Chapter 1: Le Sauvetage
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« Vous allez pas le regretter ? »
L’incertitude dans sa voix était palpable.
« Je regrette déjà… » répondit-il en levant les yeux au ciel. Il savait qu’il aurait dû la rassurer, lui promettre de changer, mais il n’était pas très doué pour ce genre de déclarations. Et avec Guenièvre, il manquait sérieusement d’entraînement sur ce terrain-là… Alors il se réfugia dans l’humour, mais il ne put s’empêcher de se sentir un peu lâche.
Heureusement, Guenièvre le surprit à ce moment. Elle lui offrit l’un de ses plus beaux sourires, à tel point qu’il se demanda s’il l’avait déjà vue si radieuse. Arthur sourit en retour sans y réfléchir. Il ne pouvait pas nier qu’il partageait avec elle, si ce n’était de l’amour, une complicité sans égal. Elle était la personne qui le connaissait le mieux. Elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Et sans qu’il ne puisse se l’expliquer, il ne supportait pas de la voir malheureuse. Oh, il savait qu’il ne la rendait pas heureuse ; c’était même fait exprès pendant toutes ces années… Mais voir ses larmes, son désarroi, sa souffrance de ses propres yeux avait toujours été difficile pour lui. Il y avait encore quelques mois, il en était d’ailleurs très agacé. Il n’était pas censé avoir d’états d’âme à l’égard de Guenièvre. Cela faisait des années qu’il s’y efforçait…
Comment avait-il pu être aussi con ? Aussi cruel avec celle qui ne lui a jamais témoigné que de l’amour, de la bonté ? Elle avait de la gentillesse à revendre et lui n’avait fait que la repousser. Pire, il s’était lui-même persuadé qu’elle était la cause de tout son mal-être et qu’il aurait été plus heureux sans elle. Il ne s’était jamais senti aussi bête. Certes, il avait été jeune, perdu et venait d’avoir le cœur brisé au début de leur mariage. Mais elle avait été encore plus jeune que lui et d’une naïveté déconcertante. Et lui, avec toute l’hypocrisie dont il était capable, il en avait profité et lui avait tout fait payer : le mariage arrangé, le départ d’Aconia, la perte de ses amis à Rome… Il avait rejeté toutes les fautes possibles et imaginables sur elle, sans jamais lui expliquer ce qu’il lui reprochait. Pendant quinze années, il s’était comporté comme son bourreau au lieu d’être son allié, son compagnon de galère, son ami. Il sentit une boule se serrer dans sa poitrine tant ses remords étaient intenses.
Perdu dans ses pensées, il mit quelques temps à réaliser qu’elle avait toujours une main posée sur sa joue. Depuis plusieurs secondes. Bien plus longtemps qu’il n’aurait accepté qu’elle le touche auparavant. C’était un contact si doux qu’il se surprit à pencher très légèrement la tête sur le côté pour l’accentuer. Il ne détourna pas le regard, captivé par l’étincelle qui brillait dans les yeux de Guenièvre. Il commença à réaliser la chance qu’il avait de l’avoir à ses côtés. Il se sentit encore plus chanceux d’être le destinataire de ce sourire éblouissant, tant il était conscient qu’il n’avait rien fait pour le mériter.
Sans aucune notion du temps écoulé et oubliant l’urgence de déguerpir du camp avant que d’autres ennemis ne se pointent, il prit sa main tendrement dans la sienne sans se laisser l’occasion de réfléchir ni de se dégonfler.
« Je suis vraiment désolé, vous savez… »
« De quoi ? » demanda-t-elle doucement en fronçant les sourcils.
« … De tout … Que vous n’ayez pas trouvé ce que vous vouliez en venant ici. D’avoir tout fait pour vous repousser pendant toutes ces années. » Il laissa s’échapper un soupir. Il avait beaucoup, beaucoup de choses à se faire pardonner. En faire la liste lui paraissait impossible. « Vous méritez mieux… » ajouta-t-il simplement mais avec sincérité.
Elle le regardait, stupéfaite. Elle n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Même dans ses rêves les plus fous, elle n’osait plus imaginer qu’Arthur soit celui qui vienne la secourir. Elle avait aussi depuis longtemps abandonné l’idée qu’il puisse la considérer comme autre chose qu’une nuisance. Son regard oscillait entre leurs mains jointes et le regard d’Arthur, mais elle ne répondit rien. Arthur remarqua sa surprise et comprit que c’était à lui de prendre son courage à deux mains.
