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Verre noir et papier

Summary:

Un jour, Ron entame une partie d’échec contre quelqu'un qu'il ne connaît pas. Au fur et à mesure des coups, il réalise que son adversaire est plus que cela à ses yeux.

Notes:

Cet OS a été écrit dans le cadre du Quatre-Quarts du serveur Potterfictions (rejoignez nous :
https://discord.gg/862aSNBDk6, un défi d'écriture à beaucoup de mains !

Ce texte est le fruit de la participation de 4 personnes : 1 pour le scénario, 1 pour le plan, 1 pour l'écriture, 1 pour la beta-lecture.

Merci donc à mes co-pâtissiers anonymes
Et merci aux membres de l'orga et du discord

(See the end of the work for more notes.)

Work Text:

Ron poussa la porte de la salle de pause sans y réfléchir, sans s'y attarder, sans songer un seul instant que sa vie allait s'en trouver toute chamboulée. Par ailleurs, il venait de passer deux heures à esquiver des doloris, puis une à supporter des insultes sans broncher. Sa pause, il l'avait bien méritée.

Savage, Jones et Goldstein étaient là. Il les salua avec d’autant plus de sympathie qu’ils ne bloquaient pas le chemin jusqu’à la machine à café. Vu son état, il n’en demandait pas davantage à l’humanité. Le breuvage remplit sa tasse tandis que le volume de leur conversation s’élevait d’un cran et que l‘articulation soignée des phrases devenait équivoque : les ragots concernaient – de nouveau – Potter et Malfoy. Les cancaniers espéraient probablement que Weasley aurait quelque information supplémentaire sur l’élément déclencheur de la dispute en cours.

Ron se détourna en soufflant sur sa tasse.

Il en avait, mais ne serait prêt à les partager qu’après s’être désaltéré.

Ses yeux tombèrent sur l’échiquier de verre noir et de quartz rose qui prenait la poussière sur l’une des tables gigognes. Qui prenait habituellement la poussière. Il avait été déplacé et un morceau de parchemin dépassait sous un angle du plateau. Il s'approcha.

C’était un bel objet qui valait une petite fortune, un cadeau de départ de Shacklebolt. Des années auparavant, quand Ron était arrivé dans le service, il était encore utilisé de manière régulière. Malheureusement, ses adversaires d’alors avaient fini par se lasser d’être battus. C’était devenu une blague pour les nouveaux : chaque fois que l’un d’eux faisait mine de s'intéresser au plateau, le nom de Ronald Billius Weasley était prononcé comme celui d’un ogre qui se délecterait des joueurs inexpérimentés.

Ron s'empara du parchemin. Une écriture à l’encre violette, propre et soignée, proclamait :

Je peux jouer un coup par jour.

Ron haussa le sourcil, interloqué.

Un coup par jour, cela supposait un joueur intéressant : un adversaire qui réfléchit longuement à ses coups, qui n’a pas hâte de terminer la partie, qui élabore des stratégies.

Il porta sa tasse à ses lèvres et prit une longue gorgée de café en continuant à décrypter ces quelques mots. Un coup par jour, cela pouvait également signifier qu’ils avaient enfin eu l’idée de tous se liguer contre lui. Ils élaboreraient leurs stratégies entre eux, discuteraient du coup le plus efficace, voteraient, et l’intelligence collective représenterait enfin un adversaire à sa mesure. Ou pas.

Il sourit cruellement et laissa retomber son bras pour étudier le plateau.

Le liquide resta bloqué dans sa bouche.

B4.

Quelle intelligence collective choisissait une ouverture orang-outan ?

Il secoua la tête, déglutit et jeta un coup d'œil dans son dos. Savage et Jones étaient toujours là, mais ils l’ignoraient. Goldstein était parti. Ron se concentra de nouveau sur le plateau. Ce déplacement pouvait signifier un joueur excellent et original, ou bien un coup médiocre, effectué par un adversaire moyen et irréfléchi. Un mouvement au hasard pour lancer la partie. Quoi qu’il en soit, il n’y avait qu’une réaction logique face à une ouverture orang-outan.

Ron avança son pion en D5 pour prendre possession du centre du plateau.

Après quoi, il s’empara de sa plume et de son encrier de poche et inscrivit sous le défi :

Deal.


Une semaine plus tard, Ron mordillait l’ongle de son pouce en observant fixement le plateau.

