Chapter 1: Blessures
Summary:
Au château d'Hyrule, le Fléau n'est scellé que depuis quelques heures. L'euphorie de la victoire a déjà laissé place à l'immense fatigue d'avoir dû enchaîner les batailles durant plusieurs jours et nuits.
Les moindres petites plaies apparaissent comme béantes depuis que l'exaltation des combats est retombée: surtout celles que la Guerre a forcé à négliger...
Chapter Text
Art by Io Kay, @eernarts , with authorization
"L'aventure laisse aux blessures un goût de miel
Quand l'amour au point du jour a dans ses ailes
Un morceau du ciel."
- Yves Duteil
*
ZELDA
Je sentis mon estomac se serrer : c’était la première fois, depuis le réveil du Fléau Ganon, que j’allais mettre les pieds dans mes quartiers. Notre victoire sur la fatalité ne datait que de quelques heures seulement et l’euphorie de la victoire laissait petit à petit la place à l’épuisement et au vide.
Revali m’avait galamment déposée sur la passerelle qui joignait ma chambre à la tour dont j’avais fait mon étude, puis il était parti survoler la plaine à la recherche de blessés. C’est Urbosa qui dirigeait l’équipe de recherche au sol. Mipha et Impa s’affairaient dans l’hôpital de fortune qu’était devenu le Grand Hall, tandis que Daruk et ses hommes déblayaient les gravats. Link avait insisté pour patrouiller dans le château afin de débusquer les derniers monstres. Père lui avait pourtant assuré qu’après ses exploits contre Ganon, il méritait largement un peu de repos, il était tout de même parti…
« Merci Majesté,” avait-il déclaré, “mais tout le monde s’est battu de toutes ses forces aujourd’hui et je ne vois personne se reposer.»
C’était tout lui... Et puis, maintenant que le Fléau était scellé, il allait pouvoir retrouver un peu de liberté: son rôle de protecteur rapproché de la Princesse n’aurait plus autant d’importance, n’est-ce pas ? Plus besoin de me suivre partout comme une ombre… La Princesse avait-elle encore seulement de l’importance ? Ah oui, « Transmettre le Sang de la Déesse »… Notre survie à tous avait été si drastiquement et si longuement compromise par mon absence de pouvoirs que j’avais presque oublié ce devoir-là...
Je descendis avec précaution l’escalier intérieur, qui avait miraculeusement tenu le coup. Mes yeux mirent de longues secondes à s’habituer à l’obscurité de ma chambre, et le chaos qui y régnait ne m’aidait pas vraiment à retrouver mes repères. Tout un pan du mur et une partie du plafond s’étaient écroulés, jonchant le sol de pierres et de débris; le reste avait été mis sens dessus dessous par les monstres.
J’avançai avec précaution, choisissant soigneusement où poser mes pieds déjà meurtris d’avoir subi cette guerre en sandales. La porte principale ne donnait plus que sur un amoncellement informe de pierre de taille et de poutres brisées. L’escalier extérieur, quant à lui, avait été pulvérisé par des tirs de gardiens; me privant de tout accès à ma chambre si ce n’était par les airs. Mon lit, dont le sommier était brisé et dont un pied manquait, se cambrait comme un animal à l’agonie. Au fond de ma chambre, ma penderie éventrée semblait retenir tant bien que mal ce qui restait du solide mur sur lequel elle s’était appuyée pendant des siècles.
C’est pour elle que j’étais là. Il était hors de question que je laisse tout le monde gérer les suites de cette bataille sans m’impliquer: la « Princesse Inutile » était morte, ce jour-là, à Necluda, avec l'Éveil tant espéré de ses Pouvoirs… Mais avant cela, si je pouvais au moins récupérer une vraie paire de chaussure... Et me débarrasser de cette maudite robe, retrouver des vêtements pratiques, confortables et chauds. Et propres ! J’en étais arrivée à détester cette robe de cérémonie qui m’obligeait à garder les jambes serrées en permanence et à bomber le torse de peur qu’elle ne glisse! Cette guenille déchirée par nos épreuves et constellée de boue et de sang ne tenait plus que par l’opération de la Puissante Hylia... Comme si les mauvais souvenirs de mes prières infructueuses dans toutes les sources d’Hyrule ne suffisaient pas déjà à me la faire haïr…
À genoux au milieu des gravats, le bras enfoncé jusqu’à l’épaule dans les entrailles du meuble, je fourrageai à la recherche de mes vêtements.
LINK
Le ciel d’Hyrule ne m’avait jamais semblé aussi bleu. Cela m’étonnait à chaque fois que je détachais mon regard des décombres du château. Après cette longue bataille nocturne sous le halo rougeâtre de la Lune de Sang, l’intensité des vraies couleurs du monde était presque aveuglante. Ganon était vaincu, enfin. Hyrule était sauve. Je me sentais… nu: sans ce fardeau sur mes épaules, j’étais vulnérable à tout ce que j’avais réussi à faire taire en moi; et je savais que ce serait encore pire le lendemain.
J’avais prétexté une patrouille autour du château pour chercher un peu de solitude. Je n’avais trouvé que quelques Bokoblins et un ou deux Lézalfos; seulement de ceux qui étaient déjà trop amochés pour fuir avec les autres. Les images de notre combat me revenaient constamment en tête : il me faudrait encore quelques heures pour que la tension redescende complètement. Une image en particulier revenait souvent : Zelda se retournant vers moi, triomphante, après avoir accompli sa Mission Sacrée… Et me souriant…
Je n’avais jamais douté d’elle, jamais! J’aurais aimé avoir assez de courage à ce moment-là pour le lui rappeler : «Je vous l’avais bien dit» ! Et ce sourire : plus éblouissant que tout le reste… Encore une fois, j’avais brûlé d’envie d’aller la prendre dans mes bras… Pfff… C’était à peine si je pouvais bouger… Et c’était sûrement mieux comme ça.
Avant de remonter de cet étrange coupole où nous avions combattu Ganon, nous avions cherché et ramassé autant de morceaux du Petit Gardien que nous avions pu en retrouver; tous ensemble, à la Lumière du Pouvoir de Zelda... Egg… Non… Quel était son vrai nom déjà ? Trico ? Non… Ah, Terrako… Penser que je n’avais su ton nom qu’après avoir été forcé de te détruire me donnait la nausée. Toi notre ami à qui nous devions tant…
Zelda ne m’avait fait aucun reproche mais je me doutais qu’elle allait m’en vouloir : un coup de plus dans l’aile de son estime de moi... Je ne l’aurai pas volé : moi-même je me détestais pour ça. J’aurais dû penser plus vite et trouver une solution: peut-être qu’en l’immobilisant avec cinetis nous aurions pu le désactiver sans le détruire? Ou alors en lui arrachant simplement les pattes? Aurions-nous pu le purifier ? « Chevalier Purificateur », qu’on m’appelait… Mon œil, oui… Je détruisais tout ce que je touchais…
Ma patrouille touchait bientôt à sa fin. A ma droite, la haute Tour de la Princesse semblait me jeter un regard noir ; la passerelle qui la reliait à sa chambre me surplombant tel un couperet. Au-delà, j’apercevais déjà la foule des armées Hyruliennes, qui avaient trouvé refuge sous le grand préau : Gorons, Zoras, Piafs, Gerudo, Hyliens, Sheikahs, et même les Yigas : tous frères d’armes. Tous mes frères d’armes. Même si je n’étais pas pressé de me mêler à eux, je me régalais de ce spectacle: je les savais écartelés entre l’exultation et le deuil, entre le soulagement et l’exténuation, entre la fierté et la douleur. Écartelés intérieurement, mais entre eux : plus unis que jamais.
Afin d’éviter la foule, j’empruntai l’escalier à ma droite pour prendre un peu plus de hauteur, arpentant désormais le familier chemin de ronde qui montait jusqu’aux Jardins Suspendus. Alors que j’atteignais le premier pallier, un cri étouffé me sortit de ma rêverie. Puis un second, qui résonna au-dessus de moi: il semblait provenir de la Suite Princière. Cela ne pouvait pas être elle: tous les accès à sa chambre étaient complètement effondrés! A moins qu’elle y ait accédé par un autre moyen...?
Un troisième cri, presque un gémissement cette fois : qui que ça puisse être, il y avait bien quelqu’un là-haut.
« Votre Altesse…? » Le bruit d’un bris de verre fut ma seule réponse. « Princesse Zelda, est-ce que c’est vous ? Tout va bien !? ».
J’entendis cette fois distinctement un sanglot. Abandonnant ma ronde, je pris l’initiative d’escalader l’escalier en ruine pour aller voir ce qu’il en était.
MIPHA
Sidon était reparti à son époque. Nous allions nous revoir. En fait, j’allais le retrouver dès mon retour au Domaine, juste en plus petit ! Oh, en beaucoup plus petit… Et pourtant, quelque chose me tracassait. Je repassais en boucle nos discussions et un détail m’échappait, me rongeant sans que j’arrive à mettre la nageoire dessus. Une ombre dans son regard, un sourire qui tardait toujours à briller…
« Votre Altesse Mipha ! On a encore une fracture ouverte par ici… Auriez-vous un instant ? »
« Oh ! Entendu Impa, je viens au plus vite ! »
Fort heureusement, si je puis dire, le flot continu de l’arrivée des blessés me tenait assez occupée, ne me laissant que peu de temps pour sombrer dans la mélancolie. Link était parti patrouiller: le connaissant, il voulait certainement juste s’isoler un peu après cette dure bataille. Link et ses escapades en solitaire… Qu’est-ce qu’il avait pu nous inquiéter quelques années auparavant, à l’époque où le Domaine l’avait pris comme pupille...
En effet, alors que Link était encore tout jeune, sa mère était morte en couches avec sa petite sœur à naître. Son père, un Capitaine de l’Armée Hylienne affecté à la protection de l’Aqueduc et du Barrage, avait décidé de le confier à une nourrice Zora du domaine plutôt que de le laisser à sa famille à Elimith, où il ne l’aurait pas vu grandir. Link avait donc passé une grande partie de son enfance parmi mon peuple. Il menait la vie dure à sa pauvre nourrice auprès de qui il enchaînait fugues et facéties. Mais parmi les enfants de mon peuple, il était comme un poisson dans l’eau.
Il était plus petit que moi à l’époque : peut-être ai-je servi de figure maternelle ou fraternelle, mais nous sommes vite devenus les meilleurs amis du monde. Mes sentiments étaient encore si purs à l’époque: limpides, comme l’eau des sources… Nous étions comme frère et sœur, tout bêtement.
Quelques années plus tard, lorsque son père mourut à son tour, en défendant le Domaine d’un Lynel, c’est tout naturellement que mon père, le Roi du peuple Zora, avait pris Link sous son aileron...
Il resta au domaine jusqu’à ce qu’il ait douze ans, soit l’âge minimum requis pour entrer - et sur dérogation seulement - à l’Académie Militaire Hylienne. Il voulait absolument suivre les traces de son père, le plus tôt possible. Quelque chose là-bas l’appelait si fort que personne n’avait pu le retenir… Je ne l’avais plus revu depuis son départ: plus du tout jusqu’à ce jour où la Princesse Zelda était venue me recruter pour piloter Ruta… Accompagnée d’un très séduisant garde du corps…
Tout était si compliqué dans ma tête depuis lors! J’ai pourtant vite compris vers qui son cœur le portait, et un peu plus tard, Sidon me l’avait confirmé en me parlant de leur vie dans le futur. Là-bas dans le futur, Sidon avait été témoin à leur mariage. Là-bas dans le futur, il se réjouissait à l’idée d’apprendre à nager aux futurs petits princes et princesses d’Hyrule. Là-bas dans le futur, il considérait toujours le Roi Link comme son frère…
Oh, Sidon… J’aurais tant aimé que tu restes encore un peu… Des dizaines d’années devront passer avant que je puisse me confier à toi sur ces choses-là de nouveau… Mon cher petit frère…
ZELDA
Assise dans la cassure de mon lit, j’avais entrepris de délacer mes sandales pour pouvoir me changer. Le cuir des lanières avait laissé une marque profonde dans mes chairs et la semelle, complètement inadaptée à la course, m’avait brûlé la peau. La sensation de ces lanières de cuir entravant mes chevilles était devenue insupportable mais en essayant de m’en défaire, chaque effleurement de mes doigts sur mes plaies m’arrachait un cri de douleur. J’étais en colère de constater ma propre faiblesse.
J’avais passé des jours à me répéter que ce n’était rien: rien du tout comparé aux souffrances qu’avait endurées mon peuple à cause de moi, rien du tout à côté des coupures béantes qu’arborait parfois Link à la fin de ses combats… Vraiment, ce n’était toujours rien du tout comparé au sacrifice de Terrako... Ganon était scellé et toutes les douleurs que j’avais choisies d’ignorer jusqu’alors revenaient à la charge, toutes en même temps.
Dans un accès de rage contre moi-même, je jetai ma seconde sandale à travers les ruines de mon ancienne vie et cachai ma tête entre mes mains pour pleurer.
« Votre Altesse…. ? »
Je sursautai en reconnaissant la voix de Link. Je levai les yeux, juste à temps pour le voir trébucher et s’étaler au sol en pestant. Par réflexe, je retendis ma robe pour couvrir mes genoux et essuyai mes larmes.
« Link, mais… Qu’est-ce que tu fais là? … Tu ne t’es pas blessé au moins … ? »
Il se releva rapidement et j’en fus doublement heureuse car égoïstement, je redoutais de devoir aller jusqu’à lui pieds nus…
« Je vous prie de m’excuser Votre Altesse : j’ai entendu quelqu’un pleurer alors j’ai appelé et comme personne ne m’a répondu… »
Il avait l’air si embarrassé…
« Je … Je n’avais pas entendu… tout va bien, merci, Link… »
Je détournai les yeux, ravalant douloureusement le trop mesquin «tu peux disposer» qui avait failli suivre… Alors il resta planté là sans rien dire. Les sourcils froncés, son regard passait de mes pieds à mon visage avec consternation. Je n’avais aucune envie qu’il me voit ainsi : une petite chose fragile qui pleurniche pour des ampoules de rien du tout. Il avala sa salive et s’avança finalement vers moi, toujours muet. Il vint s’agenouiller au pied du lit et dit enfin:
« Je me demande depuis des jours par quel miracle de Farore vous arrivez encore à marcher… Je n’aurais pas tenu une seule journée si j’avais été chaussé comme ça. Laissez-moi vous aider, s’il vous plait… »
Il avait dit ça doucement et calmement, sans une once de pitié. Presque admiratif au contraire… Je pouvais pourtant voir sa main trembler nerveusement sur sa cuisse, et une nouvelle fois j’aperçus sa pomme d’Adam monter puis descendre dans sa gorge, autre signe de sa nervosité. Puis il releva la tête et plongea ses beaux yeux d’azur dans les miens. Derrière la douceur et les regrets qu’ils exprimaient, ils semblaient luire de leur propre lumière.
« Link … »
« Je suppose que vous allez refuser si je vous propose d’aller voir Mipha… Et vous savez aussi bien que moi que je ne vous laisserai pas comme ça, alors… Laissez-moi vous aider… »
Un léger sourire empreint de tendresse se dessinait sur son visage, discret et pourtant si chaleureux qu’il me semblât avoir allumé un petit feu dans ma poitrine. C’était à mon tour d’être muette... Interprétant mon silence comme un accord, il hocha la tête, se leva et gravit l’escalier en direction de la passerelle. J’en profitai pour prendre une grande inspiration que je laissai échapper en un long soupir, comme pour me rappeler comment respirer. Il revint quelques instants plus tard avec une bassine remplie d’eau.
« Je l’ai tirée de vos citernes à eau de pluie en zinc, elle a l’air saine… tenez. »
Il posa la bassine à mes pieds et sortit de sa poche un petit pot en verre. Il prit une noix de l’onguent qu’il contenait et la dilua dans l’eau. Puis, il se releva en balayant la chambre du regard.
« L’eau est froide, désolé… Et sinon, la tour a été relativement épargnée mais je n’ai rien trouvé pour vous sécher … »
Je plongeais mes pieds dans l’eau glacée – j’avais connu bien pire lors de mes prières dans les sources. Le soulagement fut presque immédiat. D’une main, je frottais doucement mes pieds et mes chevilles, jusqu’à mi-mollet.
« J’ai vu des draps propres au fond de l’armoire. Derrière moi. Le mur est à moitié tombé dessus mais le linge est resté à l’abri de la poussière. Oh Link, ça fait un bien fou! Oh, par Nayru, qu’est-ce que tu as mis dans cette eau ? »
Jetant un regard par derrière mon épaule, je l’aperçus me sourire avec une candeur enfantine. Il semblait plus fier de sa pommade que d’avoir terrassé Ganon …
« C’est une pommade spéciale à base de plantes, que fabriquait ma mère… Qu’est-ce que j’ai pu en utiliser quand j’étais petit ! Quand nous étions à Necluda, j’ai reconnu la plante qu’elle utilisait - des années que je n’en avais pas trouvé - alors j’ai essayé d’en préparer, juste au cas où… A vous entendre j’en déduis que je l’ai assez bien réussie ! J’aurais aimé vous en faire profiter plus tôt, mais… Je… »
Le sourire que j’entendais encore dans sa voix jusqu’alors avait complètement disparu. Il n’avait même pas besoin de finir sa phrase. Je ne savais que trop bien à quoi il pensait…
LINK
Zelda baissa les yeux sur ses mains et se raidit. Le malaise qui s’était installé entre nous depuis Necluda ne s’était finalement estompé que fugacement...
En effet, tout avait dégénéré lors de la Bataille du Fort d’Elimith, quand j’avais ordonné à Impa d’emmener la Princesse en lieu sûr tandis que j’allais affronter seul les créatures d’Astor. Je ne suis pas du genre à m’avouer vaincu facilement, et pourtant je dois admettre qu’à ce moment-là, l’issue du combat me semblait difficilement favorable. J’espérais seulement lui laisser assez de temps pour qu’elle puisse s’enfuir ou se cacher et j’étais en paix avec mon choix. Après tout, comme le disait ironiquement mon père si longtemps auparavant, mourir pour elle était ce que je pouvais espérer de mieux.
J’avais rapidement été dépassé par les attaques coordonnées des quatre abominations ; celle de foudre surtout, si rapide... Mais au moment où tout aurait dû s’arrêter définitivement pour moi, au lieu d’être plongé dans l’obscurité de la mort, j’avais été nimbé de Lumière. Une douce chaleur irradiait dans mon dos tandis que sous mes yeux, les Ombres de Ganon se dissolvaient dans la lueur dorée d’Hylia. Quand je m’étais retourné, Zelda était là : sa main tendue vers moi illuminant l’Univers tout entier; son regard transperçant mon âme... Son pouvoir du Sceau s’était enfin éveillé !
Pas le temps de lui demander comment c’était arrivé, ni pourquoi elle était revenue ; pas même le temps de lui dire à quel point j’étais heureux et soulagé pour elle… Fier aussi ; tellement fier… Nous saisîmes cette opportunité pour retourner la situation à notre avantage sur le champ de bataille.
Lorsque le dernier gardien, imprégné de la Rancœur de Ganon, était passé à l’attaque, nous l’avions combattu ensemble : la Prêtresse Royale et son Chevalier Purificateur, comme dans les contes de fées. A l’issue du combat alors que je rengainais mon épée, nous nous retrouvâmes face à face. J’aurais eu tant de choses à lui dire si je n’avais pas été intimidé à ce point... Je me sentais pathétique.
Alors que je cherchais mon courage et mes mots, je la vis vaciller et parcourus sans plus réfléchir les quelques pas qui nous séparaient. J’attrapai ses épaules pour la soutenir tandis qu’elle agrippait ma tunique dans ses poings et plongeait le visage vers mon cœur. Instinctivement, mes bras l’enveloppèrent et je la serrai contre moi. Ses longs cheveux dorés qui glissaient entre mes doigts, la chaleur de son corps contre le mien : je n’avais jamais rien connu d’aussi doux. Je posai mes lèvres sur son cou nu pour m’enivrer de l’odeur de sa peau.
Et soudain elle lâcha ma tunique et se mit à me frapper le torse du poing avec vigueur.
« Je te défends de te sacrifier pour moi, tu m’entends? » hurla-t-elle, « je te l’interdis !»
À nos pieds le Petit Gardien faisait écho à ses cris de son sifflement d’alarme, courant frénétiquement autour de nous…
« Tu penses que ta mort aurait servi à quoi, hein? Tu voulais mourir en Héros ?? Si tu imagines que j’aurais pu m’enfuir tu n’es qu’un idiot! Et même si j’avais pu m’en sortir… J’aurais fait comment ensuite, pour vaincre Ganon sans le Chevalier Purificateur, hein ?? »
Elle était en larmes et ponctuait ses phrases de coups de poing sur mon cœur tandis que je l’enlaçais toujours un peu plus fort.
« … Tu crois que j’aurais fait comment… Link… Pour continuer… Sans toi …? J’ai eu si peur…»
Elle sanglotait désormais et s’effondra sur elle-même : je posai un genou à terre pour continuer à la soutenir. Elle posa son front sur mon épaule, et je caressais affectueusement le bas de sa nuque pour essayer de la consoler.
« Je suis là, ne t’en fais pas… Je suis là et je vais bien et c’est grâce à toi, Zelda. Tu n’aurais pas dû te mettre en danger pour moi, toi non plus... Mais tu nous as tous sauvés… Merci… Tu es plus forte que je ne le serai jamais… »
Je ne réalisai qu’après coup que je l’avais tutoyée. Je ne me corrigeai pas : elle était ma princesse, elle était dans mes bras, d’où elle imprégnait tous mes sens. Et j’étais à elle. A cet instant nous n’étions qu’une seule âme déchirée. Je murmurai :
« Je suis désolé que tu aies eu si peur… Et je suis désolé mais donner ma vie… Si c'est mon seul moyen de sauver la tienne, je le referai sans hésiter... »
Je déposai un baiser tendre sur son cou avant de continuer :
« Parce que je t’aime… ».
ZELDA
Link m’avait écoutée patiemment le sermonner et avait subi mes coups sans broncher, me serrant contre son corps jusqu’à étouffer toute ma colère. Il était vivant, Hylia soit louée, il était vivant et j’aurais pu mourir de soulagement dans ses bras…
Quand il avait pris la parole à son tour, il m’avait appelée Zelda, avait posé un baiser sur mon cou et m’avait dit qu’il m’aimait. C’était trop, trop d’un coup! Je ne pouvais pas me le permettre, ce désir d’abandon total que je ressentais pour lui, dans mon âme et dans mon corps. Il y avait trop à faire! Trop d’espoirs ravivés soudain par l’éveil de mon Pouvoir, trop de responsabilités envers mon peuple. Trop d’émotions sauvages déchaînées en moi. Ce n’était pas le moment, Link!!
« LINK ! » aboyai-je en le repoussant furieusement, incapable de prononcer autre chose.
Je me levai d’un bond et titubai sur quelques mètres en direction de la Muraille avant que tout ne devienne noir.
Je me réveillai dans un lit de fortune de la tente infirmerie montée à la va-vite, avec seulement Impa à mon chevet.
*
Chapter 2: Soins
Summary:
Entre réminiscences des semaines passées et douleurs du présent, nos héros gèrent tant bien que mal les suites de l'ultime combat.
Le réconfort dont ils ont désespérément besoin est là, à portée de main! Mais comment le demander à une autre âme blessée?
Chapter Text
" C'est par amour pour lui que tu veux le soigner ! Il n'a pas besoin de tes soins...
Et d'ailleurs qui donc la médecine a-t-elle jamais guéri ? "
- Léon Tolstoï
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LINK
Zelda avait perdu connaissance en tentant de s’enfuir. Comme si j’étais capable de lui faire le moindre mal. Je l’avais rattrapée de justesse avant qu’elle ne tombât et l’avais ramenée dans mes bras jusqu’au Fort pour la confier à la vigilance d’Impa et aux bons soins de Mipha. Le Petit Gardien semblait vouloir rester auprès d’elle. Tant mieux.
J’avais été idiot : j’avais pris sa détresse à l’idée de me voir mourir comme un aveu de ses sentiments, alors qu’en réalité, elle avait juste eu peur pour son Royaume et sa Mission Sacrée. J’étais un outil pour elle: un outil qu’elle devrait utiliser pour gagner la guerre. C’est pour ça qu’elle avait besoin que je reste en vie, pour ça et rien d’autre... C’est d’ailleurs bien ce qu’elle avait dit dans sa rage, non ? Pour l’Amour d’Hylia! Pourquoi avait-il fallu que j’interprète ça autrement ?
Honteux, je partis prendre un peu de hauteur, ignorant au passage les appels de mes amis qui se réjouissaient de la victoire et de son Éveil: comme un animal blessé j’avais besoin d’être seul. Perché sur une des tours de la Muraille d’Elimith, j'allai panser mes blessures à la faible lueur de la Lune.
Il n’y avait pas si longtemps, jusqu’au réveil du Fléau, elle aurait insisté pour qu’on prenne soin l’un de l’autre... C’était un rituel qui avait commencé peu après mon affectation en tant que son garde personnel. Ce jour-là, nous avions étés embusqués par des monstres sur la route vers le Laboratoire Royal. Après la bataille, alors que je refusais de donner plus de travail à l’infirmier de la garde pour des blessures que j’estimais légères, elle m’avait ordonné de m’asseoir, avait sorti une petite trousse de premier soins de son escarcelle et avait entrepris de me soigner elle-même. Peu assurée, elle évitait mon regard alors qu’elle bandait mon bras et mon torse. Je pouvais sentir ses mains trembler et spéculais intérieurement sur les raisons de sa nervosité : peur de mal faire, peur de faire mal… Timidité ? Par toutes les déesses d’Hyrule, elle était si jolie que j’en oubliais toute douleur pendant ses soins…
Lorsqu’elle eut fini, j’osai prendre à mon tour une compresse propre imbibée de lotion et levai le bras pour tamponner son front, juste à la naissance de ses cheveux, où elle s’était fait une légère coupure en participant au combat.
« Je vous demande pardon, votre Altesse. Je dois être un bien piètre garde du corps pour que vous soyez obligée de vous battre… ».
Surprise par mon geste et mes paroles, elle me regarda enfin dans les yeux. Le vert de ses yeux semblait irréel: peut-être à cause de la teinte rosée qu’avait pris tout son visage. Il lui fallut quelques secondes pour retrouver sa composition. A moi, il en aurait fallu beaucoup plus: mon pauvre cœur battait la chamade.
« Ne dis pas de sottises, » me fit-elle, « nous ne serions plus là si tu ne nous avais pas débarrassés de ce gardien fou… Impa avait raison: tu es vraiment un combattant hors-pair… Je suis rassurée de t’avoir à mes côtés. »
« Vous… Vous vous êtes très bien battue, vous aussi, avec cette étrange technologie... Je suis impressionné. Avec un peu d'entraînement vous n’aurez plus besoin d’un garde-du-corps du tout… »
Le visage de la Princesse d’Hyrule s’était éclairé d’une gratitude si sincère que je n’avais pu m’empêcher de lui sourire en retour. Je me souviens encore de la douceur de sa voix lorsqu’elle me répondit :
« Alors… N’en souffle surtout pas un mot à mon père, d’accord ? »
« Promis. Votre Altesse.»
Elle avait rangé ses affaires et nous nous étions séparés, un peu confus. Mais depuis lors, nous occuper de nos blessures mutuelles était devenu comme un rituel, un accord tacite entre nous, qui m’était surtout cher pour le réconfort et ces moments d’intimité et de douceur qu’il m’offrait avec elle. Cela me semblait s’être passé il y a une éternité: depuis que je l’avais forcée à fuir du château, en abandonnant son père, elle était déjà devenue plus distante avec moi.
Qu’est-ce que ça allait être après lui avoir avoué des sentiments qu’elle ne partageait visiblement pas…
Ne tenant plus en place, je descendis de l’autre côté de la muraille, en direction d’Elimith. Cette route menait à mon village natal, mais cela faisait bien longtemps que je ne l’avais pas parcourue. La nostalgie se mêla bientôt à la meurtrissure de mon cœur et à ma fatigue. Je me dirigeai vers la rivière pour laver le sang de mes mains... C’est là que je trouvai la plante que ma mère utilisait pour son baume-à-bobos , comme elle l’appelait. Il y avait aussi un rucher là-bas près du cabanon, pour le miel et la propolis et de l’argile dans le lit de la rivière… Tous les ingrédients y étaient. Je pensai immédiatement à Zelda: depuis des jours, je la voyais grimacer de douleur en silence. Elle tentait de cacher sa souffrance et refusait que quiconque ne la soigne, comme pour se punir… Après un court moment d’hésitation - à quoi bon me donner cette peine sachant qu’elle ne me laisserait probablement plus jamais l’approcher ? - je suivis mon premier réflexe et consacrai le reste de la nuit à la préparation du remède de ma mère.
Je ne devrais surtout jamais lui dire que pour ce faire, j’avais dû broyer les feuilles avec mes dents.
ZELDA
Link n’était réapparu qu’au petit matin. Il m’avait saluée, non pas de l’amical signe de tête dont nous avions pris l’habitude, mais en s’inclinant: conformément au protocole. Son visage fermé n’exprimait plus aucune émotion.
« Je me réjouis que vous alliez mieux, votre Altesse. »
« Link… » commençai-je sans avoir la moindre idée de ce que j’allais pouvoir lui dire ensuite. L’envie dévorante de retrouver la douce étreinte de ses bras monopolisait toutes mes pensées, mais y succomber était exclu. Il m’interrompit de toutes façons.
« Ne vous inquiétez pas pour moi, Votre Altesse. Je suis votre humble serviteur. On m’a dit que vous comptez faire une annonce à votre armée et souhaitez ma présence. Vous pouvez compter sur moi. Vous le pourrez toujours.» Et il s’inclina de nouveau.
Link resta en retrait, stoïque, pendant mon discours. A croire que j’avais pétrifié son cœur en le rejetant. Nous souffrions tous les deux du même mal, mais lui n’en souffrait qu’à cause de moi et la culpabilité me rongeait. Pour réprimer mon besoin de le réconforter, je décidai de refléter son comportement froid et distant. Comme il me l’avait affirmé, il resta d’une dévotion sans faille les jours qui suivirent et ce jusqu’à l’ultime bataille. Mais jusqu’à ce moment où il s’était agenouillé devant mon lit, il ne s’était plus défait de son attitude formelle...
Je revins à la réalité, baignant mes pieds nus dans ma chambre en ruine.
Je sentais son regard dans mon dos alors qu’il se relevait, une pile de draps sur les bras. Dans un silence glacial il fit le tour du lit, déposa le surplus de draps sur un coin du matelas et, n’en gardant qu’un dans les mains, il mit un genou à terre. Inexpressif.
« S’il vous plaît.» murmura-t-il en présentant le drap en berceau devant moi.
Je sortis les pieds de l’eau et il enveloppa mes jambes dans le tissu avant d’éloigner d’une main la bassine. Il reposa mes jambes ainsi emmaillotées sur le tapis poussiéreux, ressortit le bocal d’onguent de sa poche et le posa dans ma main. Avant qu’il n’ait le temps de la retirer, je posais mon autre main sur la sienne, en faisant mon possible pour ne pas la serrer aussi fort que j’aurais voulu. Je n’osai pas affronter son regard, terrifiée de ce que je pourrais y voir, refusant qu’il perçoive la honte dans le mien…
« Merci, Link… »
Sa respiration s’était accélérée sous le coup de la surprise. Il m’observa quelques instants, sans rien dire. Puis il leva son autre bras pour repousser une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Quand sa main caressa furtivement ma joue, mon cœur s’emballa et je ne pus résister à plonger dans son regard.
« Mettez un peu de ça directement sur vos plaies et massez doucement,» m'expliqua-t-il simplement, « c’est un peu collant mais ça soulage et ça aide à cicatriser… »
Le sourire qu’il esquissa n’exprimait que tristesse. D’un geste de la main, il pointa mes habits de rechange.
« Je vais vous chercher de l’eau propre si vous voulez faire votre toilette avant de vous changer. Je n’en peux plus de vous voir dans cette maudite robe, vous semblez constamment frigorifiée… »
Il se leva et libéra sa main des miennes, les laissant se serrer toutes les deux sur son petit pot en verre. Je voulais le retenir, l’appeler, lui ouvrir mes bras et mon cœur comme je n’avais pas pu le faire sur la plaine de Cernoir, mais j’étais tétanisée. Il déposa bientôt sur ma table de nuit la bassine d’eau propre qu’il m’avait promise et, sans un mot de plus, il s’en alla, sautant les décombres de l’escalier sans même prendre la peine d’ouvrir sa paravoile...
Oh Link… ce n’était pas de froid que je tremblais …
MIPHA
« Link ! Tout s’est bien passé ? »
L’œil hagard comme quelqu’un d’un peu trop aviné, Link m’avait rejointe sur l’estrade, dans le coin du Grand Hall où je m’étais isolée pour décanter un peu. Le flot des arrivées s’était enfin calmé, me laissant un peu de répit. En traversant la salle, il avait semblé inconscient des éclats de voix et autres gestes d’admiration des soldats dans son sillage, ni du fait que tous les regards étaient braqués sur lui. Tout juste s’était-il arrêté quelques secondes pour répondre à Impa qui l’avait hélé... Le grand Héros qui avait vaincu le Fléau n’était pour le moment rien de plus qu’un garçon épuisé. Sans me répondre il déposa ses armes, s’allongea sur le dos à côté de moi, sur une couchette libérée depuis peu et cacha son visage sous son bras.
« Aurais-tu besoin de soins ? »
Il poussa un énorme soupir avant de me répondre.
« Non… Merci Mipha… J’ai surtout besoin de… D’y voir plus clair. De comprendre. Je suis perdu… »
« Oh…»
« A ma connaissance ton pouvoir n’a pas d’emprise sur les peines de cœur… »
Je m’approchai de lui pour lui parler à voix plus basse.
« Alors, je suppose que c’est à propos de Zelda, n’est-ce pas ? »
Il eût l’air surpris et souleva son bras et sa nuque pour sonder mon regard. Penchant légèrement la tête d’un air entendu, je me forçai à lui sourire. Il soupira encore avant de se cacher de nouveau, derrière ses paumes cette fois, enfonçant ses doigts dans ses beaux cheveux sable. Il ne me fit pas l’affront de me mentir.
« Ça se voit tant que ça… ? » maugréa-t-il.
« Disons que … Oui … Quand on y fait un peu attention la tension entre vous est évidente … »
Il hésita, puis lâcha prise.
« … Je l’aime, Mipha… Je l’aime depuis toujours et depuis que j’ai fait l’énorme bourde de le lui dire, elle ose à peine croiser mon regard… À certains moments, j’ai l’impression qu’elle partage mes sentiments et l’instant d’après elle me repousse. Parfois, comme tout à l’heure, j’ai l’impression que je la terrifie. Je ne sais plus quoi penser ni comment agir. Par Din ! Tout est tellement plus simple avec toi… »
« Aah… » Voilà tout ce que je pouvais articuler sans trahir ma propre douleur… S’il avait su…
« J’en suis venu à me dire que ce n’est peut-être pas une question de sentiments mais de statut…? Je ne suis que le fils d’un petit chevalier de province, alors probablement pas le « prince » de ses rêves, c’est sûr. Trop rustre pour elle? Peut-être qu’elle a peur que je me conduise comme un barbare? Ou trop petit ? Un gentil petit plouc tout juste bon pour flirter un peu. Surtout pas plus, certainement pas, oh non…! Ça expliquerait qu’elle me cherche comme ça puis qu’elle prenne ses nageoires à son cou dès que je fais un pas vers elle! »
C’était comme un torrent en crue quand des débris de bois font barrage : il avait suffi d’enlever une seule petite branche de rien du tout pour que le courant emporte le reste de ses blocages dans une débâcle de mots. Il pouvait rester silencieux des jours entiers, mais quand il commençait à s’épancher il était difficile de l’arrêter; surtout dans son état de fatigue. Je le laissai continuer.
« Je l’ai toujours su pourtant. Mon père me l’avait déjà dit quand j’étais tout gamin, c’est pour dire… Les rats des champs comme toi et moi n’épousent pas les Princesses qu’il disait… et puis c’est pas comme si je ne les avais pas entendues discuter de ça ensemble elle et Impa, juste après mon affectation… que j’étais mignon mais que “tu te rends compte du scandale que ce serait si …” »
Je lui coupai la parole.
« Eeeeh… Dois-je rappeler à Monsieur de Rat des Champs qu’il est pupille du Roi Dorefah en personne, et que les deux premiers héritiers du trône Zora le considèrent comme de leur propre sang? Veux-tu que je fasse jouer mes relations, Monseigneur le Petit-Prince-sans-Nageoire ? »
Ma remarque sur son absence de nageoires le fit sourire un instant, lui rappelant le bon vieux temps...
« C’est gentil Mi, mais tu sais que ça ne compterait pas ici … »
Que cela devait être déroutant pour lui de côtoyer deux Princesses, et de devoir appeler l’une « Votre Altesse » alors qu’il ne prenait même plus la peine de prononcer le prénom de l’autre en entier…
« Tous ces derniers mois à son service, » reprit-il, « j’ai vraiment eu l’impression qu’il se passait quelque chose. Elle et moi, on était…Enfin... J’ai cru que peut-être, si on sauvait Hyrule ensemble, Rhoam finirait par me donner un titre… Tu sais bien que les mondanités ne m’intéressent pas, mais si au moins mes sentiments pour elle n’étaient pas illégaux … Pfff… Je suis tellement stupide d’avoir nourri cet espoir. J’aurais dû écouter mon père et rester à ma place.»
Link s’était tourné rageusement vers le mur en disant ça… J’attrapai une couverture sur une pile derrière moi et la dépliai sur son dos et ses jambes. Les Hyliens sont toujours si frileux…
« Cela ne fait que quelques heures, Link, soit patient… certains d’entre nous n’ont pas dormi depuis deux jours, y compris toi… Sa Majesté aussi a surement des choses plus urgentes à traiter… »
« Je sais… Je sais… ! Ce n’est pas ça qui m’inquiète… Ce qui m’inquiète c’est l’idée qu’il le fasse… Et que ça ne soit pas suffisant… »
Sa voix était de plus en plus morne au fur et à mesure que sa respiration ralentissait. Le sommeil l’emporterait bientôt dans ses eaux: puissent-elles être calmes et douces.
« En parlant de son père, je ne suis même pas sûr qu’elle surmontera le fait que je l’ai forcée à l’abandonner. Même s'il a survécu finalement, même si je n’ai fait qu’obéir aux ordres de mon Roi, on l’a quand même abandonné… Elle m’a ordonné de la lâcher, mais j’ai utilisé la force pour l’obliger à me suivre. Et comme si ça ne suffisait pas, je suis celui qui a détruit son petit gardien, son ami d’enfance… ! Je peux comprendre son ressentiment : imagine si c’est toi qui avait été possédée et qu’elle t’avait tuée… Peut-être que je l’ai brisée pour toujours, elle aussi… En le brisant lui…»
« Tu n’avais pas le choix, Link, tu as fait ça pour nous protéger… ! Si un jour ça m’arrivait, j’espère bien que vous m’empêcheriez de vous faire du mal, par quelque moyen que ce soit ! »
Il ne répondit pas.
« Et dis donc, elle serait bien culottée de t’en vouloir à toi, alors qu’elle aurait pu utiliser son pouvoir pour le débarrasser de la Rancœur sans l’abîmer! Personne ne lui en veut d’avoir été comme paralysée à ce moment-là… Tu ne vas tout de même pas commencer à t’en vouloir pour les limites des autres ! … Et je ne pense vraiment pas que Son Altesse Zelda te méprise, non plus, ni qu’elle a peur de toi… Moi je pense que si la Princesse a peur d’une chose, c’est d’elle-même, de son propre cœur. Sûrement pas de toi… Link ? »
Je me penchai au-dessus de lui: les paupières closes, la respiration apaisée, il dormait à poings fermés. D’une longue expiration, je me dégonflai comme une baudruche Octo.
Voilà, c’était acté, je ne pouvais plus prétendre ne pas le savoir : je n’étais pas sa Princesse, je ne le serais jamais… J’avais espéré que peut-être, puisque cette fois-ci j’avais survécu, j’aurais éventuellement une chance… La tendresse que je ressentais pour lui alors que je remontais la couverture sur son épaule était étouffante, et les larmes que j’avais retenues jusqu’alors coulaient désormais librement en cascade sur mes joues.
Pourtant je ressortais de cette douloureuse discussion avec une certaine fierté. Après tout c’est à moi qu’il était venu se confier et c’est vers moi qu’il était venu chercher du réconfort. Dans ce domaine où il était plus vulnérable que dans n’importe-quel autre, c’est auprès de moi qu’il s’était senti en sécurité. Que je le veuille ou non, j’étais pour lui ce qu’elle ne serait jamais.
J’étais sa sœur.
ZELDA
J’avais retrouvé ma tenue d’expédition. Des manches, ah! Un pantalon, des chaussettes et des chaussures… Quel soulagement… Link n’avait pas menti sur sa pommade : déjà, je n’avais presque plus mal… je glissais précieusement le petit pot dans mon escarcelle à côté de la vis de Terrako…
Mes quartiers ne seraient pas accessibles par la porte avant plusieurs jours, voire semaines… Avant de redescendre je rassemblai quelques affaires qui pourraient m’être utiles : ma trousse de toilette, ma brosse à cheveux et des barrettes, mon manteau, des vêtements de rechange... Je me servis d’un des draps comme balluchon. Près de mon bureau, je trébuchai sur un livre couvert de poussière. Me penchant pour le ramasser je reconnus mon journal intime. Nostalgique, je l’ouvris et en caressais les pages : ici, mon seizième anniversaire, là, le bal du Solstice ; des prières aux sources, beaucoup. La pneumonie qui avait suivi mon voyage à Akkala… Oh… Ma rencontre avec Link, qui n’était alors qu’un soldat… Son propre anniversaire, qu’il avait choisi de passer avec moi, déguisé en vaï dans la cité Gerudo... Le tourbillon d’émotions contradictoires le jour où il avait été élu par l'Épée de Légende : je m’étais sentie si indigne de lui après ça, et pourtant comme je me réjouissais secrètement que ce fut lui… Tout le monde sait ce que le titre de Chevalier Purificateur signifie au-delà de sa mission sacrée… La dernière page décrivait notre retour de la source du Courage. Ce voyage n’avait rien changé au niveau de mes pouvoirs mais le soutien d’Impa, de Terrako et de Link avait été tout pour moi. C’était eux la véritable Source de mon Courage : mes meilleurs amis et mon… Mon…
Je fermai mes yeux sur les larmes qui y montaient et jetais le journal dans mon baluchon de fortune. Je rabattis un pan de tissu puis un autre et lançais la banane ainsi formée en travers de mon dos. Nouée. Prête à redescendre.
En chemin vers le Grand-Hall, je croisai Impa :
« Votre Altesse ! On m’a dit que vous étiez allée vous changer, j’étais en route pour venir voir si tout allait bien.»
« Impa, je suis contente de te voir… Qui t’a dit ça ? »
« Link. »
« Il a dit quelque chose d’autre…? »
« Rien du tout, il n’était pas très causant, enfin, comme d’habitude. Votre Altesse, mais vous êtes chargée ! Laissez-moi porter vos affaires… »
« Non, merci, Impa. Ce n’est pas aussi lourd que ça en a l’air. Où puis-je me rendre utile ? »
« Eh bien, le flux des blessés a bien ralenti - La princesse Mipha est vraiment extraordinaire elle aussi dans son genre; Hyrule est bénie de vous avoir toutes les deux! - il ne reste que quelques blessés légers dont Dame Costella et son équipe s’occupent et, malheureusement, les morts… Qui ont été déplacés au sous-sol et qui sont en cours d’identification… »
Ceux que j’avais failli à protéger …
« Du coup, nous allons réquisitionner la partie ouest du Grand Hall en réfectoire. Le cuisinier de caserne est déjà en train de préparer quelque chose avec les ressources communes. Pour les Gorons par contre nous sommes embêtés: certains grignotent déjà les pierres du château au lieu de de les déblayer … »
« Ça ne fait rien Impa. On pourrait leur proposer de se servir dans la carrière si la pierre y est à leur goût. Où est mon père ? »
« Au dernières nouvelles, il débite des arbres fauchés par Naboris et qui empêchent l’accès aux caravanes de ravitaillement entre le plateau et ici. »
Nous arrivâmes au Grand Hall. J’aperçus Mipha qui à priori aidait Costella auprès des derniers blessés. Urbosa et Revali, visiblement exténués, somnolaient non loin de là en attendant les prochaines directives. C’était touchant de les voir adossés l’un contre l’autre, eux qui pouvaient à peine se supporter d’habitude... Aucune trace de Link. Je proposai à Impa que nous déplacions ensemble les couchettes de l’infirmerie afin d’installer à la place des tables de fortune pour la distribution des rations. Nous fûmes bientôt rejointes par des soldats outrés de voir leur Princesse s’abaisser à de tels travaux et qui me supplièrent presque de les laisser s’en occuper.
Vaincue par ma propre armée, je cherchais un endroit pour m'asseoir, quand j’aperçus une couchette occupée, oubliée dans un coin à l’opposé des autres.
« Princesse Mipha ? Il reste un blessé au fond de l’estrade là-bas, est-ce normal ? »
Mipha s’approcha lentement pour me répondre. Elle me fixa avec un aplomb inhabituel.
« Ah, celui-là … Je ne peux malheureusement rien faire pour lui, Votre Altesse… mon pouvoir a ses limites… »
« Il a … Il a succombé… ? »
« Non, Votre Altesse… Son corps va bien… Ce sont son cœur et son égo qui sont en miettes… »
La Princesse Zora avait prononcé ces mots lentement et sur un ton de reproche avant de retourner à son patient. Vexée et curieuse de savoir pourquoi j’étais censée l’être, je m’approchai de la couchette en question d’où se détachait une silhouette manifestement hylienne.
C’était Link… Je pris soudain le reproche de Mipha en plein cœur. J’avais fait tant de mal à cet être qui m’aimait et que j’aimais… Pourquoi avait-il fallu que je rende les choses aussi compliquées ? J’aurais dû accueillir son affection, la chérir, au lieu de le repousser. Comment avais-je pu penser une seconde que nous serions moins forts unis alors que tout autour de nous me prouvait le contraire?
Terrassée par le remords et l’épuisement, je me saisis d’une couverture pour m’y emmitoufler et m’adossai au mur au pied de sa paillasse. Je voulais juste être près de lui… Pendant que m’asseyais, mon genou buta sur le fourreau de son Épée : dans ma détresse je m’en emparai et la serrai désespérément contre moi. La Lame Purificatrice en travers de mon cœur, bercée par la respiration de son porteur, je m’abandonnai au sommeil…
**
Chapter 3: Temps
Summary:
Dans un recoin du Grand Hall, apaisés par la présence d'êtres chers, Link et Zelda ont finalement trouvé refuge dans un sommeil plus que nécessaire.
La Rancœur de Ganon a été anéantie, mais venir à bout de celle que le Héros portait contre lui même serait une autre paire de manches…
Chapter Text
"Regarder la rivière qui est de temps et d'eau
et se souvenir que le temps est une autre rivière…”
- Jorge Luis Borges
***
LINK
J’ouvris les yeux sur ma Princesse endormie: est-ce que je rêvais encore ? Elle était assise par terre, adossée contre le mur et plus étrange encore, elle tenait contre elle l’Epée de Légende... Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête? Les filles étaient décidément d’imprévisibles créatures.
Je pris soudain conscience de l’odeur de nourriture qui planait dans l’air : mon estomac vide se rappela douloureusement à mon bon souvenir. N’hésitant qu’un instant, je pris délicatement Zelda dans mes bras : un bras sous les genoux et un autre enroulé autour de ses épaules, appuyée contre moi... Mon cœur bondit de la sentir si près de lui. Je la portai sans difficulté pour l’installer à ma place sur la paillasse et par chance, elle dormait assez profondément pour que ça ne la réveille pas. Je me risquai un instant à caresser ses cheveux d’or : voir son visage aussi paisible était un bonheur bien trop rare pour ne pas en profiter un peu. Puis je la laissai là, la Lame Purificatrice toujours dans ses bras, veillant sur elle, et ma couverture sur le corps pour lui tenir chaud.
Alors que je m’apprêtais à descendre de l’estrade vers le réfectoire improvisé, le silence tomba sur le Grand Hall. Soldats et Officiers, les yeux rivés sur moi, se levèrent les uns après les autres pour me signifier leur respect. Gêné, je me grattai nerveusement l’arrière du crâne. Le silence n’était troublé que par un murmure impatient et par le raclement des sièges sur le sol. Puis par la douce voix de Revali…
« Prends pas la grosse tête, Demi Portion! »
« Oh la ferme, Ravioli ! » lui avait répondu Urbosa.
« Vas-y, p’tit gars ! Fais-nous un discours ! »
« Mais laissez-le tranquille, le pauvre ! » Daruk, Mipha.
Moi qui détestais prendre la parole en public, j’envisageai un instant de retourner me cacher sous ma couverture. Mais ce n’était pas le moment de faire le sauvage.
« Merci. Merci à vous tous et toutes. Mais je ne mérite pas tant d’honneur : c’est vous, vous tous qui avez gagné cette guerre ; je ne parle pas seulement des Armées, de la Princesse ou des Pilotes, je parle des chercheurs, des soignants, des cuistots, des cultivateurs, des forgerons, des marchands, des tailleurs… Pardonnez-moi si je ne peux pas tous vous citer, mais chacun de vous a joué son rôle. Je suis touché par votre accueil, mais je ne suis finalement que celui qui a donné le coup de grâce pour que votre Princesse puisse sceller Ganon… Un rôle parmi les autres. Vous êtes tous les « Héros d’Hyrule » autant que moi aujourd’hui, je tiens à ce que vous en soyez convaincus. Vous êtes tous mes frères d’Armes, quel que soit votre métier ou votre race et c’est un honneur d’avoir gagné cette guerre à vos côtés. Alors merci à vous… »
Sur l’estrade opposée, de l’autre côté du Grand Hall, le Roi Rhoam approuva mes paroles d’un signe de la tête et se mit à applaudir lentement; une puissante clameur s’éleva à sa suite dans la salle. Je ne savais plus où me mettre, j’inclinai brièvement la tête pour les saluer et rejoignis la cantinière qui, habituée à mon appétit et reconnaissante de mes mots, m’offrit une part copieuse de son ragoût.
ZELDA
J’étais une jeune fille enjouée et pleine de vie. Faisant danser mes doigts sur une harpe dorée, je chantais d’une voix angélique une mélodie étrangement familière. Link était là : son visage était différent et son regard flamboyait d’innocence, mais c’était lui. J’en avais la certitude absolue. À la fin de ma chanson, il posa d’abord sa main dans la mienne puis un genou à terre devant moi. Je m’élançai vers la mer de Nuages sans aucune crainte et m’envolai en riant sur un grand oiseau bleu…
« Esprit de ma Créatrice… Votre Grâce… Voyez… »
Ma vision s’était troublée et une voix étrange avait résonné en moi, dans une langue mystérieuse. J’étais certaine de n’avoir jamais entendu un tel dialecte mais j’en comprenais inexplicablement chaque mot...
J’étais un homme Sheikah en combinaison furtive, dissimulant mon visage dans une large étoffe blanche. Perché sur une falaise de glace, j’observais un autre Link traverser une caverne à la lumière de… d’une fée ? L’instant d’après, je reprenais ma harpe pour lui enseigner une chanson... Lorsqu’il courut vers moi pour m’empêcher de partir, je l’aveuglai avec une bombe de lumière pour m’enfuir à contrecœur.
« Nos âmes se sont retrouvées… » chanta encore la voix.
J’étais une femme de nouveau. Je tenais la main de ce même Link dans les miennes. Je voyais l’adoration dans son regard. Je sentais mon être se déchirer alors que je renvoyais l'Élu de l'Épée et de mon âme dans un autre passé. Anéantie, je m’effondrai au sol lorsqu’il disparut pour toujours. La douleur était telle qu’il me semblait m’être enfoncé moi-même une lame en plein cœur.
« Toujours, elles se retrouveront… »
J’étais une Reine déchue. Je m’étais agenouillée et j’enfonçais mes doigts dans la crinière d’un énorme loup. Un loup qui était indubitablement Link. La même détermination et le même courage se lisaient au fond de ses yeux : l’Âme du Héros…
« J’en estime la probabilité à 100%… »
J’étais une adolescente au teint hâlé. Le visage et les bras fouettés par les embruns, je courais pieds-nus sur le pont de mon navire en rugissant des ordres à mes subordonnés. Nous étions des Pirates. J’étais leur Capitaine. Link se tenait près de la proue : il me fit un clin d’œil complice et, à l’aide d’une étrange baguette magique, il leva un vent d’ouest pour moi.
« Quelque soit la forme… »
J’étais une jeune fille rongée par les doutes, qui affrontait un blizzard cinglant. Le bras devant les yeux pour les protéger du grésil, je ne pouvais pas voir à quel point je m’étais approchée de la corniche. Quand ma jambe s’enfonça dans la neige, je perdis l’équilibre, me précipitant vers le vide. Quelqu’un attrapa ma main de justesse. Link. Mon Link . Il me tira brusquement vers lui pour m’arracher à la mort et me serra si fort contre lui… Ce rêve-là, c’était un souvenir! C’était juste avant qu’il ne m’emmène en sécurité dans le refuge; le jour où Revali et lui s’étaient affrontés. M’aimait-il déjà à cette époque pour m’avoir étreinte si désespérément…?
« Quelque soit l’époque… »
J’étais moi, encore une fois. Je le sus en reconnaissant le visage de mon Link : mon Link certes, mais avec visiblement quelques années de plus. Armé d’une épée en bois et d’un sourire à toute épreuve, il échangeait des parades d'entraînement avec notre fils pendant que nos filles pataugeaient pieds nus dans la marre à la recherche de grenouilles. Du haut de notre village de montagne, j’observais au loin le château d’Hyrule toujours en ruines, en repensant à la sombre époque de la renaissance du Fléau, et à ce siècle que j’avais dû passer à contenir sa rage dans le Sanctum. Une enfant piaf blanche et or vint se poser à côté de moi et dit : « À kwak tu penses, Môman? ».
Je me réveillai en sursaut. Avais-je vu l’avenir ? Non… Ce n’était pas mon futur, c’était le futur de notre défaite: le futur dont venaient Teba, Riju, Terrako... Étourdie, je m’assis et cachai mon visage dans ma main, essayant de retenir le souvenir de ces rêves : les visages de ses incarnations, les visages de ces enfants qui étaient les miens et que je ne connaîtrai jamais… Je ne voulais pas les oublier.
La Lame Purificatrice luit faiblement sous mes doigts.
« Quelque soit la ligne du temps… »
IMPA
Les deux jours qui suivirent notre victoire furent presque aussi éprouvants que les deux jours qui l’avaient précédée. Il nous fallut organiser le ravitaillement pour nourrir cinq armées - en excluant les gorons - alors que les ressources se faisaient rares autour du château et que la plupart des routes avaient été coupées par les « exploits » des Créatures Divines. J’étais presque soulagée quand les Piafs, les Gorons et les Yigas s’en allèrent, mais ma joie fut de courte durée puisque j’appris dans la foulée que les réfugiés avaient commencé à affluer au Bourg. J’étais fatiguée rien qu’en imaginant leurs complaintes. Au moins cela voulait-il dire que les ministres de Sa Majesté n’allaient pas tarder à rentrer eux aussi.
En attendant leur retour, je secondais Sa Majesté dans ses tâches et n’avais que peu de temps pour me reposer. Malgré la désapprobation de son père, Son Altesse Zelda avait insisté pour prendre part à nos besognes et s’était vue chargée de la coordination inter-ethnique. Il s’inquiétait pour elle, et moi aussi. Outre son jeu du chat et de la souris désolant avec Link, elle semblait particulièrement soucieuse et dans la Lune : loin de la jeune femme sereine et accomplie qui était redescendue des quartiers principaux juste après avoir scellé Ganon...
Je guettais l’occasion de discuter avec elle depuis ce qui me semblait une éternité quand enfin, un soir, je la trouvai seule dans son jardin. Comme pour fêter la fin de la guerre, le beau temps semblait s’être installé pour un long moment ; aussi la nuit était-elle fraîche sous le ciel étoilé. Son petit kiosque avait été détruit pendant la guerre et Zelda s’était installée par terre contre le seul bout de muret qui en restait. Enserrant ses genoux entre ses bras, son regard se perdait au loin.
« Votre Altesse, je vous cherchais ! »
« Impa ? Tu vas bien ? »
« Oui je vous remercie… et vous, comment vous sentez-vous ? » demandais-je en me perchant sur des gravats à côté d’elle. Je remarquai alors le gros livre qu’elle serrait entre sa poitrine et ses cuisses, et reconnus un des Anciens Ouvrages que Saki venait de ramener du Village Cocorico... Elle prit une grande inspiration.
« Tout va bien. Je crois. »
Je sentais qu’il allait falloir lui tirer les vers du nez.
« Je n’ai pas vu Link depuis hier matin,» tentai-je, l’air de rien, «Sa Royale Majesté Votre Père voudrait lui parler, où avez-vous encore laissé traîner votre Chevalier ? »
Elle sourit avec douceur.
« Link est… dans cette direction. » Elle pointait du doigt la forêt au-delà du village des Mouettes et son sourire se tordit en une grimace d’incrédulité. « Et il va bien. C’est tout ce que je sais. Je lui ai donné quartier libre, je suppose qu’il est parti chasser… »
Je ne comprenais pas. Mais je la connaissais assez bien pour savoir qu’elle allait développer.
« Je… Je peux sentir la présence de l’Epée de Légende. J’ai entendu sa voix . Je savais que c’était possible, mais ça ne m’était encore jamais arrivé. Et depuis, je peux sentir sa présence spirituelle. Et son humeur, en quelque sorte. Là elle est en paix, endormie, il n’y a pas de danger.»
« Vous avez vraiment entendu sa voix ?? Que vous a-t-elle dit ? »
« Elle m’a montré des rêves, de nos précédentes incarnations. Et elle m’a dit, en somme… elle m’a assurée que… » Elle soupira, visiblement chamboulée : « Je suis désolée Impa je ne peux pas t’en dire plus, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris moi-même… Mais c’était comme entendre la voix d’une amie dont j’aurais désappris l’existence. Comme me souvenir d’un passé complètement oublié. Ces rêves étaient si réalistes…! Ils m’ont bouleversée…»
« Je comprends, » commentai-je sans conviction, « et donc, vous vous êtes installée ici pour surveiller l’Epée de Légende? Ou pour surveiller son charmant porteur ?» demandai-je pour détendre l’atmosphère.
Elle me gratifia d’un sourire espiègle.
« Ni l’un ni l’autre, Impa... J’étais venue ici pour lire des récits d’autrefois, au calme, et tenter d’en savoir plus sur ces rêves... J’avais juste oublié que les réverbères avaient été détruits… »
Elle me montra son livre et lorsque nos regards se croisèrent nous fûmes prises toutes deux d’un rire nerveux.
« Rentrons, Votre Altesse. Il commence à faire un peu frisquet ici. »
Je lui tendis la main pour l’aider à se relever. Elle pouvait bien nier l’évidence autant qu’elle le voulait, je ne la connaissais que trop bien: avant de me suivre, elle jeta un dernier regard vers la Forêt des Pommes...
ZELDA
Urbosa était partie ce matin-là avec ses Vaï. Ses paroles de félicitations et de fierté résonnaient encore en moi, et le fait qu’elle ait été autrefois la meilleure amie de ma mère, la Reine, leur donnait une saveur douce-amère. Comme tous les pilotes, elle avait reçu l’expression de notre gratitude et avec cela, un siège au Conseil d’Etat de notre Royaume. L’idée était de mettre en place une collaboration durable entre les peuples. Que la Nouvelle Hyrule soit Unie dans la Paix comme elle l’avait été dans la guerre.
Mipha serait la prochaine à s’en aller, et elle était ma dernière chance de répondre à une interrogation qui tournait à l’obsession.
« On m’a fait savoir que vous vouliez me parler, Votre Altesse ? »
Elle m’avait surprise dans ma rêverie dans un jardin du château. Arrivée derrière moi, je supposai qu’elle avait dû remonter une cascade pour me rejoindre ; je me sentais un peu stupide d’avoir tant surveillé l’escalier. Et j’étais anxieuse… Je la savais être la meilleure amie de Link, son amie d’enfance… J’avais été témoin de l’admiration et de l’affection que le grand Sidon aussi avait pour Link, l’appelant toujours « Mon Frère », même après un siècle... Ils étaient sa famille… Du moins la seule famille qu’il lui restait, dans cette réalité comme dans l’autre…
« Mipha… Princesse Mipha… En effet, j’aimerais m’entretenir avec toi, si tu le veux bien … C’est un sujet plutôt personnel, c’est pourquoi j’ai demandé à ce que tu me rejoignes ici ; je te remercie d’être venue…»
Elle m’observa un instant. Son regard s’arrêta sur mes mains jointes et son visage soucieux s’adoucit légèrement.
« Bien sûr, votre Altesse… »
« Tout d’abord, je voudrais te demander Pardon… Je sais que Link et toi êtes très proches, et j’ai pris conscience qu’en le blessant lui je t’ai aussi fait du mal. J’aimerais que tu sois sûre, cependant, que cela n’a jamais été mon intention : j’ai juste été… Idiote. Je m’en veux plus que tu ne peux l’imaginer et je te promets, Mipha, de faire tout ce qui sera en mon possible et plus encore pour réparer mes erreurs. Je l’aime, de tout mon cœur. Je crois que je l’aime depuis la Nuit des Temps… »
Nous baissâmes toutes deux les yeux. Elle ne répondit rien et je décidai de continuer à lui parler honnêtement. Au point où j’en étais…
« J’ai juste… Je n’arrive plus à l’atteindre. Il n’a plus confiance, ni en lui ni en moi… J’ai besoin de temps, Mipha… Pour que le jour où je le lui dirai, il puisse y croire… »
Elle me lança un regard d’une tristesse insondable et acquiesça en silence avec un sourire doux…
« J’ai également une question à te poser… Mipha… As-tu discuté du Futur avec Sidon ?»
Elle sembla soudain pétrifiée d’étonnement : un enfant pris la main dans un bocal de confiseries. Inutile d’attendre sa réponse : tout en sa réaction m’affirmait que c’était le cas. Je continuai avec énergie, en tentant de cacher le tremblement de ma voix.
« Et avez-vous discuté ensemble du futur de Link…? »
« Votre Altesse ! Même si c’était le cas, je ne pourrais vous le dire ! J’étais morte dans le futur : cela n’avait aucune importance que je sache ce qu’il s’y était passé ; mais dans votre cas cela pourrait influencer vos … »
« Mipha, je t’en prie! J’ai fait des rêves… inhabituels. J’ai besoin de savoir si c’est bien ce futur que j’ai vu! Cette… autre réalité… Ce n’est pas de la curiosité malsaine: j’ai besoin de savoir si ce sont bien des visions, montrées par l'Épée de Légende, et pas juste des hallucinations que je me serais créées moi-même ! Cela me rend folle, pour autant que je sache je le suis peut-être déjà ! »
Je m’arrêtai, me forçant à respirer profondément pour essayer de me calmer, puis tentai une nouvelle approche.
« J’ai vu… Un village perché dans les montagnes, il y avait des moulins, je me souviens de l’odeur de la mer… Mipha… Je t’en prie, dis-moi seulement : est-ce que nous habitons à Elimith, ensemble, Link et moi? »
Elle sembla hésiter à répondre, incrédule, puis m’avoua…
« Oui, Votre Altesse… dans la maison où il est né… »
Sous le choc, je portai la main à ma bouche. Je pris une profonde inspiration que je laissai s’échapper doucement entre mes doigts… C’était donc vraiment des visions, des visions du futur d’un autre monde…
« J’ai aussi vu des enfants…»
Lui demandais-je encore avec convoitise. Elle secoua la tête :
« Cela ne faisait que quelques mois que le Fléau avait été scellé quand Sidon et les autres ont été appelés à notre secours… Ces petites choses-là prennent plus de temps… »
Notre conversation s’arrêta peu après cela : je pense qu’elle comme moi avions besoin de reprendre nos esprits. Elle me demanda si j’avais vu son frère dans mes visions et je lui promis de lui en faire part si un jour cela arrivait. Elle retourna ensuite à ses préparatifs, me laissant ruminer seule sur ce qu’impliquait ce nouvel aspect de mes pouvoirs…
MIPHA
Les paroles de la Princesse Zelda m’avaient profondément remuée. Son aveu de ses sentiments pour Link avait été une première douche froide, mais je la surmontai très vite : je connaissais depuis longtemps ses sentiments et en entendre parler de sa propre bouche ne changeait pas grand-chose. Quant à sa promesse de réparer son cœur brisé, je l’avais plutôt accueillie comme un soulagement. Même si cela ne devait pas être avec moi, je souhaitais de tout mon cœur que Link soit heureux...
Non, ce qui me troublait, c’était la vision dont elle avait parlé. Elle s’était vue habiter à Elimith et y élever leurs enfants avec Link, comme dans le Futur dont était venu Sidon : ce futur où le château était en ruines depuis cent ans; ce futur où l’Ombre d’Eau de Ganon m’avait tuée au coeur de Ruta...
Que Sidon et les autres en soient venus était une chose… Mais nous avions déjà changé le passé ! Les trois autres prodiges, le Roi Rhoam, et moi, nous étions tous les cinq sains et saufs ! Ce futur empreint de regrets et de larmes n’existait plus !
Mais dans ce cas… Où étaient repartis Riju, Teba, Yunobo? Savaient-ils seulement s’ils allaient naître un jour dans ce futur modifié? Est-ce qu’on meurt quand on tente de retourner dans un monde où l’on n’a jamais existé ? Est-ce qu’on disparaît comme la flamme d’une bougie que l’on souffle? Pourquoi ne semblaient-ils pas du tout avoir peu que cela arrive? Et pourquoi leurs souvenirs du futur n’avaient-ils pas changé au fur et à mesure que nous avions changé le cours du temps ?
Pourquoi dans les visions de Zelda comme dans les souvenirs de Sidon, Link et elle vivaient une vie de jeune couple dans cent ans , eux dont l’espérance de vie était si courte comparée aux Zoras… Sidon m’avait bien expliqué ce qu’avait dû faire la Princesse dans l’ancien futur, quand Link était tombé à ses pieds, à moitié mort, et sans moi pour le soigner… Elle s’était scellée en dehors du Temps avec la Bête, attendant un siècle que Link revienne à la vie par les soins d’une machine Sheikah : c’est pourquoi ils étaient encore si jeunes même dans cent ans... Mais ce futur n’existait plus! Non ! Il n’existait plus ! C’était impossible!
Je bouillonnais intérieurement : je m’étais tellement focalisée sur mon frère Sidon et sur mes propres sentiments pour Link que ces questions et ces incohérences m’étaient passées complètement à côté. Je me remémorais notre au-revoir :
« J’imagine qu’un jour ou l’autre… nous nous reverrons… » lui avais-je balbutié.
Une ombre était passée dans son regard. Il avait soupiré avant de me répondre.
« Oui… Je serai toujours à tes côtés, je t’en fais la promesse, ma chère sœur. »
La Princesse… Quels mots avait-elle employés, déjà ? « Cette… Autre réalité… »
Je tombai à genoux en ouvrant enfin les yeux sur l’inconcevable : nous n’avions pas changé le futur, nous en avions créé un nouveau. Ce n’était pas de lui-même que mon frère avait parlé lors de ses adieux, mais de son alter-ego de mon époque : le petit Sidon, qui allait grandir avec moi et deviendrait un jour le fier et beau Prince que je chérissais. Il n’avait pas menti : il serait toujours à mes côtés. Mais lui, le Sidon du futur, avait regardé dans les yeux de sa grande sœur pour la toute dernière fois, et était reparti vers une réalité où j’étais morte.
« Oh, Sidon … ! »
Mon cœur se serra si fort en pensant à ce qu’il avait dû ressentir que je crus mourir de douleur. Il m’avait caché sa peine pour me protéger une dernière fois, et était reparti dans une réalité où personne n’était venu me sauver… Je comprenais enfin pourquoi son expression semblait si souvent mélancolique: derrière son enthousiasme démesuré et le sourire éclatant qu’il affichait pour nous donner du courage, mon petit frère souffrait. Il savait que rien de ce qu’il pouvait faire ne lui rendrait jamais sa sœur.
Avait-il au moins trouvé une forme de paix, d’avoir pu me connaitre un peu mieux ? D’avoir pu épargner ces épreuves à son autre lui ? Ou est-ce qu’au contraire le regret était d’autant plus fort, de n’avoir pas eu la chance de vivre dans le « bon » futur?
Non… Pas Sidon… il n’aurait jamais souhaité que le mal soit tombé sur un autre plutôt que sur lui. Il était trop altruiste et courageux pour ça…
Je pensai aux visions de Zelda. Il me suffisait de fermer les yeux un instant pour les imaginer : Link heureux, loin des affèteries du château, entouré d’une ribambelle d’enfants que je n’aurais jamais pu lui donner... Et mon frère, leur oncle de cœur, leur apprenant à nager comme de vrais petits Zoras. Peut-être finalement n’y avait-il pas de bon ou de mauvais futur…
Comme l’avait si bien fait mon frère, je m’efforçai de contenir mes émotions. Je devais organiser le rapatriement des troupes et de Ruta - ne pouvant plus compter sur la téléportation depuis la perte du Petit Gardien. Je voulais retrouver mon petit Sidon au plus vite pour le serrer dans mes bras. Pour deux.
***
Chapter 4: Trône
Summary:
Tandis que Zelda continue à investiguer ses nouveaux pouvoirs, Mipha quant à elle a enfin pris conscience du fardeau que son frère Sidon portait en silence. Mais il était grand temps pour les deux Princesses de détourner les yeux du passé et de choisir les couleurs dont elles voulaient peindre l'Avenir.
Mais où est donc passé le doux Prince de leurs pensées ?
...
..
.
A la pêche pardi... c'est Link bon sang vous voulez qu'il soit où ?
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
"Venez, hâtons-nous, les étoile s’élèvent au firmament,
et déjà la nuit trône en monarque au milieu du ciel."
- John Milton
****
ZELDA
L'Étude privée de mon père n’était pas un endroit que j’avais souvent eu l’occasion de visiter. C’est là qu’il venait généralement pour s’isoler, et particulièrement quand il avait besoin de ruminer son chagrin de veuf ou sa déception vis-à-vis de moi. Mais ce jour-là, il m’y avait conviée. Il m’avait faite m'asseoir en face de lui et avait posé devant chacun de nous un petit verre d’eau de vie de pomme.
« Ma fille… Je n’aurai jamais les mots pour exprimer à quel point je suis désolé de vous avoir traitée aussi indignement… Ni ceux pour vous dire à quel point je suis fier de vous. Hyrule ne tient son salut qu’à votre détermination et à votre bonté… »
« Père, je … »
« Je sais ce que vous allez dire : vous allez me parler de vos amis, de l’aide reçue de tous les peuples. Je sais tout cela, je suis fier de tout mon Royaume. Mais c’est vous qui les avez fédérés, c’est vous qui les avez menés à la Victoire. Même votre étrange relique dont vous disiez qu’elle voyageait dans le temps, si vous ne l’aviez pas assemblée votre mère et vous… Oh, Zelda, comme j’aurais aimé qu’elle voie la femme que vous êtes devenue… elle serait tellement fière de vous, tellement fière de vous… »
Il se perdit un instant dans sa mélancolie avant de reprendre. « Ma fille, si je suis encore en vie, c’est uniquement grâce à vous… Et j’espère être là encore longtemps… Mais Hyrule vous doit cette victoire, et aux yeux de notre peuple, comme vous l’étiez déjà aux yeux de votre mère dès votre naissance, vous êtes déjà la Reine. »
Je ne savais quoi lui répondre… Était-il en train de me proposer de prendre sa place sur le Trône dès maintenant ? Je pris une gorgée d’eau de vie et manquai de m’étouffer, surprise par le goût âpre du liquide. Il avait raison, en un sens. Je l’avais senti aussi. C’est moi que le peuple avait suivie dans l’ultime bataille, pas lui… Pour autant, je ne me sentais pas encore prête à assumer la gestion politique du Royaume toute seule. « Je suis heureuse d’avoir pu vous faire Honneur, ainsi que d’avoir pu faire honneur à mon titre. Cependant j’espère vivre encore longtemps sous votre règne.»
Il sourit avec bienveillance. « Une partie de moi voudrait vous laisser humblement sa place sur le trône dès aujourd’hui… l’autre partie aimerait pouvoir vous restituer vos années d’Enfance, sacrifiées sur l’autel du Devoir. Je souhaite vivre assez vieux pour vous offrir quelques années de répit… Accepteriez-vous cependant de me seconder dans la vie politique ? De passer plus de temps avec votre vieux père, pour qu’il vous enseigne ses Royales combines ? » Il avait dit ça sur un ton plus paternel que royal et j’acceptai avec gratitude. Après toutes ces années focalisées sur la prière, il allait bien falloir que j’apprenne à gouverner un jour... Autant que ce soit auprès du meilleur.
Après quelques minutes de discussion plus détendue, il sembla hésiter avant de me demander : « Ma fille… Toutes les versions des évènements qu’on m’a rapportées, la vôtre y compris, corroborent le fait que vos Saints Pouvoirs se sont éveillés lorsque vous avez voulu sauver la vie de votre Chevalier Servant… »
« Oui Père… Il était dans une situation critique et … Nous ne pouvions pas nous permettre qu’il soit sacrifié. En tant qu'Élu de l’Épée il était trop important pour le Royaume…»
Et il l’était, c’était la vérité, même si ce n’était pas pour ça que mes pouvoirs s’étaient éveillés pour lui… Mes Pouvoir s’étaient éveillés car je ne pouvais pas supporter l’idée même de sa mort : plutôt périr avec lui que subir sa perte ! Le Roi Rhoam aussi s’était sacrifié pour que je puisse m’enfuir. Comment avouer à mon propre Père, mon Roi et unique parent que j’aimais ce garçon plus que je ne l’aimais lui ?
« Le Devoir alors…» dit-il dans un soupir, «J’avais fini par croire que… Non, oublions cela… Cela m’amène à un autre sujet que je me devais d’aborder avec vous… Après toutes ces années à vous presser à propos de vos pouvoirs, j’éprouve une grande révulsion à vous mettre à nouveau devant les responsabilités de votre naissance. Mais vous êtes la seule héritière de votre mère, la seule héritière femelle du Sang d’Hylia… vous avez désormais dix-sept ans et donc… L’âge de trouver un époux, pour transmettre le Sang de la Déesse à votre tour…»
A ces mots, mes pensées se tournèrent de nouveau vers Link. Je repensai à son étreinte sous les étoiles dans la Plaine de Cernoir, je revis chaque geste de bravoure, chaque geste de tendresse qu’il avait eu pour moi depuis notre rencontre… Ses yeux si doux dans lesquels j’aurais voulu me perdre, la détermination implacable que je lisais sur son visage dans les moments critiques… Je ne voudrais personne d’autre au monde. La vision de mon époux jouant avec son fils à Elimith dans cet autre futur s’afficha un instant dans mes yeux : je sentis mon cœur s’emballer et la chaleur qui montait sur mes joues était signe que je devais certainement rougir. Face à mon silence gêné, mon père continua.
« Je me doute bien que cette guerre n’a pas été le contexte idéal pour rencontrer des garçons convenables… Mais je voulais vous prévenir : les prétendants risquent d’affluer bientôt au château pour vous courtiser. Puisse la Sagesse de Nayru guider votre cœur… »
LINK
Une journée et une nuit en solitaire dans la Nature m’avaient fait le plus grand bien. Peut-être était-ce d’avoir grandi au Domaine Zora, mais passer du temps près d’un cours d’eau m’apaisait toujours. Dévorer du poisson frais grillé sans prendre la peine de surveiller mes bonnes manières aussi. Après une nuit sereine à contempler les étoiles, je passai une bonne partie de ma journée à dévorer autant de truites que je pouvais en capturer. Puis je restai un long moment à barboter dans l’eau, pendant que mes vêtements fraîchement lavés séchaient sur une branche de pommier, au doux soleil de la fin d’été.
A mon retour au Château, je fus accueilli par Mipha qui attendait mon retour avec une anxiété apparente. Elle tenta de me faire gober qu’elle n’avait juste pas voulu partir sans me dire au revoir, mais pas moyen que cela suffise à expliquer un tel désarroi. Têtu comme un mulet cabot, et je finis par lui faire cracher ce qui n’allait pas : elle me confia qu’elle venait de comprendre que le grand Sidon était reparti dans son propre futur, où elle n’était plus, au lieu d’aller juste plus loin dans notre propre temps comme elle l’avait cru. Qu’elle se sentait idiote de n’avoir pas compris plus tôt, et affreusement triste pour lui. Je la pris dans mes bras et la consolai longuement, comme elle l’avait si souvent fait pour moi quand j’étais alevin : jusqu’à ce que la fontaine de ses larmes se tarisse , comme elle disait à l’époque… A son départ, elle semblait apaisée. Elle me fit promettre de ne pas attendre six autres années pour lui rendre visite au Domaine, cette fois.
Alors que je rejoignais mes quartiers, Impa m’aborda pour m’avertir que Sa Majesté le Roi exigeait ma présence de toute urgence dans la Bibliothèque. La Salle du Trône ayant été détruite lors de notre combat, c’est désormais de là-bas que Le Roi exerçait son pouvoir. Devant ma mine inquiète, Impa me rassura :
« Mais ne t’inquiète pas comme ça, triple buse ! C’est juste qu’il veut te parler avant votre départ demain… Ah, oui ! Je ne t’ai pas dit, mais la Princesse souhaite passer quelques jours au Laboratoire Antique et de toute évidence elle ne va pas y aller sans son garde du corps. Vous serez seuls, par contre ; sans le reste de la garde. Merci qui? Merci Impa ! La campagne a retrouvé sa tranquillité et entre nous, comme j’ai dit à Sa Majesté, même si ça n’avait pas été le cas à vous deux vous n’avez pas besoin de qui que ce soit pour vous protéger. Au fait, tu étais où ces derniers jours bon sang, pendant qu’on bossait, nous ? Tu sens le poisson… »
Je me demandais encore si ma soi-disant odeur de poisson était due à mon récent régime alimentaire ou à mon câlin d’au-revoir à Mipha quand nous arrivâmes à la Bibliothèque. Le Roi s’était installé en haut de l’escalier du fond : ah ça, il aimait bien regarder ses sujets de haut. Impa m’annonça puis alla se poster à l’écart. Je mis un genou à terre devant mon Roi, et inclinai respectueusement la tête. Ces convenances ronflantes pourtant facilement oubliées sur le champ de bataille avaient vite repris leurs droits ici au château.
« Link… Héros d’Hyrule… Tu as vaillamment accompli ton devoir, non seulement de Chevalier Purificateur mais de Garde-du-Corps de ma très chère Zelda. Mes officiers ne tarissent pas d’éloges à ton sujet : ils m’ont relaté les nombreuses fois où tu avais mis ta vie en jeu pour la protéger ou sauver tes compagnons d’armes. J’ai entendu ton discours l’autre jour, comme tu le sais. Ton humilité est admirable, mon garçon, mais je tiens à ce que tu saches que personne n’oubliera pour autant ce que notre Royaume te doit.»
« Je vous remercie, Votre Majesté. Vos paroles m’honorent, cependant je n’ai fait que mon devoir…»
Je l’entendis souffler dans sa barbe : il semblait agacé.
« Devoir ou pas… Je souhaite te récompenser. Cependant, rien de ce à quoi je peux penser n’est à la hauteur du service que tu as rendu à ta patrie. Alors je te le demande directement : À quoi aspires-tu, Link? Que puis-je t’offrir ? »
Je tentais de calmer mon agitation. L’idée de lui demander directement la main de sa fille comme dans les contes pour enfants me traversa furtivement la tête : non, non , ce n’était certainement pas à lui de m’accorder l’affection de la Princesse. Tout ce que je pouvais lui demander était le droit d’essayer de la conquérir par moi-même. Je pris une profonde inspiration.
« Votre Majesté… Je ne vois aucun bien matériel, aucune richesse à vous demander… Savoir le Royaume en paix et votre fille sauve est ma plus belle récompense… » La boule dans ma gorge m’empêcha presque d’avaler ma salive. J’invoquai silencieusement le courage de Farore. « Cependant, Votre Majesté… il y a bien quelque chose que vous pourriez m’accorder… »
« Eh bien allons, parle mon garçon. Quelle est cette chose ? »
« Je souhaiterais… un plus haut titre de Noblesse…»
Le Roi fronça les sourcils et me considéra gravement.
« Je suis désolé mon garçon, mais de toutes les choses… »
Il se leva et, nerveux, commença à faire les cent pas.
« Il m’est impossible d’accéder à une telle requête voyons ! »
Il semblait de plus en plus furieux à chaque seconde. A croire que je lui avais demandé de partager le souper avec un rat. Je regardai le sol où j’étais encore agenouillé, serrant le poing jusqu’à le faire trembler.
« Je vous prie de m’excuser, Votre Majesté.»
Je ne fus même pas capable d’attendre qu’il m’autorise à me relever. Un torrent de déception et de honte me poussa sur mes jambes et je quittai la pièce en trombe.
IMPA
Link venait de détaler de la salle devant le Roi abasourdi. Je pris la place de mon ami au milieu de l’allée:
« Votre Majesté ! Permission de le suivre pour tirer ça au clair? »
« Te rends-tu compte de ce que ce bec-jaune vient de suggérer ?? »
« Oui Majesté… Mais cela ne lui ressemble pas… Je pense qu’il y a eu méprise… »
Il hésita. Même d’ici je pouvais voir ses narines se dilater d’indignation.
« Accordé. Mais reviens me faire ton rapport immédiatement après. Quelle que soit l’heure. »
« A vos ordres, Majesté. »
Et je partis en courant sur ses traces.
Savoir dans quelle direction il était parti n’allait pas être évident, mais rien n’est impossible pour une Sheikah ! Première intersection : je pris sans hésiter le couloir de droite où son odeur de poisson planait encore dans l’air. A la seconde, c’est le regard médusé de deux servantes qui m’aiguilla sur la direction à suivre… J’avais perdu sa trace dans les jardins mais fus interpellée par un bruit de poterie brisée… Venant de la remise des jardiniers!
Je déboulais en dérapage contrôlé dans l’encadrure de la porte : à l’intérieur du cabanon, c’était bien Link. Dans sa fureur, il brisait frénétiquement les pots en terre cuite de ses poings déjà ensanglantés. Fantastique, vraiment ! Il y avait une chose que les minions de Ganon n’avaient pas détruits et c’est le Héros lui-même qui s’en chargeait!
« LINK ! Bon sang mais qu’est-ce qui te prend !? ARRETE !»
Pour toute réponse, il lança une jarre contre le mur. J’allai à lui et lui servis un bon coup de coude dans l’estomac avant de l’immobiliser, la face au sol et les bras dans le dos, par une prise dont mon peuple avait le secret.
« Du CALME j’ai dit ! … C’est bon ? »
Il se dégagea par la force et se redressa sur ses genoux. Il semblait cependant avoir retrouvé un peu de ses esprits.
« Bien ! Explique-toi, maintenant ! »
« Il n’y a rien à expliquer… »
« Oh mais pas de problème ! N’explique pas, alors ! Mais je te conseille d’aller très vite faire tes bagages et de disparaître de la région, parce que Sa Majesté ne va pas en rester là ! »
Toujours à genoux dans la terre battue, il me regardait avec l’air misérable et abruti d’un chien battu…
« Je suis désolé… J’aurais dû rester à ma place… Ce serait sûrement mieux que je parte oui… De toute façon, ma mission est terminée. Je n’ai plus ma place ici… »
Le Héros avait l’air de s‘effondrer, intérieurement comme extérieurement. Je lui saisis le bras, au-dessus du coude, et lui dis plus gentiment.
« Hey… Tu ne vas tout de même pas faire ça à notre Zelda, si ?»
Je savais qu’il avait des sentiments pour elle : même un goron aveugle l’aurait vu. Il tourna vers moi un visage accablé : sous ses yeux et le long de ses joues, des larmes silencieuses reflétaient la faible lueur qui filtrait dans la remise.
« C’est précisément à cause d’elle que je dois partir… Je ne peux pas, Impa… Je ne peux pas rester là et la côtoyer sans plus jamais la toucher ; sans aucun espoir de réparer ce que j’ai brisé… Je ne pourrai pas la regarder se marier à un autre, je deviendrai fou ! C’est au-dessus de mes forces…! J’aurais voulu mourir au combat. Au moins aurait-elle gardé un bon souvenir de moi… »
« Mais de quoi parles-tu ? Tu en as discuté avec elle, au moins ? »
« Inutile de discuter de quelque chose qui n’existe pas. Les rats des champs comme moi n’épousent pas les princesses . » Il cacha son visage dans sa main. « C’est pour elle que je voulais un titre. Ça n’aurait pas réparé les choses entre nous, mais au moins ça n’aurait plus été illégal que j’essaie... Il m’a refusé ce droit et je crois que ça veut tout dire…»
« Mais enfin Link… » Tentai-je de l’interrompre.
« Ne fais pas l’innocente Impa… Je n’écoute pas aux portes mais je n’ai pas pu m’empêcher de vous entendre en parler Zelda et toi : du scandale que ce serait si elle tombait amoureuse d’un roturier comme moi. Vous le savez aussi bien que moi. Toutes les deux. Je ne suis pas assez bien né pour elle. Comment a-t-elle pu me laisser croire que… »
Il dégagea son bras de mon emprise et, de rage, fit voler un autre pot contre le mur. Je le saisis plus solidement, au poignet cette fois, me décalant d’un bond face à lui pour le forcer à m’écouter. De mon autre main, je le giflai vivement pour lui remettre les rouages en place.
« TU VAS LA FERMER ET M'ÉCOUTER OUI ??? » Il s’arrêta, saisi. « Espèce d’Idiot ! Idiot, idiot, IDIOT!! Je me souviens de cette discussion avec Son Altesse : on venait juste de te rencontrer, sombre crétin ! Les choses ont changé depuis, bon sang ! Tu n’as donc pas la moindre idée de ce que représente cette Épée que tu portes dans ton dos ? » Je ne lui laissai pas le temps de répondre. « C’est l’Epée de Légende, espèce d’abruti ! Forgée par la Déesse Hylia pour son Héros! L’Epée du Premier Chevalier Purificateur… qui a épousé la Première Incarnation humaine de la Déesse !»
Il m’observait sans comprendre, avec son air ahuri… Ah ! Je dus me retenir de lui en coller une autre !
« Tu portes l’épée du Premier Roi d’Hyrule, fondateur d’une dynastie millénaire… Selon la légende, si l'Épée t’a choisi, c’est parce que tu es la propre réincarnation de son Maître ! Quand je vois ton manque de jugeote j’avoue que j’en doute ! Mais les Ancêtres de Zelda y croyaient, eux. Penses-tu qu’ils auraient été assez débiles pour ne pas assurer à leurs futures incarnations de pouvoir se retrouver ? Selon une des plus anciennes Lois d’Hyrule, le Chevalier Purificateur ne doit allégeance qu’au Roi, à la Reine et à leur premier Héritier. En d’autres termes quelle que soit ta naissance, à l’instant où tu as tiré cette épée de son piédestal, il n’y a plus eu personne de plus digne que toi dans tout le Royaume pour épouser la Princesse! Et le seul plus haut titre de noblesse que le Roi Rhoam pouvait te donner… C’est le Sien !! Andouille ! Tu viens de lui demander d’abdiquer en ta faveur, Imbécile!! »
Je le giflai encore une fois, pour la forme. Le blanc de ses yeux était rougi par son chagrin et sur ses joues marquées par mes claques, ses larmes mêlées de poussière avaient formé une boue immonde. Il me fixait sans aucune expression : les informations semblaient mettre un temps fou à atteindre son petit cerveau et ce n’était pas plus mal car en vérité, son statut lui aurait donné le droit de me faire couper la tête sur le champ pour l’avoir traité comme je venais de le faire.
« C’est … Tu dis ça sérieusement… ? Je n’arrive pas à le croire… »
« Tu me crois vraiment capable de plaisanter là-dessus dans un moment pareil ?! » Lui aboyai-je. Il lâcha finalement une longue expiration, et un sourire en coin apparut sur son visage.
« … Je n’en avais pas la moindre idée… Pas la moindre idée… Tu as raison Impa : je suis un imbécile…»
Et sur ces simples mots, il agrippa mes épaules de ses mains poisseuses et se mit à pleurer de soulagement ; ou bien riait-il ? Je ne saurais même pas dire… Presque attendrie - presque, seulement - je lui tapotai amicalement le dos. « Alala, de mieux en mieux… Allez, reprends toi gros bêta : il va falloir expliquer ça à Sa Majesté maintenant.
Et pour l’amour de Nayru, tu pues vraiment, Link…»
RHOAM
Impa revint au bout d’un moment avec cet effronté de Link : sale, déguenillé et ensanglanté, il avait l’air d’un gamin des rues. Il reprit sa place au milieu de l’allée, un genou à terre aux côtés d’Impa, la tête humblement baissée. D’un signe de la main, j’octroyai la parole à mon Adjointe.
« Votre Majesté, je vous ramène Le Chevalier Purificateur, au nom duquel je vous implore la plus grande indulgence. Pour en venir au fait, il n’avait aucune idée des privilèges et du statut social que lui donnait déjà son titre d’Elu de l’Epée, et se considérait comme un simple militaire de basse extraction. On peut certes lui reprocher d’être complètement inculte mais absolument pas d’en vouloir à votre règne. Je suis prête à m’en porter garante, au prix de ma propre vie, Votre Majesté. »
Impa était une conseillère aussi perspicace que dévouée. Elle avait ma confiance absolue et ses mots adoucirent un peu mon courroux. Le gamin avait levé la tête vers elle, les sourcils froncés, visiblement surpris par ses paroles.
« Merci, Impa. Chevalier, tu sembles étonné. Confirmes-tu ses dires ? »
« C’est juste que… Oui votre Majesté. Je vous demande pardon pour l’affront que je vous ai fait sans le savoir. Dame Impa m’a tout expliqué… je peux vous assurer que je n’ai jamais eu aucun attrait pour le Pouvoir… »
Je savais qu’il avait été élevé auprès du Peuple Zora dont le système hiérarchique était fort différent, mais tout de même !
« Mais bon sang mon garçon… Comment le porteur de l’Epée lui-même peut-il ignorer ce qu’elle représente?! »
« Il faut croire que je suis un idiot, Majesté. Je savais juste que la Lame Purificatrice était indispensable pour lutter contre le Fléau. Au moment de la sortir de la pierre, elle était surtout ma seule chance de pouvoir sauver la vie de votre fille... J’ai ensuite endossé les responsabilités qui venaient avec. Je n’ai pas cherché à savoir si elle pouvait me donner d’autres avantages que la magie de sa Lame... »
« Eh bien c’est tout à ton honneur si c’est vrai… Savais-tu tout de même que si l'Épée ne t’avait pas Reconnu, tu aurais perdu ta vie sur l’instant ? »
« Oui Majesté, c’est ce qu’on dit. »
« Mais tu as tout de même pris ce risque, sans contrepartie ? »
« C’est que… Je n’avais pas vraiment le choix ! Protéger Zelda m’a semblé une contrepartie largement suffisante! Je veux dire… Est-ce qu’on n’aurait pas tous été condamnés sans elle, de toute façon ? »
« Baisse d’un ton, Chevalier! Dois-je te rappeler à qui tu parles ?! Il y a encore un point qui me laisse perplexe : puisque tu es soi-disant si désintéressé, pourquoi requérir les privilèges de la Noblesse et pourquoi t’être mis dans un tel état face à mon refus ? Parle!»
« Votre Majesté, je… » Il avait l’air embarrassé et je pensais avoir déjoué sa supercherie. « Je voulais juste être légalement digne de courtiser la femme que j’aime, Majesté. »
Je commençais à comprendre et ce fut à mon tour de me sentir idiot. Puisqu’il se voyait encore comme un simple petit chevalier de basse naissance, Zelda lui était complètement inaccessible.
« C’est pour ma fille que tu nourris ces sentiments, n’est-ce pas ? Tu viens de m’avouer être prêt à donner ta vie pour elle sans un regard en arrière, et j’ai bien vu ta façon de la couver du regard à chaque instant, que ce soit sur le champ de bataille ou ici-même au château. Crois-le ou non, mais j’ai été jeune et amoureux moi aussi, autrefois.»
Il leva brièvement des yeux coupables vers moi avant de répondre :
« Oui, c’est pour elle, Majesté. »
« En a-t-elle connaissance… ? »
« Oui, Majesté. »
« Partage-t-elle ces sentiments ? »
Le Héros Légendaire qui avait sauvé mon Royaume, que j’avais initialement convoqué pour lui offrir une récompense et qui se retrouvait interrogé comme un voyou avait semblé de plus en plus pitoyable au fur et à mesure qu’il répondait à mes questions. Son regard s’égara un instant. Quand il tourna de nouveau ses yeux vers moi, ils brillaient d’une détermination sans mesure :
« … Cela fait hélas partie de l’immense liste des choses que j’ignore complètement, Votre Majesté. »
Je les congédiai tous les deux et rejoignis mon Étude pour ruminer ces nouvelles informations. Ce Link… Dont j’avais moi-même reconnu l’héroïsme au point de le nommer Chevalier Personnel de ma fille, avait ensuite été reconnu par l'Épée, puis avait gagné l’adulation de mon peuple en quelques semaines, avait éveillé les pouvoirs de Zelda quand rien au monde n’en semblait plus capable, et aujourd’hui ma plus fidèle magistrate aurait mis sa vie en jeu sans hésiter pour le défendre. En réalité, aurait-il vraiment voulu me renverser il n’en aurait eu aucun mal. En avait-il seulement conscience ? Tout ce qui semblait l’intéresser était de savoir si oui ou non il pouvait aussi gagner le cœur de la Princesse. Ah, la jeunesse…
Une autre chose était sûre : si ce garçon était censé me succéder sur le trône auprès de ma fille, il allait d’abord falloir sévèrement combler les lacunes de son éducation.
ZELDA
Le soir tombait sur la Plaine d’Hyrule. Après le dîner, j’étais revenue m’adosser au petit mur de pierre subsistant de mon kiosque, en prenant soin d’emmener une couverture cette fois, pour supporter le froid un peu plus longtemps ; déjà je m’étais emmitouflée dedans. Je sentais la présence de l’Epée se rapprocher : notre connexion s’était estompée un peu pendant l’absence de son Maître, mais depuis que Link était rentré au château, je la sentais de nouveau plus clairement. C’est ainsi que je sus que c’était Lui, lorsque quelqu’un arriva derrière moi.
« Link… » Dis-je sans me retourner.
« Votre Altesse! Vous n’allez pas me dire que je sens encore le poisson, vous aussi?»
Je me retournai vers lui et souris sans comprendre sa remarque :
« Hmm non ! Pourquoi ? »
« Oh… C’est compliqué… » Dit-il en grimaçant avant de se gratter l’arrière de la tête. «Puis-je rester un peu avec vous ? »
« Bien sûr Link… ! Je t’en prie, viens t’asseoir… »
Détachant la bandoulière, il posa l'Épée contre le mur. Alors qu’il s’approchait, je remarquai des plaies récentes sur ses mains.
« Link… ! Que t’est-il arrivé ? » Je le vis chercher ses mots tandis qu’il s’asseyait à ma droite.
« Je… Je me suis battu contre des potiches et j’ai perdu. Je ne doute pas qu’un jour Impa se fera une joie de vous raconter cette humiliante défaite mais je lui ai déjà fait promettre de ne pas vous en toucher mot… Pas avant que … Enfin… Pas pour le moment en tout cas. »
La curiosité me rongeait mais je n’insistai pas, craignant qu’il ne s’enferme de nouveau dans le mutisme… Il pouvait être tellement réservé parfois… J’ouvris mon escarcelle, en sortis son petit pot de pommade miraculeuse. Je le lui montrai par le haut de la couverture... « Est-ce que ton onguent pourrait aider ou est-ce que ça ne fonctionne que sur les ampoules ? »
« Ça pourrait oui, merci : ampoules, crevasses, égratignures… tous les petits bobos…»
Il tendit sa main dévastée pour prendre le pot mais je le cachai rapidement sous la couverture pour le mettre hors de sa portée.
« Non, Link. Toi , donne-moi ta main. Laisse-moi m’en occuper…» Je me décalais vers lui et, sortant les bras du plaid, je pris sa main délicatement dans la mienne. De mon autre main, j’appliquai doucement de la pommade sur ses écorchures. Ce n’était pas la première fois que je le soignais ainsi, mais cela faisait quelques temps maintenant que ça n’était plus arrivé… Par Din, qu’est-ce que ce contact avait pu me manquer !
Je soupirai devant l’étendue des dégâts : outre des coupures et éraflures, sa main était toute ecchymosée… « Et évidemment c’est le seul jour où tu ne portes pas tes gants que tu pars pourfendre la poterie … » Il laissa s’échapper un petit rire gêné. Comme d’habitude, il ne laissa rien transparaître de ses douleurs. Je sentais son regard rivé sur moi, passant de mon visage à mes mains… Je faisais mon possible pour m’en dérober, afin de ne pas être plus troublée encore... J’espérais que dans la pénombre il ne me voyait pas trop rougir…
Quand j’eus fini, il laissa sa main posée dans la mienne quelques instants de plus qu’il n’était nécessaire, le bout de ses doigts caressant délicatement mon poignet… Mon cœur battait dans ma poitrine comme les ailes d'un oiseau affolé. Ma voix dérailla un peu quand je lui dis :
« Laisse-moi voir l’autre, Link… » Il s’exécuta et je me mis au travail dans l’obscurité grandissante. Oh, j’allais prendre mon temps pour celle-là, mon Amour...
Sa main meurtrie dans la mienne, je repensai aux visions que m’avait montrées la Lame Purificatrice. Je ne lui en avais pas encore parlé : j’avais eu besoin de laisser reposer mes pensées et émotions, d’y voir plus clair... Ma discussion avec Mipha m’avait en cela bien aidée… Et pourtant, m’ouvrir à lui à ce sujet était une épreuve : allait-il seulement me croire, ou me penserait-il folle? Ne risquait-il pas de se sentir surveillé? C’était déjà si embarrassant d’en parler avec une amie de longue date, j’appréhendais d’en parler avec lui... Oh Farore, donne-moi le Courage…
« Link… Te souviens-tu, l'autre jour, quand je me suis endormie avec ton épée ? »
« Oui bien sûr… c’est moi qui vous ai installée sur ma couchette quand je me suis levé si c’est ce que vous vous demandez. Je me disais que vous y seriez mieux que par terre, contre le mur… »
A mon réveil, le choc de mes visions avait été si grand… Avant qu’il ne me le fasse remarquer je n’avais même pas réalisé que j’avais été déplacée pendant mon sommeil.
« Non… Non, ce n’est pas ça… Link… l’Epée de Légende… Ce jour-là, j’ai entendu sa voix… Elle m’a montré des rêves… Je n’ai pas osé t’en parler quand je te l’ai rendue… Et depuis lors, je ressens sa présence, où que tu l’emmènes… » Je détournai les yeux. Il ne dit pas un mot... «Dans ces rêves j’ai vu plusieurs de nos précédentes incarnations, et cela semblait tellement réel, Link ! J’étais elles ; j’étais dans leur peau, je pensais avec leur tête, je ressentais avec leur cœur… Il n’y a qu’à ton visage que je savais reconnaître si j’étais moi ou… Une autre Zelda, avec un autre Héros… »
Dans mon désarroi je m’étais mise à genoux face à lui. Il avait dû deviner ma détresse dans ma voix et mes gestes, car il fit glisser la main que je soignais jusqu’alors le long de mon avant-bras, qu’il pressa doucement. « Alors heureusement que j’étais là. » dit-il avec un sourire doux et un clin d’œil. Je n’avais pas fini mes aveux, je secouai la tête:
« Non…! Tu as tellement souffert à cause de moi, Link ! Depuis des millénaires, littéralement… Je t’ai vu, au début, et tu étais si innocent, si heureux, mais des millénaires de batailles et d’épreuves ont mutilé ton âme, tout ça à cause de moi. En encore dans cette vie je t’ai fait du mal… Moi, toute seule… Oh Link, je suis tellement désolée … Pourras-tu jamais me pardonner… ? »
Il ferma les yeux et inspira profondément. Quand il les rouvrit, il prit ma main dans les siennes, regarda droit dans mon âme et dit :
« Si j’avais le choix d’être absolument qui je voulais, où je voulais et à l’époque que je voulais, je choisirais d’être exactement moi. Quel que soit le prix, je n’échangerais ma place à vos côtés pour rien au monde, Princesse Zelda. »
A sa réponse je m’affaissai sur moi-même, sidérée. Je ne méritais pas ce garçon. Rien de ce que je pourrais faire ou dire dans toute ma vie n’y changerait rien. Je repris ma place assise, adossée au muret. Tout près de lui. Je remontai la couverture jusqu’à mon cou et me fis toute petite pour cacher les larmes que je sentais arriver. « Oh, Link … » commençais-je sans pouvoir continuer.
« Merci… » Chuchota-t-il à ma place, « Ça me manquait… Vos soins. Ça me manquait vraiment, vraiment beaucoup.» En guise de réponse je lui donnai un pan de ma couverture et m’appuyai contre son bras, ma tête reposant sur son épaule. J’étais comme engourdie par sa présence et sa chaleur, par son odeur masculine que j’aurais reconnue parmi un million d’autres, je voulais m’abandonner à ses bras pour toujours. « Reste encore avec moi, s’il te plait…». Il ne se fit pas prier et s’enroula dans la couverture à mes côtés, pressant son cou et sa joue contre le dessus de ma tête.
J’éprouvais un sentiment de sécurité absolue, et je savais que mon corps détendu ne pourrait bientôt plus résister au sommeil. Je lui dis encore : « Tu devrais reprendre ta pommade si jamais tu as besoin d’en remettre un peu demain… » . Sous la couverture, il ouvrit la main et j’y déposai la mienne en plus du petit pot. Sans aucune intention de la reprendre… Je sentais avec délice sa chaleur irradier entre sa peau et la mienne. J’osai glisser mon annulaire entre deux de ses doigts et il répondit à cette incitation en effleurant mes doigts du bout des siens. Une si subtile attention et pourtant, je me sentais tellement aimée…
Je fermai les yeux sur mon Royaume : pendant un instant de grâce juste avant de m’endormir tout contre lui, je n'existais plus qu’à travers ses caresses. «Link… Tu m’as manqué aussi… »
LINK
La Lune gibbeuse baignait la plaine de sa lumière glacée : de là où nous étions, je pouvais encore distinguer les formes bleutés du Mont Labulat et de la Pointe Percée d’Hébra, se détachant sur le noir du ciel. Entre eux, l’un des piliers antiques qui s’étaient élevés avec le retour du Fléau brillait de bleu et d’or, comme pour nous assurer de sa loyauté renouvelée envers la Famille Royale d’Hyrule. Je n’avais pas sommeil du tout, l’esprit encombré par tout ce qui s’était passé cet après-midi. Tout ce qui avait été dit ou fait. Et tout ce que ça pouvait changer pour moi…
Zelda avait eu conscience de mon rang au moment même où j’avais retiré l'Épée de Légende de son socle: j’étais digne d’elle! Le plus digne de tout le Royaume avait dit Impa. Un Roi et sa Reine réincarnés. J’avais eu du mal à y croire, mais en tous cas ça ne pouvait pas être pour une question de statut qu’elle m’avait repoussé… Soit je lui avais fait peur, soit elle ne partageait juste pas ces sentiments… A la regarder dormir tout contre moi après tant de tendresse, cette dernière idée me paraissait ridicule… Comme j’aimerais pouvoir me souvenir de nos anciennes vies, moi aussi: qu'avais-tu vu de nous deux dans tes rêves? Si il y avait bien une chose qui ne pouvait pas m’étonner, c’était bien l’idée que j’aimais effectivement cette femme depuis des dizaines de milliers d’années: ça, je l’avais toujours su, au fond de moi...
Quand ma princesse endormie avait commencé à glisser de mon épaule, j’avais soulevé mon bras pour l’accueillir contre mon cœur, enveloppant sa tête et ses épaules de mon autre bras et ramenant mes cuisses sous elle pour soutenir son dos. J’avais réussi tant bien que mal à ne pas la réveiller ce faisant, j’avais même pu glisser mon pot d’onguent dans son escarcelle quand sa main avait roulé hors de la mienne. Je voulais qu’elle le garde, qu’elle l’ait sous la main en cas de besoin, mais aussi qu’elle puisse encore prendre soin de moi, comme avant, comme ce soir… Elle dormait paisiblement dans ce nid que je lui avais fait de tout mon corps. Je ne la quittais des yeux de temps en temps que pour ne pas exploser d’amour.
J’avais réussi à lui remonter le plaid jusqu’au menton, mais le haut de mon propre corps n’était quant-à-lui plus couvert : le froid humide de la nuit commençait à se faire sentir sur mes épaules, contrastant outrageusement avec la chaleur de Zelda contre mon ventre et mes jambes. J’étais également ankylosé et fatigué de devoir garder ma position... Pour autant, je refusais de briser le charme. L’avoir ainsi blottie contre moi justifiait toutes les peines… Et puis, j’avais connu bien pire... Je somnolais ainsi toute la nuit. Je crois même que je réussis à dormir un peu. Mais ce fut un rude combat contre moi-même jusqu’au petit matin.
ZELDA
Je me réveillai confuse et désorientée, enveloppée de ses bras, aux premières lueurs du jour. J’aurais voulu ne pas paniquer ainsi, ne pas me relever si vite… Pouvoir en profiter encore un peu. Link étendit les jambes et fit quelques moulinets des bras et des épaules avant de se lever à son tour, silencieux. Il me regarda amoureusement et me tendit ma couverture.
Nous allions devoir partir chacun de notre côté pour préparer notre voyage. Je n’hésitai pas longtemps avant de franchir la courte distance qui nous séparait : au lieu de prendre le plaid de ses mains, je me réfugiai encore un instant contre lui. Avant même que j’en prenne conscience, comme si il n’y avait rien de plus naturel au monde, ma main avait glissé le long de son flanc et Link avait réagi en me serrant doucement contre lui en retour. Puis, il déploya la couverture au-dessus de mes épaules, comme pour m’en faire un manteau: comment pouvait-il être aussi attentionné et obligeant à chaque instant? Le nez dans le creux de son cou, j’inspirai une dernière grande bouffée de lui.
« Merci pour tout… De tout mon cœur… » Lui dis-je simplement. Je lui lançai un sourire et un regard tendres avant de partir en courant, craignant que mon corps ne prenne d’autres libertés.
****
Notes:
1/ J'ai pris un IMMENSE plaisir à faire casser des potiches à Link, vraiment! Rien que pour cette scène ça valait le coup d'écrire cette fic! :D
2/ J'ai choisi de faire de l'époux des Zeldas (héritières du sang d'Hylia) un futur Roi et non un futur Prince Consort. Dans l'Histoire d'Hyrule, le sang de la Déesse semble se transmettre principalement de mère en fille et pourtant, depuis 35 ans on entend parler du "Bon Roi d'Hyrule", jamais du "Prince Consort d'Hyrule". Peut-être est-ce seulement parce que les Reines ont tendance à mourir prématurément, et qu'on ne voit de fait que des Princes consorts veufs devenus Rois? C'est une des explications possibles, mais peut être que ça ne fonctionne tout simplement pas comme en Angleterre. C'est sujet à interprétation et j'ai pour ma part choisi la deuxième explication; cependant contrairement au monde réel, la Reine n'a en aucun cas moins de Pouvoir que le Roi dans ma vision d'Hyrule...
J'ai beaucoup réfléchi à tout ça lors de l'écriture de ce chapitre, et inévitablement mon chapitre "Trône" s'est retrouvé un peu liée, dans ma tête, à la monarchie de nos chers voisins... Ce qui m'amène au point suivant:3/ Je ne voulais pas uploader ce chapitre aujourd'hui, mais le décès du Prince Philip ce matin m'a touchée. Il est un peu le Link de l'Angleterre: lui aussi aimait les grands espaces, le sport, les chevaux et la Nature, lui non plus n'était "pas digne" d'épouser une Reine. Il marchait toujours deux pas derrière sa Reine, comme Link dans BotW. Je ne connais pas ses opinions politiques et je ne veux pas les connaître, ce n'est pas la question, et certes son cynisme n'était sûrement pas au goût de tout le monde ( à sa décharge il l'appliquait volontiers aussi sur lui même). Quoi qu'il en soit, c'était avant tout un homme, un mari, un père, un grand-père et la moquerie qu'il subit sur les réseaux sociaux le jour même de son décès me dégoûte.
Je n'avais pas dédié de chapitre à qui que ce soit avant aujourd'hui, mais je me sens le devoir de contrebalancer un peu toute cette Rancœur. Peut être que je dédierai les autres par la suite, car chacun me ramène un peu à la vie réelle. Mais celui là aura été le premier:A vous, Prince Consort. Dans mon Hyrule, vous auriez été Roi.
Chapter 5: Science
Summary:
Au prix de quelques pots cassés, Zelda et Link ont enfin retrouvé leur complicité perdue. Peut-être même un peu plus...
Mais la route vers la rédemption et vers la réparation de leurs cœurs meurtris est encore bien longue et sinueuse.
Tout comme la magie de Mipha, la technologie Sheikah est incapable de réparer un cœur brisé... A moins que...
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
"La Science cherche encore, l'Amour a trouvé."
- Henry Miller
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ZELDA
Mon père m’avait accordé quelques semaines de liberté à employer comme bon me semblait. J’avais décidé de passer d’abord quelques jours au Laboratoire Royal auprès de Pru’ha et Faras. J’avais l’intention de leur remettre la tablette Sheikah, dont la plupart des modules avait cessé de fonctionner depuis la destruction de Terrako. Mais surtout, nous devions faire ensemble l’inventaire de ce qu’il restait de ce dernier afin d’étudier nos possibilités concernant son hypothétique reconstruction… Impa resterait auprès de mon père dans un premier temps mais elle devait nous rejoindre le surlendemain pour établir un rapport de comptabilité. Link m’accompagnait, bien sûr.
Depuis la nuit dernière, il avait l’air plus détendu : pensif parfois, toujours précautionneux envers moi peut-être, mais plus aussi formel et distant qu’à la fin de la guerre… J’étais contente de le voir marcher à mes côtés et plus sur mes talons et je me languissais de son contact, mais il avait l’air prodigieusement épuisé… Avait-il seulement dormi…?
Tandis que nous marchions, je décidai de nous tenir éveillés et focalisés en lui exposant le travail qui nous attendait. La première étape consistait en un inventaire complet de toutes les pièces que nous avions pu retrouver. Il nous faudrait commencer par démonter chaque mécanisme - sans omettre de prendre des notes pour le remontage - les nettoyer afin de vérifier leur intégrité, les lister et comparer cette liste aux notes que Faras et Pru’ha avaient pris lorsqu’il fonctionnait encore… Réparer ce que nous pourrions réparer … Trouver un remplacement au reste… Un travail monstrueux. Je craignais qu’il ne manquât au final beaucoup trop de pièces pour espérer le remonter un jour... Vu notre compréhension encore partielle de la technologie antique et de la sienne tout particulièrement, plus nous changerions de pièces plus nous nous exposerions au risque qu’à son réveil, il ne soit plus du tout notre Terrako. Mon Terrako…
Notre trajet sans incident nous sembla étrangement calme après des mois à nous faire attaquer par des monstres à chaque déplacement. Nous arrivâmes au coucher du Soleil. Le laboratoire, bien que globalement sur pied et fonctionnel, avait quelque peu souffert de cette guerre. A l’extérieur du bâtiment, des volontaires s’affairaient à consolider la maçonnerie fragilisée et à remettre en état la toiture. Pru’ha nous accueillit avec son entrain habituel, entourée de toute l’équipe de Recherche. Les quelques Yigas qui avaient autrefois infiltré le Labo avaient été réembauchés.
« Carrément !» avait dit Faras en riant. « Ils faisaient du très bon boulot avant de nous mettre leurs lames sous la gorge! Ils connaissent bien leur taf, et puis ils ne sont pas si méchants, au fond… Sinon nous ne serions plus là pour en discuter ! Hahaha ».
J’étais quelque peu déroutée mais j’aimais déjà beaucoup cette nouvelle Hyrule…
Nous prîmes possession de nos quartiers respectifs. Link qui lors de sa première visite avait été logé sous la tente militaire avec le reste de la garde semblait tout gêné de se voir offrir le dortoir individuel jouxtant le mien. Depuis sa première visite, il était non seulement devenu l'Élu de l’Épée mais aussi le Héros qui avait terrassé le Fléau Ganon. Il ne pouvait dissimuler la difficulté qu’il avait à s’habituer à son statut.
Ses mains allaient déjà beaucoup mieux. J’étais presque déçue de l’efficacité de sa pommade, car je n’avais déjà plus d’excuse pour m’occuper de lui... Oh comme mon cœur avait bondi de contentement ce matin, quand j’avais trouvé le petit pot d’onguent dans ma pochette : je ne comprenais que trop bien ce qu’il avait voulu dire en me le confiant de nouveau… Quoi qu’il en soit, il se coucha particulièrement tôt… Le lendemain matin, le petit déjeuner fut pris dans le réfectoire commun et la première journée de travail put enfin démarrer.
LINK
J’avais prévu de rejoindre l’équipe de maçonnerie, afin de me vider la tête, et de garder une activité physique : seulement quelques jours sans combat et je me sentais déjà me ramollir… Je n’en revenais toujours pas d’avoir eu la chance de retrouver ma Zelda : la Princesse passionnée et bienveillante dont j’étais devenu si proche avant le Réveil du Fléau... J’étais si reconnaissant pour ces gestes d’affection qu’on avait échangés, pour ce que j’avais interprété comme des excuses pour ce qui s’était passé à Necluda… Et quel soulagement pour moi de penser que je pouvais la considérer quasiment d’égale à égal, et plus de demi-déesse à rat des champs. Je n'osais cependant pas être trop enthousiaste ni entreprenant de peur qu’elle ne prenne peur et me rejette de nouveau… Si ça se reproduisait c’est sûr, j’en aurais le cœur brisé pour de bon. Et puis suite à ma mésaventure avec le Roi, j’étais résolu à montrer ma bonne volonté par une attitude professionnellement irréprochable.
Mais en les entendant discuter au petit déjeuner je percutais la raison de notre séjour : Terrako. Terrako ! Son nom était dans toutes les bouches. Ils parlaient d’inventaire, de condensateurs harmoniques, de puce à runes, de rouages antiques à cadenseur, ou de processeur archéonique... Autant me parler en bokoblin. Mais je devais en être, si c’était pour Terrako je devais en être !
Pru’ha m’intercepta au milieu de l’atelier du laboratoire et je lui expliquai que je voulais absolument participer. De n’importe quelle manière.
« Même pas en rêve, Linkounet : tu n’as aucune formation… Je te remercie d’avoir escorté la Princesse et sauvé le Monde mais ton travail s’arrête là… ce que nous devons faire est très technique…»
« J’apprends vite, je t’assure. »
« Ecoute, Mec… tu es le meilleur combattant mâle que je connaisse ; j’irais même jusqu’à dire que tu es peut-être meilleur que ma p’tite sœur Impa ! Et crois-moi, c’est pas un truc que j’dirais à la légère ! J’ai un immense respect pour toi, mais j’t’imagine pas plus avec une blouse de scientifique que j’m’imagine moi avec une armure! Chacun son job poto… Tiens, même Impa qui était pourtant une étudiante brillante ne va pas y participer, alors bon, recruter un militaire sans formation ça sonne comme une grosse bl… »
« Tu es en train de suggérer que je suis trop bête pour être ici, en somme … »
« Mais non … Rhooo lala, tout d’suite … C’est juste que… Bon peut être qu’il y a un peu de ça, mais… »
« Ouah…»
Elle avait dit ça sur le ton de la plaisanterie, mais je commençais à en avoir assez de me faire traiter d’idiot par des Sheikah. Ça me parlait comme à un gamin pénible et après ça s’étonnait que je n’aie pas conscience de mon rang ! La barbe! Sur la défensive, je détournai les yeux, crispant la mâchoire pour empêcher des mots assez corsés d’en sortir… Je m’étais habitué à recevoir des tacles de Pru’ha ou d’Impa et n’en faisais plus vraiment cas. Au fond, j’aimais notre familiarité et cette franche camaraderie me faisait habituellement me sentir à l’aise, me rappelant l’ambiance de l’Armée qui m’avait tout bonnement élevé… Je repensais un instant à Impa qui avait mis sa vie en gage pour moi devant le Roi après m’avoir pourtant si copieusement insulté et frappé: à croire que c’est comme ça que ce clan de tordus manifestait son affection ! Mais pour le coup, non seulement la remarque de Pru’ha résonnait avec ma crise existentielle de l’avant-veille, mais je savais aussi que Zelda, qui s’affairait à un bureau non loin de là, était la témoin silencieuse de toute notre conversation. Humilié, j’aurais voulu pouvoir disparaître comme un Yiga...
« Link ? » s'étonna Pru’ha de mon soudain silence, « écoute je suis désolée mais… »
« Non c’est toi qui vas m’écouter. Tu n’étais pas sur le champ de bataille, ce jour-là, en effet. Tu n’étais pas là quand Terrako nous a attaqués et surtout, Pru’ha, ce n’est pas toi qui as été obligée de le détruire pour l’empêcher de massacrer les gens que tu aimes ! Je m’en veux: je m’en veux terriblement à chaque instant de chaque jour depuis. Je m’en veux pour lui, je m’en veux pour Zel… Pour son Altesse… Et c’était mon ami à moi aussi, merde! Je m’y étais attaché : as-tu la moindre idée de c’que ça fait, d’être obligé de tuer quelqu’un auquel tu tiens…? Bien sûr que non, hein… Mais pour l’Amour de Nayru, puisque tu es si supérieurement intelligente tu devrais quand même être capable de comprendre ce que ça peut représenter pour moi et ma conscience boiteuse de vous aider à réparer ce que j’ai fait ! Tout c’que j’demande c’est une chance de me racheter !!»
Mes mots tremblaient de rage et de peine. A peine eus-je fini mon monologue que j’entendis une petite voix familière derrière moi.
« Link… »
Zelda avait dû s’approcher pendant que je parlais car elle se tenait désormais tout près de moi. Elle avança encore d’un pas et posa une main sur mon poing serré, étouffant instantanément ma colère ; ne laissant plus que la culpabilité. Je n’osais même pas affronter son regard… Comme mue par une volonté propre, ma main s’ouvrit dans la sienne et je glissais avidement mes doigts entre les siens. Elle me répondit en serrant affectueusement nos mains entrelacées. Ma bonne résolution aura été aussi fragile qu’une Ombre devant sa Lumière.
« Link… tu n’as rien à te reprocher… Il était possédé par Ganon, tu as fait ce qu’il fallait. Si c’est toi qui l’as fait c’est seulement car tu es le seul à en avoir eu le Courage, c’est tout. Personne ne te le reproche, surtout pas moi. A aucun moment… Et je suis persuadée que même Terrako lui-même, il t’aurait été reconnaissant de l’avoir empêché de nous faire du mal. Je le sais au fond de mon cœur, Link. »
J’avais eu tellement besoin d’entendre ces mots de sa bouche que j’aurais pu en pleurer. Caressant sa main de mon pouce, je dis tout bas, juste pour elle:
« Merci, Votre Altesse… Mais moi je me le reproche. C’est suffisant. »
Je levai finalement les yeux sur son visage : ses joues rougies faisaient ressortir ses grands yeux verts, et son sourire exprimait tant de bienveillance… Je dus déployer des trésors d’auto-discipline pour réprimer mon besoin viscéral de la prendre dans mes bras.
« Je sais… Je m’en veux aussi. Et maintenant je m’en veux de t’avoir laissé porter ça tout seul. »
Le regard vissé dans le mien, elle cligna lentement des paupières et je me liquéfiai.
« Et oh les amoureux ! Ouistitiii, je - suis - làààà… » interrompit Pru’ha.
Penaud, j’ouvris les doigts pour libérer nos mains de leur étreinte, mais ma Princesse serra les siens un peu plus fort pour me retenir et j’acceptai cette invitation avec gratitude. Elle prit la parole.
« Pru’ha s’il te plait. J’aimerais aussi qu’il travaille avec nous… Tu lui dois bien ça pour t’avoir protégée quand tu as décidé de traverser la Plaine de Cernoir avec une torche pour seule arme... Tu es bien mal placée pour lui dire maintenant que chacun doit rester à sa place... Et si je ne m’abuse, tu étais bien contente qu’il aille activer tous tes relais antiques pour toi ou qu’il se jette dans l’inconnu chaque fois que tu avais besoin d’un cobaye... »
Pru’ha plissa les yeux et nous regarda alternativement. Tapant nerveusement du pied, elle jeta un regard appuyé sur nos mains jointes et soupira bruyamment avant de nous répondre:
« C’est bon d’accoooord! J’ai compris. Vôtre Âltesse... On lui trouvera bien quelque chose à faire ! Comme balayer ou sortir les poubelles ou chaipaquoi…»
Elle tourna les talons et commença à s’éloigner. Je replongeai dans les yeux envoûtants de Zelda … J’avais besoin de savoir ce que nos mains jointes, assumées au vu et au su de tous, signifiaient pour elle. Muet de nouveau, je ne pus que secouer doucement la tête pour lui exprimer ma perplexité. Elle baissa les yeux avec un sourire si doux et si mutin que j’eus envie de dévorer ses lèvres… Pourquoi jouait-elle comme ça avec mon cœur ?
« LINK. » Interrompit Pru’ha de sa voix la plus autoritaire. « Ici. Au boulot. Tout de suite. »
Cette fois nos mains se détachèrent d’un commun accord. J’osai lever la mienne vers son visage et elle y lova sa joue. Je déposai furtivement une bise sur l’autre avant d’accourir vers ma nouvelle patronne.
Pru’ha m’assit devant un établi et après quelques instructions, elle me confia des pièces Sheikah désassemblées à nettoyer soigneusement. Je manipulais presque religieusement les petits engrenages que je savais être les organes de Terrako. Malgré mon manque d’expérience évident, ce travail me semblait être à la portée de n’importe quel abruti. Pour peu qu’il soit soigneux.
Le nombre de pièces était impressionnant… et nous avons rapidement compris que certaines d’entre elles provenaient du double sombre de Terrako, absorbé par Ganon. Zelda pouvait ressentir avec son pouvoir celles qui avaient été les plus longtemps sous l’emprise de sa Rancoeur et s’était vue confier la tâche supplémentaire de les trier : Terrako d’un côté, Terrako obscur de l’autre. J’étais certain que j’aurais pu l’aider dans ce tri, mais je n’en dis rien : je percevais la différence mais elle était pour moi subtile et je préférais me cantonner à des travaux dont je pouvais voir de mes propres yeux les résultats.
Rapidement, on m’avait confié de petits mécanismes que je devais démonter avant le nettoyage. Pru’ha m’avait lancé avec arrogance de ne pas oublier que je devrais les remonter par la suite et je relevai le défi avec une certaine insolence. Petit à petit, elle augmentait la complexité des pièces dont elle me chargeait, comme pour tester mon intellect, et notre bravade mutuelle devint un duel d’obstination dont se délectait toute notre audience.
A vrai dire, je prenais un réel plaisir à résoudre ces casse-têtes et petites énigmes mécaniques que représentait le remontage des grosses pièces : j’avais l’impression d’avoir fait ça pendant des siècles ! À la fin de la journée, au lieu d’un nouveau tacle, Pru’ha me lança une blouse de laborantin.
« Tiens ! » jeta-t-elle par-dessus son épaule, « tu l’as méritée. » Et elle ajouta avec un clin d’œil coquin : «Il me tarde d’essayer une armure hylienne, je suis sûre que ce sera encore plus sexy sur moi que sur toi ! Hahaha ! »
ZELDA
Nous avions bien avancé le travail lors de cette première journée, et ce dans une bonne humeur inédite malgré l’altercation du matin. Le conflit avec Pru’ha avait finalement tourné au jeu et comme toujours mon amoureux avait très vite trouvé sa place auprès des autres.
En milieu d’après-midi, Pru’ha était venue s’adosser au mur à côté de mon bureau. Après avoir retiré de sa bouche la sucrerie qu’elle mâchonnait, elle me lança:
« C’est qu’il est pas si stupide votre petit copain, Princesse … Pour un soldat… »
« Pru’ha, nous ne sommes pas … »
« Non non, bien entendu. C’était purement professionnel… »
« Ce n’est pas ça non plus… Disons que c’est un peu compliqué. Et je sais très bien qu’il n’est pas stupide…»
« Rien ne devrait être compliqué pour des cerveaux comme le vôtre ou le mien, Votre Altesse ! »
Elle reprit sa sucette en bouche et partit en me faisant un clin d’œil entendu. Je tentai de cacher mon embarras en replongeant dans mon travail. J’étais peut-être allée trop loin ce matin en faisant front avec lui, main dans la main devant tout le Labo. Mon intention n’avait été que de baisser son poing, mais quand ses doigts s’étaient subitement glissés entre les miens j’avais désiré les garder pour toujours… Ce que Link avait à moitié crié à Pru’ha m’avait émue : je n’avais aucune idée qu’il traversait ce genre d’épreuves intérieures et je n’avais pas supporté de le laisser souffrir tout seul. Il jouait les guerriers inébranlables mais au fond, c’était un grand sensible… Un grand sensible à qui j’avais dû faire énormément de mal.
Après cela, Pru’ha avait veillé à ce que l’on travaille chacun dans notre coin, ne s’échangeant que quelques regards gênés, de loin. J’avais espéré trouver un moment pour discuter seul à seul avec lui avant d’aller dormir mais il s’était encore éclipsé très tôt après le repas.
LINK
Aube du deuxième jour. Je me rappelais avoir fui le repas trop bruyant la veille au soir ; et surtout ces Yigas qui s’étaient mis dans la tête de fêter mon intégration dans l’équipe en me faisant boire autant de liqueur de banane que possible, alors qu’une journée de joute intellectuelle m’avait déjà donné la migraine… Je ne pouvais pas me permettre une gueule de bois : le lendemain, il faudrait que je sois à la hauteur de l’honneur que Pru’ha m’accordait.
Un peu plus tard dans la soirée, Zelda s’était arrêtée quelques secondes derrière la porte de ma chambre avant de rejoindre la sienne… Si je m’étais rué vers la porte pour lui ouvrir, dans la tenue dans laquelle j’étais… Là c’est sûr que je lui aurais fait peur pour de bon… Cependant, j’avais gardé cette dernière attention dans mon cœur en m’endormant, et m’étais réveillé avec une légèreté que je croyais ne plus jamais connaître. Enhardi par cette bonne humeur, j’avais salué ma Princesse d’un baise-main ce matin-là, au réfectoire. Je me sentais un peu gauche : c’était la première fois que je me permettais ce geste que j’avais vu maints officiers et ministres pratiquer. Elle ne réussit pas à cacher sa surprise et je me régalai de la voir rougir.
« Et moi ?? » interrompit Pru’ha, faussement outrée.
Je fis semblant de réfléchir un instant puis lui tendis mon poing fermé :
« Ouistiti ? »
Elle rit aux éclats et frappa mon poing du sien.
« Ouistiti !! J’aurais pas dit mieux ! »
Arrivé au labo, j’enfilai fièrement ma blouse et repris mon nouveau poste de «Mécanicien-Servant». A force de les voir, je commençais à mémoriser certaines runes Sheikah, ce qui m’aidait dans ma lecture des notes et dans ma compréhension globale, mais certaines me résistaient encore. Je pestais tout bas sur un assemblage particulièrement compliqué quand j’entendis au-dessus de moi la plus douce voix qui soit au monde…
«Auriez-vous besoin d’aide, ô Elu de l’Epée? »
Zelda se tenait debout au-dessus de moi, un parchemin à la main et un délicieux sourire sur le visage. Elle me gratifia encore d’un de ses lents clins d’yeux auquel je répondis de même. Ravalant la bouffée d’émotions qui avait soudain envahi ma poitrine, je lui montrai le mécanisme sur lequel je travaillais.
« J’ai encore un peu de mal avec les runes Sheikah… Vous voyez ce symbole gravé dans ce piston ? Je le retrouve un peu partout et je n’ai aucune idée de ce qu’il veut dire.»
Elle fit passer son parchemin dans sa main gauche et se pencha au-dessus de moi, prenant appui sur mon épaule. Sa main droite se posa affectueusement sur la mienne lorsqu’elle inclina la pièce pour l’examiner. Soit je devenais fou, soit elle flirtait ostensiblement…
« Je vois… C’est la rune que nous nommons Léfouto, elle correspond au son « LLLL » dans l’alphabet Sheikah… Comme dans « Link »… Et sur les pièces antiques ou quand nous prenons des notes, elle signifie la plupart du temps «du côté gauche».»
« Oh… ! Je vois ! Donc je suppose que si j’enclenche ça vers la gauche… que je tourne ça comme ça et que j’appuie légèrement ici… »
J’avais fait tourner la pièce entre mes mains pendant que je parlais et le mécanisme qui me résistait jusqu’alors s’enclencha parfaitement avec un cliquetis satisfaisant.
« C’était bien ça… Merci, votre Altesse ! »
Elle sembla hésiter un instant puis murmura, en secouant la tête :
«Ce n’est rien, voyons… »
ZELDA
J’avais voulu le corriger, lui dire qu’il pouvait m’appeler par mon prénom. Ne serait-ce que quand nous étions en privé... Je ne voulais plus de ces politesses entre nous… Mais je m’étais ravisée: ce n’était probablement pas le meilleur moment pour en parler, ni le meilleur endroit… Il enchaîna avec une autre question :
« Je suppose que ce symbole là, qu’on voit souvent à l’opposé, veut dire « du côté droit », non ? »
Je me penchai de nouveau pour examiner la note qu’il me montrait. Son visage était si proche du mien que j’éprouvais la plus grande difficulté à rester concentrée.
« Exactement. C’est la rune que nous appelons « Rahito ». Elle correspond au son «RRRrr »… »
Il tressaillit à la fin de ma phrase et tourna vers moi un sourire candide.
« RRRrr ? » répéta-t-il.
« Oui, comme dans « Royaume », « RRRRrr»... » confirmai-je.
Il sourit de plus belle, soupira bruyamment et, les yeux rivés dans les miens, ronronna amoureusement:
« RRRRrr… »
« Link !! » m’écriai-je en me redressant et en lui donnant un coup de parchemin sur l’épaule. J’étais choquée de son audace ! Mais je ne pus m’empêcher de rire avec lui.
« Tu es tellement… »
Je me mordis la lèvre… Il était gentil, beau, drôle, courageux, intelligent aussi, oh oui bien sûr qu’il l’était, dévoué, aimant, et par tous les feux de Din cette blouse lui allait si bien ! Je ne trouvai absolument rien à lui reprocher. Je m’étais encore perdue dans son visage. J’avalai ma salive et me retins d’aller l’embrasser sur le champ.
« Tu es tellement RRRrrr… » osai-je. Et je retournai à mon travail avant de perdre la tête.
« Votre Altesse, restez je vous en prie, j’aurais encore besoin d’aide… !» me supplia-t-il d’un air taquin alors que je m’éloignais.
« Demande à Faras ! » lui répondis-je en riant encore.
Quelques heures plus tard, nos progrès dans l’inventaire nous privèrent de toute envie de plaisanter: les pièces manquantes ou inutilisables étaient légion. La seule bonne nouvelle était que les pièces mémorielles et d’intelligence artificielle du gardien semblaient intègres. Mais nous étions bien loin de pouvoir le remonter. Il y avait encore un espoir de trouver des pièces de rechange sur les sites de fouille un peu partout en Hyrule, mais cela prendrait des années, et nous n’étions pas capables d’imiter la technologie antique pour fabriquer nous-même ce qui nous manquait. Impa nous avait rejoints dans l’après-midi et même elle qui avait entretenu des rapports conflictuels avec Terrako semblait profondément peinée de ces nouvelles.
C’est dans cette ambiance morose que nous partageâmes le repas du soir. Afin de nous changer les idées, Faras avait démarré après le dessert une joute d’anecdotes, autour d’une bouteille de liqueur de banane. Le papier que j’avais tiré du pichet en terre cuite m’avait valu de devoir raconter mon plus grand fou-rire de classe.
J’avais raconté le jour où mon ami Sah’Kiwa - que tout le monde appelait Saki - avait été expulsé de la classe par le précepteur à cause de ses bavardages incessants. Il était de trois ans mon sempaï, mais à cette époque nous partagions l’instruction commune à tous les enfants du palais.
« Saki ! Va donc voir dehors si j’y suis ! » lui avait ordonné l’instructeur.
Toujours poli malgré son impertinence, Saki s’était levé, s’était incliné brièvement et avait obéi. A peine le professeur avait-il refermé la porte derrière lui que quelqu’un avait toqué. C’était Saki, évidemment, qui avait déclaré avec beaucoup de sérieux:
« Monsieur, je viens de vérifier, et j’ai l’honneur de pouvoir vous affirmer que vous n’êtes absolument pas dehors. »
La classe avait mis beaucoup de temps à calmer son hilarité après cela, et Saki en avait été exclu pendant plusieurs jours...
A ma suite, Impa avait été obligée de chanter une comptine, ce qui l’avait passablement agacée mais nous avait fait rire de plus belle, en grande partie à cause de son agacement lui-même... Quand ce fut le tour de Link, il froissa son papier en boule et le jeta sur la table. Il me lança furtivement un regard puis se cacha le visage entre les mains en lâchant un « Non. » ferme.
Dévorée de curiosité, Pru’ha se saisit du papier par-dessus la table et, le défroissant, le lut avec avidité:
« Votre premier amour… Oh-oh ! Bonne pioche, Link! Si tu crois que tu vas pouvoir y échapper tu me connais bien mal ! Tu l’as pioché, tu racontes ! Rhoo je sens que ça va faire ma soirée ! ».
Je me fis toute petite dans mon siège mais me gardai d’intervenir, craignant de rendre les choses encore plus gênantes pour lui comme pour moi.
« Vois le bon côté des choses, Link, » plaisanta Faras, « le jour où tu piocheras comme moi votre souvenir le plus embarrassant tu sauras de quoi parler ! »
Les autres convives rirent de bon cœur.
« Pas ça, sérieux… Je demande le droit de re-piocher … »
« Hors de question » intervint Cherry, une laborantine. « Allez, c’est la règle : ça serait manquer de respect à ton équipe d’avoir droit à un traitement de faveur. Et pas de mensonge, ce serait indigne du Chevalier Purificateur!»
Link but d’une traite tout son verre de liqueur - que Faras s’empressa de remplir de nouveau - et poussa un grand soupir avant de commencer, les yeux fixés sur le bas de la nappe qu’il tortillait entre ses doigts.
« J’avais sept ans, elle avait sensiblement le même âge… » Pincement au cœur. « … Et jusqu’à récemment elle ne savait même pas que j’existais alors bon, il n’y a vraiment pas grand-chose à dire… »
« Allez, fais un effort ! Comment était-elle ? C’est quoi son prénom ? Comment ça s’est terminé ? »
« Eh bien, elle était merveilleuse, bien sûr, déjà à l’époque… Et maintenant elle sait que j’existe, mais c’est à peu près tout ce dont je suis vraiment sûr. Et je n’ai jamais cessé de l’aimer… »
« Mais... Est-ce qu’elle le sait au moins ? »
« Oui elle le sait... »
« Et elle sait que tu es le Héros d’Hyrule et tout ? »
« Oui, ça aussi. Écoute, je suis juste pas très doué dans ce domaine, que veux-tu ! » Il but une autre gorgée.
« Peut-être qu’elle aime les filles ? » Proposa Pru’ha.
Link en recracha sa liqueur.
« Je ne crois pas, » dit-il entre deux quintes de toux en épongeant le digestif avec une serviette, « mais à vrai dire, je n’en sais rien, en fait… ».
Il avait l’air de sérieusement considérer cette éventualité. Avait-il pu parler de moi ? Je n’avais aucun souvenir de l’avoir rencontré pendant mon enfance, aucun! Et à cette époque, de mémoire, il vivait au Domaine Zora... Je ne m’y étais encore jamais rendue… Ça ne pouvait définitivement pas être moi. Je me sentais blessée à l’idée que je puisse partager son cœur avec une autre… Pru’ha interrompit son calvaire, non sans lui lancer une dernière pique.
« C’est grave décevant. Je pensais que t’allais nous parler de Zelda… Ah comme j’aurais voulu piocher ce gage là… Vous auriez tout su de la somptueuse Gerudo qui m’a prouvé avec une rigueur scientifique l’inutilité des hommes. C’est en son honneur à Elle que je me teins cette mèche en rouge encore aujourd’hui, vous saviez? Bon, c’est qui le suivant ?»
Link prit congé en s’excusant peu après ça. Je ne reçus pas de baisemain le lendemain matin : tout juste un signe de tête affectueux mais gêné, de loin, à mon arrivée à l’atelier du laboratoire. Il s’affairait alors déjà auprès de Faras dont il copiait avec application les notes pour en éditer des duplicatas.
LINK
J’avais demandé à Pru’ha la permission de pouvoir récupérer discrètement, à titre personnel, une liste des pièces manquantes de Terrako. Elle me l’accorda sans poser de question.
« À condition que tu la copies toi-même… Et que tu fasses attention à toi, quoi que tu aies prévu.»
Promis, cheffe . Pour cette dernière session j’aidai donc Faras à produire les copies du rapport de ces quelques jours d’inventaire. Bien que la tâche en elle-même fut beaucoup moins amusante que mes casse-tête, travailler avec un tel pitre aura été tout sauf ennuyeux !
« Tenez, Princesse, » avait dit Pru’ha au moment de notre départ, « comme vous me l’aviez demandé, je vous rends la vis de Terrako que vous aviez gardé avec vous depuis la fin du combat. La perdez surtout pas, hein ? Nous allons maintenant nous concentrer sur la réparation des mécanismes qui pourront l’être… Mais sans pièce de remplacement, même en piochant parmi celles du Terrako obscur, j’ai bien peur qu’il n’y ait que peu d’espoir de le reconstruire dans un futur proche… Et j’me doute qu’organiser de nouvelles fouilles n’est pas dans les priorités du Royaume en ce moment… »
« Tu as malheureusement raison sur ce point, grande sœur… » confirma Impa.
« Hey, Votre Altesse, » intervint Faras, « on ne reverra peut-être pas notre chère tête d’œuf avant un moment, mais tout espoir n’est pas perdu non plus ! Vous vous rappelez de la Règle Numéro Un du code d’honneur de la Recherche? »
« Tant qu’il y a une possibilité, un Chercheur n’abandonne Jamais… » récita Zelda en serrant la vis près de son cœur, « merci, Faras. Pru’ha, je comprends, ne t’inquiète pas… Faites de votre mieux… Et merci pour tout. »
Sur la route du retour, alors que le soleil couchant transformait temporairement en Or le calcaire perforé de la vallée du Néant, Zelda s’arrêta. Je reconnus l’endroit : c’est là que pour la première fois, Terrako avait lancé son cri d’alerte pour nous avertir de l’attaque d’un gardien… Je n’avais pas besoin de plus pour comprendre : elle se recueillait, se retenant de pleurer en pensant à son ami. Je revins vers elle. Assez près pour lui signifier que j’étais là pour elle, et que je partageais sa peine.
« Nous lui devons tant, Link… »
« Je sais... »
Comme je l’avais fait ce jour-là - et tant de fois depuis- pour l'entraîner à l’abri, je lui saisis la main.
« Votre Altesse… »
« Non… Plus de ça. Zelda … S’il te plait. Au moins quand nous sommes entre nous. Juste Zelda … »
Elle se tourna vers moi et me lança un regard presque suppliant alors qu’elle emmêlait ses doigts dans les miens. Emu, je portais mon autre main à son visage : elle accueillit ce geste comme si elle en avait eu soif, portant sa main libre à la mienne pour la caresser et la plaquer un peu plus sur sa joue. Mon pouce se retrouva au coin de sa bouche et, tremblant, effleura ses lèvres. Un instant plus tard, elle entrouvrait sa bouche impatiente sur ma main…
Ivre de tendresse et de joie, j’approchai lentement mon visage du sien. Sa respiration s’était intensifiée et mon cœur battait à tout rompre. Doucement, tout doucement, j’effleurai de mes lèvres les siennes et elle m’embrassa ; timidement d’abord, puis avec de plus en plus d’avidité. La douceur de ses lèvres, la suavité de nos bouches qui se glissaient l’une dans l’autre et la caresse de sa langue sur la mienne firent tressaillir tout mon corps de désir. Ma main droite était descendue le long de son cou jusqu’à sa nuque tandis que mon bras gauche s’était lové dans la cambrure de ses reins pour l’attirer vers moi toute entière. Ses mains à elle, fébriles, avaient parcouru mon torse et mon dos avant de chercher prise dans le tissu de ma tunique.
Impa se racla la gorge, nous rappelant que nous n’étions pas seuls…
Nos lèvres se séparèrent à regrets et ma bien-aimée posa son front contre le mien. Elle ferma les yeux et gémit sa désapprobation d’avoir dû arrêter. Quand elle rouvrit les yeux, nous échangâmes un sourire complice, encore perdus l’un dans l’autre. Je relâchai mon étreinte et repris sa main dans la mienne, caressant ses doigts de mon pouce.
« Avec plaisir, Zelda… »
« Merci, Link… Rentrons chez nous… »
Nous échangeâmes un de nos lents clins d’yeux, comme un baiser secret échangé d’âme à âme et, main dans la main, nous reprîmes la route du château.
*****
Notes:
"Je sers la Science et c'est ma Joie", avais-tu affiché au dessus de ton bureau.
A toi, mon Pierrot. Grâce à toi mon tout premier baiser fut aussi magique que celui là.
Chapter 6: Amour
Summary:
Surmontant enfin leurs doutes et leurs appréhensions, Link et Zelda ont franchi la mince mais ô combien terrifiante frontière qui les séparait encore.
Leur premier baiser a ouvert une porte sur tout un monde de sensation nouvelles, que des mois de retenue et de tension les pousse à aller explorer.
Cependant, on ne fait pas toujours ce que l'on veut lorsque le trône du Royaume d'Hyrule est en jeu.
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
" Être profondément aimé par quelqu'un vous donne de la Force,
tandis qu'aimer profondément quelqu'un vous donne du Courage. "
- Lao Tseu
*
**
***
IMPA
Ils étaient consternants… Titubant d’extase, suspendus l’un à l’autre, ils s’arrêtaient tous les vingt-cinq pas pour se bécoter ou s’enlacer - à croire qu’ils n’en auraient jamais assez… Beurk ! Je marchais derrière eux, les incitant à forcer le pas, comme un chien de berger derrière son troupeau. Je dois admettre qu’aussi déplorables qu’ils puissent être, j’étais tout de même heureuse pour eux. Autant pour cet idiot de Link qui s’était torturé tout seul pendant des mois, que pour ma très chère Princesse Zelda, qui méritait tout le bonheur du monde. Je n’aurais jamais osé utiliser ce mot tout haut devant eux mais… Ils étaient mes amis.
Selon toute vraisemblance, j’avais sous les yeux les futurs Roi et Reine du Royaume d’Hyrule. La réincarnation d’une Déesse et celle de l’âme qu’elle avait élue pour être son Champion, il y a des dizaines de milliers d’années de cela. Leur lien transcendait l’espace et le temps et pourtant, à ce moment-là, ils n’étaient que deux adolescents tout à fait ordinaires qui venaient de s’échanger leur tout premier baiser… Aah … Pathétique !
Nous arrivâmes au château à la nuit tombée, bien après la fin du repas. J’envoyai un messager avertir le Roi de notre retour : il savait que nous devions revenir ce soir et le connaissant, il ne trouverait pas le sommeil tant qu’il ne saurait pas sa fille en sécurité. En temps normal dans pareille situation, la Princesse aurait demandé à se faire servir un repas dans ses quartiers, mais ce jour-là elle insista pour souper avec nous en cuisine. Le personnel en était tout gêné : ils avaient l’habitude de côtoyer le Chevalier Purificateur qui, fondamentalement, hantait le garde-manger du château depuis ses douze ans, mais accueillir Son Altesse Royale dans un environnement aussi modeste les aura poussés au bord de la crise de nerfs.
Les deux tourtereaux avaient réussi à se décoller un peu l’un de l’autre depuis leur arrivée au château, se contentant de se tenir par la main et de se dévorer des yeux. Ce n’était pas plus mal: de toute évidence, Link n’allait pas rester longtemps dans les bonnes grâces de Rhoam si celui-ci apprenait leur relation par des bruits de couloir. Le lendemain, j’irais faire mon rapport au Roi concernant les comptes du laboratoire. J’allais aussi devoir choisir mes mots avec soin pour expliquer notre retard d’aujourd’hui : il m’était aussi inconcevable de mentir à mon Roi que de trahir mes amis.
ZELDA
Lorsque j’avais à peine quatre, ou peut-être cinq ans, je me souviens que ma mère m’avait offert un large monocle de verre entouré de laiton, que l’on pouvait tenir par un manche de bois tourné. « Ceci, ma petite Reine, se nomme une Loupe», avait-elle annoncé avant de m’expliquer comment m’en servir. Et j’avais alors passé toute ma journée - et beaucoup des suivantes - à redécouvrir le monde, grossi à travers ma loupe. Insatiable.
Depuis que Link m’avait embrassée, et que nous étions entrés dans l’espace intime l’un de l’autre, je revivais un peu cette expérience de mon enfance. Être si près de lui, plus proche que je ne me souvenais d’avoir été d’aucun autre être, était un peu comme le voir à travers une loupe: je le redécouvrais entièrement. Je voulais apprendre par cœur chaque détail de son visage, chaque mèche de ses cheveux, connaître chaque grain de sa peau. Quand la lumière du soir avait commencé à décliner, m’empêchant de continuer à scruter chaque détail de son corps, je m’étais vengée de l’obscurité naissante en nichant mon visage dans son cou, m’enivrant de l’odeur et du goût de sa peau, me délectant de la caresse virile de sa main sur ma nuque, du bruit de sa respiration, des battements de son cœur… Alors que je l’embrassais et que mon corps s’abandonnait complètement à ses bras, mes sens quant-à-eux semblaient vouloir l’enregistrer tout entier dans ma mémoire. Pour toujours.
« Reste, Link… »
Il m’avait raccompagnée jusqu’à mes quartiers provisoires et s’apprêtait à rejoindre les siens. A l’abri des regards dans une alcôve du couloir, nous étions enlacés depuis de longues minutes, incapables de nous séparer pour la nuit.
« Zelda, » souffla-t-il en m’embrassant juste sous l’oreille, «il ne faut pas… »
Il continua toutefois à m’embrasser le cou, un peu plus bas, puis encore un peu plus bas, jusqu’au col de ma chemise… Comment osait-il s’imaginer que j’allais lui permettre de s’arrêter là?
« Ça m’est égal ! Je refuse que tu partes. Tu es à moi… Je t’aime…»
Les mots étaient sortis tout seuls. Il se figea un instant avant de raffermir son étreinte. Aucun son ne sortit de sa bouche ; je lui devais des explications.
« Je t’aimais déjà, tu sais, le soir où… C’est pour ça que je n’ai pas pu te laisser quand les Ombres allaient te… Oh Link je te demande pardon, j’ai paniqué… Je suis tellement désolée de t’avoir fait tant de mal. Je t’aime… Je t’ai toujours aimé… J’ai juste eu si peur… »
Il me serra dans ses bras si fort, mais avec encore tant de retenue, qu’il en tremblait. Quand il lâcha mon corps, ce ne fut que pour prendre mon visage entre ses mains pour le tourner vers le sien. Ses pouces caressaient tendrement mes pommettes, tandis qu’il pressait avec sensualité ses autres doigts vers ma nuque, frôlant la naissance de mes oreilles. Il me sembla qu’il découvrait à chacun de ses mouvements une nouvelle façon de me mettre en transe.
« Zelda… Pour l’amour de Nayru, comment as-tu pu avoir peur de moi ? »
Il inclina la tête. Son expression trahissait un immense chagrin.
« Quoi...? Mais non, ce n’est pas ce que j’ai dit ! Pas du tout ! » m’exclamai-je en m’accrochant maladroitement à son cou. « Ce soir-là quand tu m’as dit tout ça, j’étais si émue… J’ai perdu la tête! Un peu comme maintenant… »
Je lui souris, appuyant affectueusement mon visage dans sa main, puis continuai avec gravité :
« Mais j’avais l’impression qu’en me laissant aller à mes sentiments, j’aurais fui mes responsabilités… J’avais l’impression que ça me rendrait faible… J’ai été sotte, c’est vrai, mais c’est de ça que j’ai eu peur, pas de toi ! Je n’ai jamais eu peur de toi, Link, jamais…! »
LINK
Zelda venait de faire sauter encore un autre des verrous dont j’avais entravé mon cœur. Depuis ce jour-là, j’étais resté persuadé que c’était de moi qu’elle avait eu peur; depuis ce jour-là, j’avais surveillé chacun de mes gestes de peur de l’effaroucher de nouveau… Mais elle n’avait jamais eu peur de moi , jamais, jamais, jamais ... Je me répétais ses mots si libérateurs, tandis que je l’embrassais longuement, langoureusement, comme pour prendre ma revanche sur toutes les fois où j’avais eu faim de ses lèvres sans me permettre d’y succomber. Puis je la serrai contre moi de toutes mes forces : j’aurais voulu nous fondre l’un dans l’autre.
« Je t’aime aussi… Je t’aime tellement… Merci… »
« Alors reste… »
Elle avait murmuré sa supplique à mon oreille en la frôlant de ses lèvres entrouvertes. La tentation était si forte que ma tête en tournait : la suivre dans cette chambre et passer la nuit contre son corps, à toucher et à goûter sa peau, jusqu’à ne faire plus qu’un…
« Hors de question, » lui dis-je en riant. Je m’écartai d’elle et la tins à distance, pointant mon index comme une lame devant moi. « Je veux t’épouser. Je veux te faire des enfants. Je veux toute une vie de nous deux.»
J’avais avoué ça comme si rien au monde ne pouvait plus m’embarrasser. Mon cœur était un livre ouvert que j’enfonçais sans honte entre ses mains.
« Je t’ai attendue… Tellement longtemps , Zelda, si tu savais… Même si j’en meurs d’envie, il est hors de question que je gâche tout maintenant, en me précipitant dans ta chambre…!»
Je m’avançai pour prendre son doux visage entre mes mains et l’embrassai encore une fois avec gourmandise.
« Bonne nuit, ma Princesse… »
Et je filais rejoindre mes quartiers sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits ou de me retenir.
ZELDA
Nous prenions déjà le petit-déjeuner dans la Grand-Salle lorsque Link nous rejoignit. Il salua d’abord mon père, un genou à terre comme le voulait le protocole, puis se leva pour s’incliner profondément devant moi et me gratifier d’un long baisemain, les yeux rivés dans les miens et un doux sourire aux lèvres. Oh, ces lèvres… La journée allait être bien longue si je ne trouvais pas un moment pour les prendre dans les miennes. Je regardai mon assiette, encore étourdie, avant de remarquer le regard sévère et interrogateur de mon père. Je saisis l’occasion pour aborder le sujet auprès de lui.
« Père… Je souhaiterais m’entretenir avec vous. Au sujet d’une question que nous avions déjà évoquée la semaine dernière. Auriez-vous encore un peu de votre précieux temps à m’accorder en privé aujourd’hui ? »
Il soupira profondément.
« Bien entendu, ma fille. J’avais justement moi aussi des informations dont je voulais vous faire part… Retrouvez-moi dans mon étude après les audiences de ce matin. ».
Avec le retour des Ministres de mon père, le petit déjeuner s’était éternisé en politesses ronflantes, tant et si bien que Link s’était déjà éclipsé quand j’en fus enfin libérée. Je partis à sa recherche. J’espérais pouvoir passer un peu de temps avec lui avant de voir mon père, surtout avec ce qu’il m’avait dit en me quittant la veille. Il n’était pas dans ses quartiers, ni dans la Salle des Gardes, pas non plus dans la Salle d’Armes ou aux cuisines... Perdue dans mes pensées dans un couloir désert, je me dirigeais vers l’écurie : Link n’avait plus de monture, mais c’est un endroit qu’il appréciait pour son ambiance et le contact avec les animaux. Pourvu qu’il y soit ! Pourvu qu’il ne soit pas allé voir mon père avant moi !
Soudain, on attrapa mon bras et je fus projetée vers un renfoncement du mur. Je criai de stupeur et me cognai dans … Dans un corps solide et doux et chaud, qui sentait bon, et qui caressait tendrement mon dos en pouffant doucement de rire par-dessus mon épaule…
« Link ! Espèce d’idiot!»
« Pardon… » fit-il.
Il souriait de sa bêtise et n’avait pas l’air désolé du tout. Je l’embrassai avec délice en me demandant si j’allais pouvoir m’arrêter pour discuter avec lui. Il le fallait.
« Link… Attends… »
J’avais rompu notre baiser et il s’était mis à embrasser à la place mes tempes, mes joues, mon cou… Insatiable. Je dus le repousser doucement, caressant son visage et passant mes doigts dans ses cheveux pour l’apaiser.
« Link… S’il te plait, écoute-moi… En fin de matinée, j’ai rendez-vous avec mon père… Pour lui parler… De nous. A l’origine je voulais juste lui dire que tu me courtisais, qu’il ne soit pas étonné de nous voir main dans la main, mais… Je brûle déjà de tellement plus que de te tenir la main… Et avec ce que tu m’as dit hier soir... Il faut que je sache si … »
« J’en pensais chaque mot, Zelda… Si tu veux bien épouser un idiot… »
« Oh oui,» souriai-je, «tant que cet idiot c’est toi…» Je me glissais dans ses bras « Sois mon époux, Link, dans cette vie encore… »
« Je serai tout ce que vous voudrez dans toutes nos vies, Votre Altesse… »
Il avait calmé ses ardeurs et caressait tendrement mes cheveux… Les cheveux de sa fiancée . J’étais en pleine extase. Il avait posé ses lèvres sur mon épaule, un peu comme il l’avait fait à Necluda, et semblait savourer ce moment autant que moi.
« Tu as déjà du mal à te voir comme le Héros… Tu n’as pas peur à l’idée de devenir Roi un jour… ? »
« Au moins toi tu sais que je n’ai aucun attrait pour tout ça... » Il soupira mystérieusement. «Mon père disait toujours : « Le Courage, ce n’est pas de ne pas avoir peur ; le Courage c’est d’avoir peur mais d’y aller quand même ». Je suis terrifié, Zelda… J’ai peur de ne pas être à la hauteur, j’ai peur qu’on essaie de me changer, j’ai peur de perdre toute liberté, et plus que tout j’ai peur de devoir finir ma vie en faisant ça tout seul comme ton père… Ne me fais jamais ça je t’en supplie. Je suis terrifié mais il parait que je suis très, très courageux comme garçon, et pour vous ma Princesse j’affronterais n’importe quoi, même l’Aristocratie.»
Je pris un instant pour me délecter de ses paroles et de ses caresses.
« Tu seras à la hauteur mon Amour, et ils ne te changeront pas : si il faut, c’est toi qui les changeras. On les changera ensemble. » Il m’étreignit un peu plus fort encore, en guise de réponse.
RHOAM
Zelda arriva bientôt à la bibliothèque, flanquée de son chevalier. Comparé à la dernière fois que je l’avais vu dans cette pièce, celui-ci semblait calme et confiant. Ma fille quant à elle, était resplendissante de bonheur comme je ne l’avais plus vue depuis la mort de sa mère. Leur soudain changement d’attitude ne laissait aucun doute concernant le sujet de la discussion : ces deux enfants s’étaient avoué leur affection et venaient quérir ma bénédiction. Le garçon n’avait manifestement pas perdu de temps après avoir compris qu’il ne risquait plus sa tête en séduisant la Princesse d’Hyrule, et venir baiser sa main devant moi ce matin était tout bonnement un aveu... J’allais encore devoir être le trouble-joie et cette idée m’était exécrable …
« Père… Excusez-moi de vous avoir fait attendre… »
Link avait posé un genou à terre à ses côtés. Silencieux. Bien que la Bibliothèque fût déserte, je trouvais préférable de discuter de tout cela dans un espace plus restreint. J’invitai le garçon à se relever et les fis entrer tous deux dans mon Étude, troublant Zelda qui cherchait encore les mots pour requérir la présence de son garde-du-corps... Je pris la parole sans attendre.
« Mes enfants… Je crois avoir deviné la raison de votre présence… »
Ils échangèrent un regard inquiet. Je leur tournai le dos pour pouvoir me focaliser sur mes propres paroles et continuai.
« Link… Quand je me suis vu mourir à la porte du château le jour de la Résurrection du Fléau, je t’ai confié la Prunelle de mes yeux. Si j’ai pu être en paix face à ma propre mort, c’est parce que je savais Zelda entre de bonnes mains. Pas seulement les mains d’un excellent épéiste, ni même celles du Héros des Légendes, mais celles d’un homme dévoué et courageux qui tout comme moi était prêt à mourir pour elle. Ce jour-là, j’ai mis la survie de mon Royaume entre vos jeunes mains à tous les deux et ensemble, vous avez accompli l’impossible… Vous vous méritez l’un l’autre… Je serais honoré, apaisé et heureux de vous donner ma bénédiction. »
Grande fut leur Surprise, et plus grande encore fut leur Joie : j’entendais derrière moi leurs souffles de soulagement et leurs sourires qui s’ouvraient. Je savais que leur joie serait de courte durée… Plus vite ils sauraient ce qui les attendait, moins ils tomberaient de haut … J’enchaînai donc.
« Je me vois cependant dans l’obligation de vous rappeler que le protocole de fiançailles de la Prêtresse Royale est très strict : l’annonce officielle de son entrée en âge doit se faire publiquement, et trois mois doivent s’écouler entre la présentation des prétendants et toute approbation de fiançailles…»
« Mais… Père ! » Je me retournai vers ma fille incrédule. « C’est inutile! J’ai déjà choisi… Il y a sûrement un moyen de faire une exception ! »
« Je suis désolé ma fille… Cette loi a été créée pour protéger votre lignée, pour que la Princesse ne soit jamais mariée par dépit ou contre sa volonté… Qu’elle puisse avoir le temps de connaître ses options et de choisir son Roi en toute conscience. Il n’y a pas moyen de la contourner sans créer un précédent qui pourrait s’avérer désastreux un jour pour vos propres descendantes.»
« Même si je suis l’Elu de l’Epée ?» intervint Link, «N’avons-nous pas été les fondateurs du Royaume dans nos anciennes vies ? Je veux dire… En un sens, ne sommes-nous pas déjà mariés, Majesté ? »
« Tu trouveras toujours des gens pour remettre en doute la véracité de nos légendes, mon garçon. Les lois doivent être rationnelles et impartiales, ou bien tu perdras ta crédibilité en tant que régent. Prends ça comme ta première leçon. »
Zelda semblait dévastée. Je savais qu’elle finirait par comprendre et accepter ce délai, mais je n’avais pas anticipé que cela la toucherait autant. Son chevalier la regardait et lui sourit avec douceur. Il n’eût qu’à ouvrir les bras, pour qu’elle aille s’y réfugier, et tout aussi naturellement il les referma sur elle dans une douce étreinte.
« Ça va aller, Zelda… Trois mois, c’est trois fois rien… »
Je repris la parole avant qu’ils ne s’habituent à cette idée.
« Traditionnellement les trois mois s’écoulent entre les fêtes saisonnières. Les prétendants seront présentés dans cinq semaines lors de la Fête de l'Équinoxe et la décision de la Princesse à leur sujet devra être rendue lors de la fête du Solstice… Ce point-là aurait pu être contourné, car il tient plus de la tradition que de la Loi… Mais l’annonce a déjà été envoyée dans les quatre coins du Royaume il y a plusieurs jours… »
Ce fut un nouveau coup dur pour Zelda.
« Quatre mois … ! » gémit-elle dans la tunique de son chevalier. Cette fois, même Link avait l’air peiné.
« Et je suppose, Sire, que pendant ces quatre mois nous ne pouvons pas laisser les gens comprendre que nous sommes déjà… »
« Ce serait mal venu en effet… Et cela pourrait vous porter préjudice… Aussi j'attends de vous deux la plus grande discrétion. Bien sûr vous n’empêcherez jamais le bon peuple de s’épandre en commérages… Certains cancanaient déjà sur votre relation avant même que tu ne sois Reconnu par la Lame Purificatrice, mon garçon ; alors jusqu’à l'Équinoxe, fais en sorte que personne ne puisse te considérer comme plus qu’un simple prétendant. Et à partir de là, la question ne se posera plus, puisque Zelda devra partager son temps entre chacun de ses soupirants, de manière équitable et dûment chaperonnée à chaque instant. Avec toi y compris mon garçon.»
Il leva les yeux au ciel comme pour implorer les Déesses et laissa s’échapper un long soupir dans les cheveux de Zelda.
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Notes:
Premier chapitre de la seconde partie de cette fic :)
Que de chemin parcouru déjà pour mes amoureux...Les chapitres de 6 à 9 sont une interlude de "fluff" qui s'est immiscée dans mon histoire juste parce que les personnages le voulaient.
Je suis contente cependant d'avoir pu y développer leur relation mais aussi, leur personnalité à chacun.Que vous soyez là pour le plaisir ou pour travailler votre français, n'hésitez pas à laisser des commentaires (même si c'est pour poser une question!) ou un petit kudo.
Merci encore à ceux et celles qui le font, d'ailleurs: croyez-moi c'est à chaque fois très apprécié :) <3Ps: Malgré la tournure des événements il n'y aura pas de "smut" dans cette fic.
Je n'ai rien contre ceux qui en écrivent ou qui en lisent,
je ne suis juste pas à l'aise avec ça et surtout, pas assez expérimentée pour en écrire correctement! ^^
Cela ne veut pas dire pour autant que mes personnages sont aussi coincés que moi...
A toi Juliette, quand tu auras trouvé ma fic. Toi que je "consterne" avec mes déboires amoureux depuis si longtemps déjà...
De toutes façons, tu m'aurais reconnue au prochain chapitre ;p
Chapter 7: Envol
Summary:
Une fois encore, son titre de Princesse d'Hyrule n'aura été qu'une entrave pour Zelda.
Enchaînée à un Protocole éculé, les mains liées par les Responsabilités de sa naissance...
Ne pourra-t-elle donc jamais goûter à la Liberté? Elle qui, autrefois, chevauchait le Vent lui même...
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
“Le destin n'est pas une chaîne mais un envol.”
-Alessandro Baricco
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LINK
L’impossibilité d’échapper à cette tradition avait été un choc pour Zelda. Elle estimait - à juste titre - avoir déjà sacrifié trop de temps de sa vie à des rituels sans âge ni fondement. Je comprenais son point de vue, bien sûr, mais pour ma part, j’étais plutôt ressorti rassuré de notre discussion avec le Roi : je m’étais attendu à des moqueries, à une remise en question de mes facultés à lui succéder un jour, à des insinuations sarcastiques sur mes véritables motivations à vouloir épouser l’Héritière du Trône, voire à un refus sans équivoque - avec ou sans l’option « être jeté dans les cachots ».
Rien de tout ça ! Au contraire, j’avais été touché d’apprendre que malgré tous mes faux pas, j’avais gagné et gardé la confiance de Rhoam. Il m’appelait « mon garçon » presque affectueusement. Nous avions en commun une habileté redoutable dans le maniement des armes ainsi qu’un appétit d’Hinox, et pour avoir souvent croisé ce vieil ermite lui ressemblant tant aux abords du château, je suspectais mon Roi d’aimer lui aussi à se ressourcer dans la nature à chaque fois qu’il le pouvait… Voyait-il en moi le fils qu’il n’avait jamais eu ?
A la lumière de cet immense soulagement, et désormais certain des sentiments profonds de Zelda, trois ou quatre mois de patience… Cela me semblait tout à fait insignifiant. Du moins au début… Continuer à vivre notre Amour en secret dans un château toujours plus en ébullition se transforma vite en une épreuve extrême de force. Les cinq semaines qui nous séparaient de la Fête de l'Équinoxe ne nous imposaient pas de chaperon ; j’étais même autorisé à offrir mon bras à ma Dame lorsque nous marchions ensemble... Mais nous devions nous retrouver en cachette pour étancher notre soif d’affection, et étouffer nos ardeurs pour ne pas concevoir un incident diplomatique...
Zelda requit que je prenne place à la table d’honneur durant les repas, auprès de la Famille Royale et des plus hauts dignitaires; place qu’en outre j’étais déjà censé occuper en tant que Chevalier Purificateur mais que pour des raisons évidentes je n’avais jamais réclamée. Rhoam avait accepté, arguant qu’il n’était pas trop tôt pour habituer le peuple à me voir comme un Prince, et pour cette même raison il m’avait accordé l’insigne honneur de ne plus avoir à m’agenouiller devant lui, à part pour les cérémonies officielles.
Zelda insista également pour que je prenne des cours de danse avec elle: j’en avais déjà appris les rudiments à l’académie militaire, mais ma Princesse tenait à ce que j’en mette plein la vue aux autres prétendants pendant le bal… J’acceptai sans broncher cette occasion de passer du temps avec elle, fût-ce sous le regard suspicieux de notre instructeur…
Bien que je n’avais demandé aucune récompense, et malgré la tournure catastrophique qu’avait prise notre seule conversation à ce sujet, Sa Majesté avait comploté avec sa fille pour me choisir un cadeau. De nos discussions pendant la guerre, Zelda savait que mon vieux Firon, mon cheval, avait été tué plusieurs mois avant que je n’entre à son service et que j’étais depuis sans monture. Lorsque le troupeau revint au Ranch Lonlon avec les réfugiés, Zelda m’y accompagna et m’annonça que je pouvais choisir le cheval que je voulais.
Nous passâmes un long moment assis en tailleur au milieu du pré, à observer et comparer les animaux ; et bien plus… Ma cocotte pouvait caqueter sans fin à propos des plantes qui nous entouraient : leur biologie, leurs propriétés, leur nom en Ancien Sheikah... Une vraie petite encyclopédie! Mais elle n’avait aucune idée desquelles sentaient bon ou étaient sucrées sous la langue, de comment faire de petits projectiles avec des fleurs de plantain ou des bracelets avec des segments de prêle... J’essayais de ne pas laisser paraître à quel point j’étais écœuré en imaginant sa vie jusqu’alors : une petite fille cloisonnée dans sa Tour d’Ivoire, entravée par son destin, écrasée par ce qu’on attendait d’elle; coincée dans un présent angoissant, entre un passé douloureux et un avenir terrifiant… Si avide de découvertes et de nouvelles expériences qu’elle l’était, c’était comme faire vivre un goéland dans une cage à rossignol, et encore pendre la cage au dessus des fourneaux…
Moi qui avais craint si longtemps de n’être jamais à ses yeux qu’un paysan inculte et sans intérêt, je trouvai une maigre consolation dans le fait que j’avais du coup moi aussi tout un lot de connaissances à lui apporter... Pour sa première leçon, je lui montrai comment siffler en coinçant un brin d’herbe entre ses pouces : un grand classique de l’Enfance qu’elle n’avait jamais eu l’occasion d’apprendre… Nous nous tordions de rire comme deux gosses devant les bruits douteux résultant de nos essais ratés; cela dit, ma bien aimée était très bonne élève... Elle me confia aussi que, bien qu’elle ait son propre cheval et qu’elle aurait adoré en profiter, elle redoutait toujours de devoir le monter. Parmi tous ces nouveaux projets qui germaient à foison dans ma tête, je me fis la promesse de remédier à ses appréhensions.
Entre tous les chevaux du troupeau, une jeune jument avait attiré mon attention. C’était une bête magnifique, bien proportionnée et angulée, puissante aussi, mais avec de l’air sous le ventre et des allures fantastiques! En la voyant caracoler au milieu de la horde - une biche parmi les cochons - on aurait pu croire qu’elle volait. Elle était d’un baie cerise soutenu, mais ses crins et fanons étaient argentés, presque blancs. On pouvait distinguer de légères pommelures sur ses flancs et sa croupe, et une courte liste lui descendait en V sur le chanfrein. Curieuse mais farouche, elle s’approchait de nous à chaque fois que l’un de nous sifflait, levant bien haut sa jolie tête, mais au moindre de mes mouvements, elle détalait en s’ébrouant, décochant des coups de cul à qui mieux-mieux... Zelda était impressionnée par sa fougue.
« Il ne faut pas ! Regarde comme ses naseaux se dilatent et comme elle roue l’encolure: c’est elle qui a peur de nous, tu vois…? Elle a peur, mais elle vient quand même… » expliquai-je à Zelda.
« Une vraie courageuse alors, comme toi ? » me taquina-t-elle amoureusement.
« J’en suis sûr ! Mais regarde-la ! Dès qu’elle se dégonfle, elle s’envole en gesticulant pour essayer de nous impressionner… Exactement comme Revali ! »
Cela la fit rire de bon cœur. J’adorais tellement entendre son rire !
Elle se perdit dans ses pensées pendant quelques secondes, puis me fit une demande sortie de nulle part.
« Link… Prête-moi ton épée. S’il te plait… »
Je me pliai immédiatement aux curieuses exigences de ma Reine: détachant la bandoulière pour ne pas sortir la lame de son fourreau, je déposai l’Epée de Légende sur nos jambes, la garde vers elle. Sans prendre la peine de m’expliquer quoi que ce soit, Zelda posa sa main droite sur la fusée, inspira profondément et ferma les yeux… Sa main émit une faible lueur dorée et la Lame Purificatrice lui répondit de son éclat bleu. Au bout de quelques secondes de « transe », Zelda revint à elle, si étourdie que je dus la soutenir de mes bras pour l’empêcher de tomber..
« Eh, oh, Princesse…Tout va bien?» Elle se mit à rire aux éclats. «Zelda, ma puce?»
Elle me regarda avec un sourire extatique.
« Oh Link, ça a marché! J’ai pu communiquer avec l’Âme de l’Epée… Volontairement ! Je le lui ai demandé et elle m’a montré le Pays dans le Ciel… »
Son regard se perdit au loin, encore émerveillée de ce qu’elle venait de voir. Ou devrais-je dire ce qu’elle venait de vivre ? Elle continua.
« C’est quand tu as comparé ta pouliche à Revali… Cela m’a rappelé ce grand oiseau bleu que j’avais chevauché en rêve … »
« Oh là… Dites donc mademoiselle, vous ne chevauchez quand même pas Revali en rêve, si ? » plaisantai-je, la faisant rire de plus belle.
« Non, gros bêta… De grands oiseaux sur lesquels les hyliens pouvaient voler avant de descendre vivre à la Surface du Monde. Personne n’en a vu depuis des lustres malheureusement, mais il parait que ce sont eux qui sont représentés sur le sceau de la famille Royale. J’ai vu le tien: il était rouge et blanc, comme cette jument ! Le Célestrier Vermeil… »
« Vermeille… » répétai-je.
Walon le Maître d'Écurie me raconta qu’elle était née en semi-liberté sur les collines de Labulat, qu’elle était très prometteuse et d’une excellente lignée férale. Mais entre la guerre et l’exode ils avaient manqué de temps pour la mettre au travail, et vu son caractère prononcé, ils craignaient qu’il ne soit désormais trop tard pour en faire quoi que ce soit d’autre qu’une poulinière… J’acceptai le défi sans sourciller: les jours qui suivirent, je vins quotidiennement au Ranch pour amadouer puis débourrer ma Vermeille.
Avec l’accord de ma Princesse, je pris l’habitude d’emprunter son cheval chaque jour pour faire le trajet : c’était un hongre blanc comme neige nommé Blizzard, qui était gardé à l’écurie du château. Il n’avait été castré que récemment, pour faciliter la gestion de la cavalerie durant l’évacuation; aussi avait-il encore des attitudes fanfaronnes et la musculature puissante typiques d’un étalon. L’emprunter écourtait considérablement mes déplacements, mais cela me permettait surtout de défouler ce pauvre diable, qui tout comme moi, débordait d’énergie à force de rester enfermé: pas étonnant que Zelda ait redouté de le monter... Dès le premier jour, je me permis d’exiger auprès du palefrenier que Blizzard soit lâché bien plus souvent au paddock.
ZELDA
Link avait été ravi du cadeau que mon père lui avait fait. J’en fus presque jalouse, puisque pendant une semaine, il passa plus de temps avec elle qu’avec moi. Il avait aussi reçu un harnachement complet sur mesure pour elle, plus sobre que le mauve et or de Blizzard mais d’aussi bonne qualité. Le bleu de la famille Royale irait à ravir sur la belle robe rouge de la jument…
Un matin, Link m’avait donné rendez-vous près de la grand-porte du château. Il m’avait simplement intimé de veiller à porter un pantalon et des habits d’exterieur, et de prendre mes dispositions pour la journée. Je l’attendais depuis quelques minutes déjà quand il arriva au petit trot sur Blizzard. Il fit faire à mon cheval une large volte autour de moi pour le faire ralentir puis l’arrêter. Alors, il me sourit superbement et me tendit la main.
« Venez Princesse… »
Il libéra l’étrier pour que je puisse y prendre appui. Terrifiée, j’hésitai un instant. Le Courage, ce n’est pas de ne pas avoir peur. C’est d’avoir peur mais d’y aller quand même . Je saisis sa main et il me hissa sur le dos du cheval, juste devant lui, me sécurisant de ses bras et de tout son corps… Il approcha sa bouche de mon oreille pour me chuchoter :
« J’ai l’impression d’être le Prince Charmant qui enlève sa Princesse, comme dans les contes de fées… Prête ?»
Je n’étais pas plus rassurée, mais mon désir soudain d’être enlevée par cet homme me détendit instantanément.
« Prête... » mentis-je.
Alors, lâchant la bride de mon cheval, Link nous fit traverser le bourg au grand galop, en direction de la Plaine d’Hyrule.
Les premières secondes furent un cauchemar : je n’entendais plus rien d’autre que le bruit assourdissant des sabots de la bête frappant le sol, et à chaque foulée, je m’imaginais être projetée sur les pavés et y mourir. Mais, blottie contre Link, je finis par m’habituer aux mouvements réguliers du corps puissant de Blizzard. Je levai les yeux et vis le paysage défiler autour de moi. Le souffle d’air frais picotait mes oreilles et mes yeux, séchant mes larmes aussitôt qu’elles coulaient, et faisait fouetter mes cheveux au vent par-dessus l’épaule de Link.
Quand nous atteignîmes la plaine, Blizzard redoubla d’entrain : le sol semblait se rapprocher de nous à mesure que sa cadence accélérait. Le tonnerre de ses pas étant désormais atténué par l’herbe et la terre, je pris conscience de sa respiration puissante et passionnée, de la mécanique grandiose de ses os et de ses muscles qui roulaient sous sa peau, de tout ce grand corps entièrement dédié à la course. Je n’avais plus peur. J’étais exaltée ! La joie de cet animal épris de liberté s’était communiquée à tout mon être. Je n’avais connu ce sentiment que dans mes visions : quand j’étais cette jeune fille insouciante qui sautait dans le ciel jadis, certaine d’être rattrapée par son oiseau... Je volais de nouveau !
A notre arrivée au Ranch, Link pris les rênes d’une seule main et, de son autre bras en travers de mon torse, me pressa contre lui. Il nous pencha en arrière, tirant légèrement sur la bride : Blizzard freina aussitôt des quatre fers, abaissant sa croupe dans un dérapage contrôlé. Il était pantelant, mais semblait satisfait. Link se laissa glisser du cheval en premier et me proposa galamment sa main pour m’aider à descendre. Je lui sautai au cou à la place, agrippant le tissus de sa tunique avec fougue :
« Oh, Link ! J’avais l’impression de voler ! Merci ! Merci ! »
Il savoura quelques secondes de m’avoir dans ses bras, puis m’éloigna sagement de lui.
« C’est Blizzard qu’il faut remercier, ma Dame!» me fit-il avec un clin d’œil.
Nous laissâmes le destrier souffler et brouter un peu. Link en profita pour me montrer ses progrès avec sa Vermeille : elle accourait désormais dès qu’il la sifflait et ne s’enfuyait plus ensuite, roucoulant presque sous ses caresses ; j’étais mal placée pour lui jeter la pierre… Elle l’acceptait aussi sur son dos, essayant encore de le désarçonner de temps en temps, pour la forme : mon « Prince » était par bonheur un excellent cavalier et il ne se laissait pas impressionner par ce qu’il appelait affectueusement « ses piafferies ».
Il passa le reste de la journée à me donner des conseils sur ma façon d’aborder les chevaux et l’attitude que je devais avoir en face d’eux. Il m’expliqua leur langage corporel et leurs besoins en tant qu’êtres vivants - autant de choses que l’instructeur d’équitation de la cour n’avait pas jugées importantes. Il m’observa tandis que je montais Blizzard seule dans un enclos fermé et me fit corriger la position de mes mains, de mon dos et de mes jambes.
Malgré les violentes courbatures dont je souffrais, il m’enleva de nouveau du château le lendemain matin, et le surlendemain, et le jour d’après ; pour deux heures de cours seulement à chaque fois - Hylia soit louée ! Au bout de six jours de cet entraînement, je pouvais monter Blizzard de manière autonome et sans plus aucune crainte. Ce jour-là, nous rentrâmes au château chacun sur notre monture, et avec au cœur l’intuition que tout un nouveau monde d’aventures venait de s’ouvrir à nous.
LINK
Nous ne pûmes bientôt plus nous passer de notre balade quotidienne dans la Plaine d’Hyrule. J’étais ravi que Zelda ait pris goût à l’équitation, mais je ne savais pas si je pouvais m’en attribuer les lauriers ou si l’on devait ce changement à l'Épée et à ses visions. Ma Princesse exultait pendant nos galopades sur les chemins, arborant le même sourire béat que lorsqu’elle était revenue à elle après sa transe. Comme j’aurais aimé pouvoir l’accompagner dans ses voyages vers nos anciennes vies… !
Blizzard semblait ravi de toute cette attention et de toutes ces sorties. Quand nous rentrions à l’écurie, Zelda passait toujours un long moment à le panser, le flatter, ou simplement le front appuyé sur son encolure, comme pour le remercier. Ça, pour sûr, c’était ma victoire à moi !
Vermeille s’habituait doucement à la vie de château. Comme je l’avais fait pour Blizzard, j’avais insisté pour qu’elle passe une grande partie de sa journée au paddock. Nos deux chevaux y étaient du coup souvent lâchés ensemble et semblaient s’entendre merveilleusement.
Vermeille était une formidable monture : agile, confortable, flamboyante, attentive, aérienne, intelligente et en effet, courageuse… Je remerciai silencieusement l’Epée de Légende pour son aide. Elle brilla faiblement en réponse et émit un bruit étrange que je ne compris pas, mais qui pour une raison obscure emplit mon cœur de joie.
Grâce à nos montures, le Laboratoire Royal n’était plus qu’à une petite demi-heure du château. Nous en profitâmes pour y retourner plusieurs fois durant les semaines qui suivirent. Pru’ha nous expliquait leur avancement dans les recherches et dans leur tentative de reconstruire Terrako. Elle nous informa que déjà, plusieurs de nos amis avaient pu, chacun dans leur coin du Royaume, réunir des pièces qui nous manquaient : auprès de collectionneurs, de marchands, en nettoyant des camps de monstres ou directement sur des sites de fouilles. A chacune de nos visites, je mettais à jour ma copie de la liste: il en manquait encore tellement que nos maigres progrès me semblaient dérisoires...
Pru’ha rendit à Zelda la tablette Sheikah. Elle avait en grande partie cessé de fonctionner peu après la destruction de Terrako : seule la carte, l’encyclopédie et la capture d’images étaient encore fonctionnels, et Pru’ha n’avait rien pu faire pour restaurer les autres modules. La scientifique n’était pas dupe vis-à-vis de notre relation, encore moins maintenant que lors de l’inventaire, et elle nous provoquait inlassablement pour essayer de nous faire avouer. Elle charriait la Princesse vis-à-vis de la présentation prochaine des prétendants, lui assurait qu’elle pourrait faire bon usage de ma personne dans le cas où Zelda préférerait être tranquille avec eux, et me demandait systématiquement des nouvelles de « cette fille dont j’étais tombé amoureux quand j’étais gosse». J’éludais ses questions : je détestais voir ma Princesse mal à l’aise mais je n’étais pas encore prêt à raconter cette histoire…
ZELDA
L’Equinoxe approchait à grands pas. J’étais partagée entre la douceur de savoir qu’un quart de notre attente s’était déjà écoulé, et l’amertume de penser que nos cinq semaines de répit allaient bientôt toucher à leur fin. Malgré la frustration, ces dernières semaines avec Link avaient été tout bonnement les meilleures de ma vie.
Un soir, en arpentant mon vieux journal intime, je réalisai qu’avec la résurrection prématurée du Fléau, je n’avais finalement jamais effectué mon pèlerinage à la Source de la Sagesse. Les monstres étaient devenus tellement plus rares depuis notre victoire, et nos chevaux nous permettaient de voyager tellement plus vite, que l’idée d’y aller en coup de vent avant l'Équinoxe ne me semblait pas si saugrenue…
Bien entendu, pour moi, il s’agissait surtout d’une excuse pour passer un peu de temps en tête à tête avec celui que je considérais déjà comme mon fiancé. Je savais que Père en aurait pleinement conscience, mais j’étais certaine également qu’il n’oserait ni m’y envoyer sans Link, ni me faire l’affront de décréter que cela pouvait attendre ; lui qui avait été si pointilleux sur ces pèlerinages et ces prières à la noix korogu pendant toute cette maudite enfance ! Surtout que selon la Tradition, la Prêtresse Royale devait s’y être rendue au moins une fois avant ses fiançailles… Le lendemain matin, je négociai avec brio auprès du Roi l’autorisation de me rendre à la Source de la Sagesse, avec mon chevalier pour seule escorte…
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Notes:
A Maria Elena Matus, qui m'a rendu mes Ailes.
Chapter 8: Glace
Summary:
On dit que l'Amour donne des Ailes: c'est certainement le cas pour Zelda qui goûte pour la toute première fois à la Liberté, dans la Nature auprès de son âme sœur.
Exaltée par ce sentiment et plus sûre d'elle que jamais, la Princesse s'apprête à se rendre à la Source de la Sagesse pour y prier; non pas parce que c'est ce qu'on attend d'elle, mais parce qu'elle le désire de tout son être.
Qui aurait pu se douter des effets qu'allaient avoir cette Terre Sacrée sur ses Pouvoirs Éveillés ?
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
"Ni le feu ni la glace ne sauraient atteindre en intensité
ce qu’enferme un homme dans les illusions de son cœur."
- Francis Scott Fitzgerald
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ZELDA
Nous partîmes dès l’aube du jour suivant. Le voyage à cheval jusqu’au pied de la montagne de Lanelle nous prendrait toute une demi-journée en gardant un bon trot ; quelques heures d’ascension nous sépareraient encore de la Source elle-même. Toujours dans l’incapacité d’utiliser le module de téléportation, nous n’avions pas d’autre choix que d’effectuer le voyage du retour le lendemain et avions prévu dans nos sacoches tout le matériel pour bivouaquer. Je me réjouissais à l’idée de passer une nuit seule avec Link, loin de tout et de tous. Plus de trois mois avant de pouvoir ne serait-ce qu’annoncer nos fiançailles, j’avais bien conscience que nous ne pouvions pas nous permettre de courir le risque d’une grossesse... Toutefois, à chaque baiser avec Link je ne pouvais m’empêcher de spéculer intérieurement en termes de risques, de probabilités et de périodes de fertilité… Selon les livres que j’avais arpentés à ce sujet, nous ne craignions rien, si peu de temps après ma lune de sang …
Les chevaux furent libérés dans une clairière au pied de la montagne, entre l’ancienne porte Est de la Route de Lanelle et la voie escarpée qui serpentait dans les collines jusqu’aux neiges éternelles. Blizz et Mey avaient pris l’habitude de rester ensemble, près de là où nous les laissions, tant qu’ils y trouvaient de quoi boire et manger. Link entreposa nos selles et autres harnachement dans les branches d’un arbre : selon lui, le matériel serait ainsi hors de portée des loups et renards parfois friands de cuir, et dissimulé d’éventuels voleurs par l’épais feuillage déjà poudré des ors de l’automne. Nous mangeâmes aussi, avant de reprendre notre route, afin d’alléger notre paquetage aussi bien que pour prendre des forces.
Je me sentais toute petite face à cette immense montée… Et dire qu’il y a quelques semaines encore, j’avais envisagé de la gravir directement en sandales et dans ma robe de cérémonie ! Folle! Cette fois, j’étais équipée de manière appropriée pour la randonnée, mes habits de cérémonie soigneusement rangés dans mon paquetage pour plus tard.
Link insista pour porter mes sacoches, prétextant que ce serait plus facile pour lui si le poids était équilibré sur ses deux épaules. Je portais quant à moi les légers mais encombrants matelas d’appoint et les deux sacs de couchage. Sur ses instructions, nous ramassâmes en chemin autant de bois mort que nous pouvions en porter.
Le soir tombait à peine lorsque nous arrivâmes à la Source. Pendant que nous gravissions péniblement la dernière portion de la montée, l’horizon s’était ouvert sur l’infinité de l’Océan ; alors, atteignant enfin le vaste surplomb rocheux recouvert de neige où se nichait la Source, je pris quelques instants pour admirer la vue. A ma droite, d’antiques escaliers menaient vers la statue de la Déesse. Autour d’elle, d’immenses piliers de glace bleutée ceignaient et couronnaient la Terre Sacrée. Monumentaux et pointant tous vers le zénith, ils semblaient vouloir déchirer la trame du ciel - les colonnes de marbre qui avaient jalonné notre chemin et s’élevaient encore jusqu’au bassin en étaient toute humiliées. A ma gauche, rien d’autre que de l’eau et de l’air salés, à perte de vue : les deux m’emplissant d‘un désir ardent de voler de nouveau.
Alors que mon regard glissait sur cette ligne séparant la mer et le ciel, je pouvais presque entendre le claquement de mes voiles gonflées par le vent, et sentir sous mes pieds la poussée du pont de mon navire alors qu’il se cabrait sur la houle. Hylia… Comment pouvais-je me souvenir de ces sensations aussi intensément? Moi qui n’avais jamais mis les pieds sur un bateau de toute cette vie…
Link me rejoignit alors que je m’imprégnais des lointains embruns : il posa son menton sur mon épaule et m’entoura de ses bras doux et forts, m’ancrant de nouveau dans notre présent. Ensemble, nous regardâmes les vagues minuscules rouler loin, si loin en dessous de nous : fugace moment de félicité que je garderai dans mon cœur pour toujours. Puis il me libéra, posant un baiser sous mon oreille au passage. Il était temps de nous remettre au travail.
Dans ma grande Sagesse, je m’étais documentée sur cette source avant de partir et j’avais notamment lu, dans un ancien ouvrage, qu’en déposant une écaille du Dragon Naydrac aux pieds de la Déesse, une grotte s’ouvrirait derrière la source. J’en avais justement une en ma possession depuis toute petite, montée sur un collier ayant appartenu à ma défunte Mère. Je fus agréablement surprise cependant de constater que la légende était vraie. Un peu fière également, car cette grotte – qui abritait une de ces étranges entrées de sanctuaires Sheikah – constituerait un abri idéal pour bivouaquer hors de la neige. Link prépara le feu de camp sur le socle du sanctuaire pendant que je me changeais. Prévoyant, il y ajouta de grosses pierres plates en m’expliquant qu’une fois chauffées par le feu, elles pourraient être utilisées comme bouillottes pour réchauffer les sacs de couchage.
Il s’inquiétait de la température de l’eau :
« C’est de l’eau de fonte, Zelda… Elle est glaciale… Je me souviens dans quel état tu as fini à la Source de Firone, et c’est une région tropicale… »
« Je sais … Mais à la Source du Courage, j’étais désespérée : j’y avais passé des heures et des heures à prier, sans boire ni manger… Ici ça ne sera l’affaire que de quelques minutes… Ne t’en fais pas… »
Je lui souris, confiante.
« Ma Grenouille, je ne … »
« Tu ne voulais pas aller chercher plus de bois ? » le talonnais-je gentiment, lui chatouillant les côtes pour le détendre un peu. « Ce sera bien plus utile que de te mettre la rate au court-bouillon comme ça… Allez, File ! »
Il me prit dans ses bras et m’embrassa tendrement avant de s’exécuter.
Je faisais la fière, mais au moment de mettre les pieds dans la source, je fus saisie par la froideur mordante de son eau. L’elixir que j’avais bu n’y changeait rien: j’avais l’impression qu’on m’enfonçait des aiguilles dans les chairs. Ma peau fut comme lacérée, d’abord, puis complètement engourdie. Alors que j’avançais doucement vers la statue, je pouvais sentir mon sang glacé couler dans mes veines, propageant ce froid intense partout dans mon corps. Non, vraiment, cette prière allait être bien courte!
Je joignis mes mains tremblantes en face de la Déesse, qui pour la première fois de ma vie semblait me sourir avec bienveillance. Et pour la première fois de ma vie, je n’avais rien à lui demander : pas de supplication à formuler, pas de repentance vis-à-vis de mon incapacité… Je tenais simplement à dire « Merci ».
« Merci » pour ce grand pouvoir qui m’avait finalement été accordé et m’avait permis de sauver mon royaume, mon peuple et mes amis. « Merci » pour toute l’aide qui m’avait généreusement été apportée par eux. « Merci » pour le dévouement et le soutien inconditionnels de Link, qui me suivaient à chaque incarnation. « Merci » pour son Amour… Alors que j’essayais tant bien que mal de chasser de mes pensées ce froid mordant afin de me concentrer uniquement sur ma gratitude, un voile de lumière iridescente enveloppa la statue de la Déesse, et les Triangles d’Or sur ma main répondirent à son appel. Aussitôt,, tout devint noir.
LINK
Il faisait presque nuit lorsque je revins à la source les bras chargés de branches mortes. Comme je l’espérais, je n’aperçus pas la silhouette de Zelda en train de prier devant la statue: elle avait certainement déjà terminé et était partie se réchauffer devant mon feu. Je contournai la source brumeuse pour amener mon bois au campement.
Mais Zelda n’y était pas. Je l’appelai : elle ne répondit pas. Je sortis de la grotte et appelai de nouveau, balayant les alentours du regard. Pas de réponse. Puis je la vis. Forme blanche qu’on pouvait facilement prendre pour un paquet de neige ou une volute de brume dans ce paysage glacé, la robe de cérémonie abhorrée de ma Princesse ondulait dans l’eau telle un spectre. Non… Non non NON ! Je sautai d’un bond dans la source pour la rejoindre. Le froid était insupportable.
Elle était à genoux devant la Déesse, de l’eau glaciale jusqu’à la taille, courbée comme un supplicié demandant grâce. Sa tête et ses cheveux pendaient devant elle, ajoutant à son allure spectrale. Dans la source Sacrée de la Sagesse, je hurlais tous les jurons que j’avais pu apprendre dans ma vie de militaire alors que j’emportais ma fiancée inconsciente dans mes bras. Le temps de nous sortir de là et je fus presque aussi trempé qu’elle. Je l’appelais, lui parlais, mais rien ne la ramenait à moi. Je pris son pouls : son cœur battait encore mais lentement, si lentement, que chaque pulsation semblait se réclamer d’être sa dernière. Sa respiration était si faible que je la percevais à peine. A la lueur de mon feu de camp près duquel je l’avais emmenée, sa peau d’un gris bleuté était froide comme la pierre.
ZELDA
J’ouvris les yeux sur le plafond d’une grotte. La lumière jaune et vacillante du feu dansait sur les parois rocheuses. Link se tenait devant moi, levant une torche au-dessus de sa tête pour observer une fresque. Une grande bête à cornes grise le poussa doucement de son museau.
Quoi ? Mais… Qu’est-ce que je fais là ?
Tout devint noir à nouveau, l’espace d’un instant, puis le rêve continua. C’était complètement différent des rêves de l’Epée, pendant lesquels je me retrouvais dans la peau des autres Zelda : dans cette vision-là, je m’observais de l’extérieur, et cette aventurière aux cheveux courts avait l’air si différente de moi que si je n’avais pas eu exactement le même visage et le même amoureux, je ne me serais même pas reconnue. Ils avaient perdu une de leurs torches ainsi que leur animal de bât en s’enfonçant toujours plus loin dans la grotte. Leur chemin, heureusement, était éclairé de pierres Nox. L’image se brouilla de nouveau.
Une salle circulaire s’était ouverte devant nous. En son centre, le cadavre d’un homme immense était exposé, poitrine vers le haut, dans une posture d’agonie. Un formidable bras de lumière turquoise lui empoignait le cœur, et semblait lentement vider le corps momifié de sa substance dans une large spirale. De la Rancœur suintait de tout le reste de la carcasse noircie.
Ganon ! … Non…
Le symbole du peuple Gerudo était omniprésent sur ses vêtements, sur ses bijoux… Je pouvais voir luire dans la pénombre sa gemme royale caractéristique, flamme orange au milieu de son front, et ses cheveux écarlates flamboyaient dans le miasme de sa Rancœur.
Se pourrait-il que… Ganondorf ??
Tout à coup,, la momie tourna son visage maléfique vers cette autre moi. Sa gueule béante se tordait en un rictus de pure malveillance et ses yeux rouges luisants de haine tels deux charbons incandescents, s’enflammèrent soudain pour brûler comme deux soleils. Le craquement sinistre de sa nuque sembla se répercuter par une sombre magie dans la roche, et le sol se déroba sous les pieds de mon alter ego. Link la rattrapa de justesse mais faute de prise, il bascula à son tour vers le précipice. Le bras luminescent lâcha son emprise sur le Seigneur du Malin pour les rattraper et les sauver tous les deux.
Le sceau était brisé.
LINK
Zelda ne se réveillait pas. Je l’avais assise en face du feu, dos contre moi, avant de déchirer cette maudite robe dans toute sa hauteur pour l’en débarrasser : le tissu trempé au contact de sa peau ne ferait que la refroidir davantage. Je jetai ce chiffon de malheur le plus loin possible de nous et enveloppai ma bien-aimée dans son sac de couchage, chaud et sec. Ce n’était clairement pas comme ça que j’avais rêvé de la voir nue pour la première fois.
Je tendis un bras pour fouiller dans mes sacoches à la recherche d’un des flacons de Remède Pikpik que nous avions préparés ensemble la veille. Mais Zelda était si faible et amorphe que son corps refusa d’en avaler la moindre goutte, et tout ce que je pus faire sans risquer de l’étouffer fut d’en humidifier sa bouche inerte.
Frissonnant moi-même de froid dans mes habits trempés, je bus d’une traite le reste du flacon et allongeai Zelda sur son matelas, aussi proche que possible de la source de chaleur, avant d’ajouter quelques grosses branches au feu pour en augmenter la vigueur. Puis je disposai plusieurs des gros galets brûlants le long de son sac de couchage, et frictionnai vigoureusement son corps à travers le tissu. Rien n’y faisait, elle ne revenait toujours pas à elle, elle n’avait même pas repris de couleurs ! Mais elle était vivante. Allez, Zelda ! Reprends-toi, je t’en prie… Ne me fais pas ça, ne me laisse pas !
Quand j’en fus arrivé à grelotter et claquer des dents si fort que je ne maitrisais plus mes mouvements, je me résignai à m’occuper de ma propre hypothermie : il me serait impossible de l’aider si je finissais dans le même état qu’elle. J’ôtai donc à mon tour mes habits mouillés et glacés, m’enveloppai dans le second sac et retournai auprès d’elle. Toujours aucune amélioration, peut-être même un pouls un peu plus lent encore. Je hurlais dans ma panique, insultant Din pour son feu inutile, reprochant à Nayru son eau glacée, implorant Farore de ne pas reprendre sa vie.
Je sentis la chaleur de mon propre corps revenir dans mes doigts et mon visage alors que je m’époumonais : peut-être parce que le remède commençait à faire effet, ou peut-être parce que ma terreur et ma rage étaient telles que mon sang était sur le point de bouillir. Sans réfléchir plus longtemps, je sortis de mon couchage et l’ajoutai sur elle comme une couverture supplémentaire. Puis je me faufilai dans son sac auprès d’elle. Je sanglotais d’horreur : c’était comme se coucher auprès d’un cadavre tant son corps était froid et rigide. Je la tournai vers le feu pour pouvoir me caler dans son dos, plaquant contre son corps gelé le plus de surface de ma peau que je pouvais. J’emmêlai mes jambes dans les siennes, enveloppai son buste de mes bras, pris ses deux petites mains au creux des miennes et lovai mon visage dans son cou glacé en priant Farore que son pouls ne s’arrête pas sous mes lèvres.
Le Temps s’était comme suspendu. Etais-ce seulement une impression ? Mais au bout d’un moment - que je ressentis comme un siècle entier - il me sembla que petit à petit, son corps se faisait moins froid et moins rigide. A la vitesse imperceptible d’un escargot silencio, sa respiration se faisait plus profonde, son pouls plus rapide... Quand elle commença à trembler, signe qu’elle avait repris assez de vigueur pour que ses fonctions de survie se remettent en route, je fus incapable de maitriser mes pleurs de soulagement.
ZELDA
J’ouvris les yeux sur les flammes d’un feu de camp. Dans une grotte. Etais-je encore en train de faire le même rêve ? Je grelottais. J’avais froid, et pourtant, j’étais au chaud. Je me sentais si bien, lovée contre cette chaleur. Je sentais des mains brûlantes se serrer gentiment sur les miennes…
« Link… ? »
Il se mit à sangloter et m’embrassa le cou, avec tant de lenteur et de force… Sa pommette frotta contre ma joue lorsqu’il acquiesça en silence, faisant rouler quelques larmes sur mon visage. Puis il me serra un peu plus fort encore dans ses bras. Il tremblait.
« Link… ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Je me dégageai légèrement de lui pour pouvoir me retourner et lui faire face : je devais voir son visage, il fallait que je sache quel Link il était, qui nous étions… Je ne savais plus… Je pris soudain conscience que j’étais nue. Nous l’étions tous deux ! Et il était mon Link, aucun doute, ce n’était pas un rêve !
« Link !! Pour l’Amour de Nayru comment se fait-il que … » commençai-je.
Mais il ne me laissa pas continuer : d’un air penaud, il me reprit dans ses bras et me serra encore plus fort contre son cœur, étouffant ses sanglots dans le creux de mon cou.
Si j’avais pu me sentir offusquée un court instant de m’être réveillée nue auprès de lui sans savoir pourquoi ni comment, c’était déjà fini : mon cœur fondit devant sa détresse. Je l’enveloppai de mes bras à mon tour, caressant sa nuque et son dos pour le consoler. Au contact de sa peau nue, une chaleur familière se mit à brûler doucement dans mon bas ventre et malgré mon intense fatigue, j’eus bientôt toutes les peines du monde à rester maîtresse de mes pensées.
« Eeh … Ça va aller… Je suis là… » tentai-je. « Shhh… Link… Mon Amour, qu’est-ce qui te met dans cet état ? »
Mais à ces mots il sanglota de plus belle, puis explosa :
« J’ai cru te perdre !!… J-je t’ai trouvée à moitié morte dans l’eau de la source, froide comme un cadavre ! Inconsciente. Ton cœur battait à peine ! J’ai l’impression que ça fait des heures que j’essaie de te ramener. Je suis tellement soulagé que tu sois vivante, Zelda! Je t’aime si fort! Si je t’avais perdue je… Non… Non … !! Je peux pas… ! »
Je compris enfin. Je me rappelai que j’avais eu cette vision en priant... J’avais dû tomber en transe dans l’eau glacée. Cette eau si froide qu’en quelques secondes à peine j’avais déjà commencé à grelotter… Combien de temps avais-je pu rester dedans avant qu’il ne me retrouve?
« Oh Link, je te demande pardon… Regarde, je vais bien… Tu ne me perdras pas… Merci d’avoir pris soin de moi… »
J’embrassai son front et me blottis un peu plus fort contre son corps tout chaud, caressant doucement de mes doigts le haut de son dos, jusqu’à ce que nous nous endormions tous les deux, toujours enlacés.
LINK
Il faisait encore nuit noire quand je me réveillai. Zelda dormait à poings fermés près de moi : le cauchemar que j’avais vécu quelques heures plus tôt me revint en mémoire par bribes. C’était une chose de se battre contre des monstres, réels, tangibles, dans lesquels je pouvais planter une flèche ou une épée. Se battre contre un ennemi invisible qui avait tenté de me la voler de l’intérieur, me laissant complètement désarmé, en était une toute autre. Cela m’avait rappelé mon impuissance et la fureur de mon père quand la mise au monde de ma petite sœur avait tourné elle aussi au cauchemar. Les Déesses soient louées - et puissent-elles pardonner les insanités que j’avais proférées plus tôt - Zelda avait survécu : pendant de longues minutes après mon réveil, je ne pus rien faire d’autre que m’émerveiller de la profondeur de sa respiration et de la chaleur de son corps.
Par l’entrée de la grotte d’où s’échappait la maigre fumée, j’entendais une chouette hululer. Mon feu s’était presque entièrement consumé et je savais que les dernières heures de la nuit étaient toujours les plus froides. Sans sortir de notre sac de couchage, je me hissai sur un bras pour pouvoir, de l’autre, attiser et nourrir mon feu. Mes mouvements réveillèrent Zelda. Alors que je me recouchai près d’elle, elle gémit doucement et vint se lover dans mes bras
« Navré de vous avoir dérangée, votre Altesse... » lui chuchotai-je tendrement.
Pour toute réponse, elle m’entoura de ses bras à nouveau et mordit doucement la peau de mon cou, juste en dessous de ma mâchoire... La réponse de mon corps fut immédiate, et le contact de sa peau nue sur la mienne n’arrangeait rien. Je me dégageai de son étreinte et m’allongeai sur le dos pour tenter de calmer ma respiration et mes ardeurs. A la lumière du feu, je la vis sourire de satisfaction alors qu’elle posait sa tête dans le creux de mon épaule et sa main sur mon cœur : elle avait l’air si fière de l’effet qu’elle avait sur moi!
Nous n’avions plus sommeil du tout. Alors, Zelda me raconta la vision qu’elle avait eue en priant, et qui m’avait valu la plus grande frayeur de ma vie. Sincèrement, après ce que je venais de vivre, me voir annoncer que la source de la Rancœur du Fléau était toujours là, répandant sa boue rose quelque part dans le sous-sol d’Hyrule, et apprendre que malgré nos efforts et notre supposée victoire, la guerre n’était probablement pas terminée, m’en toucha une sans faire bouger l’autre. Il faut dire qu’à ce moment-là, la seule chose qui aurait pu me faire plus plaisir que de céder à la tentation de son corps nu aurait été de couper un Lynel en petits dés! Sa vision nous aurait dit où trouver cette momie pourrie que je serais allé lui casser les dents sur le champ. Pour lui apprendre.
Cependant, ma Princesse était quant à elle désemparée et angoissée à cette idée et il était impensable pour moi de la laisser se torturer l’esprit toute seule… Aussi tentais-je maladroitement de l’aider à mettre ses pensées au clair.
« Donc, tu penses que les gens que tu as vus, c’était nous mais dans l’autre réalité ? Celle dont venaient Sidon et les autres ? »
« Oui, j’en suis presque certaine. »
« Donc, ça ne s’est passé… - ne se passera ? Tu m’as compris…- que dans 100 ans par rapport à notre époque ? »
« Oui. Mais d’une part, vu nos visages, ça n’était - ne sera ? Oh c’est tellement bizarre ! - que quelques mois ou années tout au plus après avoir vaincu le Fléau, donc ça n’attendra pas forcément 100 ans… Et d’autre part cette momie était très ancienne : si c’est bien Ganondorf, elle est là depuis des milliers d’années! Donc si elle est dans leur monde elle est nécessairement aussi dans le nôtre. »
« Hmmm… Et nous… Pardon: “ Ils” étaient seuls, tu dis ? Pourquoi y seraient-ils allés sans escorte ? Ou bien tu crois qu’ils ont pu tomber dessus par hasard, en explorant ? Ça te ressemblerait tellement , ça : oh regarde Link, une crypte lugubre ! Tout laisse à penser qu’on peut y trouver de la technologie antique et une mort certaine, allons-y ! … Espèce de curieuse compulsive, va…» plaisantai-je en la caressant de ma joue.
« Eh ! Arrête de te moquer ! » pouffa-t--elle, « difficile à dire : je n’étais pas dans sa tête, cette fois… Ils avaient l’air de chercher quelque chose en tous cas, c’est sûr... Je pourrais peut être demander à l'Épée ?»
« Hylia toute puissante ! Tu viens de prouver que j’ai raison ! Tu te souviens ce qui s’est passé il y a quelques heures à peine ? Je t’ai crue morte à cause d’une de tes "visions'', bon sang ! Je te serais vraiment extrêmement reconnaissant si tu pouvais faire une petite pause dans tes trucs de déesse, là. Pour je sais pas, moi, quelques jours peut-être? Tu veux bien faire ça pour moi, s’il-te plait, ma Grenouille? Ce que je me demande, c’est s’ils y sont descendus par simple curiosité ou parce qu’ils rencontraient des problèmes à la surface, et qu’ils cherchaient à les résoudre… Car si elle est là depuis des milliers d’années, cette momie… Eh bien elle n’est plus à quelques années près, tu vois ? Surtout si comme tu l’as dit toi-même, c’est notre présence qui a brisé le sceau : tant qu’on ne s’y rendra pas, elle restera à sa place … »
« Mais elle continuera de répandre sa Rancœur! Et donc de faire naître des monstres! Peut-être même que le Fléau Ganon et ses Ombres n’étaient finalement que des émanations de ce Ganondorf mal scellé. Peut-être que l’original est encore plus puissant ! C’est notre Devoir de l’empêcher de nuire ! »
« Et quand ce sera le moment je serai là pour me battre à tes côtés, tu le sais… » Je lui lançai un sourire enjôleur. « Mais c’est aussi ton Devoir, il me semble, de faire perdurer la lignée d’Hylia… Et pour ça aussi je compte bien t’aider… De toutes mes forces... Je suis vraiment très motivé pour ce Devoir là… »
« Link …! » Elle était irrésistible quand elle rougissait.
« Prenons quelques années pour nous, ma Princesse, les momies peuvent attendre… Reprenons des forces, rebâtissons une Hyrule encore plus unie comme tu en rêves, et essayons de réparer Terrako… Si nous devons repartir en guerre contre un ennemi encore plus puissant, j’aime autant qu’il soit là… Et Teba aussi – par le Feu de Din, Teba est un vrai ouragan, il peut souffler des armées entières à lui tout seul, c’était à peine supportable de le voir se rabaisser tout le temps devant Revali. Et qui sait, tant qu’à faire, Terrako pourrait carrément aller chercher nos « autres nous » dans l’autre futur comme renforts… ? Ganon ferait moins le malin contre nous quatre, et j’adorerais voir comment les cheveux courts te vont …»
« Link ! » Elle rit à ma suggestion. « Mais tu as raison sur ce point : si nous devons repartir en guerre, moi aussi j’aimerais mieux que Terrako soit là… Nous n’aurions jamais pu nous en sortir aussi bien sans lui… Dans l’autre réalité, nous avons survécu de justesse et avons fini par vaincre le Fléau, mais nous avons tout perdu…»
Elle s’arrêta quelques secondes, pensive.
« Cette fois, nous avons l’avantage de pouvoir décider du « Quand ». Autant en profiter pour s’y préparer sur tous les plans, étudier la situation... Mieux comprendre nous permettra d’agir avec plus de pertinence. Peut-être que cette vision n’était pas là pour nous avertir d’un danger imminent, mais juste pour nous empêcher de nous reposer sur nos lauriers. Pour que contrairement à nos autres nous , nous ne soyons pas pris par surprise... Oui, c’est ce que nous allons faire… Merci pour vos conseils, mon doux Prince… »
Je trouvais sa gratitude exagérée, mais j’étais flatté qu’elle tienne mes propos en estime. Je ne me sentais tellement pas la carrure d’un futur Roi... Je cherchais quelque chose de drôle ou d’intelligent à lui répondre quand je sentis ses dents et ses lèvres parcourir mon cou, déclenchant une nouvelle montée de désir.. Sa main avait glissé doucement jusqu’à mon flanc: près, trop près de là où je la voulais toute entière. Malgré moi, ma voix s’était faite rauque quand je suggérai:
« Maintenant que tu vas mieux… Je devrais retourner dans mon propre sac… »
Elle fit non de la tête et avala bruyamment sa salive. Sa respiration à elle aussi s’était faite plus rauque et plus profonde.
« Hors de question… Tu restes… »
Sa main griffa doucement ma hanche comme pour m’attirer vers elle…
« Zelda… Je ne pense pas que je p… »
Elle fit basculer son corps au-dessus du mien et me coupa la parole en caressant fiévreusement mes lèvres de son pouce. Ses longues mèches dorées avaient glissé de ses épaules, formant un rideau autour de nos visages. Elle tremblait de nouveau.
« Ça m’est égal . Tu vas rester. » Susurra-t-elle avec l’autorité d’une Reine avant de plonger ses lèvres assoiffées dans les miennes.
Je fus complètement incapable de lui résister une seconde de plus.
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***
*
Notes:
1 - Rideau! Il est temps de laisser les amoureux tout seuls... Comme je l'ai déjà dit, je n'ai rien contre les gens qui écrivent des cochoncetés, mais je ne suis pour ma part pas à l'aise avec ça et en outre pas assez expérimentée pour le faire correctement même si je le voulais. :)
Si je publie un jour ce qu'il se passe entre mon chapitre 8 et mon chapitre 9, ce sera à part ...2 - En Hyrule, les menstruations sont surnommés "Lunes de Sang": parce que l'on saigne, à chaque Lune. L'évidence même!
3 - Dans ma version anglaise, Link donne des petits surnoms de nourriture à Zelda ( car tout le monde sait que le premier Amour de Link, c'est la bouffe!)... Fruitcake - voulant dire à la fois "gateau aux fruits" et "fofolle" - est mon préféré absolu. Mais impossible de trouver un équivalent en français qui ne soit pas trop mièvre pour mon Link ... Il refuse... :'( ... J'en suis venue à préférer ma EV rien que pour "Fruitcake" oh mon Dieu... D':
Du coup je suis partie sur des noms d'animaux dans ma VF... Si vous avez joué à BotW vous savez sûrement pourquoi Grenouille sort du lot... Peut-être qu'un jour j'écrirai un petit One-shot pour raconter comment une scène similaire a pu se passer dans cette timeline, lui faisant gagner ce surnom :)4 - Je me suis roulée dans le cliché de l'hypothermie comme une bienheureuse et je n'ai aucun regret. Cette scène a été littéralement mon premier headcanon en jouant à BotW il y a 4 ans (à quelques différences près puisque pas la même timeline mais quand même ). La Zelink shippeuse que je suis est née dans cette cave alors il était hors de question de la renier maintenant que je me décide à écrire!
5- A mon homme, qui supporte et accepte mes monomanies, notamment les centaines d'heures que je passe à écrire...
Et qui les accepte même s'il sait que je ne le laisserai jamais la lire...
Et pourtant, plus j'avance et plus mon Link s'inspire de toi, au point que parfois dans mes brouillons,
c'est ton prénom que j'écris à la place du sien.
J'aimerais tellement pouvoir être la Zelda que tu mérites...
Chapter 9: Habits
Summary:
Quelques jours seulement avant l'équinoxe, Link et Zelda se sont rendus ensemble à la Source de la Sagesse, où ils sont devenus des adultes à plus d'un titre.
Le moment est venu pour eux de s'en retourner vers un château surpeuplé et une étiquette suffocante… Link usera-t-il de son sens vestimentaire bien à lui pour impressionner ses rivaux?
Chapter Text
“Oh ! Que de grands seigneurs n'ont que l'habit pour tous talents!”
- Jean de La Fontaine
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ZELDA
Faisant crisser la neige sous mes pas à la recherche d’un peu d’intimité, je m’émerveillais de l’étrangeté du paysage. Le Soleil n’était pas encore levé et tout ce que je voyais autour de moi, à travers les volutes vaporeuses de mon souffle, me semblait gris et glacial, dénué de toute couleur. Au-dessus de moi, pourtant, le ciel s’était teinté d’un impressionnant dégradé de bleus et de jaunes, étalant leur pastel jusqu’à l’horizon brumeux.
Je m’attendais à voir le soleil poindre à tout moment, à ma droite, à la limite entre le ciel et la mer. Aussi fus-je surprise lorsque soudain, à ma gauche, le sommet de Lanelle s’embrasa en premier d’une intense lumière rose. Petit à petit, cette lumière descendait sur ses arrêtes gelées comme si elle s’y écoulait, se réfractant dans les gigantesques cristaux de glace, imprégnant la neige de sa couleur irréelle ; passant lentement de l’incarnat au corail, puis du corail à l’orangé. Lorsque ce chatoiement arriva jusqu’à moi, marquant le moment où le soleil m’apparut au-dessus de la mer, le monde entier semblait avoir été habillé d’Or. Je me demandais si Link voyait ça lui aussi… Je me secouai pour reprendre mes esprits et entrepris de redescendre vers le campement, en claudiquant.
La nuit avait été si douce sous ses baisers et contre la chaleur de sa peau… Par deux fois nous nous étions offerts l’un à l’autre, maladroitement peut-être, mais avec toute l’indulgence et l’oubli de soi de deux êtres qui veulent ne faire qu’un. Corps et âme. Mes hanches me faisaient souffrir à chaque pas et j’avais une conscience douloureuse du moindre muscle de mes bras : je n’étais pas sûre du tout que tout cela soit dû à notre longue chevauchée d’hier, ni même à notre randonnée... Peu m’en importait. Je me sentais plus proche de lui que jamais, et je n’avais aucun remord : il était à moi et j’étais à lui, depuis la nuit des temps et pour toujours, et quoiqu’il puisse arriver au-delà de ce merveilleux matin… Nous n’aurions jamais de compte à rendre, à qui que ce soit.
Après un petit déjeuner très copieux, mon Chevalier Servant fit chauffer de l’eau de la source pour que nous puissions nous laver. Replier nos affaires ensuite avait été un véritable crève-cœur, surtout sachant que mes trois mois de chaperonnage commenceraient le jour suivant notre retour. Ses habits hivernaux étant encore mouillés, Link dut se contenter de sa chemise et de sa tunique habituelles : toute la matinée jusqu’à ce qu’on rejoigne la vallée et nos chevaux, j’abusai de ce prétexte de devoir lui « tenir chaud» pour me coller à lui et l’embrasser sans relâche. Je goûtais sur ses lèvres la saveur pimentée du remède pic-pic qu’il avait bu avant de quitter notre grotte: j’avais pleinement conscience qu’il n’avait pas froid du tout… Nous nous complaisions juste autant l’un que l’autre dans cette excuse...
Nous ne pressâmes pas nos chevaux sur le chemin du retour. Nous prîmes notre temps pour profiter de nos derniers repas en tête à tête ; de notre dernière sieste dans les bras l’un de l’autre ; de notre dernier coucher de soleil en amoureux... La nuit était déjà tombée lorsque nous arrivâmes au château, et c’est la mort dans l’âme que nous partîmes nous coucher chacun de notre côté…
RHOAM
Zelda était revenue avec Link la veille au soir. Tard. Elle m’avait fait envoyer un messager pour me rassurer et s’excuser. Au petit déjeuner, elle m’avait semblé soucieuse et quelque peu changée, et était demeurée fort évasive dans son récit de leur excursion à la Source de la Sagesse. Lorsque Link nous rejoignit - en retard, comme toujours- il se dirigea droit vers elle et la gratifia d’un long baisemain, la regardant droit dans les yeux avec ferveur et désespérance… Ces deux enfants étaient prodigieusement épris l’un de l’autre. Je me doutais bien qu’il s’était passé là-haut des choses qu’ils ne raconteraient jamais à personne - et dont, en outre, je ne voulais surtout pas entendre parler. Ce n’était plus de mon ressort : Zelda avait prié à la Source de la Sagesse, et elle était donc à la fois légalement et spirituellement une adulte, responsable de ses actes. Désormais, puisse Nayru la guider s’il lui fallait assumer les conséquences de ce qu’ils avaient pu faire d’autre.
Je me raclai la gorge pour faire comprendre à ce petit effronté que son émoi lui avait complètement fait ignorer les règles de bienséance. Il se détourna de ma fille et, les yeux exorbités de confusion, s’inclina profondément pour me saluer et s’excuser.
La fête de l'Équinoxe commencerait le soir même. Tous les prétendants s’étaient déjà présentés devant moi et ceux qui en avaient la nécessité s’étaient vus attribuer des quartiers au château. Ce soir seulement seraient-ils présentés officiellement à ma fille, durant la cérémonie d’ouverture…
LINK
A la fin du Petit Déjeuner, Zelda s’était faite littéralement enlever par sa femme de chambre, accompagnée de deux tailleuses. Le regard des deux couturières brillait de détermination et de fureur: leur mannequin s’était soustraite bien trop longtemps à son devoir et ils ne leur restait que peu de temps pour effectuer les dernières retouches. De mon côté, c’est la buandière qui avait ramassé quasiment toutes mes affaires pour les laver, impitoyable, ne me laissant que mon pantalon de soldat usé jusqu’à la trame et la vieille tunique en laine verte que j’utilisais lors de mes balades en solitaire… Enfin, en plus des affaires neuves que je devrais mettre ce soir, bien sûr, mais je ne pouvais pas me permettre de les porter dès ce matin…
Je devais aller soigner Blizzard, qui s’était mis à boiter la veille, lors de notre voyage retour. Je supposais que le pauvre gars avait simplement surcompensé pour trouver son équilibre avec une Zelda toute tordue de courbatures sur le dos… Qu’un cheval répercute les douleurs de son cavalier à cause des mauvaises postures de ce dernier était très fréquent... Mais si c’était le cas, j’y étais peut-être bien moi-même pour quelque chose… Oh, Hylia… ! Mes joues brûlaient de honte et de passion à l’idée d’avoir pu l’aimer trop fort…
Arrivé à l’écurie, je constatai avec amertume que le nombre de bêtes entassées dans les stalles avait facilement doublé : j’osais espérer qu’il s’agissait pour la plupart des montures des convives, qui avaient afflué pour assister à la fête… Et non pas tous des chevaux de prétendants… Il n’y avait par contre, comme souvent à cette heure-là, personne d’autre que moi dans le bâtiment: les soins et le nourrissage ayant été effectués bien plus tôt dans la matinée, et n’étant plus à refaire avant la fin d’après-midi.
Dehors, le ciel était couvert : l’automne s’était enfin décidé à montrer sa vraie nature. Je pris rapidement Blizzard en longe pour le faire marcher avant qu’il ne pleuve, pour examiner sa boiterie : un de ses jarrets était engorgé et douloureux, probablement un échauffement des tendons… Il eut l’air cependant extrêmement déçu lorsque je le ramenai à l’écurie pour le soigner au lieu de le mettre au paddock. Posant l’Epée de Légende dans un coin de son box pour pouvoir m’accroupir plus facilement, j’entrepris de lui enduire la jambe d’Argile verte d’Ordin, réputée pour ses capacités astringentes.
« Pssst ! Link ! Tu es là ? » entendis-je murmurer ma Princesse.
Je me levai d’un bond pour la rejoindre à la porte du box. Evidemment, j’avais réussi à me mettre de l’argile partout… Zelda quant à elle resplendissait dans sa robe bleue princière, qu’elle tenait légèrement levée pour ne pas la laisser traîner dans la poussière. Elle lâcha pourtant le tissu dans un bruissement de soie pour entourer délicatement mon cou de ses mains gantées tandis que je l’embrassais.
« Tu m’as manqué…» souffla-t-elle à mon oreille.
« Tu me manques un peu plus à chaque instant depuis qu’on est descendus de cette montagne, Grenouille… »
Je pris une grande bouffée de son odeur et posai mon front sur le sien.
« Laisse-moi finir de soigner Blizz et je suis tout à toi… » Je retournai à mon argile pour finir le soin. « Ta femme de chambre serait folle de rage si elle apprenait que tu es descendue ici dans cette tenue… Au fait, elles t’ont laissée partir ou bien tu as trouvé le moyen de t’échapper ? »
Elle pouffa d’un petit rire adorable et me décrivit les scènes cocasses qui avaient eu lieu pendant les retouches. Notamment comment elle avait dû prétendre avoir tenté de se gratter le dos avec une branche pour expliquer les griffures dont j’étais en réalité le seul coupable. Alors que des souvenirs sauvages de nos étreintes se bousculaient derrière mes yeux, je ressentis subitement le besoin de planter mes ongles dans le creux de ses reins encore une fois, de saisir la peau tendre de son cou entre mes dents, de poser mes pattes sur le velours de ses seins nus… Et puis merde… Donnons du grain à moudre à ces curieuses … J’appliquais avec hâte la dernière poignée d’argile sur la jambe de Blizzard quand soudain, nous fûmes surpris par une voix d’homme.
« Votre Altesse ! Quel insigne honneur de vous revoir enfin ! »
C’était un homme imposant d’une trentaine d’années, richement vêtu. Il avait, tout comme ma mère, le teint foncé des hyliens de Firone ; ce qui faisait ressortir avec force la blondeur de ses cheveux et de sa moustache, tout comme la clarté de ses yeux aigue-marine. Il avait l’air hautain et s’exprimait de manière pompeuse. Tenant à la main une canne richement décorée comme s’il s’était agi d’un sceptre, il salua ma fiancée d’un profond baise-main…
ZELDA
La voix de l’homme m’avait faite sursauter. Il était très rare que des invités descendent dans cette partie du château… M’avait-il suivie ? Je reconnus sans difficulté son visage atypique : c’était le bourgmestre de l’Etape d’Hyrule. Un homme riche et puissant, et qui adorait faire savoir à tout le monde à quel point il était riche et puissant...
« Baron Hughie, est-ce bien cela? Ravie de vous revoir. Que faites-vous ici ? » demandais-je en tâchant d’être polie.
Derrière moi, Link s’était levé et se bouchonnait les mains avec de la paille, pour en éliminer le plus d’argile possible. Puis il sortit du box en saluant poliment l’homme d’un simple «Monsieur» au ton neutre et d’un hochement de tête. Le Baron ne répondit pas, et afficha une grimace de révulsion. Link ignora cet affront avec noblesse et s’en alla tirer de l’eau à la pompe toute proche pour se rincer les bras et le visage.
« On m’a dit que vous vous inquiétiez pour votre cheval, votre Altesse. Je voulais que vous soyez sûre que je pourrais vous proposer une nouvelle monture d’excellente qualité si votre animal venait à péricliter. Les alpages au-delà du Viaduc d’Hylia foisonnent d’excellentes bêtes. »
Tout le monde savait que le baron s’était enrichi grâce aux taxes qu’il imposait aux utilisateurs du Viaduc : il avait la main mise sur tous les échanges commerciaux entre Firone et le Centre d’Hyrule.
« Ce sera inutile, Votre Altesse, » intervint Link, « Blizzard va très bien: une lunaison de repos strict, puis une lunaison de travail doux, et tout devrait être rentré dans l’ordre. »
Connaissant son amour pour les bêtes, l’idée que l’on remplace un cheval comme on remplace une vieille paire de gants devait le mettre hors de lui. Il avait rempli un seau d’eau propre et s’apprêtait à retourner avec dans le box de Blizzard quand le Baron lui dit sèchement, le regardant de haut en bas avec dégoût:
« Comment oses-tu t’immiscer dans cette conversation sans y avoir été invité, palefrenier? Tu devrais être à genoux devant moi et la Princesse d’Hyrule! »
Link posa calmement le seau et avança vers l’homme, qui le dominait d’au moins une tête. Avec aplomb, il le regarda droit dans les yeux et lui dit :
« Je n’aurais aucune honte à être palefrenier. C’est un noble métier, utile et sûrement plus gratifiant que de travailler avec des gens. Malheureusement pour vous ce n’est pas ce que je suis. »
« Et alors qu’est-ce que tu es, petit rat insignifiant ? Le bâtard d’un petit noble peut être, pour avoir un tel culot ? Au vu des guenilles que tu portes tu ne peux pas être bien plus. Je vais aller chercher tes patrons et tu seras rossé, morveux ! »
Je fulminais face à sa façon de lui parler ! Mais je ne trouvais pas les mots justes pour intervenir sans risquer de trahir notre relation ou de diminuer l’autorité de Link. Mon futur Roi devait s’affirmer, d’une manière ou d’une autre, et je devais lui faire confiance. Link laissa échapper un râle de mépris avant de se détourner du bourgmestre, prenant avec nonchalance la direction de l’angle du box… Ah ! L’Epée…
« Faites donc. Mais châtiez votre langage, vous pourriez mettre le crottin de cheval mal à l’aise avec vos affreux grognements de Moblin.»
A cette insulte, le baron furieux leva sa canne au-dessus de sa tête et avança vers Link pour la lui abattre dans le dos.
« Link ! » criai-je.
Mais mon épéiste aguerri avait déjà esquivé l’attaque, laissant la canne s’abattre dans le vide à côté de lui - suivie par le baron lui-même, entraîné par son élan. Rouge de colère et de honte d’avoir manqué un coup aussi facile, l’homme brandit une nouvelle fois sa canne. Emportée par ma propre colère, je m’emparai du seau que Link avait posé plus tôt par terre : ce baron de malheur avait besoin d’une bonne douche froide !
Alors que je jetais de toutes mes forces le contenu du seau vers son adversaire, Link esquiva l’attaque de l’homme une seconde fois et le gratifia d’un discret croche-pied. L’inertie fit le reste : tandis que le baron s’étalait sur le sol, Link reçut de plein fouet, dans la figure et sur les épaules, l’eau que je venais de lancer.
« Oh, par Din ! Link ! Je suis désolée ! »
Il se tourna lentement vers moi et me lança un regard désapprobateur à travers les mèches trempées qui lui collaient au visage ; puis il leva un instant ses bras ruisselants pour me montrer l’étendue des dégâts. Confuse, je portai ma main à ma bouche. Il avait l’air tellement misérable !
« Je suis vraiment désolée, je t’assure ! Ce n’est pas toi que je visais… »
A le voir ainsi, muet et dégoulinant, je ne pus retenir un rire nerveux. Il leva un sourcil et secoua la tête d’incrédulité, réprimant un ricanement. Alors que je tentais tant bien que mal de cacher mon amusement derrière ma main, il commença à avancer doucement vers moi .
« Link ? Qu’est-ce que tu fais…? Je te demande pardon… Je t’en prie, dis quelque chose…»
Il continuait à approcher, de plus en plus près, avec toujours ce sourire taquin sur le visage... Il ne s’arrêta pas avant d’être à quelques centimètres de moi… Alors, il frotta sa tête trempée sur la mienne puis la posa sur mon épaule, laissant ainsi ses cheveux glacés dégoutteler dans mon cou, dans mon dos, sur ma poitrine… Nous étions désormais pris tous les deux d’un fou-rire incontrôlable. Enfin, vengeur, il entoura ma taille de ses bras trempés.
« Link ! Arrête ! Je n’ai rien pour me changer ! » le suppliai-je d’un air piteux, tout en me délectant des frissons que me procuraient les mèches mouillées qui léchaient ma peau.
« Oh, c’est vrai ? On sera quitte, alors, parce que figurez-vous que moi non plus ! »
Gloussant tous deux de cette situation, nos fronts se joignirent avec tendresse, le plus naturellement du monde. Farore, qu’il était difficile de l’avoir si proche de moi sans pouvoir l’embrasser !
Lord Hughie se releva laborieusement en rouspétant. Depuis sa chute, il était resté au sol à rouler sur lui-même, hurlant à propos de son nez supposément cassé... Avait-il finalement surmonté sa douleur ou avait-il seulement abandonné l’espoir que je vole à son secours ? Link s’éloigna de moi, contrit, me caressant toujours du regard. A trois pas de moi, il ôta sa tunique et sa chemise pour les essorer, exposant son haut du corps athlétique, et retourna vers le coin du box. Passant un bras au-dessus de la paroi, il récupéra l'Épée de Légende et en attacha la baldrique sur son torse nu. Alors seulement il se tourna vers le baron et lui dit :
« Je suis le Chevalier Servant de la Princesse d’Hyrule. Mais peut-être avez-vous entendu parler de moi en termes de Chevalier Purificateur ? Navré d’avoir fait votre connaissance.»
Et sans un regard ni un mot de plus vers le bourgmestre, je laissai mon fier Chevalier m’emporter à son bras nu.
LINK
« Désolé, ma luciole… Je n’aime pas fanfaronner mais il l’avait mérité, non ? »
« Il l’avait tout à fait mérité. Et tu n’as pas du tout fanfaronné : tu t’es conduit comme un Prince. Je suis fière de toi… »
Elle vérifia que le couloir était bien désert avant de venir caler sa poitrine contre mes côtes, son visage lové dans mon cou et une main posée sur mon cœur ; mes bras se refermèrent sur elle. Ainsi enlacés, elle caressait mon torse du bout de ses doigts, exactement comme elle l’avait fait cette nuit-là … J’étais tellement prêt à ce que cela devienne une habitude...
« Et là tout de suite, je ne suis plus désolée du tout de t’avoir lancé ce seau d’eau … » ronronna-t-elle en se mordant la lèvre de contentement et d’envie.
Je ne pus m’empêcher de sourire en constatant à quel point ma vertueuse et si sérieuse Princesse était devenue polissonne, en quelques semaines seulement... Je la serrai contre moi. Encore un peu plus fort.
« Je vous aime, Prêtresse Royale d’Hyrule… »
« Et je vous aime en retour, Héros d’Hylia… »
Mais aussi amoureux que nous puissions l’être, nous partîmes ensuite chacun de notre côté: il aurait été malvenu de m’afficher torse nu avec elle dans ce château en effervescence…
C’était la première fête organisée dans le Palais Royal depuis la Renaissance du Fléau, et le fait que le château soit encore amputé de plusieurs de ses Ailes compliquait grandement l’organisation pour les domestiques. Plutôt que de risquer de perturber des buandières déjà lessivées, je décidai de me rendre à la caserne, par l’extérieur, pour emprunter une chemise à la Garde.
Il ne pleuvait pas encore ; le contraire n’aurait pas changé grand-chose à mon état au point où j’en étais de toute façon. Mais alors que j’arrivais aux baraquements, courant à moitié nu le long de la grande allée du château, j’entendis loin au-dessus de moi un air d’accordéon. Je reconnus la mélodie : c’était une chanson paillarde souvent chantée à l’armée, racontant l’histoire d’un roi trop crédule qui, s’étant fait rouler par des tailleurs peu scrupuleux, se promenait nu dans les rues de la ville, persuadé que seuls les imbéciles ne voyaient pas l’étoffe dont il était habillé, et refusant d’admettre qu’il en était un… Les Habits Neufs du Roi Gustaf.
Mettant mes mains en porte-voix, je criai en direction de la musique :
« J’en déduis que tu n’les vois pas non plus, Saki ! », provoquant l’hilarité des soldats qui s’affairaient à polir des pièces d’armure devant les bâtiments.
Ça ne pouvait être que lui : le Marquis Sah’Kiwa, Poète et Ménestrel officiel de la Cour du Roi, et bien sûr que cela m’était destiné. Appartenant à la tribu Sheikah et âgé d’une vingtaine d’années, il m’avait pris en grippe sans que je ne sache pourquoi, et ne ratait jamais une occasion de se payer ma tête.
Le jour de l'anniversaire de Zelda, alors que nous savions la Résurrection du Fléau imminente et que le Roi avait ordonné l’évacuation de son peuple, Saki avait été chargé de choisir et de mettre à l’abri dans le Village Caché les ouvrages les plus précieux de la Bibliothèque. Ça me faisait mal de l’admettre, mais subir de nouveau ses railleries gratuites depuis son retour avait apporté un peu de normalité à mon quotidien.
Sans plus attendre, j’entrai dans le bâtiment militaire où je fus accueilli comme un Roi : Link l’orphelin sauvageon qui volait des gâteaux en cuisine, Link la jeune recrue rebelle qui jetait son casque au sol dès le début des batailles, Link le rat des champs dont ils avaient fait un homme et qui avait finalement été choisi par l'Épée de Légende, et bientôt - ils n’en doutaient pas - par l’héritière du trône elle-même… L’un des leurs s’était élevé jusqu’au sommet du Monde et pour eux, je n’étais pas seulement un Héros : j’étais un exemple à suivre, j’étais une fierté personnelle. J’étais, à l’instar de Zelda, une Lumière qui les avait guidés dans l’obscurité et leur promettait un avenir radieux...
Des grosses conneries, en réalité: j’étais juste un type qui était tombé amoureux d’une Déesse il y a une éternité de cela et qui avait eu l’absurde chance d’être aimé en retour. Et pourtant, je pensai à ma mère dont le visage s’était estompé depuis longtemps de ma mémoire, et à mon père, aigri, qui avait été si dur avec moi sur la fin... Je me demandais s’ils auraient été fiers de moi, eux aussi.
*****
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*
Chapter 10: Peur
Summary:
Après un doux mois d'amours et d'émois, le temps tant redouté est venu.
L’Équinoxe d'automne: le jour de l'année où la nuit et le jour se partagent équitablement les secondes de la journée, avant de laisser le monde sombrer pour quelques mois dans les ténèbres de l'hiver.
L’Équinoxe d'automne, qui cette année signifiait pour Zelda l'ouverture officielle d'une grotesque et inéluctable tradition…
Notes:
(À PROPOS DES DIFFERENCES D'ÂGE:
Vous êtes de toute évidence sur le point de rencontrer les prétendants. C'est un peu dingue que je sois obligée de l'expliquer mais l'Hyrule de BotW est plus ou moins un contexte médiéval/Renaissance/victorien (au mieux) et «Européanesque»: des lieux et des époques où dans notre monde, il n'était pas rare que des jeunes filles soient mariées à des adultes d'âge moyen à carrément âgés. Cela arrivait dans la vraie vie, ça arrive dans les vrais livres, pièces de théâtre et même films se passant à ces époques, et j'ai choisi de refléter ici aussi cette réalité. Comme vous l'avez probablement déjà compris, je shippe Zelink à 200%, alors rassurez-vous, cela n'arrivera clairement pas à notre Zelda de toute façons. :)
Mais si vous vous ennuyez et que vous tenez absolument à vous lancer dans une croisade à ce sujet, sachez que cela arrive encore de nos jours, à de vraies jeunes filles, dans de vrais pays ayant des cultures différentes de la nôtre... Bonne lecture, ou bon vent, c'est selon :) . )
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
‘’La peur est le chemin du côté obscur : la peur mène à la colère,
la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance…
Je sens beaucoup de peur en toi...’’
- Maître Yoda
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ZELDA
Le bal d’ouverture avait lieu dans le Grand-Hall ; la fête de l'Équinoxe d’Automne se prolongerait ensuite pendant trois jours à la Citadelle. En temps normal, cette fête était une de mes préférées: selon la légende, elle célébrait le moment de l’année où la frontière entre le Royaume du Crépuscule et le nôtre s’estompait - et même disparaissait un instant - dans un parfait équilibre entre le jour et la nuit. L’atmosphère y était particulière et il était d’usage pour les enfants de se déguiser en Twilis ou autres créatures de l’ombre. Mais cette année, la situation particulière de mon entrée en âge avait complètement éclipsé l’ambiance traditionnelle de l'Équinoxe... M’apprêtant à être proposée en mariage comme une pouliche est vendue aux enchères, je n’avais en outre pas du tout le cœur à la fête.
On m’avait affublée d’une longue et ample robe de soie sauvage écrue, relevée d’un passement doré. Seule la doublure intérieure et les parties émaillées de la ceinture arboraient le bleu Royal. C’était une robe somptueuse mais lourde, et ses larges manches, menaçant de se souiller en traînant au sol, m’obligeaient à garder à tout moment les mains au-dessus de la taille. Il m’avait fallu insister lourdement pour obtenir le droit de porter mes chaussons de danse aujourd’hui - et non des souliers à talon - et que la robe soit taillée en fonction. J’avais prétendu souffrir des chevilles et avais assuré les couturières et habilleuses que je n’arriverais pas à danser en talons ; la vraie raison était que je ne voulais pas paraître trop grande aux côtés de Link lorsque nous danserions ensemble.
Malgré ma place sur l’estrade qui me permettait une vue d’ensemble de la salle bondée, et même si ma perception de la Lame purificatrice m’assurait qu’il n’était pour une fois pas en retard, je peinais à retrouver mon Chevalier parmi les invités. Je compris pourquoi lorsque, mes yeux s’accrochant enfin aux siens, je le vis me sourire avec indulgence dans son uniforme de Capitaine de la Garde Royale. C’était la première fois que je le voyais le porter : il n’assumait pas cette fonction à proprement parler, trop pris par ses responsabilités auprès de moi pendant cette guerre… Mais il avait été promu à ce grade honorifique après avoir été élu par l'Épée et à ce titre, il lui était parfaitement légitime d’en porter l’uniforme ce soir.
Le tabard lui donnait une allure princière avec sa coupe élaborée et ce bleu nuit incrusté d’or... Comment avais-je pu ignorer le fait que les couleurs de l’uniforme étaient exactement assorties à celles du fourreau de l'Épée de Légende ? Il portait également une fine capeline de velours noir, autre signe de son statut : mon cœur battait à tout rompre à la vue de ce fier et magnifique Prince. Pas que ses vêtements - ni même leur absence - aient pu changer quoi que ce soit à la valeur qu’il avait à mes yeux… Mais pour une fois, que tout le monde puisse le voir tel que moi je le voyais !
Pendant quelques instants, nous ne pûmes que nous couver mutuellement des yeux, envoûtés par notre vision l’un de l’autre. Quand il porta sa main gantée de blanc sur son cœur et m’embrassa du regard, je lui répondis de même, maintenant mes yeux clos un peu plus longtemps pour recouvrer le contrôle de mes pensées…
En dépit de son rang, il occupait une place parmi les autres convives plutôt qu’avec nous ; tous les prétendants devant être mis sur un pied d’égalité à partir de ce soir… Lorsque plus tard dans la soirée mon père demanda à « tous ceux qui s’estimaient en droit de réclamer la main de la Princesse d’Hyrule» de se faire connaître, Link fut le premier à se lever. N’attendant même pas que le Roi ait achevé sa phrase, il vint poser un genou à terre devant l’estrade et planta férocement ses yeux d’acier dans les miens : « À moi ».
Bientôt, cinq autres hommes vinrent le rejoindre, créant un rang de part et d’autre de lui.
Je reconnus sans m’en étonner le Baron Hughie. Sa mésaventure de ce matin ne l’avait donc pas dissuadé d’essayer de m’acheter. Accoutré de plusieurs couches de vêtements excessivement ornés, son teint me sembla étrangement livide lorsqu’il posa le genou à terre à côté de Link. La forme de son nez aussi avait quelque chose d’inhabituel; oh flûte… Peut-être se l’était-il vraiment cassé au final! Bien fait pour lui .
Vint ensuite un jeune homme roux et replet, que je ne connaissais pas ; littéralement poussé par son père. Je compris immédiatement qu’il était aussi heureux que moi d’être là… Un homme immense et puissamment musclé le suivit : il avait la peau tannée, un petit bouc taillé en pointe et de longs cheveux noirs attachés en arrière. Ses yeux en amande rappelaient un peu ceux des Sheikah, excepté leur iris, qui était d’un noir d’obsidienne. Ondulant le long de son cou et jusqu’à sa joue, un long corps reptilien était tatoué sur sa peau ; un serpent, ou peut-être un dragon ? Il s’agenouilla avec grâce et baissa les yeux avec déférence : ses manières chevaleresques ne gâchaient décidément rien à son visage joliment ciselé.
Le suivant fut Saki, mon ami d’enfance, qui répondit à mon regard incrédule par un clin d’œil affectueux: je n’avais aucune idée qu’il nourrissait de telles aspirations à mon égard ! J’en étais aussi touchée que contrite, espérant en moi-même qu’il ne s’agisse que de l’une de ses farces. Saki était de corpulence moyenne et plutôt beau garçon : ses fins cheveux argentés, s’échappant inlassablement de son chignon Sheikah, encadraient joliment les traits délicats de son visage. Ses yeux d’un bleu sombre peu commun dans sa tribu laissaient apercevoir l’âme gentille qu’il cachait au fond de lui, et ses lèvres étaient toujours égayées d’un sourire: tantôt joyeux, tantôt farceur. Il ne pouvait s’empêcher de faire le pitre, mais restait toujours poli et attentionné. C’était un garçon cultivé, intelligent et drôle, avec qui j’aimais passer du temps. A vrai dire, si je n’avais pas été déjà éperdue d’amour pour Link, j’aurais été flattée et heureuse que Saki me courtise...
