, tous les deux dans la salle de bain à terminer de se préparer, l'un se brossant les dents, l'autre les cheveux.
Harry avait prévu de sortir, ce samedi, mais l'heure avancée de son réveil couplée à la présence inattendue de cet invité involontaire bouleversaient ses plans. Il pouvait toujours remettre ses plans à plus tard. Si plus tard il y avait. Qui savait ce que le week-end lui réservait ?
Il était si affaibli, peut-être que tout ça n'était qu'une machination pour l'emporter, l'ajouter à la longue liste des exténués par l'entremise des Cauchemars…
Il cracha son dentifrice, se rinça la bouche et chaussa ses lunettes à épaisse monture, esquivant l'air de chiot que l'incube lui lança à ce geste.
Okay, ses lunettes lui allaient à la perfection, mais il était tellement mieux sans !
Eggsy avait un truc pour les gars à lunettes, c'est comme ça. Bien sûr, ce n'était qu'un détail, une case à cocher parmi toute une infinité d'autres.
On pouvait être un démon sexuel et avoir des critères de goût ! Ils n'étaient pas juste des appareils génitaux sur pattes, ils avaient aussi un petit cœur. Certes, noir, mais il était bien là, battant à son rythme, et s'amourachant stupidement d'un humain vieillissant qui s'essoufflait après deux nuits avec lui…
Parvenu à dompter les mèches récalcitrantes comme il le souhaitait, il s'offrit un sourire mutin en récompense, conscient du regard encore sur lui.
Il avait peut-être perdu en charme hypnotique avec le lever du soleil, mais le magnétisme et la grâce inconsciente faisaient partie de ses gènes. Il attirait regard et intérêt sans trop d'effort.
Juste que sous cette lumière, il paraissait plus… réel. Tangible.
- Suite des réjouissance ? Lança-t-il en se retournant.
Ne pas s'attacher sentimentalement aux humains.
Sortir était évidemment exclu.
Déjà parce que Harry n'avait rien permettant de camoufler les appendices démoniaques, mais surtout qu'il n'avait pas la moindre idée de comment y parvenir.
Ni comment aborder le sujet sans le vexer par la même occasion…
À la place, ils s'étaient donc confortablement installés dans le salon, un livre à la main, devisant placidement.
L'ambiance affreusement intime qui s'en dégageait ne semblait pas affecter son invité surprise qui agissait très naturellement, s'affalant sur la méridienne comme un habitué des lieux, tandis que lui, humble propriétaire, ne pouvait s'empêcher de se tortiller, de lui jeter des petits coups d'œil, etc.
Hamish lui avait envoyé des messages dans la matinée, quand il dormait encore, et ses réponses n'avaient pas dû le satisfaire car il le harcelait pratiquement maintenant, le menaçant presque de surgir chez lui pour réclamer plus de précisions.
Il en était capable.
De temps à autre, Eggsy lâchait des commentaires selon la direction de l'intrigue, la vivant à travers les pages.
D'ordinaire, ce comportement avait le don de l'exaspérer au point, parfois, d'en arriver à la confrontation physique.
Mais non. Pas avec lui.
À la place, il avait un petit sourire tendre à chaque prise de parole et réagissait, commentant ou expliquant selon les besoins, renforçant d'autant plus cette atmosphère familière.
Ils n'étaient pas deux inconnus, ce qui expliquait cette étrange affection qui les liait, mais seulement en partie.
À vivre comme un vieil homme célibataire, Harry avait pris l'habitude de repousser ceux qui s'agrippaient à lui, s'en détournant.
Aux environs de ses quarante ans, il avait soudainement pris conscience de sa mortalité et avait alors commencé à éloigner ses proches, à détendre les liens qui l'enchaînaient aux vivants. Pour se protéger de leur perte ou les préserver de la sienne ?
Il n'en savait trop rien… Et il comprenait encore moins son comportement actuel, la relation confortable qu'ils entretenaient était si… naturelle ?
C'était le mot, « naturel ». Mais rien ne l'était, si ?
Il lui jeta un nouveau regard en coin, l'observant à la dérobée, comme si la réponse se trouvait inscrite sur sa peau. Même si ç'avait été le cas, ce n'était pas avec le peu encore visible qu'il risquait d'apprendre quoi que ce soit.
