Actions

Work Header

Créature

Summary:

Si Maîtresse n’avait gratifié sa vie d’un but, il ne serait pas venu au monde.

Notes:

Cette fanfiction a été écrite dans le cadre du HAPPY HALLOWEEN FEST de Festumsempra

Les contraintes : donner un happy end au personnage de son choix, dans un texte de 2000 mots max, tout en respectant un prompt imposé. Le mien était "A using B's lap as a pillow".

(See the end of the work for more notes.)

Work Text:

Si Maîtresse n’avait gratifié sa vie d’un but, il ne serait pas venu au monde.

« Cette créature pourrait être utile », avait-elle estimé. « Ça nous évitera d’avoir à en acheter une. Garde-la tant qu’elle ne t’empêche pas de travailler. »

Soulagée de n’être réprimandée pour sa grossesse et honorée de porter le prochain serviteur de la maison, la mère s’était alors démenée.

Après avoir donné naissance en silence, elle lustra le service à thé, le bébé emmailloté contre son sein. Des années durant, elle servit ses maîtres d’une main et enseigna à servir de l’autre.

Dans la petite pièce où se retirait le personnel la nuit, elle s’allongeait sur un matelas dur et fin aux côtés de son fils. L’enfant venait systématiquement placer sa tête sur les genoux de sa mère comme s’ils lui offraient le confort d’un oreiller. Exténuée, elle caressait machinalement son crâne, la douceur de son geste contrastant avec les callosités de ses doigts.

Seuls les ordres de la Maîtresse - insomniaque - interrompaient sa tendresse.

***

Le jour où les mains fripées de sa mère avaient tremblé autour du plateau à thé, Kreattur était officiellement devenu l’elfe de la maison Black.

Sa première tâche avait été de fixer au mur la plaque de la nouvelle tête décapitée.

« Plus à droite », avait commandé Maîtresse. « Symétriquement aux deux autres. »

Du visage brodé des maîtres aux crânes embaumés des servants, les murs de la demeure se paraient du souvenir de ses occupants. Il n’existait de plus grand honneur que d’y figurer. C’est donc avec fierté que l’elfe admira le nom de sa mère reluire en lettres dorées sous sa tête éteinte.

Assuré de voir ses services à jamais reconnus, il se saisit vigoureusement du plateau à thé.

***

Les journées de Kreattur se structuraient selon les souhaits des membres de la maisonnée. Le matin, il se réveillait avant celui qui ouvrait les yeux le plus tôt ; le soir, il s’endormait après celui qui les fermait le plus tard. En leur présence, il accommodait leur séjour ; en leur absence, il préparait leur retour.

Un elfe de maison vivait tout à la fois au rythme et à la marge de ses maîtres.

Par conséquent, Kreattur savait bien plus d’eux que le dosage de sucre à saupoudrer dans leurs breuvages. Gardien des secrets les plus sombres de la famille, il détournait le regard lorsque des baisers qui n’auraient dû être échangés s’échangeaient ; il demeurait silencieux lorsque de la violence qui n’aurait dû être administrée était administrée.

Il ne posait aucune question et ne contestait aucun ordre.

Génération après génération, la révérence avec laquelle Kreattur s’adressait à « Maître » et « Maîtresse » demeurait identique, quand bien même les individus désignés par ces termes différaient. On héritait de ses services comme des murs et des meubles. Les propriétaires de la demeure se succédaient donc sans que rien ne change pour lui. Le cycle de la vie entraînait le même roulement perpétuel des tâches quotidiennes. Il tendait le linge pour emmailloter les nouveaux nés et le linceul pour recouvrir les défunts. Il entendait l’inspiration de leur premier cri et l’expiration de leur dernier souffle.

L’idée de tous leur survivre ne le fit jamais ciller. 

Du moins, pas avant les trois coups nocturnes.

***

Tard dans la nuit, on frappa trois coups à la cloison qui cachait la pièce du personnel, comme s’il s’agissait de la porte d’une simple chambre. Lorsque Kreattur ouvrit, le petit Regulus lui fit face.

« J’ai fait un cauchemar », murmura-t-il, les yeux humides.

L’elfe peina d’abord à comprendre la requête derrière cette phrase.

« Le Maître aimerait-il que Kreattur réveille Maîtresse pour lui ? »

- Surtout pas ! s’alarma l’enfant. Mère se moquerait de moi... »

Confus, le serviteur sonda son supérieur en quête d’une sollicitation.

« Le Maître souhaite-t-il que Kreattur lui prépare un chocolat chaud ? »

Le petit garçon fit non de la tête.

« Le Maître préférerait-il que Kreattur apporte quelques patacitrouilles ?

Il répondit de nouveau par la négative.

« Dans ce cas, peut-être Maître Regulus voudrait-il…

- Je ne veux pas être seul, coupa l’enfant. Puis-je entrer ? »

Embarrassé, Kreattur pesa ses mots.

« La place du Maître n’est pas en ce lieu.

- Mais c’est l’endroit où tu te trouves.

- Kreattur peut aussi aller ailleurs si…

- Me refuses-tu ce service, Kreattur ? »

Aussitôt, l’elfe se crispa et libéra le passage

« Du tout. S’il plaît au Maître d’entrer. »

Le jeune hériter de la demeure Black pénétra alors pour la première fois dans la petite pièce du personnel. Sans commenter le dénuement du lieu, il s’installa sur le matelas, attendant que l’elfe s’asseye à ses côtés. Cette nuit-là, Regulus raconta son cauchemar à Kreattur, lui fit promettre de ne le révéler à personne et le pria de lui tenir compagnie jusqu’à ce qu’il s’endorme.