Il n'affrontait pas un joueur médiocre.

Il avait commencé à avoir des soupçons dès le troisième jour, quand “Violette” avait chassé le fou au lieu de pousser au centre. Iel s’était ensuite mis en tête d’attaquer son flanc-roi. Son roque s’en était trouvé affaibli et Ron avait presque été déçu de cette constatation… Et puis iel avait commencé à grignoter son centre, et Ron comprenait à présent que les coups précédents avaient été soigneusement étudiés.

— Tu m’écoutes pas du tout, accusa une voix au-dessus de sa tête.

— Hein ? Quoi ?

Harry le fixait en faisant la moue, les bras croisés.

— Tu joues contre qui ?

Il s’installa sur l’accoudoir, à ses côtés.

— Je sais pas trop, avoua Ron en retournant à sa partie. Sûrement un nouveau. Je soupçonne le fils de Podmore.

— Tu sais pas ? s’étonna Harry.

— Non, je sais pas, répéta Ron.

Il avança ses doigts vers un cavalier, mais fit marche arrière. Il devait protéger son bloc.

— C’est pas Podmore, annonça Harry.

Ron tourna la tête. Harry tenait dans sa main le vieux bout de parchemin qui avait lancé la partie.

— Podmore écrit comme un cochon, assena-t-il avant de lui tapoter l’épaule et de se relever.


Trois semaines s’étaient écoulées au rythme d’un échange par jour. Son roi n'avait plus aucune échappatoire. Il avait perdu sa dame deux jours auparavant. Ses fous avaient été réduits en poussière une éternité plus tôt. Ses cavaliers étaient tombés. Ses tours…

Il soupira, tendit l’index et coucha son roi avant de se laisser glisser dans le fauteuil ouvragé. Il fronça le nez en toisant les éclats de verre et de quartz qui s’élevaient du cimetière, se réassemblaient en pièces parfaites et revenaient à leur place.

Il était mitigé.

Cette partie avait été la plus intéressante qu’il ait jouée depuis belle lurette.

Et il avait perdu.

Non pas de façon lamentable, mais de manière irrévocable. Il était vexé et se remémorait l’enchaînement des coups. Dès le départ, il avait manqué de précautions. Il ignorait alors à qui il avait affaire. S’il fallait être honnête, il l’ignorait encore.

Le parchemin était toujours là. Des tâches de thé ou de café l’ornaient désormais et il était déchiré sur le côté, depuis le jour où quelqu'un avait eu besoin d’un endroit où noter la commande de pizzas. Il prit sa plume, admit sa défaite, puis fit tourner le plateau pour proposer à son adversaire mystérieux une traditionnelle ouverture espagnole.

1-0

Revanche ?


— Et tu sais toujours pas qui c’est ?! s’étonna Blaise en relevant les yeux de son alignement de verres à cocktails.

— Non, répondit Harry à sa place. Il l’appelle Violette et il est amoureux d’elle.

Il chantonna sa boutade en lui chatouillant la joue. Ron le repoussa vaguement d'un bras en se sentant rougir. Ça faisait plus d’un mois et le surnom lui avait échappé par mégarde. Depuis, Harry le vannait à la moindre occasion.

— Elle ne devrait pourtant pas être difficile à débusquer, supposa Hermione en éventrant un paquet de chips. Il n’y a pas beaucoup de femmes Aurors, si ?

— Je sais pas si c’est une femme. Violette, c’est à cause de la couleur de l’encre. Ça se trouve, c’est même pas une Auror. Ça pourrait aussi être une secrétaire, une agente d’entretien…

— Mais le féminin qui s'impose.

Harry joignit ses mains sur son cœur et mima le coup de foudre adolescent.

— Et bien oui, répliqua Ron en le toisant. Toute ma vie ne tourne pas autour d’un homme, moi.

— Je vois pas de quoi tu parles… maugréa Harry.

— Putain, moi si, intervint Blaise qui vérifiait le niveau de ses mélanges. Draco m’a encore appelé. C’est quoi cette histoire de faire une perquiz chez lui, sans mandat et complètement beurré ?


Ron avait bien anticipé son coup, mais il se repassa l’enchaînement prévu une dernière fois avant d’engager son cavalier. Cette fois, il était presque sûr de mener.

