Actions

Work Header

Fragments de Styx

Summary:

Partie 5 d'une histoire composée de série d'OS, tous en lien mais aussi lisibles séparation. Recueil sur l'animé d'origine consacrée aux Enfers et ses habitants post canon majoritaire. Divers amis et navire. Avertissement : Masami Kurumada, auteur original du manga.(1) Rhadamanthe, (2) Minos/Rune, (3) Valentine/Rhadamanthe, (4) Pandore & Hadès

Notes:

Note : Et voilà la 5e et dernière partie de mon histoire, cette fois-ci dédiée aux Enfers et aux Spectres. Comme pour les autres souvenirs, l'histoire se présente sous forme d'OS lisibles département tout en formant une histoire. Il n'est pas spécial nécessaire de tout lire pour tout comprendre. Dépendant, certains détails sont liés aux autres OS ou parties de l'histoire.
Correctrice : ClinaPersonnages : Rhadamanthe de la Wyverne
Mention de : Athéna, Pandore, Hadès, Minos du Griffon, Rune du Balrog
Navire : aucunType d'esprit : introspection
Arc temporel : comme pour les autres reculs, quelles années après la fin de la guerre contre Hadès, quand tous sont revenus à la vie.
Lieu : Caïna, palais de RhadamantheAutre : Je ne tiens compte que du manga original de Masami Kuramada et de son adaptation animée.

Chapter 1: 1. Réflexions crépusculaires: Rhadamanthe

Chapter Text

Le calme de ses appartements privés lui offrait un bref répit. Ceux qui imaginaient que les Enfers étaient un lieu de silence constant ne devaient jamais les avoir visités, ou ils n’avaient traversé que le premier tribunal. Il était vrai que Rune vénérait le silence. Et cela Rhadamanthe pouvait le concevoir. Lui aussi appréciait ce calme total, quand il regagnait sa résidence personnelle. Ici, rien ne perturbait le cours de ses pensées, ni de ses diverses réflexions. Et il appréciait à sa juste valeur cette paix sereine, qui flottait dans l’air de sa demeure après une journée de travail au tribunal infernal au milieu des serviteurs et des autres Spectres, toujours bien trop inutilement bruyants. Cela étant, les âmes jugées en ces lieux n’étaient pas non plus des plus calmes, bien souvent soumises à l’appréhension de leur jugement. Alors en ce bref instant où il passait le seuil de sa porte pour entrer dans ce qu’il considérait être son domaine privé et son monde, il savourait la lourde chape du silence total des lieux. Il prit un instant pour savourer ce retour au calme. Puis il se débarrassa de son Surplis par une émanation de son Cosmos. C’était devenu inutile de le porter. Il ne devait plus impressionner personne, ni juger les âmes des défunts. C’était l’heure d’un repos plus que bien mérité, vu la longue journée éreintante de travail qu’il avait eu. Pourtant Rhadamanthe n’était pas du genre à se plaindre.

D’un claquement de doigts impérieux, il fit s’allumer les lumières vacillantes de la pièce principale. Il appréciait toujours à leur juste valeur les petits avantages de sa puissance et de son Cosmos. Avançant d’un pas décidé vers un bar en bois sculpté et ouvragé, il l’ouvrit pour prendre un verre. Il y déposa exactement trois glaçons avant de se servir son meilleur whisky. Avec un sourire satisfait, il décida de s’installer dans son fauteuil face à une des nombreuses fenêtres de la vaste pièce. Il eut un soupir satisfait alors qu’il buvait une gorgée du liquide ambré. La légère sensation de brûlure dûe à l’alcool était agréable et surtout cela sonnait réellement la fin de sa journée de travail. Rhadamanthe était un être ritualisé, qui faisait les choses tous les jours dans le même ordre sans jamais y déroger. Il n’y avait que lors des Guerres Saintes, qu’il devenait plus imprévisible, étant alors même capable de désobéir pour servir au mieux les intérêts de son Seigneur et Dieu, Hadès. Il ne s’était jamais demandé ce que ce dernier pensait de lui et de ses deux frères ou même des Spectres en général. Ils étaient bien trop insignifiants comparés à une Déité olympienne. Pourtant il ne doutait pas quand Pandore affirmait que leur Seigneur appréciait ses Spectres et qu’il leur portait une certaine affection. Il y croyait sans en avoir la preuve. Mais après tout n’était-ce pas le fondement même de la foi ?

Le regard doré se perdit un moment sur l’extérieur et le décor ambiant. Les Enfers avaient changé depuis sa précédente vie, qui n’était pas si lointaine que cela. C’était étonnant comme l’humeur d’Hadès et ses envies pouvaient modeler le paysage de son Domaine Sacré. Tout était moins terne et moins mort, plus coloré depuis que leur Seigneur avait fait la paix avec la déesse Athéna. Il semblait enclin à offrir un environnement plus beau et lumineux aux Spectres. Était-ce une volonté d’adoucir l’au-delà aux yeux des âmes y venant ? Rhadamanthe n’aurait su le dire. Il n’était pas assez poche du dieu Hadès pour connaître ses motivations personnelles. Il n’était même pas certain que dame Pandore soit plus au fait des raisons de ce changement que lui-même. Cela tant, il ne se plaignait pas spécialement des changements. C’était actuellement légèrement plus agréable d’observer l’extérieur que dans ses souvenirs. Reportant son regard doré sur son verre, il s’amusa à faire tourner les glaçons. Et il observa pensivement leurs mouvements circulaires bien ordonnés pendant quelques secondes. Un autre soupir lui échappa et il avala une autre gorgée de whisky.

Cette nouvelle vie l’étonnait. Certes il savait qu’ils étaient ramenés en quelque sorte à la vie lors de chaque Guerre Sainte, tous les 250 ans environ. Mais cette fois-ci c’était différent. La dernière bataille contre Athéna et ses Saints ne datait pas de si longtemps, tout au plus une poignée insignifiante d’années à ses yeux immortels. Et c’était la volonté et les dons de négociatrice de la Déesse qui était à l’origine de leur retour à tous à la vie. Elle n’avait pas lésiné semblait-il sur les moyens, ni sur ses exigences. Dans la foulée de ses Saints, elle avait ramené les autres Guerriers Sacrés et même les Déités qui n’avaient pas survécu aux combats. Quel argument de poids avait-elle usé face à Zeus et aux autres Olympiens ? Rhadamanthe aurait bien aimé le savoir… Mais il semblait que la jeune Déité soit assez têtue et qu’elle sache user des bons arguments. En tout cas ce cadeau divin avait quand même eu un prix. Il leur était maintenant interdit de déclencher d’autres Guerres Saintes. Ils avaient tous signé le fameux Traité de Paix. Athéna, Poséidon et Hadès s’étaient engagés à rester en bons termes et à continuer de protéger la Terre selon leur domaine de compétences à chacun. Et ils avaient tous les trois joué le jeu, nommant même des ambassadeurs pour porter les messages d’un Sanctuaire à l’autre. Mais si les Divinités avaient accepté cela avec facilité, c’était moins évident pour leurs Guerriers Sacrés de faire fi de certains préjugés ou de certaines rancœurs. Rhadamanthe supposait que le temps limerait efficacement ces petites rancunes insignifiantes. Au final, tous et toutes finiraient par reconnaître qu’ils n’avaient fait que servir et obéir à leurs Dieux et Déesses.

Sa troisième gorgée lui fit finir son verre. Rhadamanthe grogna légèrement avant de se remettre debout et d’aller se servir un second whisky. Ce n’était pas cela qui le rendrait saoul. Il y avait bien longtemps que plus rien n’embrumait son esprit, probablement un don issu de sa nature de Spectre. Ou alors était-ce né de son habitude de consommer deux verres du breuvage ambré chaque soir ? Il eut un haussement d’épaules en se resservant, ajoutant au passage un glaçon au liquide avant de revenir s’installer confortablement dans son fauteuil. Il leva le verre en cristal pour observer le jeu de lumière dans le liquide translucide. C’était un des meilleurs whiskys au monde, un des plus onéreux et raffinés. Mais quand on était Juge des Enfers, on avait quelques privilèges bien sûr. Ils avaient tous les trois leurs petites habitudes nées de leur vie humaine, dont ils gardaient quelques fragments de souvenirs. Rhadamanthe n’était jamais une page blanche à chaque retour à la vie. Il était le produit savant de ses réincarnations passées et des restes de sa vie humaine de l’époque. C’était toujours étrange d’avoir ce mélange hétéroclite en tête. Parfois il ne savait plus lui-même, si ce qui hantait son esprit était quelque chose de cette vie-ci, ou bien une vieille réminiscence émergeant des tréfonds de son âme sans âge et de son esprit.