« Je vous promets de… » Il chercha ses mots quelques instants avant de soupirer de frustration et de baisser les yeux. « Putain, ça part mal, je sais même pas quoi vous promettre ».
Guenièvre lui lança alors un regard attendri accompagné d’un léger rire qu’elle ne put refréner. Il releva la tête et la regarda. L’énergie positive qui émanait de son épouse lui donnait du baume au cœur. Il reprit sa respiration et retenta sa chance.
« Je vous promets… d’être gentil, là ! » Son manque d’inspiration commençait à l’agacer. Il aurait aimé être plus éloquent à ce moment. « Non, mais c’est nase, on dirait un môme ! »
« Je vous trouve plutôt mignon comme ça, moi ! » répondit Guenièvre en laissant son rire raisonner dans la cabane avant de redevenir sérieuse. « Je vous demande pas de promettre quoi que ce soit de toute façon. Vous êtes là et je vous en remercie. » Elle savait qu’il est trop tôt pour penser à pardonner les erreurs passées et à faire de belles promesses.
Une fois de plus, elle démontrait en l’espace de quelques secondes d’innombrables qualités dont il était certain de n’être jamais digne lui-même. Il comprit alors qu’il passerait toute sa vie à se sentir tout petit par rapport à elle. Mais il était prêt à tous les sacrifices pour essayer de gagner ne serait-ce qu’une petite fraction de son empathie, de son courage, de sa sensibilité et de sa résilience. C’était en réalité un bien piètre prix à payer pour l’avoir à ses côtés.
Sans prendre le temps de réfléchir, il se pencha vers elle et rapprocha leurs visages. Guenièvre le regarda avec une surprise non dissimulée à laquelle se mêla une pointe d’envie quand elle comprit que ses intentions étaient sincères. Il lui laissa le temps et l’espace pour refuser ses avances, mais ce fut elle qui se pencha pour parcourir les derniers centimètres qui les séparaient.
Leurs lèvres se touchèrent et se caressèrent tendrement. Arthur ne chercha pas à intensifier leur baiser, conscient de l’inexpérience de Guenièvre - dont il était amplement responsable. Il se contenta de cette étreinte chaste et pure qui, contre toute attente, lui conféra plus de papillons dans le ventre que le plus sulfureux des baisers romains qu’il ait jamais reçu.
« Si Monsieur et Madame voulaient bien remettre leur roulage de galoche à plus tard, il me semblerait judicieux de foutre le camp d’ici au plus vite ! »
Tous deux sursautèrent à la voix d’Angharad qui interrompit ce moment magique. Guenièvre rougit et baissa les yeux, tandis qu’Arthur se laissa gagner par un vif sentiment d’agacement à l’égard de la gouvernante qu’il n’avait de toute façon jamais pu supporter.
« Parce que je suppose que je la ramène aussi, celle-là ! »
« Monsieur peut considérer que je fais partie d’une sorte de blot. Je viens en sus. »
« Qu’est-ce que vous voulez ? Y a des jours comme ça, on n’est pas en veine… Allez, venez. »
Arthur agit alors envers de Guenièvre avec une prévenance inédite. Cela faisait des heures qu’elle est attachée au lit, donc il l’aida à se lever et à se stabiliser une fois debout. En vérifiant les marques de corde sur ses poignets, il ne put s’empêcher de lâcher quelques grossièretés bien choisies à l’égard de Lancelot. Avant de lâcher ses bras, il prit soin de caresser les marques comme si cela allait contribuer à les faire disparaître ou à les rendre moins douloureuses. Il l’aida ensuite à descendre de la cabane. Il s’apprêtait à amorcer le chemin vers le groupe de chevaliers à l’entrée du camp quand Guenièvre l’arrêta.
« Attendez »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Il faut que… je fasse une pause. »
« Une pause ? On n’est pas parti encore. »
« Je sais mais ça fait je sais pas combien de temps que j’me retiens… »
« Nan mais, vous rigolez ou quoi ? Lancelot peut arriver d’une minute à l’autre ! »
« Et bah si Lancelot arrive, vous vous battrez ! Qu’est-ce que vous voulez que j’vous dise ? »
Il soupira pendant qu’elle s’éloigne maladroitement.