Il récupéra le parchemin résumant le bref échange qu’il avait eu avec Violette, le lissa sous ses doigts, et inscrivit, juste en dessous de sa dernière invitation à la revanche :

Tu es classé/e FIDE ?

Non. Je ne participe pas aux tournois.

Ron se mordilla le bout de la langue, bêtement ravi de cette réponse. Il venait de passer une journée de merde, en planque sous la pluie sans aucun résultat. La perspective d'en apprendre un peu plus sur saon partenaire de jeu était la seule chose qui l'avait maintenu éveillé.

Il renifla, essuya la goutte d'eau qui avait dégringolé de ses cheveux trempés au bout de son nez, et grignota le bout de sa plume à la recherche de mots qui ne sonneraient pas trop fanfarons.

J’ai un score Elo de 2335. Je pense que tu dois en être proche.

Le lendemain :

Je suppose même que je suis au-dessus. Je t’ai battu.

Harry était mort de rire à ses côtés. Ron, lui, hésitait entre l’amusement et la gêne. Il s'apprêtait à répondre quand l’alarme du service se mit à sonner. Rassemblement général. Tous quittèrent la salle de pause en courant, abandonnant tasses de café entamées, journaux ouverts et parties d’échecs.

Pardon. Je plaisantais. Je ne voulais pas te blesser et je regrette de l’avoir fait.

L’humour passe mal à l’écrit. Je tâcherai de m’en souvenir. Je ne suis pas toujours très habile pour m’exprimer comme il le faudrait.

C’est pour toi, en espérant que ça t’aide à me pardonner.

Un petit gobelet glacé de chez Florian Fortarôme avait été posé sur le parchemin. Un sort de stase avait été réalisé sur la coupe pour l'empêcher de fondre.

— Merde…

Ron prit aussitôt sa plume pour rassurer Violette :

T’inquiète pas : il en faut beaucoup plus pour me vexer.

On a eu une grosse journée hier avec l’arrestation des Hordwulf. J’ai passé l’après-midi et la soirée à Sainte Mangouste, j’ai pas eu le temps de jouer, c’est tout.

Il observa l’offrande en se demandant ce qu’il pouvait ajouter.

Boule de glace au café, double coulis caramel-chocolat, noisette de chantilly et éclats d’amandes. Soit ils avaient les mêmes goûts, soit Violette avait eu beaucoup de chance, soit…

Merci pour la glace. Tu me connais par cœur, on dirait. Tu me stalkes depuis longtemps ?


Avant de quitter le Ministère, le soir venu, Ron fit un détour par la salle de pause. Le parchemin avait été déplacé et cette constatation le fit sourire. Il s’avança dans la salle déserte, s’enfonça confortablement dans le fauteuil et jeta un œil à la partie en cours – iel avait joué – avant de lire la réponse de Violette.

Cellui-ci s’inquiétait de son passage à l'hôpital et exigeait davantage d’informations. Deux post-scriptum tassés au bas du parchemin achevaient de combler le dernier espace de papier disponible :

PS : Tu es Ronald Billius Weasley, le seul Auror du département avec un quotient intellectuel supérieur à sa vitesse de course. Tu aimes le sucre, le chocolat, les pulls tricotés à la main et tu supportes les Canons de Chudley. Je sais tout de toi.
PPS : C’est de l’humour.

Il emporta le parchemin chez lui.

Mais tu ignorais tout de mon état de santé. J’en conclus que, comme déjà supputé, tu ne travailles pas au Département de la Justice. Me feras-tu l'honneur de me révéler ton identité par toi même, ou devrai-je enquêter ?

Pour soulager tes inquiétudes, sache que je me porte à merveille ! Les médicomages sont particulièrement précautionneux quand ça concerne mon bras gauche : j’ai une vieille cicatrice de désartibulation qui…

Il avait rédigé sa lettre sur un nouveau papier soigneusement scellé avec la cire et le tampon du service. Il reçut sa réponse le soir même dans une enveloppe quelconque, avec un sceau de cire blanche comme on en trouve partout et l’empreinte d’une Noise en guise de signature :

Je te déconseille d’enquêter sur moi.

Tu risques de ne pas beaucoup apprécier ce que tu découvrirais.

