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Summary:

Une lettre. Ou plutôt, une note, aux pourtours arrachés, griffonnée d’une écriture malhabile et pressée. Négligemment posée sur une table de chevet, dans une chambre bien trop propre, bien trop rangée.

Je reviendrai. Je vous le promets.

Une promesse à sa mère et ses étreintes humides. Une promesse à son père, ses frères et à leurs sourires gênés. Mais avant tout, une promesse à lui-même, une promesse à son âme. Il reviendra. Pas complet, pas apaisé – il ne le sera plus jamais – mais moins bancal, plus solide.

Notes:

Ce texte est un OS écrit lors de la participation à l’ASPIC (Ateliers Scripturaux Promouvant l'Imagination et la Créativité) Secret Santa organisé par le serveur Discord Potterfictions.
Vous pouvez nous rejoindre via le lien suivant : https://discord.gg/5FHmSpEfvh

Il s'agit de notre traditionnel Secret Santa et cette année, j'ai eu la chance (mais aussi la pression) de tomber sur notre chère Wekake !
Merci pour toutes tes activités sur PF, merci pour les questions du lundi, merci pour les débats incertains, merci de l'animer avec autant de passion !
J'espère que ce texte te plaira et je te souhaite une bonne lecture !

Work Text:

Au début, il y avait eu le Japon. Tout en mesure, en retenue, où la politesse régnait en maître et les apparences subsistaient. Organisé, millimétré, calculé. Là-bas, il lui avait été facile d’oublier ses fêlures, de se cacher derrière cette perfection artificielle, d’aseptiser ses sentiments, comme si sa vie entière n’avait pas éclaté en morceaux.

 

Ensuite, il y avait eu l’Inde. Les couleurs, le bruit, la foule. Un trop-plein d’odeurs et de sons, submergé par la foule humaine qui parlait fort, négociait, klaxonnait à toutes heures du jour. Le vacarme qui l’entourait suffisait à peine à étouffer sa colère, l’injustice qu’il ressentait à voir autant de vie alors que la moitié de son âme était morte.

 

Puis, ça avait été le Mexique, où il avait débarqué en plein préparatifs du Dià del Muertos. Il avait trouvé là-bas la sérénité qu’il avait cherché partout ailleurs. Entouré de toutes ces personnes qui pleuraient elles aussi la perte d’êtres chers, il s’était enfin senti compris. Avec elles, il avait partagé ses pleurs, ses questionnements, sa difficulté à faire face au reste de son entourage quand, au fond de lui, il se sacrifierait cent fois pour échanger leur place.

 

Au plus dur de l’hiver, ça avait été la Norvège et la nuit polaire de Tromsø. Dans l’obscurité d’encre qui engloutissait toute vie, là où aucun rayon de soleil ne venait réchauffer les montagnes enneigées, il avait laissé libre court à la noirceur de sa tristesse. La colère l’avait quitté : seule subsistait maintenant cette absence de sentiments, ce vide qui menaçait de l’envahir s’il regardait un peu trop dans l’abîme. Alors il avait lutté, il avait vadrouillé. Il s’était habitué à la beauté sous la neige, l’intimité de la nuit polaire, la merveille des fjords. Il avait visité Trondheim, Rørvik et Volda, et dans chacune de ses villes, il avait réappris à vivre auprès des habitants, qui l’avaient choyé et aidé à grand renforts de sports et de randonnées. Il avait accueilli avec eux le retour du printemps avant de les quitter sur les premières lueurs de l’été.

 

Enfin, il y avait eu le retour en Angleterre. Les retrouvailles bercées de sanglots, les sourires étincelants à travers les larmes, les embrassades qui s’éternisaient pour s’assurer de leur réalité. Rattraper ce qu’il avait manqué, faire connaissance avec sa nièce, avec Teddy, avec Audrey, retrouver la chaleur du Terrier et les repas animés qui caractérisaient sa famille. 

 

Puis la saison estivale était passée et avec elle, le retour à la réalité.

Un futur incertain, un appartement en piteux état, une boutique abandonnée, emplie de toiles d’araignées et de fantômes roux aux yeux rieurs.

 

Contre toute attente, c’était auprès de Percy et Audrey qu’il s’était réfugié. Parce que Percy et lui se comprenaient bien au-delà des mots.

Car chacun voyait en l’autre ses propres émotions. Au-delà de la tristesse, ils ressentaient la culpabilité qui menaçait d’étouffer l’autre. Ils avaient conscience de cette vérité, tapie au cœur de l’autre, que chacun donnerait sa vie pour ramener leur frère.