Combien de vies avait-il déjà eu ? Combien de fois avait-il participé aux fameuses Guerres Saintes depuis sa première mort ? Cette fois où il avait accepté, tout comme ses frères, de devenir Juge des Enfers pour l’Éternité. Cela lui semblait tellement loin maintenant. Il savait qu’ils étaient tous plus ou moins des réincarnations ou des descendants des héros des Temps Mythologiques. Du moins, certains traits physiques ou de caractère laissaient penser que cela était le cas pour tous les Sanctuaires. Cela expliquait aussi les ressemblances de chaque nouveau corps de leur Divinité, ainsi que les traits de caractère similaires à chaque hôte. Et cela était encore plus vrai pour les Spectres quand leurs étoiles s’éveillaient sous l’impulsion de leur Déité protectrice, ils fusionnaient en quelque sorte avec toutes leurs vies précédentes. Ils avaient quelques souvenirs des autres Guerres Saintes, d’autres combats. Ils reprenaient le nom tiré des méandres confus d’une Époque Mythologique dont ils peinaient à se souvenir, allant jusqu’à oublier leur identité humaine de l’époque contemporaine. C’était étrange au départ, cette sensation de perte de sa mémoire et de sa personnalité. Cela ne durait que quelques brèves minutes. Puis tout revenait. Et la sensation d’être étranger à sa propre vie disparaissait. Il ne restait que l’identité de Spectre d’Hadès.

Rhadamanthe ne se souvenait pas de son nom dans cette vie humaine. Et cela lui apportait peu. Il avait bien sûr quelques souvenirs de son Angleterre natale, de sa maison d’enfance, de ses études. Il avait aussi gardé certains de ses goûts, notamment pour le whisky et le thé. Mais il avait aussi des choses plus profondes, plus confuses, dont il n’arrivait jamais à connaître l’origine. C’était selon lui des morceaux de ses autres vies. Des choses qu’il avait vécues, des êtres qu’il avait côtoyés. Sauf que le temps faisant son œuvre, les vies de plus en plus nombreuses se superposant, il était incertain sur certains détails. Les avait-il vécus dans une autre vie ? Ou bien dans celle-ci ? Ou était-ce juste issu de ses lectures des archives et des anciens mythes ? La confusion régnait par moments, mais il ne s’y attardait guère. Il savait intimement que le meilleur moyen de savourer cette vie-ci était de ne pas trop réfléchir aux petits jeux étranges de son esprit. De toute manière même s’il s’accrochait à ces morceaux éphémères de réminiscences, il ne pourrait jamais en être certain. Il acceptait l’idée d’un mystère quant à sa propre temporalité.

Avec un sourire amusé, il but une autre gorgée du liquide doré. Et il soupira. Pourquoi avait-il à l’origine accepté ce pacte et ses multiples vies ? Si l’immortalité et l’éternité devaient avoir un certain attrait pour les Humains et leur nature mortelle, ce n’était plus le cas pour lui à présent. Il savait qu’il reviendrait à intervalles quasiment réguliers. Il savait qu’il rejouerait le même scénario. Alors certes cette fois-ci il ne devrait pas combattre Athéna et ses Guerriers. Mais que serait alors sa vie ? Il se contenterait de juger les âmes et d’attendre la fin du délai qu’on lui avait accordé ? Ce n’était pas spécialement réjouissant comme perspectif. Rhadamanthe soupira et il pencha la tête en arrière pour admirer le plafond sculpté et peint. D’une certaine manière, il avait une vie confortable. Et contrairement aux Guerriers Sacrés des autres Sanctuaires, ce n’était pas une première pour lui ce retour à la vie. C’était même plutôt habituel. Mais la vie avait-elle une saveur si elle n’avait pas de fin ? N’était-ce pas la temporalité courte de l’existence, qui la rendait agréable et précieuse ? Il se sentait presque philosophe ce soir. Mais il ressentait surtout une certaine lassitude après tous ces millénaires si semblables. Ce retour à la vie n’était que le suivant d’une longue liste et normalement le précédent d’une toute aussi longue liste.

Non, c’était faux. Cette fois-ci il y avait une infime différence. Il n’était pas revenu pour préparer le retour du dieu Hadès, ni la prochaine Guerre Sainte. Il y avait ce Traité de Paix, qui remettait tout en jeu à ses yeux. Sa vie n’était maintenant plus dédiée à servir et protéger son Seigneur. Enfin, si en partie, puisqu’il restait un des Juges des Enfers. Il avait toujours son travail à faire. Et on ne dérogeait pas à ses missions ici-bas. Mais il pouvait explorer autre chose. Il pouvait se forger une personnalité en dehors de ses capacités de chef et de guerrier. Il pouvait profiter un peu du temps qu’on lui avait généreusement offert. Peut-être pourrait-il visiter sa fameuse Angleterre natale ou découvrir le monde ? Il pouvait bien faire aussi autre chose que travailler. Il reste à découvrir ce qui lui plairait pour passer le temps jusqu’à la fin de ce cycle et le commencement du prochain. Car au fond, la vie était pour eux tous aussi cyclique que les saisons, suivant les désirs de leurs Divinités.

« Merci pour le présent dont on ne sait que faire, déesse Athéna. », déclara-t-il avec un sourire amusé en levant son verre. Elle ne risquait pas de l’entendre ou de lui répondre, mais après tout c’était elle qui les avait ramenés.

Rhadamanthe finit son verre d’un seul coup. Il pouvait sentir un Cosmos familier approcher. Un de ses frères venait le visiter. Il se demandait bien ce qui pouvait attirer Minos dans sa demeure, en cette fin de journée infernale. C’était étonnant qu’il ne profite pas de sa soirée comme à son habitude. Sans grande surprise, son frère pénétra dans sa demeure sans s’annoncer, ni toquer poliment à la porte. Ce qu’il pouvait être désespérant par moments selon les critères de Rhadamanthe. Ce dernier ne prit pas vraiment la peine de se lever pour l’accueillir. Il ne le salua même pas. Il tourna juste son regard doré vers le nouveau venu, qui étrangement portait son Surplis. La Wyverne se contenta de hausser lentement les sourcils en une question muette. Minos se fendit de son éternel petit sourire taquin, qui pouvait agacer si rapidement ses interlocuteurs dans certaines situations.

« Dame Pandore requiert notre présence à la demande du Seigneur Hadès. », déclara Minos de manière neutre. « Je crains malheureusement que tu doives remettre ton Surplis et abandonner ta dégustation de whisky pour le moment. »

Rhadamanthe se contenta d’acquiescer de la tête. Il déposa négligemment le verre vide sur une petite table. Une servante ou un serviteur se chargerait de ranger derrière lui. C’était des présences invisibles, mais horriblement efficaces quand elles travaillaient. Il appela son Surplis d’une étincelle de Cosmos. Ce n’était jamais désagréable à porter. C’était comme une seconde peau pour les autres Spectres et lui. Une fois prêt, il emboîta le pas de Minos pour se diriger vers le palais de Giudecca où séjournaient Pandore et le dieu Hadès. Il était curieux de connaître les raisons de cette invitation tardive.

Chapter 2: Silence partagé: Minos/Rune

Notes:

Correctrice : Clina

Personnages : Minos du Griffon, Rune du Balrog
Mention de : Pandore, Hadès, Rhadamanthe de la Wyverne, Eaque du Garuda
Ship : Minos/Rune

Type d’écrit : romance
Arc temporel : comme pour les autres recueils, quelques années après la fin de la guerre contre Hadès, quand tous sont revenus à la vie. Se passe en parallèle du premier chapitre.
Lieu : Bibliothèque du premier Tribunal
Autre : Je ne tiens compte que du manga original de Masami Kuramada et de son adaptation animée.

Chapter Text

Le silence régnait dans la vaste bibliothèque de la Première Prison des Enfers. C’était au-delà du calme qu’on pouvait espérer trouver en un lieu habité d’une quelconque âme. Et Rune restait persuadé qu’il n’y avait pas d’endroit plus feutré et paisible au monde que cette pièce. Mais cela devait tenir au fait que peu de personnes errait en général dans la bibliothèque, lieu où il était de coutume de ne point parler pour ne point déranger les autres lecteurs; et aussi au fait qu’à cette heure crépusculaire les autres Spectres travaillant ici avaient tous regagné leur logis. Rune, lui, désirait finir son classement avant de rejoindre sa propre demeure, qui n’était pas vraiment la sienne. Il passait finalement assez peu de temps dans sa propre chambre. On pouvait s’étonner qu’il la conservât envers et contre tout. Mais il avait ses propres raisons, plutôt liées à ses peurs intimes en réalité. Où irait-il si son compagnon se lassait de lui et désirait mettre fin à leur relation ? Il se devait d’avoir un lieu où se réfugier, si cette triste et déchirante perspective devait devenir une réalité tangible. Il sentit ses muscles se contracter légèrement à cette vague idée. Certains argueraient qu’après autant de siècles et millénaires il ne devrait pas tant douter de son compagnon.