La réponse doucha son enthousiasme aussi sûrement que s’il s’était agi d’un ami cher qui lui aurait claqué la porte au nez. Il passa la soirée et une bonne partie de la nuit à ressasser ces mots, à les analyser, à tenter de les faire correspondre à l’individu sûr de lui et exubérant qui utilisait des ouvertures orangs-outans…

Le lendemain matin, il se leva de bonne heure, arriva – pour la première fois de sa vie – au travail en avance et se rendit directement dans la salle de pause pour poster sa réponse sous un angle du plateau :

Je pense pouvoir tout apprécier de toi.

Le roi noir avait commencé à prendre la fuite. Ron avait décidé de le chasser.


Ron attrapa la Bièraubeurre que lui tendait Harry. Ils trinquèrent en silence, les yeux rivés sur la baie vitrée à travers laquelle on voyait Blaise dévorer de baisers une Hermione qui gloussait comme une adolescente. Ils soupirèrent de concert, assis dans l’herbe rase.

— Je suis content pour elle, annonça Ron, mais est-ce trop demander qu'ils nous épargnent ce genre de spectacle ?

— Les gens devraient pas avoir le droit d’être amoureux en présence de célibataires, renchérit Harry en hochant vigoureusement la tête.

— Le problème, c’est surtout quand l’amour est réciproque, en fait. Ça me dérange pas de trainer avec toi, par exemple, ricana Ron.

Harry lui cogna méchamment l’épaule, puis se laissa tomber en arrière pour profiter du soleil.

— Vu qu’on en parle, tu joues toujours avec Violette ? questionna-t-il, un bras en travers des yeux.

— Yep. Toujours..

Au début, leur petit match avait diverti les foules. Comme prévu, Ron avait largement remporté leur second affrontement, et tout le monde s’était mis à parier sur le résultat de la belle et l’identité de l’opposant. Ils s’étaient cependant lassés au bout du deuxième mois, incapables de comprendre les stratégies mises en place.

Mauve – le nouveau surnom avait l’avantage d’être neutre – lui avait alors confié que cette notoriété nouvelle l’avait quelque peu intimidé·e. Au point d’hésiter à ne pas lancer la troisième manche.

L’idée de perdre cet·te ami·e qu’il connaissait à peine avant même de l’avoir rencontré·e avait chamboulé Ron bien plus qu’il ne l’avait anticipé. Ils n’étaient pas vraiment proches. Ron ne savait toujours presque rien d’ellui : il avait questionné tout le monde, avait interrogé Mauve et proposé d’échanger quelques informations personnelles contre des indices stratégiques, mais en vain.

Mauve travaillait au Ministère du lundi au vendredi, arrivait tôt, avait appris à jouer à l’âge de six ans – comme lui – préférait les gâteaux aux agrumes à ceux au chocolat, maniait l’humour avec précaution, les pièces d’échec avec précision, n’avait pas beaucoup d'intérêt pour le Quidditch, aucun pour ses collègues et encore moins pour les célèbres histoires de Harry Potter. C’était ce qu’iel lui avait appris au gré de leurs échanges.

Mauve était gaucher·e (sa main avait fait couler l’encre une fois), de taille moyenne (le fauteuil en face du sien était éloigné de la table de quatre-vingt-quatre centimètres), et adorablement effarouché·e dès lors qu’un maléfice frôlait d'un peu trop près le long nez de Ronald Billius Weasley. C’était le peu qu'il avait découvert de lui-même. Iel jouait principalement le matin, avant le rush des arrivées, mais il lui arrivait de passer une ou deux fois de plus dans la salle de pause en cours de journée.

— Tu sais quoi ? reprit Harry en le tirant de ses réflexions. Tu devrais te cacher là-bas une nuit pour la choper sur le fait à l’aube !

— Hein ? Quoi ? sursauta Ron en le regardant enfin. Non ! Pourquoi je ferais ça ?

— C’est trop con de pas savoir ! Imagine que c’est vraiment une fille. C’est peut-être ton âme sœur et t’es en train de passer à côté !

— Et imagine que c’est le vieux Vultus Silvebarbe de la compta ?! Je veux pas le croiser à l’ouverture des bureaux avec les yeux encore collants !

— Si tu le fais pas, moi je le ferai !

— Mais va donc te cacher dans le jardin de Malfoy et fous-moi la paix ?!