 

Alors c’était chez eux qu’il squattait, le temps de trouver le courage de s’occuper de son appartement. Il vivait à leurs côtés, dans une cohabitation calme et naturelle, il apprenait à connaître Audrey, à travers son humour noir et pince-sans-rire. Il savourait comme une bouffée d’air frais cette personne qui n’avait connu que George, et non Fred et George. Pas d’apriori, pas de pitié dans le regard, pas de sujets soigneusement éludés. Juste deux inconnus qui s’apprivoisaient.

 

Il ré-apprit à connaître Percy, ou plutôt l’homme sérieux et fiable qui avait succédé à l’adolescent pompeux et sûr de lui. Sans se concerter, ils prirent le temps de se redécouvrir, chacuns forts et enrichis de leurs expériences passées.

 

Ils vécurent ainsi jusqu’à ce que, soutenu par Audrey, George épluche les annonces immobilières pour se trouver un nouvel appartement tandis que Percy s’occupait de vider l’ancien. Ils vécurent ainsi jusqu’à ce qu’il soit entièrement meublé, décoré, parce que tous trois savaient que George angoissait à l’idée de se retrouver seul au milieu des cartons. Ils vécurent ainsi, tous les trois dans ce nouveau lieu, le temps qu’il s’y acclimate, puis ils reprirent peu à peu leurs distances en déjeunant régulièrement ensemble.

 

La solitude l’angoissait, mais au lieu de l’ignorer, il s’en saisit pour mettre toutes ses forces dans la boutique. Il récupéra leurs schéma d’inventions, éclata en pleurs devant un dessin de McGonagall griffonné par Fred, fit l’inventaire de ce qu’il leur restait, s’effondra devant un Épouvantard caché dans leur remise et rapatria tout dans son appartement. Il délaissa certaines inventions, trop immatures peut-être ou trop liées à Fred. Il en conserva d’autres, notamment celles de la guerre. Sa vie s’était effondrée et il s’était reconstruit : il ne pouvait ignorer ce fait et garder la même lignée de farces et attrapes que lorsqu’ils étaient deux, jeunes et adolescents. De nouvelles inventions l’attendaient, mais il avait le temps. 

 

Il avait le temps, si bien qu’Halloween arriva puis s’effaça et bientôt, des décorations de Noël apparurent dans les rues. Et George lui aussi, apparut dans le salon de Percy, la tristesse au cœur et le visage en larmes. Noël en famille. Noël sans Fred. Alors, sans dire un mot, Percy lui tendit une boîte en fer qui contenait une figurine de dragon et un simple mot rédigé à la hâte.

 

Un refuge chez moi, si l’Angleterre devient trop étouffante.

 

A jamais à vous,

Charlie

 

— Il me l’a confié cet été, pour toi. Tu as besoin d’air, George. Pars et reviens-nous, ok ? Audrey et moi attendrons de tes nouvelles.

 

Un hochement de tête, une étreinte à broyer des os et un sac fait à la va-vite plus tard, George se laissait emporter dans le tourbillon du Portoloin vers la Roumanie.






Dans la pénombre de la nuit tombante, Charlie cheminait vers sa maison. Tomás lui avait proposé de sortir en ville ce soir mais le mélange de boue et de neige qui recouvrait le sol, vestige des premières chutes, aspirait sa motivation en même temps que ses chaussures.

 

À quelques mètres de sa porte, il remarqua une silhouette qu’il reconnut aussitôt, assise sur le perron, emmitouflée dans un long manteau imperméable. George l’entendit arriver et releva la tête. Un faible sourire étira ses lèvres, reflet de l’appréhension et de la tristesse qui brillaient dans ses yeux.

 

Charlie s’avança et lui ébouriffa les cheveux comme il faisait lorsqu’ils étaient encore gamins et que les jumeaux se réfugiaient dans sa chambre après une énième bêtise.

 

— Salut frangin ! J’espère que t’as pensé à prendre un bonnet, sinon tu vas te les cailler ici ! le salua-t-il en poussant la porte d'entrée.

 

— Oui maman, ironisa son frère alors qu’il passait le perron. Tu feras gaffe, j’ai cru l’entendre l’espace d’un instant.

 

— Parfait. Comme ça, tu seras pas trop dépaysé et l’adaptation se passera bien, répondit Charlie avec un sourire moqueur.

 

George posa son sac sur le canapé, enleva son manteau et détailla la petite maisonnette où vivait son frère.

 

— T’es au courant que je ne suis pas un chat dont tu viens de récupérer la garde ?

 

— Boarf, tu sais, un chat, un dragon ou un petit frère, c’est pareil. Donne-leur à manger, un endroit où dormir, gronde-les quand ils font des bêtises et ils sont contents.

 

Puis il se baissa pour éviter le coussin du canapé qui vola vers lui à toute vitesse. Et juste comme ça, dissimulé derrière un geste d’affection et quelques blagues, Charlie réitèrait son propos : George était chez lui, aussi longtemps qu’il le souhaitait.