Rune eut un soupir. Et il secoua la tête. Pourquoi avait-il ce genre de pensées en cet instant ? C’était futile et inutile. Il le savait. Il devait se concentrer sur sa tâche pour la finir au plus vite. La journée avait été longue et il rêvait lui aussi de rentrer pour se détendre. Il l’avait bien mérité vu le travail qu’ils avaient encore accompli ces dernières heures. Depuis la fin de la Guerre Sainte et leur retour à tous à la vie plus rapide qu’habituellement, les journées se ressemblaient toutes. Et peut-être que ces actions bien rodées et rituelles lui offraient trop de temps pour gamberger dans son esprit. Pas qu’il se plaignait de la présence du Juge Minos à ses côtés pour rendre les jugements. Il avait toujours apprécié travailler avec son supérieur et sous les ordres du Griffon. Et il avait toujours été assez fier de la confiance et de l’estime que ce dernier lui portait, et cela bien avant que leur relation ne dépasse le cadre du travail ou d’une quelconque amitié. Rune se targuait d’être celui qui connaissait le mieux Minos, anticipant ses désirs, demandes et besoins avant qu’il ne les formule. Peut-être était-ce cela qui le rendait précieux aux yeux du Griffon ? Peut-être s’oubliait-il trop au profit de Minos, pour lui plaire ? C’était une remarque qu’on lui avait déjà faite.

Ne vivait-il vraiment que pour Son Seigneur ? Peut-être. Peut-être pas. Pouvait-il dire qu’il reniait ces propres désirs et besoins au profit de ceux de son compagnon ? N’était-ce pas aussi une preuve d’amour et de respect ? Mais au fond qu’est-ce que les autres pouvaient bien savoir de leur vraie relation ? Ils ne voyaient que le respect et la dévotion que Rune portait à son supérieur dans son travail. Peu de Spectres pouvait se vanter de vraiment le connaître lui ou de connaître Minos, qui passait parfois pour un démon qu’on redoutait aux Enfers. Le Balrog avait l’audace d’imaginer mieux connaître le Juge que tous les autres, à l’exception peut-être de ses frères et du dieu Hadès. Et il ne se vantait pas des quelques privilèges que sa situation actuelle lui offrait. Il n’en parlait jamais. Nul ne devait savoir, sauf un ou deux amis relativement proches qui avaient d’eux-mêmes percé son précieux secret à jour. Un autre soupir lui échappa. C’était aussi pour cela qu’il conservait sa chambre inoccupée. Cela pouvait rendre le change et éviter bien des commérages. Et aux Enfers, les rumeurs couraient très vite, toutes plus étranges et farfelues les unes que les autres. Alors s’il pouvait éviter d’être le centre d’une d’elles et protéger l’honneur de Minos…

« Tes pensées semblent bien lourdes et mélancoliques. », souffla une voix taquine à son oreille alors que deux bras l’enlaçaient. Le corps de Minos se colla légèrement contre lui. Si l’étreinte se voulait possessive et amoureuse, elle restait suffisamment légère pour que Rune puisse se libérer aisément. Minos faisait toujours attention de ne pas emprisonner son compagnon trop fortement. Il savait que ce dernier avait besoin d’une échappatoire et de pouvoir remettre de la distance entre eux, au cas où quelqu’un approcherait…

« Je me contente de ranger les archives traitées à ce jour. », murmura le Balrog d’une voix basse et paisible. C’était pour cela après tout qu’il était encore en ces lieux.

« Une dizaine de minutes pour choisir si tu déposes le livre à gauche ou à droite de ceux déjà rangés me fait dire que tu es perdu dans tes pensées. », commenta le Griffon dans un souffle contre sa nuque. Rune put sentir l’ombre d’un sourire contre sa peau. « Et le plissement de ton nez et de ton front que ces dernières sont bien sombres. Alors me diras-tu ce qui encombre ta jolie tête ? »

« Rien qui ne vaille de s’appesantir dessus. », contra habilement Rune se décidant finalement à déposer le livre à sa place sur l’étagère. Depuis quand Minos était-il présent dans la pièce pour savoir qu’il rêvassait plutôt que travailler ?

Seul le silence lui répondit cette fois-ci. Rune se concentra sur le livre suivant qu’il se devait de ranger. Il ne s’étonna même pas que l’étreinte ne se dissipa pas autour de lui. Il sentit le menton de Minos se poser sur son épaule pour lire le titre de l’ouvrage qu’il tenait en main. De toute évidence le Griffon allait rester là. Il y avait des millénaires, Rune aurait imaginé que son supérieur le surveillait et qu’il vérifiait son travail. Il l’avait d’ailleurs imaginé, redoublant d’efforts et de volonté pour être un parfait procureur à l’époque. Ce n’était que bien plus tard, qu’il avait compris que le Juge errait autour de lui pour profiter de sa présence et dans une tentative vaine mais assez adorable de capter son attention et de le séduire. Le Balrog pouvait bien avouer que celui qui avait fait tout le travail pour que leur relation soit celle qu’ils partageaient aujourd’hui était Minos. Lui n’aurait jamais osé espérer attirer le regard du Juge de cette manière. Enfin à l’époque, aujourd’hui il savait que le Griffon gardait toujours un œil sur lui, non pas pour le surveiller mais parce qu’il semblait incapable de ne pas l’avoir dans son champ de vision. Un baiser léger se déposa sur sa peau sensible, suivi rapide d’une autre dans une tentative totalement assumée de capter son attention.

« Quand j’aurai fini mon travail, vous… », commença Rune sérieusement en essayant de retenir quelques frissons provoqués par les baisers papillon.

« Vous ?!?… Allons allons, nous sommes seuls… », susurra Minos de sa voix cajolante. Rune soupira.

« Tu auras toute mon attention quand j’aurai tout classé. Promis. », déclara le Balrog. Ce n’était pas ainsi qu’il avait envisagé de formuler sa phrase. Ils étaient toujours au Tribunal, alors une marque de respect s’imposait envers Minos.

« Bon alors, je vais t’aider comme cela je serai plus vite le centre de ton attention. », proposa avec un sourire Minos, qui libéra son compagnon de son étreinte pour attraper un autre livre d’archive.

« Tu détestes ranger. », grommela Rune en l’observant du coin de l’œil.

« Pas faux. Mais plus vite ce sera fait, plus vite on rentrera. Et donc plus vite je pourrai te faire oublier tes sombres pensées. », commenta le Griffon avec un clin d’œil. Rune soupira et il lança un regard vers la double porte de la bibliothèque espérant ne pas voir débarquer un Spectre. « Cesse donc de t’inquiéter, il ne reste que nous. Personne ne sera témoin de notre réelle intimité. », ajouta Minos avec amusement.

Rune observa son compagnon quelques instants. Et il se fit la réflexion qu’il était faux d’imaginer que Minos ne faisait rien pour combler ses attentes et ses désirs à lui. Parce qu’honnêtement si cela avait tenu au Griffon, tous les Enfers auraient su qu’ils étaient devenus un couple. Et le connaissant, il l’aurait probablement aussi crié sur les toits des Sanctuaires d’Athéna et de Poséidon, même si l’information ne devrait pas les intéresser grandement. Seulement Rune avait cette nécessité de garder cela pour eux, pour éviter les rumeurs, pour éviter les remarques et parce qu’il avait inscrit en lui un besoin de discrétion. Et cela Minos l’avait toujours respecté. Il s’était accommodé du vouvoiement et de la distance respectueuse de Rune au Tribunal. Il savait de toute manière que dans l’intimité de son palais, les choses étaient différentes entre eux. Tout comme il n’avait jamais commenté cette envie de conserver une chambre à part pour encore une fois éviter les rumeurs et avoir un refuge au cas où… Et même si Minos n’avait jamais rien fait qui pouvait laisser suggérer qu’un jour il désirait rompre, il respectait le besoin de sécurité de son compagnon. Cela étant, il ne comprenait pas vraiment d’où venait cette peur de la rupture. C’était probablement lié à son passé humain…

« Donc à quoi pensais-tu ? », questionna-t-il à nouveau tout en déposant un livre sur une étagère. Il avait l’air de ne pas y toucher, on pouvait l’imaginer superficiel et joueur, mais il avait toujours à cœur le bien-être de son âme-sœur. Et il le sentait légèrement mélancolique, sans raison apparente.

« Rien d’important. », répondit Rune avec un léger sourire. « Des pensées passagères qui n’ont fait que traverser mon esprit. » C’était joliment formulé, nota mentalement Minos.

« Hum… En rapport avec une peur intime et primale chez toi qui te fait conserver cette petite chambre dans un dortoir ? », demanda plus directement le Juge. Le Griffon vit son compagnon se crisper. « Je te connais Rune. Nous sommes ensemble depuis des siècles, à chaque vie les mêmes préoccupations reviennent pour nous tous. Et comme à chaque existence je ferai tout pour que tu ne doutes pas de notre lien. Puis pourquoi te quitterai-je ? » La curiosité pointait dans sa voix, alors qu’il rangeait un dernier bouquin épais.