Difficile de dire “non” à Harry Potter très longtemps. Ils montèrent des plans et des embuscades, se fournirent en oreilles à rallonge et se renseignèrent sur les sortilèges de camouflage. Ron anticipait la découverte et préparait déjà le nounours géant avec lequel il viendrait surprendre Mauve quand il aurait découvert son identité.

J’ai trouvé le miroir à mémoire.
Je t’en prie, arrête. Ou bien je ne viendrai plus.

Ron mit aussitôt un terme à l’enquête.


Les bagues étaient superbes, d’or et d’argent entrelacés, avec pour les orner des solitaires plus translucides que l’air que l’on respirait. Hermione ne se lassait pas d’admirer son annulaire.

— Qu’est-ce que ce sera quand ce sera le mariage, grogna Ron.

— Pardon ? Tu disais ?

— Rien. Je parlais dans le vide.

— Je suis désolée, c’est juste que…

Elle chercha ses mots, les yeux brillants, les joues rougies, puis son regard retomba sur sa bague de fiançailles et elle gloussa. Ron secoua la tête, dépité.

— Pardon ! répéta Hermione en riant. Mais on peut savoir ce qui te rend aussi grincheux ? Tu tires la même tronche que Harry quand il a appris que Malfoy quittait l’Angleterre pour les fêtes. Mauve vous est encore passé·e sous le nez ?

— Apparemment, il était là au pot de départ de Savage. Il a joué son coup pendant qu’on était tous là. Ce type est une véritable anguille.

”Il” ? répéta Hermione. Ce “type” ?

— Hm. Je suis presque sûr. Il a des ennuis avec sa famille, alors il est crevé. Il a laissé passer deux fois des accords masculins.

— Et… Ça change quelque chose ? demanda Hermione avec une voix prudente.

Ron poussa un profond soupir. Il aurait voulu répondre que non, que Mauve n’était qu’un ami, qu’un partenaire de jeu… Mais ça avait de l’importance : il s’était attaché à lui d’une manière bien différente de celle qui le liait à Harry, à Hermione ou aux membres de sa famille. Il guettait chacun de ses non-dits comme un assoiffé cherche l’oasis dans le désert. Mauve écrivait avec délicatesse et le parchemin se creusait à peine sous sa plume. Parfois, Ron caressait le papier pendant des minutes entières, cherchant dans l'absence de reliefs un signe de sa présence passée.

Harry s’était lassé de leur enquête – Malfoy faisait de nouveau des siennes – mais Ron continuait de dévisager chaque individu qui croisait sa route avec attention. Il cherchait Mauve, il cherchait le mauve qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Il avait espéré une robe et un clin d'œil, un bracelet et un sourire, une simple améthyste effleurée par inadvertance par une main fébrile…

Il savait que ça n'avait aucun sens, qu'il lui avait attribué le surnom de lui-même, mais il sentait pourtant parfois le poids de prunelles mauves sur sa nuque ou sa pommette, quand il se trouvait à la cafétéria du Ministère ou dans l'ascenseur. Il tournait vivement la tête et ne découvrait que des inconnus qui regardaient ailleurs.

— Non, moins de choses que le reste, lâcha-t-il sans trop y penser.

— Le reste ?

Le reste, c’était ce qu'il avait conclu de ces fameux ennuis avec sa famille, de ces cachotteries, de cette peur de décevoir et de blesser, même par inadvertance. Mauve s’était trouvé du mauvais côté de la ligne de front pendant la guerre, Ron en était certain. Mauve regrettait. Mais Mauve n’était pas parvenu à couper complètement les ponts avec ses anciennes fréquentations. Il restait toujours très évasif sur sa vie privée, mais parfois il lui confiait sa lassitude ou ses espoirs de voir les choses s’améliorer.

Harry et Blaise jouaient au baby-Quidditch dans le salon, à grand renfort de cris et de gestes rageurs quand le vif-d’or miniature venait leur chatouiller les oreilles.

Blaise aussi s’était trouvé embarqué dans des affaires sordides à cette époque. Il était pourtant un type formidable, Ron en était persuadé… Mauve était drôle, attentif, généreux et avait appris de ses erreurs. Seuls les fous étaient incapables de changer la couleur de la case sur laquelle ils étaient posés.

— Non, en fait, le reste est pas vraiment important non plus.


Écoute, je sais que t’es pas rassuré, mais j’aimerais vraiment te rencontrer.