 


 

Très vite, une routine confortable s’installa. La journée, pendant que Charlie travaillait, George se baladait dans le village et faisait connaissance avec les habitants. Pendant ses randonnées à travers les montagnes, il retrouvait la sensation de liberté, l’amour de la nature qu’il avait développé au milieu des fjords norvégiens.

Le soir, il cuisinait, parfois seul, parfois avec Charlie et ils mangeaient ensemble en se racontant leur journée. Très vite, il mémorisa les noms des dragons et s’y attacha à travers les histoires qu’il entendait. Il demandait de leurs nouvelles et Charlie, trop heureux qu’il partage sa passion, les lui donnait volontiers. Le week-end, ils s’éloignaient de la Réserve, pour randonner ou visiter la Roumanie.

De temps en temps, Tomás, le meilleur ami de Charlie, les rejoignait avec Noka, une malamut énergique et plein de poils qui bavait allègrement sur les genoux de George lorsqu’il venait. Tomás se prit très vite d’affection pour ce grand rouquin à l’humour facile et aux yeux rieurs. Sur ces jours de repos, il l’emmenait découvrir les recoins cachés de la montagne ou slalomer en ski à travers les arbres, poursuivis par Noka et sa langue pendante. Les jours où il travaillait, il prit l’habitude de venir déposer Noka chez Charlie, pour que George lui tienne compagnie. 

 

Au fur et à mesure que les jours rapetissaient, le mois de novembre s’écoulait dans le froid, la neige et les randonnées. Jusqu’au lancement officiel du Calendrier des Conneries.

 


 

Le premier jour de décembre débuta comme les autres. Charlie descendit de sa mezzanine, réveilla George, qui dormait encore sur le canapé, avec le bruit de la cafetière et les deux partagèrent un petit-déjeuner silencieux, les yeux embués de sommeil. 

 

Avec un hurlement à faire fuir une Banshee, Tomás débarqua dans la maison sous les aboiements joyeux de Noka. 

 

Bună ! les salua-t-il joyeusement. Je dois préparer la soirée de ce soir, alors je te laisse Noka pour la journée George, OK ? Parfait ! Charlie, t’es attendu à la Nourricière, j’ai croisé Sindra et elle était de mauvais poil, tu devrais te bouger ! On se voit ce soir au Salon Commun !

 

Et il repartit comme il était arrivé, exception faite d’un chien qui se prélassait maintenant sur les genoux de George comme un caniche – mais un caniche de 35 kg. 

 

George lança un regard interrogatif à son frère.

 

— Il se passe quoi, ce soir ?

 

— C’est la soirée de lancement du Calendrier des Conneries ! Une sorte de Calendrier de l’Avent, mais avec un défi par jour pour attendre Noël. C’est souvent très con et très drôle, tu devrais y participer, lui répondit-il d’un ton enthousiaste.

 

— Je connais personne hormis toi et Tomás, j’ai pas envie de déranger, refusa George.

 

— Tomás a déjà parlé de toi à toute la Réserve, tu sais ? Tout le monde veut rencontrer le nouvel amour de Noka, vu que personne n’arrive à l’approcher tellement elle est farouche.

 

George baissa les yeux sur le chien énorme qui l’empêchait de se lever et dont les babines imbibaient peu à peu son pantalon de bave. Farouche ?

 

— De toute façon, reprit Charlie en grimaçant, je pense que tu n’auras pas le choix. Tomás t’y traînera de force si tu n’y vas pas.

 

— Très bien, capitula George en roulant des yeux. Je daignerais me montrer alors. Ne serait-ce que pour voir si Sindra est aussi terrifiante que ce que tu me dis.

 

— Oh merde, Sindra, réalisa la dragonnier d’un air horrifié. Elle va me tuer. Faut que je me grouille ! A ce soir frangin, je passerai te chercher !

 

Un sourire moqueur aux lèvres, George le salua avant de repousser Noka pour ranger la table. Il s’accroupit pour la caresser et elle se mit aussitôt les quatre fers en l’air pour lui offrir son ventre.

 

— Alors comme ça, t’es farouche ma belle ? Ça me parait évident…

 


 

Quand George franchit la porte du Salon, sur les talons de Charlie, il fut accueilli par une vague de chaleur, de bruit et de chahut qui lui rappelèrent immédiatement les soirées automnales du Mexique. 

Dans une longue pièce remplie de canapés, de jeux et de livres, une trentaine de Dragonniers s’affairait autour de deux grandes tables en bois pour dresser le repas. Quelques têtes se haussèrent à leur arrivée, mais les présentations furent rapides – “Voici George, mon frère !”, suivi d’une cascade de prénoms indiscernables  – et ils furent mis à la tâche en cuisine, Noka emmêlée dans les jambes de George.