« Nous avons sûrement déjà eu cette conversation autrefois… », soupira Rune en rangeant le dernier livre d’archive. « Il y a plein de raisons qui peuvent justifier une séparation… »

Quand le Balrog se tourna, il eut un mouvement de recul, surpris de trouver le Griffon si proche de lui. Son dos percuta doucement la bibliothèque derrière lui. Les yeux dorés se noyèrent un moment dans le regard rosé. Minos pencha légèrement la tête pour déposer son front contre celui de son compagnon. Cela ne changerait jamais. Et ils devaient avoir ce genre de discussion à chaque réincarnation. Mais cela n’avait rien de lassant. Il n’y avait rien que Minos n’aurait fait pour Rune, pour lui prouver son affection et à quel point il tenait à lui. Il ne pouvait pas effacer ce qui était inscrit en son compagnon. Mais ils étaient des âmes-sœurs selon lui et ils se complétaient parfaitement. Rune était la face calme, et lui la face extravertie. Rune doutait et lui le rassurait. Ils avaient toujours fonctionné ainsi. Et malgré les siècles, le Griffon ne se sentait pas lassé de son compagnon, ni des petits doutes qui parfois resurgissaient. Il ne pouvait pas effacer le passé de Rune, ni sa première vie humaine. Et Minos ne savait pas vraiment ce que le Balrog avait bien pu vivre avant de devenir un Spectre d’Hadès. Ce dernier ne semblait pas en conserver le moindre souvenir.

« Ce qui n’arrivera pas. J’ai eu des millénaires pour me lasser de toi, et ce n’est jamais arrivé. Tu me captives toujours autant. », répliqua Minos très sérieusement et avec une voix où perçait toute la tendresse qu’il éprouvait pour son compagnon. « Tu restes mon âme-sœur. Je t’aime. Même avec tes doutes et tes manies qui sont plus des tocs en fait… »

Un baiser baptisa le front de Rune avec beaucoup de douceur. Il était toujours surprenant de constater à quel point le Griffon pouvait être délicat et tendre dans certains de ses gestes et propos. Enfin en général c’était uniquement avec lui. Un autre baiser s’échoua sur le bout de son nez comme une taquinerie légère. Rune releva les yeux et la tête, qu’il n’avait pas eu conscience de légèrement baisser. Le sourire de Minos lui réchauffa le cœur. Les petits nuages gris, qui assombrissaient ses pensées, disparurent quand les lèvres du Griffon frôlèrent les siennes. Le Balrog put sentir le sourire de son compagnon quand il répondit à la douce et chaste pression. Rune ferma les yeux et il savoura la caresse amoureuse. Il ne s’octroyait jamais le droit d’avoir des gestes aussi tendres entre eux au tribunal, mais pour une fois il voulait bien laisser tomber ses réticences à s’afficher avec son compagnon. Et puis c’était agréable de se faire un peu dorloter par Minos. Une main caressa sa longue chevelure claire, venant jouer avec quelques mèches. L’instant éphémère était hors du temps et leur appartenait uniquement à eux.

« On devrait rentrer. », murmura doucement Rune, les joues légèrement rouges. S’il restait un livre ou deux à ranger cela pourrait attendre demain. Et vu le sourire de Minos, ce dernier partageait son avis sur la question.

« Bonne idée. Et nous profiterons d’un repos et d’un moment de détente bien mérité ! », répondit le Juge en s’éloignant de son compagnon.

Une légère caresse frôla la joue légèrement rosée du Balrog avant que Minos ne remette une distance respectable entre eux. Après tout ils étaient toujours au Tribunal, et il s’estimait déjà chanceux d’avoir pu voler deux étreintes et un baiser à son compagnon. Il ne tenterait pas plus sa chance, voulant vraiment profiter d’une soirée paisible en amoureux. Et il avait quelques idées pour que ce temps précieux soit bien occupé et pour plaire à son âme-sœur. Seulement alors qu’il se dirigeait vers la porte, il vit débarquer un Spectre au pas de course dans la bibliothèque. Ce dernier glissa et il faillit bien s’étaler face à eux, arrachant un rictus à Minos. Cependant il était contrarié de cette présence qui perturbait ses plans pour la soirée. Reprenant un air plus neutre et froid, le Griffon darda un regard qui aurait glacé le sang de n’importe qui aux Enfers, à quelques rares exceptions sur le nouveau venu qui se confondit rapidement en excuses.

« Mes excuses Seigneur du Griffon... Je ne voulais pas… Enfin c’est qu’un message est arrivé de la part de Dame Pandore. Le dieu Hadès requiert votre présence en son palais de toute urgence. », balbutia le pauvre Spectre toujours à genoux face à eux. Rune fronça légèrement des sourcils. « Et si vous pouviez en passant quérir la présence des autres Juges… », osa ajouter le subordonné, sans oser relever le regard.

Un grognement lui répondit alors que Minos le congédiait de la main. Lui qui avait prévu une soirée des plus romantiques et qui comptait sur ce moment pour détendre Rune… Il allait devoir reporter. Ô il ne doutait pas que son compagnon comprendrait. Après tout on ne désobéissait pas à un ordre d’Hadès, ni d’ailleurs à un de ceux émanant de Dame Pandore. Mais il était quand même contrarié. En plus il devait servir de messager et récupérer ses deux frères au passage. Cela étant il était certain de les trouver dans leur palais respectif à cette heure-ci. Un soupir lui échappa. Il se sentait légèrement agacé. Il sentit les doigts de Rune s’enrouler doucement autour des siens comme pour apaiser sa frustration du moment. Ce petit geste assez inhabituel en ces lieux de la part de son compagnon attira son regard vers lui. Le Balrog se permit un sourire apaisant.

« Va. Je t’attendrais. Mais faire patienter le dieu Hadès est plutôt une mauvaise idée, non ? », déclara Rune avec son calme légendaire. Il déposa une bise légère sur la joue de Minos. « Plus vite tu seras parti, plus vite tu reviendras. », ajouta-t-il. Minos eut un autre soupir. Mais il se décida à aller chercher ses frères pour répondre à l’ordre de son Seigneur. Il commencerait par Rhadamanthe, il serait plus aisé de le convaincre.

Chapter 3: Mélancolie: Valentine/Rhadamanthe

Notes:

Correctrice : Clina

Personnage : Valentine de la Harpie
Mention de : Rhadamanthe de la Wyverne, Rune du Balrog, Eaque du Garuda, Minos du Griffon
Ship : Valentine/Rhadamanthe, mention de Rune/Minos

Type d’écrit : introspection, romance
Arc temporel : comme pour les autres recueils, quelques années après la fin de la guerre contre Hadès, quand tous sont revenus à la vie.
Lieu : un chemin entre le Tribunal et Caïna

Chapter Text

La journée avait été plutôt calme, rythmée par les divers jugements au tribunal des trois Juges des Enfers. Valentine s’étira pour délier ses muscles légèrement endoloris après de si longues heures à rester assis sur sa chaise face à son bureau pour réaliser le travail qui lui avait été confié en début de journée. Par habitude, la Harpie préférait finir en dernier et quitter les lieux bien après les autres. Encore qu’il faille pouvoir concurrencer Rune du Balrog, qui ne semblait vivre que pour ses fonctions en ces lieux. Mais ce dernier finissait sa journée en rangeant les Archives, et il était bien le seul à apprécier cette tache de bibliothécaire, que les autres Spectres œuvrant ici lui abandonnaient donc bien volontiers. Valentine ne faisait pas exception à ce sujet. Et s’il était un des derniers à quitter le Tribunal, la Harpie était aussi un des premiers à y arriver chaque matin. Cela étant, ses journées de labeur restaient moins longues que celles du Balrog. Mais Valentine comprenait pourquoi Rune appréciait autant le silence après une journée assez intensive niveau bruit. Rares étaient les Âmes attendant et acceptant leur jugement avec calme. Il était donc des plus agréables, une fois tout cela terminé, de se retrouver dans une pièce sans aucun bruit. Et ce soir, il lui semblait qu’il était réellement le dernier Spectre à travailler, son ami s’étant déjà éclipsé avec les livres des Archives depuis un moment. Et la Harpie profita de la sérénité retrouvée des lieux et de sa solitude temporaire.