L’elfe de maison s’exécuta.

Au fil du temps, cauchemar ou non, les trois coups portés à la cloison devinrent une habitude. 

Autour d'un chocolat chaud et d'une patacitrouille, l’enfant confiait la nuit tout ce qu’il n’avait osé dire le jour : les mots d’esprit qui auraient impressionné son père ; les politesses qui auraient charmé sa mère ; les répliques qu’il aurait pu rétorquer à son frère. Une fois vidée des possibles de la veille, sa tête ensommeillée basculait sur le matelas. Kreattur prenait alors soin de porter le petit jusqu'à sa chambre et de le border dans son lit.

Une nuit, cependant, Regulus s’assoupit sur ses genoux. Au souvenir de la tendresse de sa mère, l'elfe tendit une main au-dessus des boucles du garçon, avant de s’horrifier devant ses longs doigts crochus. A la vue de la tête d'ange posée sur ses jambes osseuses - sans doute guère plus confortables que le matelas rugueux - la créature eut soudain honte de son corps squelettique et monstrueux. 

Alors que Kreattur maudissait sa carcasse impropre aux élans affectifs, Regulus balaya tout son désarroi en une simple phrase.

« Merci d'être là pour moi », dit l’enfant somnolent.

L’elfe de maison pria alors de périr avant le jeune maître, afin d'être épargné de la douleur de sa perte.

***

Aussitôt que Regulus entra dans la demeure, Kreattur ressentit son énervement.

« Maudit Malfoy », maugréa le jeune homme en ôtant sa cape.

Le serviteur la récupéra soigneusement pour la suspendre.

« Dobby est-il seulement fiable ? », marmonna ensuite le garçon, tournant les yeux vers l’elfe de maison. « Pour sûr, tu aurais été plus à même d’aider le Seigneur des Ténèbres ! »

Le concerné ne comprit pas.

« Le jeune Maître souhaite-t-il quelque chose ? s’enquit Kreattur.

- Qu’on ne me dérobe pas l’opportunité de prouver ma loyauté ! »

Passant une main nerveuse entre ses boucles brunes, le jeune homme regretta immédiatement son emportement.

« Peu importe », conclut-il avant de disparaître dans sa chambre.

Kreattur ne demanda pas davantage d’explications. Pas même lorsqu’il entendit les époux Malfoy, invités un soir à souper, expliquer qu’ils venaient d’acquérir un nouvel elfe de maison.

***

« Ton heure est arrivée, Harry Potter, assura une voix menaçante. Avada Kedavra ! »

Sous l’effet du sortilège, le garçon s’effondra à terre.

« Harry Potter est mort ! s’écria un Mangemort. Lord Voldemort a vaincu ! »

Le gisant bondit alors d’entre les défunts en souriant.

« À mon tour de jouer le Seigneur des Ténèbres, déclara-t-il enthousiaste.

- Je veux faire le Mangemort, s’exclama le mage noir, prêt à déléguer son rôle.

- On avait dit que tu serais le prochain Harry Potter, contesta le Mangemort.

- Mais c’est d’un ennui de jouer le perdant ! déplora Lord Voldemort.

- Quel mauvais joueur tu fais, c’est incroyable ! », s’énerva son disciple.

Excédé, Harry Potter tapa du pied contre le parquet et se mit à hurler en bas des escaliers.

« Grand-Père, Grand-Père ! Polonius n’en fait encore qu’à sa tête ! »

Levant les yeux au plafond, le concerné répondit en singeant le ton de sa sœur.

« Grand-Père, Grand-Père ! Clarissa fait encore sa fayotte ! »

Tout en se lançant des piques, les trois enfants s’élancèrent dans les escaliers pour rejoindre le bureau de leur aïeul, bousculant au passage l’elfe de maison.

« Le Maître a demandé à ne pas être dérangé ! avertit le serviteur.

- Ça ira, le rassura une voix calme derrière lui. Je m’occupe d’eux. »

En haut des escaliers, un vieil homme aux boucles grises s’amusait de la situation.

« Que se passe-t-il donc, les enfants ? », demanda-t-il en descendant les marches.

Assailli de doléances enfantines, l’homme appela au calme et murmura à l'elfe :

« Apporte-nous des chocolats chauds et des patacitrouilles, Bimmy. »

Le serviteur acquiesça vivement.

« Tout de suite, Maître Regulus ! »

Avant de revenir aux différends de ses petits-enfants, il jeta un coup d'oeil malicieux au mur.

Au-dessus de leurs têtes, un elfe au visage flétri observait la scène de ses yeux vitreux. Entre deux oreilles tombantes, sous des joues ravinées de rides, ses lèvres figées par la mort formaient un sourire serein. En lieu et place du cou, des lettres d'or honoraient le nom de Kreattur.

Notes:

Cette Fanfiction a été écrite dans le cadre du fest’ organisé par FESTUMSEMPRA sur le thème « HAPPY HALLOWEEN »
Auteurs, lecteurs, artistes… rejoignez le discord de Festumsempra ici :
https://discord.gg/73rYkUNPTx

OU

Contactez-nous par mail : [email protected]

La liste complète des œuvres participantes à cette première édition sera disponible le 28 octobre. Le lien vous sera partagé à ce moment-là sur AO3 dans notre collection Happy_Halloween_Fest :
https://archiveofourown.org/collections/Happy_Halloween_Fest