 

Lorsque tout fut prêt, ils s’installèrent à table à grand renforts de rires et de bousculades. George se retrouva entre son frère et Tomás, en face de Lidia – la matriarche de la Réserve, une femme minuscule d’une soixantaine d’années qui imposait le respect – et la célèbre Sindra – une rousse immense aux allures de guerrière Viking qui terrifiait les Dragonniers par son caractère bien trempé et ses répliques assassines.

 

A la fin du repas, Tomás leva son verre pour attirer l’attention et réclamer le silence.

 

— Les amis ! Maintenant que nous avons bien bu et bien mangé, je déclare officiellement ouvert le Calendrier de l’Avent ! L’épreuve du jour est un tournoi de Fléchettes en duo ! Trouvez-vous un partenaire en qui vous avez confiance pour assurer vos arrières ! Charlie, je compte sur toi, me laisse pas tomber, ok ?

 

Et sans lui laisser le choix, il l’entraîna à l’autre bout de la pièce pour défier une équipe déjà debout.

 

— Tsss, dix Noises que Tomás est à l’infirmerie demain et qu’on se moquera de lui jusqu’à l’année prochaine.

 

La remarque provenait d’un jeune homme aux traits fins et graciles, qui se tenait à côté de Sindra. Lorsqu’il croisa son regard, George fut déconcerté par la couleur azurée de ses yeux, soulignée par un carré de boucles noires qui lui arrivait à la mâchoire. L’inconnu devait avoir à peu près l’âge de George et lui semblait vaguement familier. Il l’avait sûrement déjà croisé dans le village.

Après quelques secondes de blackout, George reprit le contrôle de ses facultés intellectuelles.

 

— Pourquoi à l’infirmerie ? C’est juste un tournoi de fléchettes, non ?

 

L’inconnu haussa un sourcil.

 

— Tu es dans une Réserve de Dragons. Ici, si c’est pas dangereux alors c’est pas drôle.

 

— Pas faux, s’esclaffa-t-il. Je suppose que t’es pas Dragonnier, du coup ?

 

Un sourire carnassier apparut sur le visage de l’inconnu.

 

— J’ai jamais dit ça. 

 

Son cerveau était décidément très fatigué, pour cesser de fonctionner comme ça. George se ressaisit, adopta une moue taquine et surenchérit.

 

— Vu que tu sembles toi aussi très sain d’esprit, tu m’expliques les règles ? Je suis George, d’ailleurs.

 

L’inconnu hésita. Son sourire se fana et l’espace d’un instant, le rouquin crut qu’il allait se détourner. Puis il sembla prendre une décision et tendit la main vers lui.

 

— Theo. Je t’explique seulement si tu promets de ne pas paniquer. Et de me protéger. Ok ?

 

— Vendu, répondit George en serrant la main tendue.

 


 

Il s’avéra qu’un tournoi de fléchettes chez des Dragonniers, c’était un tournoi de fléchettes sans restriction de magie et avec permission de tout faire pour déconcentrer les adversaires. Sortilèges Aveuglants, sorts de Chatouilles, de Lévitation, maléfice de Jambe-Folles, de Confusion… Tous les coups étaient permis. D’où l’intérêt de jouer en duo pour avoir un lanceur et un protecteur, qui avait le droit de répondre aux attaques des autres joueurs. Très vite, la salle se transforma en chaos, les sortilèges volèrent et George passa une excellente soirée en décrochant la deuxième place avec Theo.

 

Il s’avéra également que George était loin d’être insensible à l’humour railleur de Theo, à ses traits d’esprits et ses répliques bien senties. Ni à la façon dont ses yeux s’ombrageaient lorsqu’il se concentrait ou celle dont il riait aux éclats, les pommettes hautes et la tête rejetée en arrière.

 

Il s’avéra finalement que Theo avait raison quand Tomás fut victime d’un sort de Jambe-Folles qui l’emmena danser un peu trop près du bord de la table où il était perché. Le regard victorieux agrémenté du sourire goguenard que lui envoya Theo ne quitta pas le cerveau de George pendant quelques heures.

 


 

Après un semi-marathon en ski de descente, une course d’orientation en pleine nuit – remportée avec l’aide de Theo et Noka –, une compétition de cascade de glace, George était convaincu que tous les habitants de la Réserve étaient complètement fous, son frère le premier. Mais la politesse disait “à Rome, fais comme les Romains”. Alors comme il était très poli, George participait à toutes les activités et manquait de mourir à chacune. Mais ça lui permettait de sortir, de comprendre la vie que menait son frère et de mieux connaître les personnes de la Réserve, y compris Theo qu’il appréciait de plus en plus.