Tu as peur que ça change quelque chose entre nous, et je comprends. Moi aussi. Mais je pense que ça pourrait devenir encore mieux. J’ai envie de voir à quoi tu ressembles, d’entendre ta voix, de savoir quelle tête tu fais quand tu réfléchis à ton prochain mouvement.

J'en peux plus de juste imaginer.

Je serai devant la fontaine de l’atrium vendredi à 20h. Rejoins-moi.

Je ne te rejoindrai pas à la fontaine de l’atrium. Ne perds pas ton temps à m’attendre.

Je t’ai attendu deux heures.

Je sais, je t'ai vu, mais je t’avais prévenu. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

J’ai réservé une table pour deux au Paon Doré mardi à 20h. Ils font des tartes au citron délicieuses.

Je te souhaite de passer une excellente soirée avec la personne qui aura la chance de t’accompagner. Mais il ne s'agira pas de moi. J’ai du travail ce soir-là.

Le doggy bag est pour toi.
Elle était meilleure hier soir.
Elle aurait été encore meilleure si tu avais été là.

Ronald, tes petites attentions sont charmantes, mais ressemblent de moins en moins à celles d’un ami. Tu ne me connais pas et tu n’as pas envie de me connaître davantage.

Tu sais très bien que je ne t’ai jamais considéré comme un ami, et toi non plus, tu ne m’as jamais vu comme ça. Si les choses étaient aussi simples, si ce n’était que de l’amitié, alors tu n’aurais pas aussi peur et je ne serais pas aussi désespéré.

Je suis un homme.

Je sais.

Je ne suis pas homosexuel.

Ose me dire que je ne te plais pas ?

Mauve ne répondit pas à cette lettre mais, deux jours plus tard, une nouvelle partie commençait et il avait choisi d’avancer ses pions selon le schéma du Gambit du Roi. Un mouvement romantique. Un encouragement. Presque un aveu.

J’ai rêvé de toi cette nuit. J’ai reconnu tes yeux et ta façon de tenir les pièces. Tu avais les cheveux bouclés, sombres. Tu avais la nuque la plus séduisante que j’ai jamais vue.

On s’est déjà croisés, pas vrai ?

On s’est jamais parlé, mais on s’est croisés ? J’ai pas fait assez attention à toi et tu m’as évité.

Nous nous sommes déjà croisés, oui.

On s’est affrontés ?

Non, pas directement. Jamais en dehors d’un plateau d’échecs, en tout cas.

Tu as les yeux bleus, pas vrai ?

J’arrive pas à t’imaginer avec des yeux autres que bleus. Quasi mauves. De la couleur de l’encre.

Oui. J’ai les yeux bleus.

Ce soir, 21h, sur le Pont-des-Arts.
Ne me laisse pas regarder les étoiles filantes sans toi.

Je regarderai les étoiles filantes de chez moi,
je penserai à toi,
mais je ne viendrai pas te rejoindre.


Hermione était superbe dans sa robe blanche et vaporeuse. Son sourire était si radieux que sa beauté égalait largement celle des Zabini. Le couple tournoyait depuis des heures, et Ron soupçonnait l’utilisation d’une potion d’endurance. Il n’était pas humainement possible de s’aimer au point d’en oublier de s’asseoir.

Lui avait quitté la piste au moment où il avait vu Harry inviter Malfoy à danser. Un autre genre de spectacle susceptible de fasciner n’importe qui. Aucun d’entre eux n’était capable de suivre les rythmes que l’autre maîtrisait à la perfection.

Ron soupira et but une nouvelle gorgée de Bierraubeurre. Mauve avait refusé l’invitation. Ou peut-être était-il tout de même venu, de son côté. Peut-être était-il là, quelque part dans la foule, à s’amuser et à danser. Ou plutôt, à ruminer et à boire, comme lui. Ou encore – ça ressemblait davantage au personnage – à balancer des miettes de pain aux carpes koï du bassin extérieur. Ron regarda vers la fontaine sans grand espoir. Comme il l’avait deviné, il n’y avait là-bas que quelques vieux qui fumaient et des enfants qui jouaient à s’éclabousser. Il sourit tristement.

— Weasley, salua une voix aiguë et désagréable. Est-ce que le spectacle te désole autant que nous ?