Son regard orangé glissa vers l’imposant bureau en bois précieux et positionné en hauteur pour surplomber la pièce du Juge Rhadamanthe. La Harpie admirait son supérieur hiérarchique depuis les Temps Mythologiques, cela semblait inscrit en lui autant que le Surplis qu’il revêtait à chaque nouvelle vie. Aussi loin que pouvaient remonter ses réminiscences de ses vies antérieures, il avait toujours été au service de la Wyverne. Un petit soupir lui échappa. Puis Valentine entreprit de ranger correctement son bureau, remettant à sa juste place chaque parchemin, encrier et plume. Ensuite il prépara son travail pour le lendemain, empilant les dossiers qu’il devrait traiter selon leur ordre d’importance et d’urgence. Une fois que tout fut aligné et correctement disposé selon ses propres critères, il attrapa la pile de dossiers reposant sur le coin droit supérieur de son bureau. Il devait les apporter au palais de Caïna, demeure attitrée du Juge Rhadamanthe. Ce dernier avait dû quitter le Tribunal au milieu de l’après-midi, accompagné des Juges Minos et Eaque, pour participer à une réunion sur ordre du Seigneur Hadès. Et Valentine savait que son supérieur désirerait parcourir les derniers jugements rendus en son absence. Rhadamanthe aimait avoir un certain contrôle, et vérifier que le travail avait été parfaitement réalisé selon ses consignes. En cela, il différait de Minos qui avait une confiance aveugle en Rune, et d’Eaque qui donnait l’impression de se fier à ses lieutenants pour réaliser correctement ses ordres sans en déroger.

Valentine observa la vaste salle vide. Et il eut un léger sourire, satisfait du travail qu’il avait accompli. Il devait reconnaître qu’il avait bien avancé dans les divers dossiers qu’il gérait au nom du Seigneur Rhadamanthe, prenant une légère avance sur ce qu’il devrait réaliser le lendemain. La journée avait donc été productive de son point de vue. Et il espérait que son supérieur serait lui aussi satisfait de son labeur. Comme tous les Spectres étant gradés et travaillant au Tribunal, la Harpie se devait de préparer le Jugement des âmes avant que ces dernières ne soient entendues par un des trois Juges, qui rendrait son verdict. Et Valentine trouvait intéressant de découvrir les multitudes d’existences de ses êtres, et ce qui avait pu les façonner tels qu’ils étaient à l’heure de leur Jugement aux Enfers. C’était comme lire des millions de romans et découvrir tout ce que les Humains avaient pu expérimenter et vivre. Certaines vies étaient relativement simples et paisibles, semblant couler avec la même sérénité qu’une petite rivière dans son lit. D’autres étaient composées de vraies aventures rocambolesques, et toutes dignes des mythes antiques ou des romans épiques. Cependant, beaucoup de ces existences étaient marquées par l’amour, qu’il soit beau et simple, ou bien qu’il soit passionné et tragique. Parfois c’était un savant mélange des deux. Et ce sentiment universel semblait animer bien des Âmes.

Finalement, Valentine tourna les talons. Et il sortit de la vaste salle en pierre. Sa journée n’était pas encore totalement finie. Il devait d’abord traverser les Enfers jusqu’à Caïna pour déposer les dossiers à l’attention du Juge Rhadamanthe. Ensuite seulement il pourrait regagner sa propre chambre et profiter d’un repos bien mérité. Ce fut d’un pas rythmé et décidé qu’il emprunta le chemin menant vers un des nombreux raccourcis des Enfers. Quand on vivait depuis aussi longtemps que lui en ces lieux, on connaissait chaque recoin, chaque sentier et chaque raccourci existant. Il n’avait même pas besoin de réfléchir pour s’orienter. Ses pieds connaissaient le chemin à suivre, ce qui laissait son esprit un peu trop libre de vagabonder sur diverses réflexions. Généralement, Valentine essayait de ne pas s’attarder sur une idée en particulier, les laissant toutes couler telle une cascade en montagne. Et ce soir en particulier, la Harpie n’avait guère envie de réfléchir. Il tentait de se concentrer sur le décor ambiant qui, il devait le reconnaître, avait changé depuis leur dernier retour à la vie. Il fallait croire que l’apparence des Enfers dépendait tout autant de leur Déité protectrice qu’Elysion. Et la transformation des lieux le surprenait toujours un peu. Tout semblait moins froid, plus lumineux et coloré. C’était agréable d’autant plus qu’ils auraient tous vraisemblablement une longue vie en ces temps de paix divine.

Valentine bifurqua sur un chemin moins connu, qui était un raccourci menant directement à Caïna. La Harpie resserra sa prise sur ses dossiers instinctivement, comme s’il redoutait d’en perdre un. Il ne marchait pas spécialement vite, même si son rythme était plutôt soutenu. Après tout, il n’avait rien de prévu pour meubler sa soirée. En y réfléchissant, il pourrait se décider à lire un peu avant de dormir. Il était déjà tard, et la journée du lendemain était plutôt longue et chargée en travail. De plus, il ressentait une certaine fatigue. Au bout d’un long moment, le palais du Juge Rhadamanthe fut en vue. Valentine s’arrêta pour admirer la vue. Le bâtiment était de forme carrée, entourée à chaque coin d’une tourelle ronde. Et un imposant dragon aux ailes ouvertes ornait le centre du toit. La Harpie connaissait par cœur les lieux. Il savait que chacune des résidences des Juges était d’un style architectural différent, rappelant le totem de leur Surplis. Et invariablement les pensées de Valentine volèrent bien malgré lui vers Rhadamanthe de la Wyverne.

« Cesse de rêvasser. », murmura Valentine pour lui-même en secouant légèrement la tête.

La Harpie savait que se laisser emporter vers ce genre de réflexion n’aboutirait à rien. La conclusion était toujours la même, et ce depuis les Temps Mythologiques et sa toute première vie. Ce sentiment puissant ne l’avait jamais quitté, prenant naissance dans sa rencontre avec Rhadamanthe il y a bien longtemps. Au départ, il était surtout admiratif de la Wyverne. Le Juge était le plus puissant des Spectres au service d’Hadès, et un stratège inégalé à ses yeux. Valentine avait toujours été impressionné par le côté guerrier de son supérieur. De plus, Rhadamanthe était quelqu’un d’intègre, juste et droit, des qualités plus qu’appréciables pour un des trois Juges des Enfers. Mais il était aussi intelligent, cultivé et noble. La Harpie était de manière générale intarissable quand il s’agissait de vanter les nombreuses qualités de son Seigneur. Et il se savait aussi très peu objectif à son sujet. Mais il était incapable de lui trouver des défauts, ou alors il réalisait l’exploit de transformer ceux-ci en qualité. Rhadamanthe était parfait aux yeux de Valentine. Et personne n’était autorisé à dire le contraire en sa présence, sous peine d’entendre sa longue argumentation sur le sujet. Un soupir échappa au jeune homme. Quand son admiration s’était-elle transformée en amour véritable ? Ou peut-être avait-il toujours été amoureux de la Wyverne ? Peut-être avait-il juste eu besoin de temps pour comprendre ses vrais sentiments ? Mais au fond, savait-il vraiment ce qu’était l’amour ?

Valentine secoua la tête pour en chasser ses diverses réflexions, bien que la majorité de celles-ci fut comme toujours tournée vers le Seigneur Rhadamanthe. Un autre soupir léger lui échappa. Ce n’était pas la première fois qu’il avait ce genre de pensées, qui envahissait son âme et monopolisait toute son attention. Et bien souvent il finissait par doucement rêvasser. Pourtant il savait quelle émotion naissait de ce genre d’égarement. Il était ensuite habité d’une certaine mélancolie qui alourdissait son âme. Pourtant l’amour était un beau sentiment, et normalement il rendait les êtres meilleurs et heureux. Mais cela ne devait être le cas que quand il était partagé et réciproque. Et la Harpie n’était pas aussi chanceux que Rune. Même si son ami gardait secrète leur relation, Valentine savait qu’il était en couple avec Minos. Comme lors de chacune de leur vie précédente, et comme lors de toutes les prochaines. Et ce sentiment rendait plus serein et heureux le Griffon et le Balrog. Mais il y avait peu de chances qu’un jour le Juge Rhadamanthe n’avoue son affection à Valentine. Ce n’était de toute manière pas vraiment le style de la Wyverne que de faire preuve de sentimentalisme. De toute manière pour son supérieur, Valentine n’était qu’un lieutenant. Certes il lui reconnaissait son dévouement, sa fidélité et son envie de toujours remplir à la perfection les diverses missions qu’il lui confiait, mais la Harpie n’en restait pas moins juste un simple Spectre à son service. Et cela ne risquait guère de changer durant cette nouvelle vie. Comment pourrait-il changer la manière dont le Seigneur Rhadamanthe le voyait depuis des millénaires ? Après tout leur vie à tous et toutes était immuable aux Enfers.