« Vous êtes vraiment sûre que vous voulez pas rester là ? »
Il regretta cette phrase avant même de l’avoir terminée. Il avait bien vite retrouvé sa vieille habitude d’envoyer à tout le monde du tac au tac des réponses pleines de sarcasmes. Il craignit l’espace d’une seconde que Guenièvre le prenne mal, mais celle-ci se retourna rapidement et lui tira la langue avec un sourire amusé. Il fut un peu rassuré, mais il préférait pas tenter le diable et retomber tout de suite dans les engueulades de vieux couple. Arthur s’efforça donc d’être de nouveau prévenant à son retour. Il lui caressa le bras doucement.
« Ça va ? Vous vous sentez de marcher jusqu’à Kaamelott ? »
En finissant sa question, il grimaça légèrement, car quelle que soit sa réponse, il allaient bien devoir avancer et faire la route jusqu’au château. Etant donné la distance à parcourir et la nature du terrain, la porter n’était pas envisageable. Guenièvre apprécia néanmoins cette attention.
« Oh oui, ne vous inquiétez pas. Je suis même plutôt contente de pouvoir me dégourdir les jambes pour être honnête. »
« Bien, allons-y, alors. »
Arthur passa un bras dans le dos de Guenièvre pour la guider vers le groupe qui les attendait patiemment. Perceval et Karadoc les regardaient comme si de rien était, avec de petits sourires, satisfaits de leur performance durant la mission de sauvetage. Léodagan, plus perspicace, observa le couple royal avec un regard appuyé. Il percevait bien qu’ils sont plus proches qu’il ne les avait jamais vus auparavant.
Guenièvre était consciente que son père l’examinait intensément. En passant à ses côtés, elle fit une petite moue honteuse, comme si elle était encore une enfant qui venait de faire une bêtise plutôt qu’une reine qui avait fui le trône du jour au lendemain. Léodagan, peu enclin aux effusions de joie, laissa s’échapper un soupir et tapota l’épaule de sa fille.
« Ça va ? Vous vous sentez de marcher jusqu’au château ? »
Guenièvre et Arthur échangèrent un regard complice en entendant le roi de Carmélide faire l’écho de la question déjà posée par Arthur. Guenièvre hocha la tête.
« Oui, oui, Père. »
« Bien ! Alors les deux glandus, là, vous ouvrez la marche. » dit-il en désignant Perceval et Karadoc d’une signe de main, mais en gardant un regard perçant sur sa fille et son gendre.
« Vous trois, vous marchez au centre ». Arthur, Guenièvre et Angharad acquiescèrent d’un signe de tête.
« Moi, je ferme la marche quelques pieds derrière. Compris ? » Arthur aurait pu protester pour la forme ; contester les ordres de Léodagan était toujours un peu jouissif. Mais en l’occurrence, faire la route aux côtés de Guenièvre ne lui posait pas le moindre problème. Il choisit donc de se taire mais c’était sans compter sur Perceval et Karadoc qui partirent dans un délire dont eux seuls avaient le secret.
« OK, donc nous on ouvre la marche ! » dit Perceval.
« Ah ouais ! Mais il est où l’escalier ? » demanda Karadoc.
« Quel escalier ? » Léodagan ne prit même pas la peine de cacher son agacement.
« Bah, l’escalier où il y a la marche qu’on doit ouvrir ! »
« Bah ouais ! »
Guenièvre et Angharad échangèrent un regard interloqué. Arthur soupira ; il connaissait trop bien ces dialogues de sourds avec les deux chevaliers.
« Vous en voyez souvent, des escaliers en pleine forêt ? » demanda Léodagan, dont la colère bouillonnante était palpable.
« Non, mais nous faut juste nous donner des ordres précis, après ça file droit ! » La réponse de Karadoc était à deux doigts de faire sortir Léodagan de ses gonds. Heureusement, Angharad intervint.
« Non, mais ouvrir la marche, ça veut dire marcher devant. Je vais aller avec vous, c’est plus simple ! » Angharad attrapa alors le bras de son fiancé et commença à marcher sur le sentier. Karadoc ne comprit pas grand-chose, mais se mit en marche lui aussi, de l’autre côté de son ami. Arthur n’en croyait pas ses yeux. Non seulement, il allait faire la route avec sa femme, mais en plus, il n’aurait pas à supporter la bonniche tout le long du chemin. Pour la première fois de sa vie, il trouvait le destin très clément avec lui.