- Un problème ? Tu me fixes depuis dix bonnes minutes…
L'incube avait repoussé sa lecture, s'en couvrant le bas du visage, et tourné ses grands yeux verts sur lui.
Bien que la lumière en atténuait les effets, ils restaient toujours aussi perceptifs. Après tout, le déchiffrage de l'humeur faisait partie de ses capacités innées.
Déterminer que son hôte se prenait la tête au lieu de profiter de l'atmosphère paisible, c'était des plus simples.
- Rien. Le boulot, mentit-il.
Loin d'y croire, Eggsy repoussa son livre, le déposant sur le guéridon près de lui, et se redressa afin de le voir en face.
- « Le boulot » ? Tu as un splendide incube devant toi, nous sommes samedi et tu penses à ton travail ? Quel homme triste tu es !
Il ne lui laissa pas le temps de répondre et se releva, marchant droit sur lui, puis s'installa sur ses genoux, le dominant d'une tête.
- Ma compagnie t'ennuie à ce point ? Que devrais-je faire pour attirer ton attention ?
Harry était figé. Il ne bougeait pas. Il ne pouvait plus bouger. Il ne pouvait que rester là, contemplant le visage concentré qui ne l'avait pas lâché du regard une seule fois, semblant vouloir l'hypnotiser.
Peut-être, même, était-ce ce qu'il faisait ?
Son corps lui semblait lourd mais peut-être cela provenait-il du poids de celui l'épinglant, comme un de ses papillons.
- Si tu te nourris maintenant, tu m'épuiseras définitivement, parvint-il à souffler.
- Qui a dit que c'est ce que je comptais faire ?
Il promena pensivement ses doigts noirs sur les traits fatigués, lissant les rides et repoussant les cheveux pour observer ce visage qui l'obsédait tant.
- Tu sais… En fait, non, tu l'ignores sans aucun doute, mais nous autres, succubes et incubes, sommes capables d'étreintes sans nécessairement absorber d'essence vitale dans le processus…
Lentement, la queue s'éleva, frôlant le torse habillé, brossant le tissu de son extrémité soyeuse.
- Est-ce une invitation ?
- Seulement une proposition… Ce livre était particulièrement passionnant, de toute façon…
Et, subitement, il le relâcha, se recula et rejoignit son assise précédente ainsi que sa lecture. Il lui jeta une œillade amusée par-dessus les pages mais s'y plongea rapidement.
Abandonné, Harry ne bougea pas durant plusieurs secondes, un peu sonné, mais surtout surpris.
Venait-il d'entrer dans son jeu ? Ce n'était pas sérieux…
Il finit par secouer la tête et se leva à son tour, quittant le salon pour se réfugier dans son bureau, verrouillant la porte derrière lui.
Enfin seul…
Eggsy se promenait entre les pièces, furetant comme une petite souris à la recherche d'un quatre-heures à se mettre sous la dent. Sauf qu'il ne comptait mettre les siennes qu'à un endroit précis : la peau au goût légèrement salé de l'humain.
Il ne lui restait plus que le grenier, le jardin, et la pièce actuellement verrouillée. Il n'était pas assez stupide pour le croire ailleurs, il avait juste eu envie de faire le tour du propriétaire… avant de s'en charger pour de bon.
Faire monter la pression avant de l'abaisser soudainement. C'était dans ces moments-là qu'on pouvait reconnaître la maestria d'un incube.
« Tout est dans le poignet ! » aimait se moquer Gazelle, une Aïcha Kandicha* des plus sculpturales.
"Aïcha Kandicha, ou Aïcha Qondicha ou Lalla Aïcha est un personnage féminin soit mythique soit historique très célèbre au Maroc." (Je n'avais aucune idée de quoi prendre).
Satisfait de sa petite vadrouille, Eggsy alla se planter devant la porte close, son petit sourire en coin fermement en place.
Du bout de l'ongle, il gratta le panneau de bois, y collant l'oreille, attentif au moindre grognement qui s'en échapperait. Tout allait se jouer dans l'instant.
Au moindre signe de vie, il comptait bien forcer la porte à l'aide de ses pouvoirs, se glisser dans la pièce et se repaître jusqu'à satiété des soupirs de jouissance du digne quarantenaire.
Et dans le cas contraire ?