 

Son caractère tranquille, ses remarques sarcastiques et impertinentes, son attraction pour le danger – George avait failli avoir une crise cardiaque quand il l’avait vu s’élancer vers les falaises pour la course poursuite sur balai – et son charme discret attiraient George bien plus que ce qu’il avait imaginé. Et au vu des regards qu’il sentait parfois posés sur lui, l’attirance lui semblait réciproque. Alors il dansait, taquinait, se rapprochait, laissait les choses se dérouler à leur façon, tranquillement. Ils avaient le temps.

 

L’activité du jour, inventée comme toujours par Tomás, s’appelait le “Hot Potato Quidditch”. Un match de Quidditch sans attrapeur ni gardien, mais avec un Souafle qui explosait s’il restait trop longtemps en main et des Cognards qui éclataient au bout d’un nombre aléatoire de renvois. Le tout dans la neige et l’obscurité.

 

Avec George et Charlie en tant que Batteurs, leur équipe avait survolé les premiers matchs pour se retrouver en finale contre l’équipe de Sindra – Batteuse – et Theo – Poursuiveur. Au sol, George attendait avec impatience le début du match.

 

— Tout le monde est prêt ? demanda Lidia, qui arbitrait. Que le match commence !

 

George s’envola d’un coup sec et se positionna en stationnaire le temps que Lidia relâche les Cognards. Sindra frappa le premier d’un coup puissant qui manqua de renverser un Poursuiveur de l’équipe de George. Il se précipita à sa suite et le renvoya comme un boulet de canon à son expéditeur. Sindra l’arrêta facilement et le dévia vers une autre cible puis lui adressa un salut moqueur.

 

George secoua la tête en même temps qu’il déliait son poignet : il rejoignait l’avis de la Réserve, cette femme était tout bonnement terrifiante. Au dernier moment, il aperçut Theo qui lui fonçait dessus, le Souafle dans les mains. Il se décala et lui tira la langue avant de repartir en quête d’un Cognard.

 

Le Souafle explosa à trois reprises, ce qui provoqua une chute sans gravité et un fou-rire général quand un Poursuiveur adverse se brûla les sourcils. Un Cognard éclata au moment où George armait son bras et entraîné par son élan, il effectua une roulade et manqua de tomber. Il se redressa en riant et tapa dans la main de Charlie qui passait à côté.

 

Juste au-dessus de lui, à une dizaine de mètres du sol, Theo disposait du Souafle. Il esquiva un Poursuiveur, se rapprocha des anneaux puis souleva son bras pour marquer. Au moment où il entamait son mouvement, le corps penché en arrière, le Souafle se mit à rougeoyer. Surpris par le cri d’un de ses coéquipiers, Theo arrêta son coup et tourna la tête vers la balle juste à temps pour la voir exploser. Déséquilibré par la disparition du poids alors qu’il était dans une position instable, il se fit emporter et tomba en arrière, le bras droit encore tendu dans le vide.

 

Sans réfléchir, George se pencha en avant, piqua à la verticale vers Theo et attrapa sa main pour le stopper dans sa chute, ce qui entraîna un craquement sinistre dans son épaule. Le balai, soudainement déséquilibré par le poids de deux personnes, fit une embardée. George se sentit glisser peu à peu, mais réussit à s’accrocher suffisamment pour ralentir leur chute.

 

Ils s’écrasèrent dans la neige, le souffle coupé par le choc et restèrent étendus là, le temps de retrouver leur respiration. Finalement, Theo tourna la tête vers George.

 

— T’es taré, tu sais ?

 

— Ouaip. C’est ma plus grande qualité, répondit George en souriant.

 

Theo pouffa.

 

— T’es con.

 

— Ah, et voici la deuxième.

 

— De quoi ? demanda Theo en fronçant les sourcils.

 

— Ben, de qualité.

 

Theo laissa retomber sa tête dans la neige, un éclat de rire aux lèvres. Il était beau quand il riait à gorge déployée. Il y avait cette minuscule fossette qui se dessinait dans sa joue et cet éclat qui brillait dans ses yeux, comme s’il arrêtait de se soucier du regard des autres pour laisser libre court à ses émotions. George aurait pu le contempler pendant des heures.

 

— Arg, bor…del, t’es lourde… Noka, dé…gage ! s’étouffa-t-il à moitié quand le malamut vint s’écraser sur sa poitrine.

 

Loin de l’écouter, elle se pressa davantage contre lui pour lui lécher le visage. George essaya de lutter pour la repousser mais avec un bras en moins, les trente-cinq kilos de la bête pesaient aussi lourd qu’une montagne. Alors il se résigna à subir ses léchouilles jusqu’à ce que Tomás vienne le libérer.

 

— Merci.