Le couple royal se mit en marche, à bonne distance de leurs éclaireurs, suivis ensuite par Léodagan à l’arrière. Le roi de Carmélide n’avait pas choisi ce poste par hasard. Pendant tout le trajet, il scruta et compta méticuleusement les démonstrations d’affection entre les souverains de Logres, aussi discrètes fussent-elles. Et il en était intimement persuadé, il y avait anguille sous roche avec ces deux loustics…
Chapter 2: L’Espionnage
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Léodagan était caché. Dehors. En plein hiver… Il n’avait rien trouvé de mieux à faire de son après-midi que d’aller gambader dans les jardins couverts de neige. Il avait failli se raviser à plusieurs reprises, découragé par la bise glaciale, mais sa curiosité avait pris le dessus : il devait absolument savoir ce que sa fille et son gendre manigançaient depuis leur retour du camp de Lancelot.
La vie avait repris son cours au château. L’échange d’épouse avait été vite balayé, le roi et sa femme avaient retrouvé leurs places respectives et les repas familiaux avaient retrouvé tout leur panache. Pourtant, Léodagan trouvait les choses différentes. C’était presque imperceptible, mais quelque chose le taraudait concernant le couple royal.
Les engueulades n’avaient pas changé. Aucun des deux ne manquait de caractère après tout, donc ce n’était pas surprenant. Pas plus tard que ce matin, il avait entendu des voix s’élever de la chambre des souverains. Il avait tenté d’écouter la dispute conjugale mais avait été déçu d’entendre que la discussion parlait du Roi Loth. Drôle de discussion à avoir au plumard… Déçu, il n’était pas resté espionner plus longtemps.
Ce qui avait nettement changé, en revanche, c’était les maîtresses d’Arthur. Il devenait de plus en plus rare de les voir au château. Auparavant, il était très fréquent de les croiser dans les jardins, les couloirs, les cuisines… Partout où elles avaient l’habitude de se rendre pour tromper l’ennui qui les guettait. Mais depuis l’échange d’épouses, elles étaient plus discrètes. Le dédain de Dame Mevanwi pour les courtisanes était notoire et elles le lui rendaient bien. Tout le monde s’attendait à les voir réapparaître au retour de Guenièvre, qui avait toujours toléré leur présence sans broncher. Mais non…
Cependant, Léodagan n’était pas si intéressé que ça par les nombreuses conquêtes de son gendre. Ce qui le préoccupait le plus ces derniers temps était l’attitude de ce dernier vis-à-vis de sa fille. Quelque chose avait changé, il en aurait mis sa main à couper. Il lui semblait que le Roi et la Reine passaient du temps ensemble. Seuls. Régulièrement. Mais ils étaient discrets et personne d’autre ne semblait avoir remarqué. Décidé à en avoir le cœur net, il avait suivi sa fille après le déjeuner.
Tous les jours, après le repas de midi, chacun vaquait à ses occupations habituelles. Léodagan faisait le tour des postes de garde du château. Séli s’occupait de contrôler le travail des gouvernantes. Arthur rejoignait son bureau pour lire des traités, des lois et autres textes ennuyeux à mourir. Guenièvre, elle, avait pour habitude de se promener seule dans les jardins. Elle réclamait même ouvertement ce moment de solitude à sa famille, ayant besoin de calme.
Elle marchait lentement, semblait profiter du calme ambiant. Le temps n’était pas très clément. L’air était froid et le sol recouvert de nombreux flocons tombés le matin. Il ne neigeait plus en revanche et le soleil était de retour, apportant par moments une petite chaleur réconfortante. Léodagan l’observait de loin et ne fut pas déçu quand, au bout de quelques minutes, il la vit presser le pas et avancer énergiquement vers un banc en pierre, protégé des intempéries par un grand arbre. Sur ce banc, se trouvait le Roi Arthur, dont le visage était éclairé d’un petit sourire dirigé vers sa femme.
Immédiatement, Léodagan s’accroupit. Guenièvre n’était pas de nature méfiante et quand bien même, elle était loin d’être une espionne redoutable. La suivre sans éveiller les soupçons n’était pas d’une grande difficulté. Arthur, en revanche, était un soldat entraîné et il était plus attentif à son environnement. Il valait mieux ne prendre aucun risque.