Eh bien, il reprendrait ses recherches même s'il doutait fortement de trouver âme qui vive dans le grenier, en-dehors de la faune appropriée.
Mais bref, concentrons-nous sur l'instant présent…
Le grattement d'ongle s'intensifia, se faisant plus audible.
Un soupir de lassitude s'éleva, tout aussi audible.
Tant qu'il était derrière la porte, Eggsy se permit un sourire gourmand alors qu'il tendant la main vers la serrure, une brume irisée s'échappant de sa paume pour s'engouffrer dans le cylindre. Le bruit sec des goupilles et contre-goupilles s'alignant se répercuta des deux côtés du panneau, les faisant haleter tous les deux.
La poignée fut tournée et il fit son entrée, un sourire conquérant aux lèvres, ses pieds nus n'émettant aucun son sur le parquet et ses yeux verts semblaient brûlants de fièvre.
- Je peux te renseigner, Eggsy ?
- Mmh… j'en doute… murmura-t-il dans un souffle.
- Tu sais que si un verrou est tiré, c'est pour qu'il le reste ?
- Convention humaine, balaya-t-il d'un geste de la main.
Évidemment qu'aux Enfers, ils avaient les mêmes, mais il était un incube en quête de nourriture, il n'allait quand même pas commencer à suivre le principe de vie privée et de moment d'intimité !
À la place, il tomba à genoux et avança à quatre pattes, passant sous le meuble et appuya sur les accoudoirs pour repousser la chaise à roulettes, lui permettant de se relever sans se cogner, posant son menton sur un des cuisses. Il plongea son regard dans le sien, attisant un désir couvant.
Pour nombre d'humains, les Cauchemars d'ordre sexuel étaient des violeurs car ils n'acceptaient aucune rebuffade. Mais la réalité était qu'ils captaient la pulsion sexuelle chez leurs victimes et passaient alors à l'attaque.
Pour cette même raison, enfants et asexuels étaient laissés tranquilles. La douleur et la souffrance ne faisaient pas de nourriture convenables.
Alors, quand le pic d'éros arrivait à un niveau précis, Eggsy sut qu'il aurait son repas. Le tout était de juguler sa faim et de ne pas en abuser : Harry l'avait prévenu de son état.
Sans couper leur contact visuel, l'incube se lécha lentement les lèvres, s'assurant que le mouvement soit suivi. Et quand la pomme d'Adam se mut lors de la déglutition, il ne put réprimer un sourire carnassier révélant un peu trop de dents pointues. Mais cette fois, leur vision eut un impact plus… émoustillant.
Une fois de plus, Harry sentait ses membres lourds, il était comme paralysé, tout offert à la concupiscence d'un démon tentateur à la libido éveillée.
Et il n'en était même pas dérangé…
Gardant un rythme lent, Eggsy se redressa encore, la tête levée, prenant appui sur les cuisses, et inclina légèrement le menton. Jouant des dents et de la langue, il défit, un par un, les boutons de la chemise, les glissant hors des boutonnières en tentant de ne pas les cisailler.
Incapable de détourner le regard, Harry se laissa faire, son souffle se bloquant de temps en temps, ses doigts s'accrochant désespérément aux accoudoirs, les griffant. S'empêchait-il de le repousser ou de s'agripper aux mèches blondes ? Ses neurones étaient légèrement trop occupés à appréhender la suite des actions pour se poser les questions.
Quelques coups de langue involontaires frôlaient la peau sous le tissu, juste assez pour agacer les nerfs à vif mais rien pour les apaiser, le menant petit à petit à un niveau d'excitation qui n'appelait que la délivrance.
Quand Eggsy parvint au dernier bouton, après avoir sorti la chemise du pantalon, il remonta, ravissant sa bouche tout en débouclant la ceinture et ouvrant la braguette, l'écartant au maximum.
- Devrais-je poursuivre ? Souffla-t-il contre sa bouche.
Entre ses paupières quasiment fermées, le vert de l'iris semblait aussi fluorescent que lors de ses visites nocturnes.
Harry ne prit même pas le temps de réfléchir et s'entendit le supplier de reprendre ses attentions.
- Nous sommes sur la même longueur d'ondes…
Se rasseyant sur ses talons, il posa la joue sur la cuisse, passant les bras sous ses genoux et tenant les pans du pantalon ouverts.