 

Un murmure aussi ténu qu’un souffle d’air, mais qui déclencha chez George une vague de bonheur. Peut-être que ça valait le coup de se déboîter l’épaule.

 


 

Quelques jours et un bras en écharpe plus tard, George se rendait à la soirée bras-de-fer-des-enfers, surnom que Charlie lui avait donné. Bien qu’incapacité, il comptait profiter de l’ambiance, se moquer de Tomás et passer du temps avec Theo. Il avait l’impression que ce dernier l’évitait un peu depuis le Quidditch et espérait le voir le soir même.



Lorsqu’il entra dans la salle, Tomás était en plein préparatifs, penché sur des dizaines de tablettes en bois sur lesquelles il traçait des Runes minutieusement. Quand Noka se précipita vers George pour lui faire la fête, jappements et couinements excités à l’appui, il releva la tête et s’adressa au rouquin.

 

— George ! Salvatorul meu ! Tu t’y connais en Runes ? demanda-t-il en lui passant une tablette.

 

George l’examina d’un œil expert.

 

— Je dirais qu’elle lance un Maléfice Cuisant dès qu’on tape dessus, c’est ça ?

 

—Yes ! Merci pour ta vérification. Maintenant que je risque moins de mourir, c’est l’heure de tester !

 

Et il balança un coup de poing dans la tablette. Aussitôt fait, il se maudit à voix haute tout en secouant la main.

 

— Test validé, je présume ? ricana George.

 

— Absolument. C’est la dernière année que j’organise ce foutu Calendrier, je te le dis !

 

Une ombre passa à droite de George, accompagnée d’une senteur de fleur d’oranger et de cuir brûlé.

 

— Il paraît qu’il dit ça chaque année depuis qu’il a commencé… murmura Theo en l’effleurant avant de s’avancer vers la cuisine.

 

George frissonna. Peut-être qu’il préférait l’évitement si son corps le trahissait à ce point à la moindre caresse…

 

La soirée démarra sur les chapeaux de roues avec un duel entre Tomás et Sindra, qui écrasa son adversaire à plate couture. A maintes reprises, George éclata de rire en entendant des jurons de part et d'autre de la salle. Charlie perdit ses trois combats et passa le reste de la soirée à se moquer allègrement de ses compagnons.

 

Le banc en face de George fut écarté sans ménagement et Theo se laissa tomber dessus. George essaya tant bien que mal de faire abstraction des pommettes rougies par l’alcool, des yeux étincelants d’exaltation, de la chemise blanche aux manches lâches et aux boutons défaits qui attirait son regard au moindre mouvement.

 

Theo posa deux tablettes de Runes sur la table puis appuya son coude droit au milieu et lui lança un regard de défi.

 

— Prêt à mordre la poussière, Weasley ?

 

George haussa un sourcil.

 

— Ah ouais ? Je pensais pas que t’étais du genre à profiter de la situation, fit-il en lançant un regard équivoque vers son bras en écharpe. 

 

— C'est mal me connaître, évidemment que je cherche à profiter de n'importe quelle situation. Surtout te concernant, ajouta-t-il avec un sourire carnassier.

 

Sans laisser le temps à George de répondre à sa remarque suggestive, Theo ramena son bras droit vers lui et lui présenta sa main gauche.

 

— Mais je suis grand prince, alors je m’abaisse à ton niveau, comme ça ma victoire n’en sera que meilleure.

 

— T’as oublié que c’est en te sauvant la mise que je me suis blessé ? demanda George en haussant un sourcil dubitatif.

 

Theo balaya l’air de la main.

 

— C’est un détail ça. Tu joues ?

 

George roula des yeux, amusé, mais plaça sa main gauche dans celle de Theo. Sa paume était chaude, calleuse, sous la sienne et le rouquin planta son regard dans celui de son adversaire.

 

— A trois. Un… Deux… Trois ! décompta Theo.

 

Immédiatement, la lutte fut acharnée. Même si George avait l’avantage de la taille face à Theo, il sentait qu’il avait l’habitude de se servir de son corps au quotidien. 

 

Les dents serrées, George contracta tous les muscles qu’il pouvait pour gratter laborieusement quelques centimètres. Theo lutta comme il pouvait, mais sa main s’approchait inexorablement de la tablette de Runes, jusqu'à ce que, dans un dernier effort, George parvienne à prendre le dessus et à claquer sa main sur la table.

 

Theo bondit de son banc et secoua désespérément sa main dans les airs pour faire passer les effets du Maléfice Cuisant.

 

— Putaaaain, mais quelle idée stupide, Tomás !

 

Un sourire narquois dessiné sur le visage, George l’observait tranquillement, menton dans la main.