Le Roi de Carmélide était plutôt fier de sa cachette. Le buisson qui le protégeait était peu fourni en feuillage, mais recouvert d’une épaisse couche de neige qui lui permettait de se dissimuler derrière assez facilement. Il était trop loin pour les entendre, mais d’ici, il pourrait observer les interactions du couple sans être remarqué. Du moins, c’est ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’une voix acerbe le fasse presque sursauter.
« On peut savoir ce que vous bricolez là comme un gland ? »
Arthur s’était assis sur le banc favori de Guenièvre. Il était plutôt isolé, loin de l’agitation du château. Il avait aussi l’avantage d’être abrité par l’un des rares arbres des environs qui ne perdait pas son feuillage en hiver. Quand il vit son épouse approcher, un sourire détendit naturellement les traits de son visage, d’habitude si renfrogné.
« Vous êtes là ! » dit-elle joyeusement. « Je croyais que vous aviez du travail ? »
« En effet, mais j’avais envie de passer un peu de temps avec vous. »
« On vient de déjeuner ensemble, hein. » répondit-elle avec un soupçon de taquinerie dans la voix.
« Certes. Mais disons que la présence de vos parents ne me met pas dans les meilleures dispositions. »
Guenièvre émit un petit rire. Elle était bien placée pour connaître les effets d’un repas passé en compagnie de Séli et Léodagan de Carmélide.
« Mais si je vous gêne, je peux aller bosser, hein ! » ajouta-t-il faussement vexé.
« Oh non ! Enfin, je veux dire… Maintenant que vous êtes ici, je ne voudrais pas vous chasser. »
Elle s’assit alors à côté de lui, à une distance bien calculée. Ils n’étaient pas en contact direct, mais assez proche néanmoins pour que des effleurements plus ou moins accidentels soient possibles. Ils passèrent quelques minutes à apprécier l’atmosphère calme qui les entourait, observer la beauté du paysage tout en échangeant quelques regards.
« J’ai envie de vous poser une question. »
Arthur sortit de sa rêverie, surpris par la timidité qu’il décelait dans la voix de Guenièvre.
« Allez-y. »
« En fait, j’ai peur que vous me trouviez bête… Un peu comme ce matin. »
Ce matin… Il l’avait encore rabrouée. Elle avait baragouiné sur la neige, l’hiver. De bon matin, elle avait juste engagé la conversation sans réfléchir. Rien de bien grave, après tout. Et il n’avait rien trouvé de mieux à répondre que de lui faire la leçon. Il savait qu’elle n’avait pas reçu une éducation très rigoureuse. Elle lisait, écrivait, comptait. C’était plus qu’une bonne partie de la population bretonne. Mais elle avait de nombreuses lacunes. Ce qu’il oubliait souvent, c’est qu’elle n’était en rien responsable de cela. Elle était curieuse, capable de s’intéresser à tout mais toute sa vie, on lui avait rabâché que certains sujets ne la concernaient pas. De nouveau confronté à ses propres actes, Arthur soupira longuement.
« Non mais ce matin… Je suis désolé, j’aurais pas du vous parler comme ça. »
Guenièvre leva les yeux vers lui, étonnée. Arthur reprit.
« Vous n’avez rien fait de mal, vous vouliez juste lancer la conversation et moi… je gâche tout en étant cassant. Je suis désolé. J’aurais dû laisser pisser, on aurait pu avoir une discussion agréable tous les deux. Je vous jure que j’essaye de changer, hein, mais les habitudes de connard, c’est difficile à perdre. »
« En même temps, je préfère qu’on me prévienne si ce que je dis est idiot. Histoire de pas recommencer trop souvent. »
« Quand bien même, j’aurais pu vous faire la remarque gentiment… Bon allez-y, posez votre question, je vous promets, ça va aller. »
Guenièvre hésita pendant quelques secondes avant de se lancer.
« C’est encore à propos de la neige. » dit-elle en se mordillant la lèvre inférieure, un peu gênée.
Arthur sourit devant ce geste attendrissant.
« Allez-y, je vous écoute. »
« En fait, je me suis toujours demandé comment c’était possible. »
« Quoi, la neige ? »
« Exactement. Des morceaux de glace qui tombent du ciel, c’est un peu bizarre, non ? Comment ça se fait ? »
Ce n’était pas particulièrement idiot comme réflexion, surtout venant de quelqu’un qui n’avait jamais reçu d’enseignement un tant soit peu scientifique.