Il tint la position quelques secondes, réfléchissant à la suite, puis reprit le mouvement, abaissant le sous-vêtement du bout des doigts, s'amusant du contact trop léger qu'il créait à cette occasion.
Harry se tendit subitement alors que, hors de son champ de vision, la queue léonine s'engouffrant dans l'ouverture de la jambe du pantalon, glissant le long du mollet et s'entortillant autour, serrant et desserrant sa prise en un prémisse de ce qui allait suivre.
Eggsy se gorgea des réactions de son partenaire, de ses petits soubresauts, et des sons mal étouffés par ses lèvres closes.
Puis il s'avança et le força à relever le bassin afin de retirer les vêtements pour plus de confort, les laissant finir au sol alors qu'il le faisait se rasseoir d'une pression sur le torse.
Bien sûr, il pouvait s'en défaire sans trop d'effort, mais la partie rationnelle de son cerveau avait pris la fuite dès que l'incube était entré en roulant légèrement des hanches.
Ou était-ce depuis qu'il avait posé ses yeux embrumés de sommeil sur son visage endormi ?
Inconscient des réflexions de son partenaire, Eggsy s'était finalement approché de son érection, déposant ses lèvres sur son extrémité en un baiser doux, telle une demande de permission, croisant de nouveau ses yeux dans le processus.
Une faible inclinaison de la tête lui suffit amplement et sa langue s'ajouta, taquinant la surface nervurée comme ses années d'expérience lui avaient appris.
Les mains saisissant toujours ses hanches, il limitait les coups de bassin réflexe, appréciant peu le concept de gorge profonde. Par contre, quand celles de Harry s'emparèrent de ses cornes moins pour le guider et plus pour garder un point d'ancrage, il le laissa faire. Toujours mieux que de finir chauve !
Harry était un bon garçon, ne tentant pas de s'échapper de sa prise, de dominer ou de prendre les commandes. Ça lui plaisait énormément alors il s'appliqua d'autant plus dans la fellation, continuant ses constrictions autour du mollet en rythme.
Des marmonnements s'échappèrent de la gorge du quarantenaire, alertant de l'imminence de sa jouissance, faisant s'arrêter l'incube qui lui adressa un clin d'œil moqueur alors qu'il disparaissait sous le bureau, en marche arrière.
Il l'observa se mettre debout et se déshabiller sommairement sans oublier quelques poses aguichantes pour entretenir la flamme du désir, avant de contourner le bureau et de s'asseoir, nu, sur ses cuisses.
- Aujourd'hui, ça va être à toi d'assurer, mon grand, prévint-il. On va bouleverser un peu les habitudes. OK ?
Gesticulant un peu, il se positionna au-dessus de lui, prêt à s'empaler au moindre acquiescement.
En tant qu'incube, la routine était plutôt d'être celui qui montait l'autre, se nourrissant de ses gémissements et de ses fluides. Mais s'il poursuivait sur cette voie, il ne lui retirerait plus d'énergie pour s'en nourrir.
Un lourd frisson secoua l'humain qui hocha vigoureusement la tête, encerclant sa taille des mains, marquant la peau claire sous l'empressement.
- Alors, nous sommes partis… siffla-t-il entre ses dents, amorçant son premier mouvement.
Creusant le dos, il rejeta la tête en arrière, crochetant les doigts aux épaules de Harry alors qu'il accueillait son sexe en lui. La brûlure le fit instantanément regretter de ne pas s'être préparé auparavant. Son empressement était vraiment l'un de ses pires traits, comme le lui répétait Roxy.
- Restons comme ça un instant, le pria-t-il, flattant son torse.
Son autre main glissa dans ses cheveux, s'amusant à le décoiffer. Il accola leurs fronts, les faisant loucher avant qu'il ne close les paupières.
- Juste là…
Une fois suffisamment détendu, il prit appui sur ses genoux et amorça la première poussée qui les fit soupirer de plaisir, suivi de la deuxième et de bien d'autres…
- Je… je me sens bizarre… brûlant… bégaya Harry.
- J'ai relâché un paquet de phéromones, avoua-t-il. Laisse-toi faire et vois ça comme un coup de pouce…
Il n'avait pas rouvert les yeux, sa peau luisant sous la lumière, scintillant presque et se recouvrant lentement de sueur.