En même temps, Valentine n’avait jamais rien entrepris pour avouer ses véritables sentiments à Rhadamanthe. Et ce dernier n’avait jamais semblé lui porter un quelconque intérêt. La Harpie était avant tout un des Spectres sous ses ordres lors des Guerres Saintes, et dans son travail quotidien au Tribunal. Il était un subordonné en qui la Wyverne pouvait avoir confiance, puisqu’il avait toujours à cœur de satisfaire le Juge et de lui prouver sa valeur. Et jusqu’à aujourd’hui, être reconnu comme le meilleur lieutenant et un des meilleurs guerriers sous les ordres du Juge Rhadamanthe avait toujours suffi à combler Valentine. La Harpie était fier de son statut de lieutenant ! C’était sûrement le mieux qu’il pouvait espérer. Et cela lui avait toujours convenu. Mais plus maintenant, étrangement. Il désirait plus, sans trop savoir ce qu’était vraiment ce plus. Il savait juste que la perspective de cette longue existence, que les Olympiens leur avaient à tous et toutes offerte, rendait tout différent à ses yeux. Il avait une vie complète à savourer. Et il n’avait pas envie de le faire seul. Il ne pouvait pas juste se contenter des jugements et des missions qu’on lui confiait. Il désirait profiter de sa nouvelle existence, se découvrir des passions et peut-être voyager. Et surtout il désirait la partager avec quelqu’un. Peut-être devrait-il renoncer à cet amour ancestral à sens unique ? Et qui sait peut-être s’ouvrir à d’autres relations amoureuses et amicales ?

« Comme si c’était possible. », murmura Valentine avec un léger rire amer. « Certains amours sont éternels et survivent même aux diverses réincarnations. »

Il en savait quelque chose, lui qui était un mélange de sa dernière vie et des toutes les précédentes. Immuablement, à chaque existence, il avait soupiré en secret et en silence après le Juge Rhadamanthe. Et s’il lui fallait une autre preuve, il savait qu’invariablement à chaque nouvelle vie Minos et Rune se retrouvaient. Et à chaque fois le Griffon séduisait avec patience le Balrog, et ils finissaient par former ce petit couple très discret et surtout passionnément amoureux. De manière identique, il serait éternellement amoureux de la Wyverne, même si ce sentiment resterait lettre morte jusqu’à la fin de leur cycle de réincarnations. Certaines choses étaient gravées dans la pierre, et ne pouvaient en conséquence changer qu’on le veuille ou non. Mais il avait appris à vivre avec cette évidence et avec cette petite mélancolie devenue une partie de sa personnalité. Valentine n’avait au fond aucun regret. Aimer Rhadamanthe restait son plus précieux trésor et une motivation à toujours s’améliorer et donner le meilleur de lui dans chacune de ses missions.

« Bon, il faut que je me bouge un peu. Ma journée n’est pas encore finie. », marmonna-t-il pour se motiver à avancer.

Et Valentine eut un léger sourire triste avant de reprendre son chemin vers Caïna. Il resserra sa prise sur les dossiers. Il savait qu’il ne rencontrerait pas le Juge Rhadamanthe, certainement resté auprès de leur dieu Hadès pour le repas du soir. Il connaissait par cœur les habitudes de la Wyverne, son emploi du temps et comment les choses se passaient. Il fallait reconnaître que Rhadamanthe était un être assez ritualisé. Mais la Harpie savait qu’il approuverait de trouver les dossiers posés sur son bureau en rentrant. Et puis plus vite il aurait fini de jouer les coursiers, plus tôt il serait chez lui pour se changer les idées.

Chapter 4: Frère et soeur: Pandore et Hadès

Notes:

Correctrice : Clina

Personnages : Pandore, Hadès
Mention de : Thanatos, Hypnos, Ikki du Phoenix, Shun d’Andromède, Athéna
Ship : sous-entendu très léger Pandore/Ikki

Type d’écrit : famille, fraternité
Arc temporel : comme pour les autres recueils, quelques années après la fin de la guerre contre Hadès, quand tous sont revenus à la vie. Se passe en parallèle du premier chapitre.
Lieu : Giudecca, palais d’Hadès

Chapter Text

La musique envahissait la pièce, chassant le silence des lieux. Il y avait quelque chose de beau mais de relativement mélancolique dans la douce mélodie qui flottait dans l’air. Pourtant malgré ses élans tristes, elle apaisait les tourments de l’âme de la jeune femme, ainsi que le chaos de ses pensées tumultueuses. Pendant de longues minutes, grâce au son de la harpe, elle pouvait oublier ses obligations, ses regrets et ses réflexions. Pandore pinçait les cordes de sa harpe, jouant de mémoire un air de musique classique dont elle ne savait plus l’origine, ni le nom. Elle ignorait même qui lui avait enseigné autrefois cet art, ce souvenir perdu comme tant d’autres au fil des années au service du dieu Hadès et sous la surveillance des Dieux jumeaux. De toute manière, elle n’avait guère besoin de partition pour jouer. La musique avait toujours été son échappatoire, son petit espace personnel, sa seule liberté sous les ordres de Thanatos et d’Hypnos, quand elle œuvrait sous leurs ordres au réveil du dieu Hadès et au recrutement de son armée.

Les yeux fermés, perdue dans son monde intérieur, la jeune femme se perdait dans les notes qui naissaient sous ses doigts et qui reflétaient bien souvent ses états d’âme. Elle se laissait emporter par la musique, vers un autre monde, loin des Enfers, où tout était possible. Autrefois, c’était son seul moyen d’échapper un tant soit peu à la surveillance d’Hypnos et Thanatos. Aujourd’hui, cela apaisait son esprit et occupait ses longues journées. Sans prendre un instant de repos, Pandore enchaînait les mélodies pendant de très longs moments jusqu’à ce que ses doigts soient engourdis et douloureux. Elle pouvait jouer comme cela durant des heures, si personne n’avait besoin de ses services. Et dans cette nouvelle vie, on venait plus rarement s’enquérir des ordres auprès d’elle. Après tout, leur Seigneur était éveillé, et il semblait désirer gouverner à nouveau lui-même les Enfers et ses Guerriers sacrés.

Une note dissonante résonna dans la pièce ovale. Pandore grimaça. Et elle s’arrêta de jouer pendant quelques minutes. Le regard rosé se perdit un moment vers une des grandes baies vitrées de la salle de musique offrant une vue sur l’extérieur du palais de Giudecca. Bougeant les doigts, les pliant et les dépliant un peu, la jeune femme chassa lentement la sensation de crampe de ses mains. Puis elle inspira et replaça correctement ses doigts sur les cordes dorées. Fermant à nouveau les yeux, elle reprit sa mélodie triste avec la même concentration qu’auparavant, évitant la fausse note cette fois-ci. Elle ignorait depuis combien de temps elle jouait de la harpe, seule dans cette pièce. Mais la notion même de temporalité était toute relative aux Enfers. Et puisque le Seigneur Hadès n’avait guère besoin de ses soins, elle n’avait aucune obligation à remplir. Au fond cette nouvelle vie offerte gracieusement par les Olympiens ressemblait en bien des points à la précédente. Si ce n’était que cette fois, on lui avait laissé le choix : rester aux Enfers pour servir Hadès ou vivre une vie humaine sur Terre. Mais il ne lui restait rien de sa vie d’autrefois…

Alors Pandore avait humblement demandé l’autorisation de rester au service du Seigneur des Enfers. Peut-être cherchait-elle une expiation à ses fautes passées ? Parfois, elle repensait à sa conversation avec Ikki du Phoenix lors de cette bataille finale. Elle savait qu’il avait raison à l’époque. Elle aurait aimé pouvoir le remercier de lui avoir ouvert les yeux et en quelque sorte sauvé la vie. En tout cas, il l’avait libérée. Un jour, elle trouverait le courage et la force intérieure d’oser l’aborder pour le remercier et aussi pour s’excuser de ses actes lors de la Guerre Sainte. Bien sûr, leurs routes se croisaient de temps à autres lors des réunions inter Sanctuaires, mais leurs conversations restaient simples et rares, juste des marques de politesse et de respect mutuel. Pourtant, elle ne pouvait nier les sentiments qu’il éveillait dans son cœur meurtri, et qu’elle ne pouvait s’expliquer réellement. Il était important pour elle. De cela, elle en était sûre.

Finissant lentement sa mélodie, Pandore enchaîna sur un autre air musical tout aussi marqué par la mélancolie. Un soupir léger et silencieux lui échappa. Elle continuait de pincer et de frôler les cordes, essayant vainement de chasser de son esprit ses propres réflexions, d’oublier ses projets personnels irréalisables. En revenant à la vie, la jeune femme avait eu quelques désirs simples, qu’elle n’avait guère su réaliser. Pandore aurait aimé passer du temps avec Ikki, en dehors d’un cadre officiel pour apprendre à vraiment le connaître. Peut-être aurait-elle pu ainsi comprendre ses propres émotions en la présence du jeune homme. Mais elle n’avait jamais réellement osé espérer avoir cette chance. Ce n’était qu’un rêve de plus, qu’elle gardait dans le secret de son cœur et qui lui permettait d’espérer, comme autrefois elle s’accrochait à l’illusion que Hadès était son petit frère, qu’elle serait tôt ou tard réunie avec son cadet.