 

— Tiens, tu fais moins le malin, maintenant ? Je comprends pas du tout pourq…

 

Il s’interrompit au milieu de sa phrase, le regard fixé sur l’avant-bras de Theo. Pendant qu'il luttait contre le sort, la manche de sa chemise s’était retroussée et dévoilait à présent les prémices d’un tatouage sur la peau diaphane. Un tatouage étrangement familier.

 

Il se leva précipitamment, sauta par-dessus la table sans prêter attention aux regards et attrapa le poignet de Theo. Il remonta et dévoila un entrelac de crâne et de serpent qu’il connaissait par cœur. La Marque.

 

Il expira brutalement tandis que les pièces se mettaient en place dans sa tête. Voilà pourquoi Theo lui était familier. Vu leur âge, ils avaient dû se croiser à Poudlard ou sur le champ de bataille. Peut-être même qu'ils s'étaient déjà combattus. Peut-être que Theo avait tué quelqu'un de l’Ordre. Peut-être que George lui-même avait tué un de ses proches.

 

Il remonta le regard pour fixer Theo dans les yeux. Les prunelles bleues qui lui faisaient face brillaient d’un mélange de peur et de provocation.

 

Sans lâcher Theo du regard, George amena délicatement son poignet au niveau de ses lèvres. Il déposa un baiser sur le dos de sa main – il sentit Theo frémir sous ses lèvres et ravala l’envie de continuer – avant de reculer vers la porte, Noka sur les talons.

 

Il avait besoin d’air.

 


 

Quand Charlie rentra quelques heures plus tard, le temps de laisser George digérer un peu, il le trouva assis à même le sol devant la cheminée, Noka installée sur ses genoux. Il fixait le feu, les yeux perdus dans le vide.

 

Charlie s’affaira à ses côtés sans dire un mot. Il prépara du thé, rangea la vaisselle qui traînait dans le salon, remplit la gamelle de Noka, commença à sortir ses affaires pour rentrer en Grande-Bretagne. George parlerait lorsqu’il en aurait envie. Charlie savait parfaitement que ça ne servait à rien de le brusquer, ce que leur mère avait toujours eu du mal à comprendre.

 

Une voix enrouée brisa le silence.

 

— Tu comptais me le dire ?

 

— De quoi ? demanda Charlie tranquillement en feignant l’ignorance.

 

George leva les yeux vers lui.

 

— Que c’était un Mangemort.

 

— Qui ça ?

 

— Theo. Il a la Marque. Tu comptais me le dire ?

 

Charlie posa la vaisselle qu'il était en train d’essuyer.

 

— Non. Ce n’était pas mon secret à partager, je ne vois pas pourquoi je t’en aurais parlé.

 

— Charlie, on parle pas d’une maladie cachée ou d’un ex-mariage, là ! C’était un putain de Mangemort ! s’exclama George, ce qui lui valut un coup de tête agacé de Noka.

 

— Oui et ? C’était un gamin.

 

— Harry, Ginny et tous les autres avaient le même âge, ça les a pas empêché d’être du bon côté !

 

Charlie se pinça l’arête du nez.

 

— George, je t’aime, mais si tu penses encore que, quand t’es le fils de Theodore Nott Senior, t’as le choix, il faut que tu connectes tes neurones, souffla-t-il.

 

Un silence lourd retomba dans la maison tandis que George se perdait à nouveau dans sa contemplation du feu.

 

— Tu rentres au Terrier demain ? demanda-t-il soudainement.

 

— Ouais, je reviens ici pour le Nouvel An. T’es le bienvenu pour m’accompagner si tu veux. Pour les deux voyages, d’ailleurs.

 

Charlie pouvait presque entendre les pensées de George s’affoler jusqu’à ce que, une dizaine de minutes plus tard, il se lève brutalement en repoussant Noka.

 

— Désolée, ma belle, s’excusa-t-il.

 

Puis il se tourna vers Charlie.

 

— Je viens avec toi.

 

— Cool, répondit Charlie. Le Portoloin part à dix heures. Je vais me coucher, à demain frangin.

 

Et il monta dans la mezzanine, laissant George en proie à ses pensées pour le reste de la nuit.

 


 

Neuf heures et demie. L’air glacial arracha un gémissement suppliant à Noka et elle envoya un regard trahi à George, qui cheminait dans la neige. Il leva les yeux au ciel.

 

— Je t’ai pas demandé de m’accompagner, ma belle, se justifia-t-il.

 

La porte de Theo lui semblait un obstacle immense. Mais s’il ne la poussait pas maintenant, leur histoire serait morte avant même d’avoir commencé. Alors il leva le poing et frappa une fois. Puis une deuxième. Puis il tambourina comme un forcéné.

 

Quelques minutes plus tard, un Theo aux relents de gueule de bois vint lui ouvrir d’un coup sec.