Sa queue s'était de nouveau enroulée mais autour de son biceps cette fois, reprenant ses mouvements, frôlant de son extrémité soyeuse la peau à vif, ajoutant de nouvelles sensations à une liste déjà bien longue.
Relâchant les hanches de la créature, Harry attrapa le membre taquin, ignorant lui-même s'il tentait d'en défaire la prise ou d'en contrôler les mouvements, l'autre main errant entre ses omoplates, les griffant à la recherche d'une nouvelle prise.
Leur étreinte s'acheva dans des râles de plaisir qu'ils étouffèrent dans un baiser.
Le regard de nouveau plongé dans celui de l'autre, ils reprirent leur souffle lentement. Eggsy semblait encore affamé mais il se détacha malgré tout de lui et se rhabilla brièvement, adressant un dernier clin d'œil à travers l'entrebâillement de la porte et la closant derrière lui.
Harry se retrouva seul dans son bureau, déboussolé.
N'intervenir que du coucher au lever du soleil. Dans le cas échéant, lors des heures du coucher.
Bénissant les Anglais et leur amour des haies, Eggsy s'était réfugié dans le jardin afin de réfléchir.
Sa petite fringale remontait à quelques heures et, depuis, il se planquait entre deux buissons, en pleine introspection.
Sa première pensée était qu'il n'était toujours pas repus malgré les actes de tantôt. Il avait essayé, pourtant, usant de ses pouvoirs pour capter l'essence de vie qui lui était si nécessaire.
Mais il n'y avait rien eu.
Ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait, mais la dernière occurrence remontait à si loin qu'il l'avait oubliée…
Sous l'astre solaire, les pouvoirs des Cauchemars étaient quasiment nuls, en dehors de quelques exceptions, telle la propagation de phéromones.
En effet, ne pas pouvoir se nourrir tant qu'il faisait jour était aussi stupide que ridicule, mais ce n'était pas lui qui faisait les règles…
Heureusement, il avait fait suffisamment de réserve pour ne pas avoir à s'inquiéter avant un certain moment – bien assez tard pour être déjà rentré chez lui. Ce qu'il s'était passé plus tôt tenait plus de la gourmandise que de la réelle faim.
La nuit allait bientôt survenir, de toute façon. Et, avec elle, sa porte de sortie.
Il resta donc là, à scruter le ciel, plus pour s'occuper que par réelle passion, attentif au déclin du soleil.
Son cœur battait presque à ses oreilles alors que le firmament changeait de couleur, signalant pour lui son retour proche.
Il avait hâte et en même temps…
Harry survint à cet instant, de nouveau tiré à quatre épingles, les lunettes droites et cet air sérieux qui le faisait chavirer comme jamais.
- Tu étais là…
- Je ne risquais pas de m'enfuir, se moqua-t-il.
Il sauta sur ses pieds, sa queue ondulant alors qu'il le rejoignait d'un pas nonchalant, les mains dans les poches. Arrivé à sa hauteur, il se dressa sur la pointe des pieds et lui vola un baiser, se glissant dans l'espace entre son corps et le chambranle de la porte, s'amusant de la friction occasionnée.
- Où voudrais-tu que j'aille ? Reprit-il. Tu es et reste ma porte de sortie.
Il acheva sa phrase en une caresse de l'extrémité de sa queue léonine sur son visage, puis retourna dans le salon faire semblant de lire.
Impossible de se concentrer correctement et la lune allait bientôt se lever, alors… Par contre, il comptait bien noter les références du bouquin afin de le dénicher pour plus tard.
Pelotonné dans le fauteuil de tantôt, il observa l'achèvement de la course du soleil et le début de celle de la lune, songeur.
De là où il était, il pouvait entendre les préparatifs du dîner dans la cuisine, mais il ne bougea pas de là où il se trouvait.
À partir du moment où la nuit était tombée, ses pouvoirs lui revenaient dans leur entièreté et il avait alors la capacité de retourner dans sa dimension. Mais il ne pouvait s'y résoudre.
Pas alors qu'il pouvait entendre Harry chantonner tout en cuisinant, accompagné du bruit de vaisselle entrechoquée.