Tout comme Pandore aurait voulu s’excuser auprès de Shun d’Andromède, l’hôte involontaire de Hadès. Ce jeune Guerrier sacré d’Athéna, qu’elle continuait de regarder comme son petit frère adoré, incapable d’oublier qu’il avait à ses yeux les traits de Hadès. C’était sous son apparence que le Seigneur des Enfers s’était pendant de longues années présenté à elle et aux Spectres. Et elle ne pouvait chasser cette affection fraternelle qu’elle lui portait depuis toujours alors qu’ils se connaissaient à peine. D’ailleurs, elle ne savait que faire de cet amour fraternel pour le plus jeune dont elle ne parlait jamais. Dans cette vie-ci comme dans la précédente, Pandore vivait pour retrouver une famille aimante ou au moins son frère qu’elle avait chéri toute sa vie. C’était la promesse ultime pour sa loyauté et son obéissance, l’argument qui l’avait faite suivre enfant les ordres de Thanatos et Hypnos sans plus de réflexion. Aujourd’hui, elle comprenait ses erreurs et elle regrettait son aveuglement. Mais à l’époque, elle n’était qu’une enfant… Qu’il avait été facile de se jouer d’elle alors.

Quand elle y réfléchissait, Pandore reconnaissait qu’elle ignorait comment se positionner en dehors des Enfers. Elle ne trouvait plus sa place dans ce monde, qui lui était partiellement étranger aujourd’hui. Alors elle restait en ces lieux, où elle avait ses repères. Et elle remplissait avec dévotion et respect ses devoirs envers le dieu Hadès. Cette Déité olympienne qu’elle voyait encore aujourd’hui comme son frère au même titre que Shun. Mais en étant à nouveau incapable de lui avouer son affection fraternelle, ce qui serait sûrement un blasphème. Certes, les raisons différaient à chaque fois, mais elle restait pétrifiée par ses doutes et ses craintes, mêlés à ses espoirs de fraternité impossible. Éternellement entre deux mondes auxquels elle ne se sentait pas totalement appartenir, et incapable de trouver sa juste place, Pandore se contentait d’attendre.

Pinçant plus fortement une corde, la jeune femme laissa un son grave se répercuter sur les murs nus de la salle de musique brisant pendant de longues secondes le silence religieux de la pièce qui faisait partie de ses appartements au palais de Giudecca. Repoussant d’une main une de ses longues mèches ténébreuses, Pandore laissa s’échapper un soupir. Elle espérait vider son esprit de ses réflexions douces amères. On ne pouvait pas dire qu’elle y parvenait réellement. Replaçant ses mains sur les cordes, elle tira quelques notes plus douces à la harpe, avant de se figer telle une victime du regard pétrifiant de Méduse. La jeune femme se demanda comment elle avait pu ne pas ressentir plus tôt la présence divine dans la pièce. Depuis quand le Seigneur Hadès était-il présent dans la salle de musique ? Légèrement affolée d’avoir manqué à ses obligations, Pandore chercha à se souvenir de ce qu’elle devait réaliser en ce jour si semblable aux autres. Mais elle ne se souvenait de rien, si ce n’était d’avoir une journée totalement à elle, sans mission ou devoir à remplir.

Du moins était-ce la pensée qu’elle avait eue des heures plus tôt à son réveil, alors qu’elle tentait d’organiser mentalement sa journée. Elle n’avait reçu aucun ordre. Elle était donc libre de faire ce que bon lui semblait. Et elle était certaine de son emploi du temps, elle qui n’oubliait jamais rien, étant aussi bien organisée que les Enfers qu’elle avait autrefois géré au nom du dieu Hadès. Et le silence régna de longues minutes dans la pièce. Pandore ne bougea pas, les muscles complètement tendus alors que son esprit travaillait rapidement. La jeune femme sursauta quand les mains d’Hadès se posèrent sur ses épaules dans l’espoir de l’apaiser. Le Cosmos divin était étrangement doux et apaisant en cet instant, désireux d’influer sur l’état nerveux de la jeune femme. C’était presque étrange ce changement parfois perceptible dans l’énergie et la présence divine de l’Olympien.

« Tu pouvais continuer de jouer. », commenta Hadès en guise de salutation.

« Mon Seigneur… Aurais-je manqué à une de mes obligations ? », s’enquit respectueusement Pandore, croisant les mains sur ses jambes.

« Nullement. », répondit l’Olympien. « Je ne suis ici que pour avoir l’honneur et le plaisir d’écouter ta musique. »

Hadès fit quelques pas pour admirer le décor très sobre de la pièce. Après la Guerre Sainte, il avait reconstruit les enfers et son palais. D’humeur moins sombre qu’autrefois et désireux d’offrir un cadre de vie plus plaisant aux êtres habitants ici, il avait modifié certains lieux, permettant à plus de lumière de s’infiltrer ici-bas et à plus de couleurs de prendre place en ces lieux sans pour autant dénaturer les Enfers. Et tant qu’à devoir reconstruire Giudecca, qui avait été détruit par les Saints d’Or d’Athéna lors de la bataille finale, Hadès avait essayé d’offrir à Pandore un cadre plus joli et plus vaste, lui permettant d’avoir son espace privé bien à elle. Après tout, la jeune femme était la seule à demeurer avec lui dans son palais. Hadès avait conscience des sacrifices et de la dévotion de Pandore depuis l’époque mythologique. Elle ne lui avait jamais fait défaut. Même si elle gardait très peu de réminiscences de ses vies antérieures au fil de ses réincarnations, Pandore n’avait jamais failli, se sacrifiant pour lui à chaque nouveau cycle de vie. Elle prenait soin de lui et de son hôte avec l’amour d’une sœur aînée, tout en gérant au mieux ses Guerriers sacrés. Et jamais elle ne s’était plainte ou n’avait demandé une quelconque faveur.

Non, Pandore agissait en sœur aimante et en prêtresse obéissante. Nul besoin de fouiller son esprit pour savoir qu’elle se raccrochait à ce supposé lien de fraternité entre eux. Cela lui avait été utile autrefois pour s’assurer de sa loyauté inébranlable envers sa personne. Aujourd’hui, Hadès désirait la récompenser d’une certaine manière. Pandore méritait d’avoir ce qu’on lui promettait depuis les origines. De plus, l’Olympien éprouvait une réelle affection filiale pour la jeune femme, l’appréciant comme une sœur. La famille avait toujours eu une certaine importance pour lui, même si ses actes et ses choix avaient été marqués par la désillusion et la rancœur face aux comportements de ses frères. Pandore était aux antipodes, représentant l’abnégation fraternelle, le sens du sacrifice et mettant en avant ce lien si précieux à ses yeux. Quelque part peut-être qu’elle apaisait l’envie de vengeance de Hadès en lui offrant une famille adoptive aimante. Mais créer réellement cette relation fraternelle n’était point simple. Et Hadès espérait que son présent, qui attendait dans une autre pièce, aiderait à briser un peu le mur de respect et dévotion qu’elle avait érigé entre eux. Et si cela pouvait faire sourire un peu Pandore, il estimait avoir fait le bon choix.

« Tu pourrais décorer cette pièce. », commenta Hadès en s’arrêtant près d’une des baies vitrées pour observer l’extérieur.

« Je ne voudrais pas abuser du privilège, qui m’est donné de séjourner ici. », répondit respectueusement la jeune femme. Elle avait conscience de l’honneur que représentait de vivre à Giudecca. Faveur qui était accordée à bien peu de monde.

« Ce sont tes appartements. », lui fit remarquer l’Olympien avec un léger haussement de sourcils. C’était toujours surprenant l’immense respect dont elle faisait preuve en sa présence, alors que son cœur et son esprit désiraient tellement le considérer comme son frère. « Libre à toi de les peindre, de les décorer ou de les fleurir comme bon te semble. Dis-moi ce qui te plairait et tu l’auras. », offrit Hadès avec un sourire relativement tendre.

« J’y penserais, Seigneur Hadès. », concéda Pandore dans un léger murmure poli. Elle se mit debout et observa le Seigneur des Enfers. Finalement, après quelques secondes, elle osa s’approcher de la Déité, curieuse de savoir ce qui pouvait autant le captiver dans ce paysage austère et vide.

« Peut-être désires-tu un jardin. », proposa Hadès en désignant de la main l’espace face à eux, pour le moment occupé uniquement de roches et pierres.

« Pardon ? », questionna avec surprise Pandore.

« Un jardin à la française, à l’anglaise ou japonais… Ou autre chose, il existe tellement de sortes de jardin à notre époque. », expliqua Hadès avec amusement sans perdre le fil de son idée : décorer de manière plus plaisante les abords des appartements de sa sœur. « Des bosquets, des parterres de fleurs multicolores. Et pourquoi pas un kiosque en marbre ou fer forgé, voire des statues et des fontaines. Bref, ce qui pourrait te plaire pour profiter de cette vue et de l’extérieur. »

« Ce serait dépenser votre Cosmos divin pour une chose bien futile. », déclara doucement la jeune femme avec beaucoup de respect et en secouant doucement la tête. Elle savait mieux que personne que les Enfers et Elysion dépendaient de la vie et du Cosmos divin de leur dieu protecteur, Hadès.