« À vrai dire, je ne suis pas sûr moi non plus. Mais j’ai lu une théorie à ce sujet. »
« Ah bon ? Dites-moi ! »
Le cœur d’Arthur fondit un peu devant l’enthousiasme de son épouse face à un nouveau sujet d’intérêt. Si seulement on avait pris la peine de lui apprendre des choses plus tôt, elle serait très probablement l’une des femmes les plus cultivées du royaume aujourd’hui.
« En fait, les grecs pensent que c’est l’eau des mers et des océans qui se condense. Quand il fait chaud, le soleil tape dessus et du coup l’eau s’évapore. À force, ça fait des nuages. Avec le vent, les nuages se déplacent et arrivent au-dessus des terres. Et quand il fait froid, bah, la vapeur se retransforme en eau. Ça fait de la pluie. Et s’il fait vraiment très froid, ça fait de la neige ou de la grêle. »
Guenièvre avait écouté attentivement. À la suite de cette explication, elle observa longuement autour d’elle, semblant en assimiler tous les éléments.
« C’est vrai que la pluie et la grêle font un peu la même chose. Mais il n’y a que la neige qui m’a autant intriguée. Comme j’adore ça, je passe beaucoup de temps à l’admirer pendant l’hiver. »
Arthur savait à quel point elle aimait la saison hivernale. Il ne comprenait pas bien pourquoi, lui qui détestait se geler les miches pendant des mois, patauger sur les chemins rendus boueux par les précipitations. Guenièvre tourna la tête vers Arthur et lui fit un superbe sourire.
« Merci de m’avoir expliqué. »
« Y a pas de quoi. » répondit-il, souriant également. « Vous savez, on a pas mal de bouquins aux archives sur tout et n’importe quoi. Bon, il y a plein de textes de lois, ça c’est chiant. Mais on a aussi des romans, du théâtre, des essais en tout genre. Il y a une pièce remplie de tout ça. Vous pourriez les lire si ça vous dit. »
« Bah… c’est que… » Guenièvre perdit son sourire immédiatement, remplacé par un air gêné. « J’aime pas trop aller là-bas. »
« Aux archives ? C’est juste des étagères remplies de papelards. »
« Je sais mais… pour tout vous dire, j’y suis déjà allée. Le Père Blaise était pas très content que je touche aux bouquins. Il préférait que je lui dise ce que je cherchais et qu’il s’en chargerait. Sauf que je flânais moi, je cherchais rien de spécial. »
« Mais pour qui il se prend ce prêtre ? » s'exclama Arthur, outré.
« Il avait peur que je dérange tout ou que j’abîme quelque chose. C’était il y a longtemps, mais j’y vais plus trop du coup. »
C’était encore pire que ce qu’il croyait. Guenièvre avait essayé de s’informer, de se cultiver. Et des gens de sa propre cour l’en avaient empêchée. À quoi servait-il d’avoir une bibliothèque fournie si on ne pouvait en profiter librement ?
« Bon, ne vous inquiétez pas, je vais lui remettre les points sur les I à ce con là… Dès demain, vous pourrez piller tous les bouquins que vous voulez et s’il ose vous faire la moindre remarque, je lui colle une avoine dont il devrait se souvenir un bon bout de temps. »
Guenièvre rit de bon cœur devant la réaction de son mari. Il était attendrissant quand il était bougon. Doucement, elle posa l’une de ses mains sur celle d’Arthur. Ce contact subtil eut immédiatement l’effet escompté : il oublia aussitôt le Père Blaise.
Il pivota son poignet juste assez pour que chacun puisse délicatement tenir la main de l’autre, en caresser le dos d’un geste du pouce. Il passèrent dans un silence confortable, appréciant ce geste minime mais si réconfortant jusqu’à ce qu’Arthur soupire.
« Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai quand même pas mal de boulot. » dit-il résigné.
Guenièvre hocha la tête avec un sentiment similaire.
« Bien. On se retrouve ce soir, alors ? »
« Avec plaisir. »
Au lieu de lâcher la main légère qu’il tenait depuis plusieurs minutes, il la porta à ses lèvres et déposa un premier baiser sur les phalanges délicates. Il ne résista pas à embrasser cette main encore deux ou trois fois avant de la relâcher avec regret.
Avec un dernier sourire, il se leva et s’apprêta à rejoindre son bureau pour des tâches bien moins plaisantes. C’était sans compter sur la dernière initiative de Guenièvre qui, après un coup d’œil pour vérifier s’ils étaient bien seuls, se leva derrière lui et attrapa son bras pour le ramener à elle. Surpris, il se laissa retourner vers son épouse. Avant qu’il ait pu comprendre ce qu’il se passait, il était dans ses bras, et des lèvres embrassaient les siennes. Il répondit volontiers à ce baiser, qui se termina bien trop tôt à son goût.