Là, niché dans ce siège, il se sentait autant chez lui que dans son propre appartement. S'il s'écoutait, il resterait là pour…
Pour toute sa vie…
Cette réalisation le fit bondir sur ses pieds, ayant la forte impression d'avoir été frappé par un violent éclair. Il disparut à l'étage supérieur, claquant la porte derrière lui alors qu'il s'enfermait dans la salle de bain où il avait déposé sa « tenue de travail » qu'il enfila à la place des vêtements prêtés par Harry. Le contact de son pagne et des bijoux sur sa peau chaude fut comme un retour à la réalité, une prise de conscience : il avait un devoir à réaliser, une nature à assumer.
Et (re)devenir l'animal de compagnie d'un autre humain était tout simplement hors de question.
Quand Harry monta à son tour, il n'y avait plus personne.
Les conséquences furent plus réduites que ce à quoi il s'était attendu. Déjà, personne ne lui avait fait la moindre remarque malgré son retour à l'heure où tout le monde partait. Aucun comité d'accueil, ni chez lui ni nulle part et pas de courrier non plus.
Lorsque, plus tard, Roxy le rejoignit chez lui, elle ne lui adressa qu'un soupir résigné et l'assurance de s'être occupé de JB pendant sa journée d'insouciance.
- Mais que tu ne recommences pas, le menaça-t-elle.
Il avait hoché la tête mais s'était muré dans le silence au point qu'elle avait fini par rentrer chez elle.
Les jours s'écoulèrent durant lesquels l'incube ne sortit que pour les obligations, comme les courses et les promenades de son carlin qui fut pratiquement son seul contact vivant.
Il ignorait pourquoi, mais il avait l'impression que toute énergie l'avait quitté. Pourtant, il était plus que bien nourri…
Ce fut Roxy, une fois de plus, qui vint le secouer et le faire quitter sa léthargie, l'exhortant à se reprendre au plus vite.
- Tu n'es plus que l'ombre de toi-même ces derniers temps ! Reprends-toi, enfin ! Tu es en train de te laisser mourir, tu ressembles à un cadavre en sursis !
- Toujours le mot pour plaire, t'es vraiment la meilleure amie qui soit, ironisa-t-il. Dégage avant que je ne m'énerve contre toi.
Contrairement à la dimension humaine, les démons avaient accès à tous leurs pouvoirs en Enfers et même plus. Ce n'étaient pas des menaces en l'air.
- Eggsy… je m'inquiète pour toi, tu comprends ? Tu… tu… J'ai peur pour toi, okay ?
Ses orbites étaient peut-être vides mais ce n'était pas nécessaire pour saisir la détresse qui se dégageait de la lavandière et c'est ce qui apaisa les ardeurs de son ami qui se laissa tomber, de nouveau amorphe, éteint.
Elle s'assit à ses côtés, le prenant dans ses bras, et il ne fallut finalement que quelques confidences pour qu'il mette des mots sur tout ce qu'il avait sur le cœur, comprenant enfin ce qui lui rongeait l'esprit. Ce qui l'anéantissait.
La soirée se finit dans les larmes amères.
- Réveille-toi Harry, soufflait-il à son oreille.
Il ouvrait les yeux vraiment lentement, de plus en plus épuisé.
À califourchon sur son ventre, l'incube le fixait impatiemment, se léchant les lèvres par anticipation, ses yeux verts brillant dans la semi-obscurité de la chambre.
- Tu es lourd… descends… suppliait Harry en tentant mollement de s'échapper de sa prise.
Mais les cuisses qui l'enserraient ne faisaient que renforcer leur étreinte, l'épinglant efficacement contre son matelas, ajoutées aux mains sur ses pectoraux, limitant sa capacité respiratoire de plus en plus.
- Non, non, non, chantonnait-il.
Courbé au-dessus de l'humain, l'incube, le fixait avec attention, cherchant à attirer la sienne.
Et les phéromones relâchées plus tôt firent effet.
Tuer le moins possible.
- Tu as l'air resplendissant ces derniers temps, Eggsy, souffla Roxy. Ton teint est plus frais que jamais. Et tu as les yeux les plus tristes du monde… Tu ressembles à une Banshee…
Elle l'accueillit dans ses bras alors qu'il s'agrippait à elle, hurlant sa détresse contre sa peau, des larmes dévalant ses joues.
- Tu avais l'air si épuisé ces derniers temps, Harry…
Hamish jeta une dernière poignée de terre sur le cercueil.