 

— Qu’est-ce que tu fous là ?

 

— Salut Theo. On peut discuter ? demanda-t-il d’un ton calme qui cachait difficilement le maelstrom de ses émotions.

 

Theo leva un sourcil méfiant puis conjura un plaid, s'en couvrit et ferma la porte derrière lui. Le rouquin grimaça, le message était clair : il ne voulait pas de George chez lui.

 

— S’tu veux.

 

George inspira un coup.

 

— Je suis désolé de t’avoir exposé comme ça hier soir. J'aurais dû t’en parler à l’écart des autres, au cas où d’autres personnes n’étaient pas au courant.

 

— T’étais le seul, le coupa Theo d’un ton sec.

 

— Je suis également désolé d’être parti comme ça, reprit George en ignorant l’interruption. J’avais besoin de penser et de prendre l’air, mais j’aurais dû te le dire plutôt que de fuir sans un mot.

 

Theo décroisa les bras et mit les mains dans ses poches. 

 

— Je suppose que c’est ok, répondit-il. Je pensais même pas te revoir, Weasley. En fait, j’pensais même pas que tu m’aurais adressé la parole.

 

— Je t’avais pas reconnu, confessa George. Et les choses auraient sûrement été différentes si je l’avais fait. Mais là…

 

Il s’interrompit pour chercher ses mots.

 

— Mais là, c’est trop tard. Tu me plais, Theo. Tu me plais vraiment pas mal, avoua-t-il. Si je t’avais reconnu immédiatement, je t’aurais sûrement pas laissé le bénéfice du doute, je me serais pas laissé développer ses sentiments. Ce qui est complètement con, hein, parce que je suis pas la même personne qu'il y a deux ans alors y a aucune raison que ce soit différent pour toi. Même si je te connaissais pas avant.

 

Noka poussa sa main du bout du nez. George expira, lui offrit une caresse et reprit plus calmement.

 

— Ce que je veux dire, c’est que maintenant, tu me plais beaucoup trop pour que je puisse passer à autre chose simplement à cause du passé. J’ai envie d’apprendre à mieux te connaître, j’ai envie de voir comment notre relation pourrait évoluer.

 

Il vit Theo hésiter, ouvrir la bouche puis la refermer, comme s’il cherchait des mots qui lui échappaient. Alors George reprit la parole.

 

— Et je dis ça, mais en fait j’en ai aucune idée. J’sais même pas si tu veux une relation, si tu veux un truc sérieux ou si tu veux juste pas de moi, et j’peux comprendre ! Juste… Je voulais te dire ce que je ressentais. Au cas où.

 

Il reporta son attention sur Noka, qu’il remercia mentalement d’être venue en tant que support mental. Le cœur battant la chamade, il attendit que Theo prenne la parole. La balle était dans son camp, maintenant.

 

Il sentit plus qu'il ne vit Theo s'approcher de lui et s'accroupir devant Noka. Les yeux fixés sur le malamut, il prit la parole d’une voix hésitante.

 

— Je sais pas trop quoi dire. Merci pour tes excuses, déjà. Et hum… Tu me plais aussi, Weasley. Mais j’étais sûr que dès que tu apprendrais qui j’étais, ça partirait en fumée donc je me suis même pas laissé la place d’espérer. Alors clairement une relation, c’est inimaginable pour le moment. Mais… on peut peut-être parler ? Apprendre à se connaître comme tu dis ? Je pense que…

 

Un Patronus, sous la forme d’un chien agile et athlétique, apparut à côté de George et Theo s’interrompit. La voix de Charlie résonna.

 

— George, le Portoloin est dans cinq minutes. Bouge-toi s’il te plaît, sinon maman va me tuer.

 

George grimaça tandis que Theo se levait, la mine un peu sombre. 

 

— Putain, je suis désolé Theo, je dois y aller.

 

Le rouquin s’empara du poignet de Theo, entrelaça délicatement leurs doigts et soutint son regard avec détermination.

 

— On reprendra cette discussion. Je compte pas te laisser partir, j’ai pas envie de laisser passer cette chance. Alors je reviendrai, ok ? Et on pourra prendre le temps. Je te le promets.

 

Theo ferma les yeux une demi-seconde puis les rouvrit avant d’esquisser un sourire faiblard.

 

— T’as pas besoin de me promettre des trucs, Weasley.

 

— Je sais. Mais j’en ai envie. Et puis, si je reviens pas, Noka sera malheureuse et je ne peux pas vous infliger ça.

 

Theo laissa échapper un petit rire coincé.

 

— Si c’est pour Noka, alors… À bientôt, George.

 

Un sourire plein de perspectives éclaira le visage du rouquin.

 

— A bientôt, Theo. On se voit au Nouvel An. Promis.