Il finit néanmoins par aller travailler, laissant Guenièvre terminer sa promenade en sautillant avec un grand sourire sur son visage.
Léodagan retint un juron et soupira.
« C’est pas vrai… Vous m’avez foutu les jetons ! » dit-il à son épouse. Elle était là, debout, sans même tenter de se cacher. « Mais baissez-vous, bon sang, vous allez nous faire repérer ! »
Séli s’exécuta, perplexe.
« C’est mieux, là ? Vous pouvez m’expliquer ce qu’on fout par terre dans la neige en plein hiver ? »
« J’observe les deux zigotos, là-bas. »
Séli pencha la tête autour du buisson pour apercevoir Arthur et Guenièvre, assis ensemble à discuter tranquillement.
« Et qu’est-ce qu’il y a à observer au juste ? »
« Je sais pas… »
« Ah bah, bien ! »
« Nan mais, j’ai bien ma p’tite idée… Mais justement, j’aimerais bien en avoir le cœur net. »
« Essayez toujours, que je rigole un peu. » répondit-elle, déjà blasée.
« Je pense qu’il y a eu un rapprochement entre ces deux-là depuis le retour de la p’tite. »
L’affirmation de Léodagan laissa place à plusieurs secondes de silence.
« Il me semblait que vous aviez pas abusé du picrate ce midi, pourtant. »
« Oh, mais merde, là ! Je suis pas bourré, je vous dis qu’il se passe un truc. Vous les voyez souvent se retrouver seuls tous les deux sans qu’ils y soient obligés, déjà ? »
Séli repassa la tête sur le côté et regarda le couple plus attentivement. Léodagan, lui, ne les lâchait pas des yeux depuis le début.
« Mouais, c’est vrai que c’est bizarre, ça… Mais vous trouvez pas que vous poussez un peu ? Ils discutent, ça va, on va pas faire venir une fanfare non plus ! »
Léodagan soupira. Il retourna à ses observations. Il ne savait pas sur quoi portait la discussion, mais il était certain de déceler une intimité anormale dans les regards du couple.
« M’enfin, regardez-les, avec leurs yeux de merlans frits ! Vous les avez déjà vus comme ça, vous ? »
« Non, d’accord. Après, s’ils sont si proches que ça, comment vous expliquez qu’ils s’engueulent toujours autant ? »
« Qu’est-ce que j’en sais moi ? C’est pas mon couple après tout. Et puis de toute façon, ils ont du caractère ces deux-là. Entre la petite qui nous a eus comme exemple toute sa vie et l’autre gugusse qui descend de ce taré d’Uther… »
« Ils ont de qui tenir, c’est sûr… »
Séli soupira et observa un peu le couple royal, toujours perplexe.
Guenièvre posa sa main sur celle d’Arthur, qui, au lieu de retirer la sienne, sembla apprécier ce contact. Léodagan et Séli restèrent silencieux pendant quelques temps, comme si cette information était difficile à analyser.
« Bon, ça casse pas trois pattes à un canard, mais vous allez pas me dire qu’ils ont l’habitude de se tenir la main dans les jardins comme deux adolescents ! »
« Ouais, d’accord. Mais bon, on va peut-être pas crier victoire et annoncer un héritier tout de suite, hein. »
« Roh, mais vous m’emmerdez avec vot– »
La réponse de Léodagan fut coupée net par les baisers qu’Arthur déposa sur la main de Guenièvre.
« Et ça, c’est pas nouveau, ça peut-être? »
« Alors, celle-là, je m’y attendais pas. » Séli, estomaquée par la tendresse des échanges entre Arthur et Guenièvre n’étaient pas au bout de ses peines. Elle resta bouche bée en voyant sa propre fille prendre l’initiative d’un baiser certes plutôt chaste mais néanmoins très intime. Le fait que son gendre y participe avec autant d’engouement était pour le moins étonnant.
« Je parie que celle-là non plus, vous l’aviez pas vue venir… » taquina son mari, pas peu fier d’avoir enfin une preuve de ce qu’il avançait, mais lui-même un peu retourné par la scène à laquelle il venait d’assister.

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