« Rien de ce que tu pourrais demander ne serait futile, comme tu dis. Et ce ne serait guère une perte d’énergie ou d’argent que d’agrémenter tes appartements et le palais. », rétorqua l’Olympien sérieusement. Il savait le chemin encore long avant qu’ils puissent tous les deux partager une réelle relation de frère et sœur. Mais il ferait tout ce qu’il pourrait pour y parvenir. « Nous vivons ici. Autant rendre ces lieux agréables pour tout le monde, ne crois-tu pas ? »

« Je ne suis pas la plus gradée de votre armée. », lui rappela Pandore avec douceur, consciente de ne pas être un Spectre, ni une Déité mineure servant l’Olympien.

« Non, effectivement, tu n’es pas un Spectre et tu ne possèdes aucun grade. », confirma Hadès. « Mais tu es ma sœur. » L’Olympien offrit un regard amusé à la jeune femme. Puis, il lui présenta la main. « Viens. J’ai quelque chose à te montrer. »

Sans aucune hésitation, Pandore prit la main d’Hadès. Et elle se laissa guider hors de la salle de musique. Ils longèrent silencieusement un vaste couloir décoré de flambeaux et de diverses statues rappelant les anciens mythes de la Grèce antique pour rejoindre les appartements du Seigneur des Enfers. La jeune femme s’étonna de la chaleur de la peau du Dieu contre la sienne plus tiède. Hormis quand il avait possédé Shun, Hadès lui avait toujours paru froid les rares fois où elle avait frôlé sa peau. Mais en cet instant, il émanait de lui un calme reposant, loin de l’impression de mélancolie glaciale qu’elle avait toujours ressenti en sa présence lors de la Guerre Sainte. Elle ignorait si c’était possible, mais Hadès semblait en paix avec ses propres démons. Il ressemblait plus à une Déité relativement bienveillante envers ses Spectres et les autres habitants des Enfers dépendant de lui. Cependant, il restait tout de même le Juge suprême des âmes, capable de n’avoir aucune pitié au moment de rendre son verdict pour certains crimes impardonnables à ses yeux.

Après tout Hadès ne pouvait pas changer radicalement de personnalité, restant lui aussi marqué par son passé bien long. Cependant, il avait évolué et revu sa manière d’être avec ses Guerriers Sacrés, leur accordant plus d’attention qu’autrefois. Peut-être Pandore n’avait-elle pas tort quand elle disait qu’Hadès aimait son armée et détestait les voir souffrir. C’était sans aucun doute ce qu’il était aux origines. De toute évidence, les derniers événements et côtoyer ses Spectres l’avaient adouci sur certains aspects. Et Pandore supposait que ses conversations avec la déesse Athéna et le dieu Poséidon lors des fameuses négociations pour le traité de Paix devaient aussi avoir un rôle dans ce changement de comportement, plutôt positif selon elle. Peut-être était-ce cela la vraie personnalité d’Hadès, quand il n’était pas rongé par la colère ou ses désirs de vengeance, quand il contrôlait ses émotions négatives.

Hadès s’arrêta face à une double porte qu’il ouvrit. Il pénétra dans la pièce silencieusement, suivi par Pandore. La jeune femme reconnut directement le salon – bibliothèque que l’Olympien s’était aménagé dans ses propres appartements, pièce qui lui servait de refuge quand il désirait ne point être dérangé, et où elle seule semblait avoir l’autorisation de pénétrer en temps normal. Le regard de la jeune femme fut directement attiré par l’objet insolite de la pièce : un panier en osier reposant sur le beau tapis persan face à une grande cheminée de marbre. Elle eut un regard intrigué pour l’Olympien, qui se contenta pour toute réponse d’un fin sourire énigmatique et légèrement amusé. D’un geste de la main, Hadès l’invita à approcher du panier pour en découvrir le contenu dissimulé sous une couverture. Intriguée et curieuse, Pandore s’approcha lentement et s’agenouilla face à la vaste corbeille. Et elle pinça des lèvres n’osant point soulever le tissu coloré. La curiosité avait joué un bien vilain tour à la première Pandore. Était-ce une si bonne idée d’ouvrir cette manne et d’en découvrir le contenu ? Prise d’un doute, elle suspendit son geste un instant.

Et Pandore eut un regard pour Hadès qui était confortablement installé dans son fauteuil, non loin d’elle. L’Olympien l’encouragea d’un regard, sachant la confiance aveugle qu’elle lui faisait. Après tout, il n’était pas au nombre des Déités s’étant joué d’elle à l’époque mythologique. Et il savait qu’elle ne doutait jamais de lui. Finalement, la jeune femme se décida. Elle souleva lentement la couverture. Et un  oh de surprise lui échappa alors qu’une boule de poils tentait d’escalader les bords du panier pour s’en échapper. Les petites pattes avant du chiot reposaient sur le bord de sa corbeille. Il jappait de joie. Pandore approcha une main que l’animal entreprit de lécher affectueusement. Un joli sourire se peignait sur les lèvres de la jeune femme, qui prit le chiot dans ses bras pour mieux l’observer. Quant à Hadès, il affichait l’air satisfait de celui dont la stratégie avait été payante et lui avait rapporté la victoire. Après tout cela n’avait guère été compliqué pour lui, apte à sonder tous les esprits, de savoir que l’animal préféré de Pandore était le chien. Mais l’Olympien était satisfait de constater que son cadeau plaisait à sa sœur. Au moins, affichait-elle une réelle expression heureuse loin de l’air mélancolique et neutre qui lui était habituel.

« Heureux que mon présent te plaise. », commenta avec un léger amusement Hadès.

« Merci. », murmura Pandore avec reconnaissance et émotion. « Je peux réellement le garder ? » Elle semblait avoir toutes les peines du monde à y croire. Mais après tout, c’était bien la première fois depuis qu’elle était devenue la servante d’Hadès, qu’elle recevait un cadeau et de la part du Seigneur des Enfers lui-même qui plus est. C’était surprenant cette ambiance presque familiale qui régnait entre eux en cet instant dans la pièce.

« Bien sûr. », confirma l’Olympien avec un sourire relativement doux. « Si sa compagnie te rend heureuse, il est plus que le bienvenu au palais… Tu trouveras un collier dans le panier. »

Pandore coinça le chiot contre elle, et elle fouilla de sa main libre le panier. Elle en sortit un joli collier en cuir gravé et orné de pierres précieuses. S’installant plus confortablement, la jeune femme appuya son dos contre le fauteuil où s’était installé Hadès. Le chiot sur les jambes, elle entreprit de lui passer tant bien que mal le collier autour de son cou. Le petit chien n’était pas des plus coopératifs, cherchant à lécher et mordiller par jeu les fines mains blanches de sa nouvelle maîtresse provoquant les rires de la jeune femme. La scène était touchante et amusante. Hadès profita du moment pour caresser affectueusement les longues mèches ténébreuses de sa sœur, qui lui offrit pour toute réponse un sourire comblé et heureux. Au moins avait-il illuminé un peu sa journée. Et peut-être était-ce illusoire, mais il gardait l’impression d’avoir fait un pas immense dans la construction de leur relation fraternelle. Certes, il restait encore un chemin infini à parcourir pour que Pandore agisse naturellement avec lui. Mais ils progressaient tous les deux. Et cela occupait ses longues journées. Peut-être au fil du temps aurait-il plus souvent l’occasion de partager des moments simples et familiaux comme celui-ci avec sa sœur.

« Il faut le baptiser. », suggéra Hadès.

« Je vais réfléchir à un nom parfait pour lui. », promit Pandore en caressant le pelage soyeux du chiot. Elle n’aurait jamais imaginé pouvoir à nouveau adopter un chien. « Et peut-être qu’un jardin avec un banc et une fontaine bordant la salle de musique serait agréable. », ajouta-t-elle sous forme de demande indirecte. C’était la première fois qu’elle prenait la liberté de quémander quelque chose à Hadès.

« Si cela t’agrée. On peut y ajouter des plantes et fleurs aussi. », concéda gentiment Hadès, satisfait de voir Pandore s’ouvrir un peu d’elle-même.

Finalement, ce chiot était une bonne idée. Il était sa meilleure stratégie pour parvenir à ses fins et offrir à Pandore cette illusion de fratrie, qui lui tenait tant à cœur. Et l’Olympien pouvait reconnaître qu’il désirait autant qu’elle cette fratrie. C’était peut-être ce qui lui manquait le plus, lui qui vivait aux Enfers loin des autres Olympiens.

Series this work belongs to: