Chapter Text
Disclaimer : Clémence Peltier sort de mon imagination. Le reste de l'univers appartient à J. K. Rowling.
Le silence qui hantait douloureusement la prison d'Azkaban fut à nouveau rompu.
Mais cette fois-ci, les hurlements n'avaient rien à voir avec ceux, plaintifs, remplis de terreur ou de souffrance. Ni même avec les cris de fous furieux qui résonnaient parfois dans les couloirs humides. Cette rumeur qui lui parvenait avait quelque chose d'enthousiaste. Une joyeuse folie collective.
Rien d'étonnant, pensa Sirius amèrement. Tout le monde devient peu à peu fou en vivant dans cette prison.
Lui-même sentait son esprit s'effilocher un peu plus chaque jour. Les souvenirs heureux devenaient flous, difficilement accessibles. Seule la culpabilité restait nette. Cristalline. Insupportable.
James. Lily. Harry. Peter. Ma faute. Tout est ma faute.
Soudain, les portes de fer s'ouvrirent en grand dans un grincement sinistre. Il perçut encore mieux la clameur des prisonniers qui saluaient l'arrivée du nouveau condamné. Des sifflements. Des insultes. Des rires déments.
Tapi dans l'ombre de sa cellule, Sirius se redressa péniblement lorsqu'un frisson se profila sournoisement le long de sa colonne vertébrale.
Ils arrivent.
Il les sentit approcher avant même de les voir. Le froid, déjà bien présent dans ce lieu maudit, s'abattit plus puissamment encore dans le couloir. Le désespoir se colla à lui comme une seconde peau, l'enserrant avec la force d'un étau. L'air se fit plus rare, plus dense, plus toxique. Il déglutit péniblement et tenta d'aspirer un peu d'oxygène, mais ses poumons refusaient de coopérer.
Pense à quelque chose d'heureux. N'importe quoi. Vite.
Mais les détraqueurs étaient trop proches. Trop nombreux. Les souvenirs heureux lui échappaient, remplacés par les hurlements de Lily, le rire de Peter, le regard vide de James.
Les créatures glissèrent devant la porte de sa cellule, leurs formes encapuchonnées se découpant contre la faible lumière du couloir. Sirius retint sa respiration — un réflexe inutile mais instinctif — et détailla le nouveau voisin à travers les barreaux.
Une femme.
Grande, la tête haute, elle avançait entre les créatures sans frémir. Du moins en apparence. Elle ne semblait pas être atteinte par l'effet dévastateur des gardiens d'Azkaban, ce qui était... impossible. Tout le monde ressentait leur présence. Tout le monde.
Son regard paraissait vide, vitreux, comme si la condamnée était déconnectée de la réalité. Ou peut-être qu'elle était juste très, très douée pour cacher sa terreur. Ses mains, remarqua Sirius, tremblaient légèrement. Presque imperceptiblement. Mais elles tremblaient.
Donc elle les sent quand même.
Les détraqueurs firent entrer la jeune femme dans la cellule voisine de la sienne et la laissèrent seule. Dès qu'ils disparurent dans un mouvement fluide et contre-nature, elle s'effondra sur le sol comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.
Sirius la regarda un moment en silence, fasciné malgré lui par cette démonstration de force — tenir debout face aux détraqueurs — suivie de cet effondrement complet.
Qui es-tu ? se demanda-t-il. Et qu'as-tu fait pour finir ici ?
Puis l'épuisement le rattrapa et il se laissa emporter dans une torpeur agitée, peuplée de fantômes et de regrets.
Ce fut le grincement strident de sa porte qui s'ouvrait qui le réveilla dans un sursaut. Sirius se redressa douloureusement — ses os protestaient, ses muscles ankylosés criaient — et se colla le plus possible au fond de sa cellule, afin de mettre le maximum d'espace entre lui et les gardiens de la prison.
Lâche, pensa une voix dans sa tête qui ressemblait étrangement à celle de James. Où est passé le courageux Gryffondor ?
Mort, répondit-il mentalement. Mort avec toi.
Un détraqueur fit glisser un plateau de nourriture sur le sol — si on pouvait appeler ça de la nourriture — et repartit aussitôt, semblant presque pressé de continuer sa ronde. Ils firent la même chose avec sa nouvelle voisine.
Elle s'approcha de son repas avec une lenteur prudente, comme si le plateau pouvait l'attaquer, et remercia du bout des lèvres les détraqueurs.
Sirius se figea, interloqué.
Elle les a... remerciés ?
Il la fixa un instant, bouche bée, jusqu'à ce qu'elle le remarque et lui jette un regard noir chargé de mépris. Comme si le simple fait qu'il la regarde était une offense.
Alors que le dernier détraqueur s'apprêtait à sortir, il se retourna brusquement vers la jeune femme avec une rapidité effrayante. La créature se pencha et aspira l'air autour d'elle dans un son horrible, écœurant, comme si elle suçait la moelle de ses os.
La Française se crispa violemment, ses mains agrippant le sol de pierre. Elle tenta de se défaire de la prise invisible de la créature, son corps se tordant dans une lutte silencieuse et désespérée. Ses lèvres remuaient — un mot, encore et encore — mais aucun son ne sortait.
Non. Non. Non.
Lorsque le détraqueur eut fini — combien de temps ? trente secondes ? une éternité ? — il s'en alla en glissant avec cette lenteur obscène qu'ils avaient tous. La jeune femme s'évanouit sur le sol, son corps inerte, sa respiration à peine perceptible.
Sirius l'ignora délibérément et avala machinalement son repas sans même en sentir le goût — il n'y en avait de toute façon aucun.
Après tout, se dit-il avec une amertume qui lui était devenue familière, ce n'est qu'une Mangemort de plus.
Une criminelle. Une meurtrière. Elle méritait d'être ici. Contrairement à lui.
Tu continues vraiment à te mentir, Black ? murmura la voix de James dans sa tête. Tu mérites d'être ici autant qu'elle. Plus, peut-être.
Il se cala dans un coin de sa cellule, ramena ses genoux contre sa poitrine — position fœtale, pathétique — et laissa ses pensées vagabonder dans un passé rempli de joie qu'il n'aurait plus jamais le droit de goûter.
Des Maraudeurs riant dans les couloirs de Poudlard. De Lily souriant à James. De Harry, ce bébé qu'il avait à peine eu le temps de connaître. De Peter...
Peter.
La trahison brûlait encore comme une plaie vive.
Cela faisait plusieurs jours qu'il détaillait la jeune femme malgré lui.
Il ne voulait pas s'intéresser à elle. Ne voulait pas être curieux. Mais dans cet enfer où chaque jour ressemblait au précédent, où le temps n'avait plus de sens, observer sa voisine était devenu une distraction. Une façon de rester ancré dans la réalité.
Elle ne ressemblait en rien aux Mangemorts qui hantaient ce lieu. Pas comme Bellatrix qui riait aux éclats de folie. Pas comme Rookwood qui marmonnait des incantations dans son sommeil. Pas comme les Lestrange qui hurlaient des menaces de mort à quiconque passait devant leurs cellules.
Elle était... différente.
Polie avec les gardiens — ce qui était incompréhensible. Elle n'avait pas cette folie caractéristique que certains condamnés possédaient, cette lueur démente dans le regard. Mis à part pour les politesses rituelles, jamais Sirius n'avait entendu sa voix. Elle se murait dans un silence continuel, presque monastique.
Que fais-tu ici ? se demandait-il sans cesse. Pourquoi ne cries-tu pas comme les autres ? Pourquoi ne supplies-tu pas ?
Alors qu'il tentait de déchiffrer cette personne étrange, les cris des prisonniers retentirent soudainement, accompagnés par moments de sifflements appréciateurs et de commentaires obscènes.
De la visite ?
Qui donc pouvait être assez fou pour venir sciemment dans cet asile ? Qui voudrait volontairement respirer cet air empoisonné, sentir le désespoir suinter des murs ?
Lorsque la visiteuse apparut, Sirius grogna.
Évidemment.
Ça ne l'étonnait même pas.
« Skeeter », grommela-t-il avec tout le mépris dont il était capable.
« Black ! » s'exclama la journaliste d'une voix faussement joyeuse, ses yeux pétillant derrière ses lunettes incrustées de pierres. « Toujours en vie ? Si j'avais su, c'est toi que j'aurais questionné en premier ! Ça sera pour une prochaine fois ! »
Crève, pensa Sirius. Mais il ne dit rien. Parler à Rita Skeeter était inutile. Pire, c'était dangereux. Chaque mot serait tordu, déformé, utilisé contre lui.
« Clémence Peltier ! Levez-vous ! » ordonna l'un des Aurors qui accompagnaient Rita, sa baguette pointée vers la cellule voisine.
Sirius fronça les sourcils.
Clémence Peltier.
Les mots qu'il avait cru entendre les jours précédents étaient donc bien du français. Sa curiosité envers sa voisine ne fit que s'accroître, brûlante et irrationnelle.
Pourquoi ? se demanda-t-il. Pourquoi une Française est-elle emprisonnée ici ?
La justice anglaise ne condamnait jamais un étranger à périr à Azkaban. Jamais. Ils renvoyaient toujours le coupable dans son pays d'origine. C'était une question de protocole international. Alors pourquoi elle ? Qu'avait-elle fait de si grave pour mériter une exception ?
La jeune femme se leva avec une lenteur calculée et s'approcha de la porte de sa cellule. Un des Aurors installa une chaise où, très vite, la journaliste s'assit, avide de nouvelles croustillantes. Un carnet et une plume à papote — cette horreur inventée pour torturer la vérité — flottaient négligemment à côté de sa tête blonde parfaitement coiffée.
« Est-ce que vous comprenez l'anglais ? » débuta Skeeter avec ce sourire carnassier qu'elle réservait à ses proies.
« Parfaitement », répondit la prisonnière d'une voix rauque, abîmée par le silence et les détraqueurs.
« Je suis Rita Skeeter, journaliste à la Gazette du Sorcier. J'aimerais vous poser quelques questions. »
Sirius connaissait assez bien cette femme, surtout de réputation. Que la Française accepte ou non, l'article serait dans le numéro de demain. Probablement en première page. Avec des mensonges et des demi-vérités soigneusement agencés pour vendre le maximum d'exemplaires.
Il vit la jeune femme hausser des épaules avec une indifférence qui semblait authentique. Comme si plus rien ne pouvait l'atteindre. Comme si elle avait déjà abandonné.
« Vous avez été condamnée au Baiser du Détraqueur lors de votre dernière audience, pour la torture et le meurtre de trois Mangemorts. C'est exact ? »
Trois Mangemorts.
Sirius se redressa légèrement, son attention maintenant totalement focalisée sur la conversation.
Elle a tué des Mangemorts ? Et elle est emprisonnée pour ça ?
« Oui », lâcha-t-elle dans un souffle à peine audible.
« Qu'avez-vous ressenti au moment du verdict ? » continua Rita, se penchant en avant comme un vautour. « De la peur ? De la haine ? Une envie de vengeance ? »
« Rien », affirma la Française en coupant court aux délires de la journaliste.
« Je ne vous crois pas, ma chère », susurra Rita avec ce ton mielleux qu'elle utilisait pour extraire les confessions. « Une telle condamnation... À votre âge... Vous devez forcément ressentir quelque chose. La peur de mourir. Le regret. La colère. »
Un silence tendu s'installa. Sirius retenait son souffle sans même s'en rendre compte.
Dis-lui d'aller se faire foutre, pensa-t-il. Ne lui donne rien.
Mais la jeune femme se leva brusquement, s'approcha des barreaux, et explosa.
« Vous voulez vraiment savoir ?! »
Sa voix était devenue stridente, chargée d'une émotion si violente qu'elle en était presque palpable.
« J'étais heureuse ! Heureuse que les monstres qui ont tué ma famille aient payé ! Lorsque je les ai tués, je ne ressentais que la satisfaction de la vengeance. Ils m'ont tout pris — TOUT ! — alors j'ai fait de même. J'ai pris leurs dignités, leurs honneurs, leurs vies. Je les ai humiliés comme ils ont humilié les miens. Je les ai fait souffrir comme ma famille a souffert. Je n'avais plus rien à perdre. Plus rien ! »
Elle frappa les barreaux de ses poings, le métal résonnant dans le couloir.
« Quand la sentence est tombée, j'étais soulagée ! » hurla-t-elle en toisant Skeeter avec une intensité féroce.
Rita cligna des yeux, déstabilisée pour la première fois depuis longtemps. Sa plume à papote grattait frénétiquement le parchemin, capturant chaque mot, chaque nuance.
« Soulagée ? » répéta-t-elle après un moment de silence stupéfait. « Comment pouvez-vous être soulagée d'une condamnation à mort ? »
« Oui, soulagée », répéta la Française d'une voix soudainement calme, vidée de toute émotion. « Car tout allait enfin se terminer. Je ne passerai plus mes nuits à revivre leurs morts. Je ne passerai plus mes journées à chasser des déchets de l'humanité. Tout ça est fini. Terminé. Je vais mourir et ce sera une délivrance. »
La Française se tut brusquement et se recula au fond de sa cellule comme un animal blessé retournant dans sa tanière. Elle ne répondrait plus aux questions. Son corps tout entier criait « laissez-moi tranquille ».
Pourtant, Rita resta un long moment à la contempler silencieusement, comme si elle essayait de déchiffrer un puzzle complexe. On ne percevait que le grattement incessant de sa plume sur le parchemin, immortalisant chaque détail de cette scène.
Après un dernier coup d'œil calculateur, elle se leva et partit sans un mot, déjà en train de composer mentalement son article sensationnaliste.
Les Aurors lancèrent un regard à la jeune prisonnière avant de partir. Un regard qui n'était pas empli de mépris ou de dégoût. Non. C'était... de la compréhension. De la pitié, peut-être.
Sirius comprenait pourquoi.
Chaque personne réagit différemment à la perte de sa famille.
On peut se laisser sombrer sous le poids de la douleur, se noyer dedans jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.
On peut lutter jour après jour pour tenter de rester à la surface, s'accrocher à n'importe quoi, n'importe qui, juste pour continuer à respirer.
On peut rester de marbre le temps de comprendre, de réaliser que c'est fini, que rien ne sera plus jamais pareil.
Clémence Peltier était à part.
Elle avait fait un choix différent et terriblement difficile. Elle avait dirigé cette douleur dévastatrice vers les coupables. Elle les avait traqués avec une détermination obsessionnelle. Elle les avait torturés, probablement avec les mêmes méthodes qu'ils avaient utilisées sur sa famille. Elle les avait tués de ses propres mains.
Elle avait eu la force — ou la folie — de se lancer dans une vendetta suicidaire.
Et maintenant elle attend la mort comme une récompense, réalisa Sirius avec un frisson.
Il sortit de ses pensées en sentant qu'on le fixait intensément. La Française s'était tournée vers lui, ses yeux noirs plantés dans les siens avec une intensité dérangeante.
Il ne détourna pas les yeux de ceux de sa voisine. Un défi silencieux.
« Sirius Black », souffla-t-elle, comme si elle goûtait son nom. « Si j'avais eu le temps, je me serais aussi occupée de toi. »
Sa voix était froide. Clinique. Sans émotion. Ce qui la rendait encore plus terrifiante.
Sirius sentit la rage monter en lui, chaude et familière.
Comment ose-t-elle ?
Il n'eut pas le temps de lui répondre, de hurler son innocence, de lui dire qu'elle ne savait rien. Elle s'était déjà détournée de lui, ses cheveux noirs voletant derrière elle comme un rideau qui se ferme.
Fini. La conversation est terminée. Tu n'existes plus pour moi.
Sirius serra les poings si fort que ses jointures blanchirent, que ses ongles s'enfoncèrent dans ses paumes, y laissant des croissants rouges.
« Je suis innocent », murmura-t-il pour la millième fois, telle une litanie. « Je suis innocent. Je suis innocent. Je suis innocent. »
Mais dans ce lieu maudit, personne n'était innocent.
Pas vraiment.
Même lui portait le poids de ses erreurs. De ses choix. De sa confiance mal placée.
Peter. J'aurais dû me méfier. J'aurais dû protéger James. C'est ma faute.
Dans la cellule voisine, Clémence Peltier s'était recroquevillée dans un coin, ses bras entourant ses genoux.
Et pour la première fois depuis son arrivée, Sirius l'entendit pleurer.
Doucement. Silencieusement.
Comme quelqu'un qui a oublié comment faire autrement.
EDIT: 21/12/2025