Ron tourna la tête vers les nouveaux arrivants. Parkinson et sa clique. Elle désigna le couple Potter-Malfoy et Ron constata qu’ils étaient capables de s’accorder dans la médiocrité quand il s’agissait d’une salsa.

— Harry s’est tout de même amélioré depuis l’époque de Poudlard.

— Qui ne l’a pas fait ?

— Tu avais quelque chose à me dire, Parkinson ?

— Tu veux danser ?

Ron grimaça.

— Pas le moins du monde.

— Parfait ! On cherchait quelqu’un pour surveiller nos manteaux ! s’exclama Parkinson en lui fourrant d’office une masse encombrante et parfumée dans les bras.

Ron ouvrit la bouche pour répliquer, mais n’en eut pas le temps : quatre individus lui passèrent sous le nez et ajoutèrent sans ménagement un sac, une cape ou un manteau à l’édifice d’accessoires qu’il n'eut pas le réflexe de balancer à la tête des coupables. Quand l’idée lui vint, Parkinson était déjà au milieu de la piste et c'était trop tard : son mouvement d’humeur serait tombé dans l’orbite d’un aveugle. Elle avait refermé ses griffes sur le bras de Neville. Le pauvre ne pouvait plus s’échapper. Ron se demanda vaguement s’il entrait dans ses attributions de venir le délivrer.

— Tu peux poser ça là.

L’un des garçons qui avait accompagné Parkinson le regardait d’un air moqueur. Il désignait une chaise en fer forgé sur laquelle Ron se déchargea en maugréant :

— Quelle peste. S’améliorer, tu parles.

— Elle est chouette quand on la connaît bien.

— Tu es… Nott, c’est ça ? hésita Ron.

Nott était un garçon discret qui avait fait partie de leur promotion. Un Serpentard. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire de lui. Contrairement à son père, il n’avait pas pris la marque. Il hocha la tête.

— Weasley, se présenta Ron. Je sais pas si tu te souviens de moi.

Nott ricana :

— Ronald Billius Weasley. Tout le monde sait qui tu es.

— Oui, bon…

Il se détourna.

— Tu n’aimes pas danser, Ronald ?

— Si. Mais pas seul. Et mon cavalier m’a fait faux-bond.

— Un cavalier, hein ?

De prime abord, Ron aurait ignoré la raillerie qui accompagnait l’utilisation du masculin. Avec qui il désirait danser, cela ne concernait que lui. Toutefois il plissa le front, tourna la tête et détailla l’importun du coin de l'œil. Quelque chose dans le rythme de sa voix l’avait interpelé.

Un fils de Mangemort. Une silhouette fine de lièvre prêt à prendre la fuite. Une attitude élégante et calme. Des doigts longs et fins, blancs. Il avait peut-être révé de ses mains. Dans son songe, les ongles étaient un peu plus courts et carrés. Il sentit les battements de son cœur s’accélérer en se remémorant les bonnes notes et l’anticonformisme. Nott ne traînait pas avec Malfoy.

Il leva les yeux d’un coup. Des iris bleus pâles. Mauves.

Son cœur stoppa.

Nott haussa un sourcil dédaigneux.

— Un problème ?

Ron avala sa salive. Il était presque sûr de lui. Tout collait. Plus que tout le reste, plus que les indices et les concomitances, il y avait la façon dont Nott cachait admirablement sa peur derrière cette façade arrogante. Ron le voyait.

Mais… Mauve… Mauve ne voulait pas le rencontrer. Mauve prendrait la fuite s’il invitait Theo à entrer dans sa vie.

Il secoua la tête et regarda de nouveau la piste.

— Il parait que tu joues aux échecs, lança Theo l’air de rien.

Ron se mordit les lèvres mais acquiesça.

— Ton match fait jaser jusqu’à mon étage. Je travaille aux Transports Magiques.

— Ah.

— Je… En réalité, je…

Ron ferma les yeux. Pria. Il fallait que ça vienne de lui.

— En réalité, je comptais jouer en D6.

Son cœur redémarra.

Notes:

Désolé.e lecteurice pour cette fin abrupte. Il y avait une limite de 4444 mots pour ce texte et, comme tu peux le voir, elle a été atteinte.
N'hésite pas à me parler de ta frustration dans les commentaires !

Merci à teekettle pour son skin "sticky note" qui a servi de base à mes courriers.