La vue du dernier, par contre, glaça mon sang dans mes veines aussi bien que l’avait fait la source de Lanelle : le Vicomte Turpan. C’était un homme grand et maigre, blond aux yeux vitreux, d’une cinquantaine d’années désormais. Je n’avais jamais aimé son regard carnassier, et le sourire en coin qu’il arborait à chaque fois qu’il posait ses yeux sur moi m’avait toujours faite frissonner. Cousin éloigné de ma propre mère, il exerçait la fonction de juge à la Citadelle où il avait la réputation d’être impitoyable. Il nous avait fréquemment rendu visite au palais durant mon enfance, me bouleversant à chaque fois… L’idée de devoir passer du temps chaque jour avec lui pendant les trois prochains mois me plongea intérieurement dans un véritable état de panique.
LINK
Un à un ils se présentèrent, de ma gauche à ma droite.
« Vicomte Turpan, de la Citadelle. Pour vous servir, Vos Majestés » avait dit le premier. Un frisson me parcourut l’échine. Je ne comprenais même pas qu’un type de son âge ait le droit d’être là.
« Seigneur Gosao, d’Ilemni. » La voix du grand gaillard me disait quelque chose sans que je n’arrive à mettre la nageoire dessus ; pourtant son nom et son visage m’étaient parfaitement inconnus.
Le front de ce cher Baron Hughie luisait de transpiration alors qu’il s’annonça, prenant plusieurs minutes pour réciter son impressionnant pédigrée. Puis ce fut mon tour.
« Maître Link, d’Elimith. Elu de l’Epée et entièrement vôtre. »
« Kar… euh… Pardon. Duc Karl-Olef, d’Akkala. Vos Majestés. »
« Marquis Sah’Kiwa, de Cocorico:
Dévoué Poète aux jeux musicaux.
Au Château d’Hyrule qui m’a vu grandir,
Son Altesse Royale j’espère conquérir!»
Pour l’Amour d’Hylia ! Il ne pouvait donc pas s’empêcher d’en faire des tonnes, celui-là!
Zelda dut ensuite choisir son premier cavalier : elle descendit du dais et sans surprise, elle me tendit sa main à baiser. Je l’emportai vers la piste de danse. Sa main tremblait dans la mienne alors que les musiciens se mettaient en place.
« Qu’est-ce qui ne va pas, ma Luciole? » lui chuchotai-je soucieux.
Elle fit non de la tête et murmura simplement, avec un sourire forcé :
« Rien, ne t’inquiète pas… Je t’en parle plus tard… »
Mais elle garda ses yeux inquiets rivés dans les miens pendant toute notre valse, comme pour se raccrocher à quelque chose, et je sentais bien à sa main crispée et à ses mouvements incertains que quelque chose n’allait pas. On avait tant répété pour cette danse, elle semblait avoir tant d’importance pour elle, et nous n’appréciâmes pas ce moment le moins du monde, ni elle ni moi.
J’eus toutes les difficultés du monde à la laisser à la fin de la chanson : tout ce que je désirais était de l’emporter le plus loin possible de ce qui la tracassait, quoique cela puisse être. Elle choisit Saki à ma suite. Hmpf… Je m’éloignai, ressentant le besoin de prendre un peu de distance. Zelda allait devoir danser avec chacun des six prétendants, ainsi qu’avec son père, avant d’avoir droit à un peu de répit.
Quelques minutes plus tard, alors que je ruminais mes pensées à côté du buffet, mon casse-noisettes attitré me rejoignit.
« Ah ! Je vois que tu as trouvé des vrais vêtements, Link ! »
« Saki… Quel plaisir de te voir… » mentis-je.
Il venait de prendre congé de ma Princesse et sans doute n’avait-il rien trouvé de mieux à faire que de venir me titiller un peu plus.
« Surpris ? »
« Oui, je l’admets. Mais au moins je comprends mieux pourquoi je m’en prends plein la tronche sans raison depuis des mois. Moi qui croyais que tu me prenais juste pour un abruti, comme c’est le cas d’à peu près tous les Sheikah… »
« Et qui te dit que ce n’est pas aussi mon cas ? » lança-t-il, tout à fait jovial.
Je choisis de l’ignorer, je n’étais vraiment pas d’humeur à me lancer dans une joute verbale. Les bras croisés et fronçant les sourcils à m’en coller la migraine, je m’adossai au mur en soupirant. En contrebas, ma Princesse dansait avec le vieux vicomte : ce n’était pas facile non plus de me retenir d’aller ôter ses sales pattes de ma fiancée. Saki sembla me considérer un instant et suivit mon regard.
« Ce type me sort par tous les trous… » lacha-t-il.
« Dis donc, tu as un langage sacrément fleuri, pour un poète… »
« Eh, je maîtrise les lettres et la musique depuis bien plus longtemps que toi tu maîtrises ton épée, gamin. Cela ne m’engage en aucun cas à m’en servir à longueur de temps. Regarde-toi : tu es un guerrier, mais tu sembles pourtant capable de t’exprimer dans un hyrulien à peu près convenable, non ? Tu ne communiques pas en remuant ton arme et en criant des Aaah et des Hyaah , si ? »
« Oh, désopilant, Ménestrel… Mais plus sérieusement, moi non plus je n’aime pas ce type… Il me hérisse les écailles… » grondai-je en secouant la tête de dégoût. « Mais bon, je suppose que tu nous mets dans le même panier. Alors venant de toi… »
Une grimace de répulsion avait remplacé son sourire habituel. Il se passa la main sur la nuque, comme pour apaiser un frisson.
« Non, pas du tout. Toi… C’est différent. Ce type-là, je le connais depuis longtemps… Je sais que Zelda en a une peur bleue. Il la regarde toujours comme s'il la déshabillait mentalement… Et c’était déjà le cas quand elle n’était qu’une petite fille… Pas vraiment surprenant de sa part, vu la sale réputation qu’il a d’aimer la chair fraîche. »
Il me fallut quelques secondes pour saisir ce qu’il venait de sous-entendre. Enragé, je quittai mon appui et portai la main à la garde de mon épée. Le Sheikah arrêta mon geste d’un réflexe bien digne de son clan.
« Hopopopo, du calme, Paladin! Regarde : la danse est déjà finie. Ne va pas gâcher la fête pour rien… »
Au milieu de la piste de danse, Zelda avait rejoint le jeune Duc d’Akkala.
« Si c’est un pervers je … Je vais pas le laisser la… Par pitié dis-moi qu’il ne l’a jamais touchée ! Comment Rhoam peut-il accepter ce … Cette raclure ici?? »
« C’est un Juge, il est influent… Placé là par le Roi précédent, le Père de feu la Reine… Et il est lui-même de sang royal. Je suis sûr que si Sa Majesté l’a accepté c’est qu’il n’en avait pas le choix. Pas de Loi à invoquer, pas de preuve à montrer, rien de tangible ; tu vois? L’aurait-il évincé sans justification qu’il aurait perdu sa crédibilité en tant que souverain...»
Je comprenais. Ça sonnait exactement comme quelque chose que Rhoam aurait pu dire lui-même. Mais je fulminais. Le poète scruta mon visage quelques secondes puis dit : « Tu l’aimes vraiment, Zelda, n’est-ce pas ? »
Sa question sortie de nulle part me surprit.
« Quoi ? Mais non voyons tout le monde sait que je suis là que pour la bouffe ! Non mais sérieux, à ton avis… » ironisai-je en pointant le buffet et en m’adossant à nouveau à mon mur.
« Elle, elle t’aime, en tous cas. » Une ombre de tristesse passa sur son visage. « C’est bien ça que je te reproche : si tu n’étais pas arrivé, j’aurais eu ma chance… »
« Si il n’était pas arrivé, elle serait morte au moins une douzaine de fois, Saki ! On serait même tous tellement morts à l’heure qu’il est...!» Impa nous avait rejoints avec la discrétion d’une vraie Sheikah : pour un peu on aurait cru qu’elle était apparue par magie devant nous. En outre, la connaissant, c’était probablement le cas. « Contente de voir que vous ne vous êtes pas encore entretués tous les deux…»
« Voyons, Dame Impa, vous savez que j’abhorre la violence ! » Le sourire de Saki était revenu soudain sur son visage.
« C’est cela, oui, et c’est justement parce que tu la détestes que tu adores la provoquer! Allez, laisse ce garçon tranquille et viens avec moi. Il faut que j’te parle. »
Indifférent, je les regardai s’éloigner avant de reporter mon attention sur la piste de danse. Tel un prédateur, le vicomte ne lâchait pas Zelda des yeux.
IMPA
J’éloignais Saki de Link, le trainant à moitié par son haori. J’étais furieuse contre lui : se présenter comme prétendant à la main de la Princesse et ensuite aller provoquer Link ! Il savait bien pourtant qu’à partir de maintenant, porter préjudice à un autre prétendant était puni d’exclusion du processus, voire de bannissement tout court ! Qu’espérait-il, évincer Link en le poussant à bout ? Comme si ces deux-là n’avaient pas eu assez de problèmes comme ça …
« Hopopopo… Objection, votre honneur ! Je viens d’empêcher ce sale gosse de massacrer le Vicomte ! Si ce que vous voulez c’est éviter qu’il fasse une bêtise, je ne laisserais pas tout seul, bien au contraire ! »
« Quoi ? » Je regardai Link : renfrogné au possible comme on pouvait s’y attendre, il observait la piste de danse.
« Je lui ai peut-être laissé entendre que ce sale pervers avait un goût prononcé pour les toutes jeunes filles. Eh, ne me regardez pas comme ça, c’était seulement pour le mettre au parfum! Mais depuis, il bouillonne tellement que même moi j’arrive à percevoir son aura ; et vous savez bien que les auras ne sont pas vraiment ma tasse de Macha ! »
Je me concentrai un instant sur Link: son aura exsudait une intense colère ; rien à voir avec l’agacement que Saki aurait pu provoquer en l’enquiquinant. Le ménestrel ne mentait pas… Je lâchai son vêtement et il fit mine de s’épousseter dramatiquement...
« Je m’en vais si c’est ce que vous voulez, Ma Dame. Mais un conseil si je puis me permettre: surveillez le. Quand La Princesse elle-même va lui confier ses craintes, il risque de devenir fou!»
Il commença à s’éloigner.
« Saki, pourquoi tu ne l’as pas laissé faire ? Ça t’aurait fait deux concurrents en moins… »
Il se retourna vers moi; un sourire moqueur s’alluma sur son visage tandis qu’il levait les yeux au ciel et les bras en prière.
« Ça, ma Dame, c’est exactement la question que j’étais en train de me poser ! »
ZELDA
La dernière danse imposée par le protocole se terminait enfin. Je saluai le Roi comme il était attendu de la part de la Princesse et fuis la piste de danse. Link était toujours là où je l’avais aperçu en train de discuter avec Saki un peu plus tôt, mais c’était Impa qui l’accompagnait désormais. Je la vis lui glisser quelque mot à l’oreille et ils vinrent tous deux à ma rencontre.
Arrivée près de lui, réalisant que je n’aurais pas le droit de me réfugier dans ses bras devant les convives, j’eus l’impression de suffoquer. Conscient de mon mal-être, Link attrapa mon bras et le pressa tendrement. Je le sentais à son regard : un simple geste, un seul mot et il enverrait tout ce cérémonial et ces faux-semblants au Banni.
Impa intervint, s’engouffrant brusquement entre nous pour prendre la place de Link. Elle prit alors la parole, assez fort pour que tous les curieux entendent:
« Oh votre Altesse ! Feriez-vous un malaise ? Laissez-moi vous conduire quelques minutes dans vos quartiers que nous vérifions ce corset avant que vous ne tourniez de l’œil! Toutes ces danses ont dû vous épuiser. Maître Link, merci d’avoir empêché Son Altesse de tomber. Je vais prendre soin d’elle à partir de maintenant, si vous voulez bien nous excuser.»
Comprenant que ma chère amie cherchait une excuse pour m’isoler, je la suivis hors de la salle puis dans ces couloirs que je ne reconnaissais même plus. Au lieu de mes propres quartiers, elle m’emmena dans les siens, et me fit asseoir sur son lit.
« Link va arriver, Votre Altesse… » me consola-t-elle avec un sourire doux. « Je vais nous préparer du thé. »
Elle n’avait pas besoin de me le dire : je sentais la présence de l’Epée se rapprocher et de fait, Link entra quelques secondes plus tard sans même prendre la peine de frapper à la porte. Je me jetai dans ses bras. Pendant de longues minutes, nous ne dîmes rien, nous serrant simplement dans les bras l’un de l’autre. Sous ses caresses rassurantes, j’eus l’impression de pouvoir respirer de nouveau. Je me confiai alors à lui :
« Oh Link, je me doutais que ça n’allait pas être facile, mais depuis que j’ai vu le vicomte arriver je… L’idée de devoir passer du temps avec lui chaque jour m’est insupportable… Il me dégoûte … Je sens quelque chose… Quelque chose de tellement malsain en lui… Comme s'il était fait de Rancœur, mais pire encore : une Rancœur contre laquelle je suis complètement impuissante.»
« Allons, je serai constamment avec vous, votre Altesse, » me rassura Impa en nous offrant à chacun une tasse de thé, « c’est moi qui serai chargée de vous chaperonner à chaque instant. Je ne laisserai rien vous arriver, vous avez ma parole ; ne vous inquiétez pas autant… Et puis vous êtes devenue si forte ! Vous avez scellé le fléau Ganon et sauvé le Royaume… Et avant cela, pendant des semaines vous avez mangé du Lynel au petit déjeuner ! Comment pouvez-vous vous mettre dans un tel état pour un simple hylien comme lui? »
« Je sais Impa… Mais justement, les choses sont tellement plus compliquées dans les carcans de l’Aristocratie… Je préfèrerais que ce soit un monstre. En plus, il porte le sang d’Hylia, tout comme moi : même si en tant que mâle il est incapable d’utiliser le Pouvoir Divin lui-même, je ne pense pas que ma Lumière puisse lui faire quoi que ce soit. Et sans Terrako je ne peux plus me défendre avec la tablette Sheikah non plus… Je suis désarmée contre lui ! Quand il me regarde, j’ai l’impression d’avoir huit ans de nouveau, je suis tétanisée. »
« Est-ce qu’il t’a déjà fait du mal ? » Ce furent les premiers mots que j’entendis Link prononcer depuis notre danse. Il était aussi tendu et déterminé qu’il pouvait l’être en plein combat. Un bras toujours enveloppé autour de ma taille, il serrait son autre main sur la tasse en terre cuite brûlante. Il n’en avait pas bu une gorgée.
« Non… Non ne t’inquiète pas … » J’hésitai avant de poursuivre. Je ne voulais pas rajouter à sa fureur mais j’avais tellement besoin de me confier… « Mais une fois, quand j’avais une douzaine d'années, il m’a croisée dans un couloir… Il a commencé à supposer tout haut que j’étais perdue - perdue ! Dans mon propre palais ! Quand il m’a prise par la main… J’ai essayé de me dégager mais il me tenait tellement fort… » Le bras de Link tremblait de rage dans mon dos. « Heureusement que Saki est passé par là… Il a fait croire que justement, il me cherchait, que le précepteur voulait me voir séance tenante… Depuis ce jour-là je n’ai plus jamais laissé le vicomte s'approcher à moins de deux pas de moi… »
Link avait soupiré bruyamment.
« Saki… »
« C’est un gentil garçon, Link. Je sais qu’il est pénible avec toi, mais c’est mon ami… »
Il avait affiché un sourire un peu forcé.
« J’ai cru comprendre. Ne t’en fais pas… Je vais pas le mordre. Encore moins maintenant que je sais qu’on lui doit… D’avoir empêché quoi que ce soit qu’il a empêché ce jour-là… »
« Et il a aussi empêché Link d’aller casser la figure au vicomte au moins deux fois, déjà, votre Altesse ! N’est-ce pas, Link ? Il aurait très bien pu saisir cette occasion de se débarrasser de toi, p’tite tête ! Alors oui, c’est vrai, il sait être vraiment horripilant, et maintenant on sait qu’il voudrait bien Son Altesse pour lui tout seul, mais ce n’est pas un mauvais bougre… Quand on y pense… Un casse-pieds à la tête blanche et aux yeux bleus, qui aime chanter et qui est un ami d’enfance de la Princesse…. Il est un peu comme Terrako, non ? »
« D’accord… D’accord ! » pesta Link, « Et puis quoi d’autre? Tu vas me dire qu’il a trois jambes, lui aussi ?»
Cette dernière remarque eut le mérite de détendre l’atmosphère… Link s’en fut ensuite rejoindre les festivités en premier , suivi d’Impa et moi quelques minutes plus tard. Le reste de la soirée se passa sans encombre. Et sans joie.
LINK
Plus tard dans la soirée quand le Vicomte, ne résistant plus à l’envie de se faire mousser auprès du Chevalier Purificateur, s’approcha de moi et me tendit sa main à serrer, je lui répondis simplement :
« Je suis le Garde du Corps de la Princesse d’Hyrule. Si quiconque lui fait le moindre mal, sang royal ou pas, je veillerai à le faire souffrir longtemps avant de le tuer. »
**********
Notes:
Nous y sommes, la dernière partie de cette histoire. Sans l'intervention de certains personnages qui ont tenu à se la ramener, cette foutue "tradition" aurait dû être simplement mentionnée dans un ou deux paragraphes tout au plus. Mais ils ont insisté pour qu'il s'y passe des choses, ces goujats! Et si je n'aurais jamais pensé écrire sur ces thèmes un jour, je ne regrette pas mon détour. Je suppose que j'avais des traumatismes de mon passé à y exorciser, et des idées à y trouver pour ce que j'estime être l'enjeu principal de mes héros...
Je dédie ce chapitre à Nihi, mon vicomte. A plus d'un titre.
Chapter 11: Masques
Summary:
La cérémonie d'Ouverture de la Cour officielle de Zelda a eu lieu, la nuit de l’Équinoxe.
Il est désormais temps pour Zelda de rencontrer en privé chacun de ses prétendants,
et pour Link de trouver sa place dans ce nouveau quotidien ...
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
‘’Le pendu, le beau masque et cet homme altéré
Descendent dans l'enfer que je creuse moi-même
Et l'enfer c'est toujours : Je voudrais qu'elle m'aime.’’
- Guillaume Apollinaire
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ZELDA
La ronde quotidienne des soupirants commença dès le lendemain. J’étais supposée en rencontrer deux le matin, deux autres en début d’après-midi et encore deux en fin d’après-midi, après le goûter. Ce défilé journalier serait ma nouvelle routine pour les trois mois à venir, à l’exception des deux derniers jours de chaque semaine, Hyltag et Raurtag*. Impa avait préparé les emplois-du-temps : elle m’avait prévu le vicomte en avant dernier pour qu’il ne gâche pas ma journée, et Link en dernier, pour décompresser et finir sur une note plus positive… Elle ne l’avoua pas directement mais je supposai qu’elle envisageait également Link comme un nécessaire réconfort après l’entrevue avec le Juge.
Les deux rencontres du matin devaient avoir lieu dans la Bibliothèque, que mon père n’occupait plus pour ses audiences depuis que les quartiers principaux avaient été remis en état. Les réparations du château avaient en effet bien avancé ces dernières semaines : même l’accès à mes quartiers avait été déblayé et étayé.
J’avais été heureuse de retrouver mon étude, et reconnaissante à l’idée de pouvoir ranger certaines de mes affaires à leur place. Je remis mon pendentif en écailles de Nedrac dans ma boîte à bijoux, auprès de mon lourd collier de cérémonie en or et d’un joli caillou bleu que Link avait trouvé dans une rivière lors d’une de nos excursions… Puisque je n’étais pas censée m’occuper des affaires politiques durant la cour, je laissai également mon Sceau Royal dans sa cachette secrète de ma bibliothèque. C’était un petit objet de métal doré gravé d’un symbole complexe: je l’utilisais pour authentifier les documents officiels, en tamponnant sa marque soit avec de l’encre soit sur de la cire à cacheter. Je le laissai dans cette chambre vide sans aucune inquiétude car il était protégé par un mécanisme astucieux et ne pouvait être déverrouillé que grâce à l’anneau dont je ne me séparais jamais: même si quelqu’un de peu scrupuleux mettait la main dessus, il ne serait pas capable de signer quoi que ce soit en mon nom sans me couper la main d’abord.
J’avais cependant refusé de réinvestir ma chambre : en premier lieu, la raison en avait seulement été que mes quartiers provisoires étaient plus proches de ceux de Link... Mais depuis l'Équinoxe, je n’arrivais plus à me sentir en sécurité dans une chambre si vaste disposant de tant d’ouverture… Aussi nous avions convenu d’installer un second lit pour moi dans la chambre d’Impa, et de partager ses quartiers pour les trois prochains mois.
Le premier soupirant de la matinée serait le jeune Duc d’Akkala, Karl-Olef. Je réalisai vite que ce pauvre garçon de quinze ans n’avait pas plus envie que moi d’être là, et malgré son évidente timidité je n’eus aucun mal à lui faire avouer pourquoi.
« C’est que… Votre Altesse… Vous êtes une fille - euh, femme - magnifique et c’est un honneur d’avoir… L’honneur de vous courtiser… Mais en fait, il se trouve que… Je suis amoureux de quelqu’un d’autre. Voilà. Quelqu’un de chez moi... Ce sont mes parents qui ont insisté. Je crois qu’ils voudraient que… Enfin… Ils m’ont toujours appelé leur « Petit Roi », vous voyez? Mais en toute bonne foi, j’espère vraiment que vous n’allez pas me choisir...»
Il était adorable, et son aveu résonnait avec mes propres tourments. Je lui souris :
« Eh bien Karl-Olef, si tu peux garder un secret, il se trouve que moi aussi je suis déjà amoureuse de quelqu’un d’autre, alors n’aie aucune crainte : bien que tu m’ais l’air d’un garçon charmant, je ne vais pas te choisir. »
Il sembla rasséréné un instant, puis de nouveau inquiet.
« Vous allez me renvoyer chez moi, Votre Altesse ? Si je revenais avant le Solstice, mes parents seraient… »
« Non, ne t’inquiète pas : tous les prétendants sont censés rester - malheureusement pour certains- jusqu’au Solstice. Sauf s'ils décident de partir ou enfreignent une règle grave. Dis-moi… Est-ce que tu aimes les jeux de société ? »
Et c’est ainsi que nous passâmes notre créneau, ce jour-là et les trois mois suivants : Jeu d’Esheikhs, Jeu de Dames, Backgannon, Mérelle, Cul-de-chouette, mais aussi des jeux de cartes comme la Bataille ou le Bézigue, où Impa se joignait bon gré mal gré à nous. Une fois en confiance, le jeune Duc se révéla être un garçon sympathique et plein d’humour… Et au moins, contrairement à Impa, ce n’était pas un mauvais perdant!
Le second prétendant fut Saki. Il arriva avec son sourire habituel, comme si de rien n’était, visiblement ravi d’être accueilli dans cette bibliothèque qu’il affectionnait tant. Il portait comme bien souvent l’habit traditionnel Sheikah, et la longue écharpe de mousseline blanche dont il ne se défaisait quasiment jamais. Il se pencha bien bas lorsqu’il baisa ma main et je sentis mon cœur se pincer. Je n’avais aucune envie de tourner plus longtemps autour du pot.
« Saki… Pourquoi … ? »
« Eh bien Votre Altesse, cela me semble évident… Ce n’est certainement pas pour la couronne, en tous cas, si c’est là votre question… »
Il avait l’air tellement penaud en avouant ça : son éternelle joie avait disparu, remplacée par une sincère mélancolie.
« Et pourquoi n’en ai-je jamais rien su avant … ? »
« Eh bien, pardonnez-moi, Votre Altesse, mais je suis votre aîné de trois ans, cela aurait été inopportun. Je me sentais obligé d’attendre que vous soyez en âge pour ne serait-ce qu’évoquer le sujet... Mais après vos seize ans, vous n’avez plus souvent été là, puis votre chevalier est arrivé, puis un autre Fléau à sa suite… »
Comment osait-il comparer Link au Fléau que nous avions combattu au péril de nos vies ?! Furieuse, je détournai les yeux et lui assénai, doucement mais fermement :
« Arrête. Je ne tolèrerai plus un seul mot en ce sens ! Link n’est pas à blâmer pour tes sentiments ni pour les miens. Il n’est pas à blâmer pour ta déconvenue ! Tu n’es pas obligé de l’apprécier, mais tu lui dois le respect ! Avec tout ce qu’il a fait pour le Royaume et pour moi, c’est vraiment la moindre des choses. »
« Oui Madame, » cracha-t-il avec un regard oblique, « j’ai dépassé les bornes, je vous demande pardon. »
Ah ! Il n’avait pas l’air sincère du tout !
« Et toi, alors : pourquoi ? Pourquoi t’es-tu ne serait-ce que présenté hier, si tu savais pour Link et moi? »
« Pour ne pas avoir à endurer toute ma vie le regret de ne pas avoir essayé, Votre Altesse… »
Bien que ses deux yeux de saphir n’exprimaient que désolation, il avait raccroché son sourire habituel et j’en avais été désarçonnée. Quand bien même - cela ne changeait rien ! Je fixais encore le sol pour contenir ma rage quand il me demanda avec douceur
« Vous voulez vraiment l’épouser, alors, votre petit chevalier… ? »
Je plantai mes yeux dans les siens sans sourciller.
« Oui Saki. Plus que je n’ai jamais rien voulu pour moi. »
Il soupira dramatiquement et sortit un carnet qu’il gardait constamment sur lui, dans un pan de son kimono Sheikah.
« Soit ! Alors, puisqu’on va avoir du temps à perdre vous et moi, me feriez-vous l’honneur, Mesdames, de me raconter cette guerre ? En tant que Ménestrel Royal j’aimerais être le plus juste possible lorsque j’en composerai la chanson... »
LINK
J’avais vraiment besoin de me défouler ce matin-là. Et puis je perdais mon mordant à m'encroûter dans ce château : il était grand temps d’aller affûter un peu tout ça sur le camp d'entraînement. Malgré le fait que cette histoire de cour me donnait d’office 3 mois de permission, je rejoignis les troupes dans la salle d’armes pour les exercices du matin. L’ambiance y était meilleure et plus légère que dans le reste du château, surtout avec la fête de l'Équinoxe qui battait son plein à la Citadelle.
Je descendis ensuite aux écuries soigner la jambe de Blizzard et m’occuper de ma pauvre Vermeille qui, tout comme moi, désespérait de retrouver les grands espaces. Il pleuvait à seaux dehors, aussi renonçai-je à sortir nos bêtes : que ce soit sur les pavés glissants ou dans le paddock boueux, rien n’était bien idéal pour faire marcher un cheval, surtout pas un cheval déjà blessé… Par habitude, je passais un coup de balai dans l’allée centrale avant de repartir, quand je vis soudain Zelda débouler devant moi par l’accès intérieur. Lâchant mon balai, je la fis tournoyer un instant dans mes bras après qu’elle m’ait sauté au cou.
Nous nous embrassions encore quand Impa arriva. Suivie de Saki… Zelda quitta mes bras et mes lèvres, emportant ma joie éphémère avec elle. Je saluai de la main les deux Sheikahs.
« Impa, Saki. Je me disais aussi que c’était encore un peu tôt…»
« Désolé Link. La Princesse me parlait de ton énorme épée et elle tenait tellement à me prouver qu’elle peut suivre son énergie spirituelle à la trace que je n’ai pas su lui résister. Si je ne m’abuse, demain, cache-toi mieux que ça ! Te trouver dans l’écurie c’est un peu facile. Votre Altesse, cela ne prouve rien, désolé ! Il passe la moitié de sa vie ici ! Même moi j’aurais pu deviner qu’il serait là !»
Je n’avais jamais compris comment il faisait, mais ce type était toujours enjoué. Sa bonne humeur semblait avoir déteint sur Zelda et Impa : ce n’était pas déplaisant de les voir sourire, même si la jalousie piquait un peu. Beaucoup…
Je repris mon balai pour continuer ce que j’avais commencé. Zelda s’éloigna en direction de nos chevaux ; Impa la suivit comme une ombre… Mais Saki resta planté là à me regarder avec un sourcil levé et un sourire en coin...
« Quoi… ? »
« Non. Rien. Juste le Héros d’Hyrule, Chevalier Purificateur, Élu de l’Epée de Légende et à priori de la Prêtresse Royale aussi, donc probablement le futur Roi d’Hyrule… En train de balayer l’écurie, comme si rien. Non, vraiment, tout est normal. »
Alors qu’elle caressait encore la tête de Blizz, Zelda intervint, avec une moue malicieuse .
« Ah non Saki, tu ne vas pas t’y mettre aussi ! »
« Oh, vous, » réagit le poète, « je connais ce regard ! Vous avez une anecdote à raconter ! »
« Comme tu me connais bien ! » approuva-t-elle, les yeux pétillants. « Figure toi qu’hier, le baron m’a suivie jusqu’ici pour me parler. Il a pris Link pour un palefrenier et s’est offusqué lorsque ce dernier est intervenu dans notre conversation! Il était si furieux qu’il a essayé de frapper Link de sa canne ! Link l’a esquivé sans problème, mais sous le coup de la colère j’ai voulu lancer un seau d’eau au baron pour le calmer et c’est Link qui l’a reçu en pleine figure ! Il était trempé ! »
Zelda et Impa se mirent à glousser ensemble, le poète quant à lui semblait fasciné. Avec son éternel rictus aux lèvres, il me demanda :
« Et alors, qu’est-ce que tu as fait ? »
Zelda répondit à ma place, la larme à l’œil :
« Il est venu me prendre dans ses bras pour s’éponger sur ma robe! »
Elles s’esclaffèrent de plus belle. Je décidai de porter le coup de grâce aux filles en leur racontant la suite.
« J’ai enlevé mes vêtements mouillés et j’ai couru torse-nu jusqu’à la caserne pour me faire prêter une chemise. Tu dois t’en souvenir, Saki, puisque tu as joué Les habits neufs du Roi Gustaf en mon honneur. »
Zelda et Impa n’en pouvaient plus, s’accrochant à l’épaule l’une de l’autre pour ne pas s’écrouler. Je me retenais tant bien que mal de rire avec elles : l’autodérision c’était habituellement mon dada mais ce mec, là… Il n’avait aucun besoin que je lui donne du grain à moudre. Alors que je posais mon balai pour rejoindre Zelda, il me semblât apercevoir une étincelle d’admiration dans les yeux de ce guignol qui se foutait de moi depuis des lunes.
« Je vous demande pardon, Héros d’Hyrule. Je réalise que je n’aurais jamais dû vous jouer cet air. » J’étais étonné et dubitatif quant à ce remord soudain qui ne lui ressemblait pas, et la suite me donna raison : « Je vous promets solennellement de composer une chanson plus appropriée à cette aventure. Je l’intitulerai : « La Princesse Zelda et le Pouvoir du Seau ».
Pour le coup, le fou-rire fut général. Zelda en pleurait de rire accrochée à mon bras tandis qu’Impa, pourtant toujours si sérieuse, renâclait tant elle peinait à retrouver sa respiration. Une ombre de tristesse passa pourtant sur le visage content du ménestrel. Je réalisai que si la jalousie me piquait, moi… Elle devait l’entailler, lui, bien plus profondément...
« Je vous envie. J’aimerais être assez proche de quelqu’un pour pouvoir donner ou recevoir une telle douche froide et en rire de si bon cœur…»
A peine eût-il fini sa phrase qu’il se retrouva mouillé de la tête aux pieds : Impa était derrière lui, se mordant la lèvre pour retenir son rire, tenant encore le seau d’eau qu’elle venait de vider au-dessus de sa tête.
« Voilà déjà, en guise d'entraînement! »
Et la bonne humeur revint aussitôt dans l'Écurie.
RHOAM
Je fis convoquer Link en début d’après-midi, contrarié par les nouvelles reçues ce matin même ; alors que pas même une journée s’était passée depuis le début de la Cour officielle ! Quand il arriva je fis vider la salle pour m’entretenir seul à seul avec lui.
« Chevalier Purificateur. » Il se crispa à mon utilisation de son titre officiel. « Ce matin, deux prétendants sont déjà venus se plaindre à ton sujet, pour concurrence déloyale. J’aimerais avoir ta version des faits. Le premier fut le baron Hughie, qui dit t’avoir surpris hier matin dans l’écurie avec ma fille. »
« De fait, Majesté. Je soignais son cheval, qui s’est fait une entorse pendant notre voyage. Le Baron a suivi votre fille: il est arrivé quelques instants après elle alors que j’étais seul dans le box de Blizzard. Il m’a d’ailleurs pris pour un palefrenier et a essayé de me rosser quand j’ai eu l’outrecuidance d’adresser la parole à Zelda à propos de la santé de sa monture ! Comme vous pouvez le deviner au fait qu’il peut encore marcher, je me suis contenté de l’esquiver sans rendre les coups. Je suis étonné qu’il ait eu l’audace de venir vous rapporter ces faits après m’avoir insulté comme il l’a fait : je ne suis peut-être pas le seul idiot du Royaume à ignorer le statut de l’Elu de l’Epée, finalement !»
« Ma fille corroborerait-elle cette version ? »
« Au mot près Majesté. Je crois même que votre poète a l’intention de vous la chanter bientôt avec plus de détails. Il a adoré cette histoire quand votre fille lui a raconté ce matin même.»
« Je te crois, mon garçon… Quel dommage que cela se soit passé hier et non aujourd’hui : je me serais fait une joie d’exclure ce paltoquet prétentieux ! Je vais devoir me contenter d’un simple rappel à l’ordre… Le second est le Juge Turpan, qui t’accuse de l’avoir clairement menacé de mort, hier soir … »
Link grimaça, les yeux brillants d’indignation.
« Il ne se serait pas senti menacé s'il n’avait rien à se reprocher ! Je lui ai juste rappelé que j’étais le garde-du-corps de la Princesse et que je tuerais quiconque essaierait de lui faire du mal ! Quiconque! C’est bien la preuve que ses intentions ne sont pas claires ! Majesté, ce pervers terrifie votre fille, il a essayé de l’emmener Nayru sait où quand elle n’était encore qu’une enfant ! Et sauf votre respect, Votre Grandeur, il est assez âgé pour être son père ! Je ne comprends même pas que vous tolériez sa participation à cette stupide cour ! »
« Maîtrise tes émotions, Fils ! Il est évident que j’ai essayé de l’écarter : je n’ai malheureusement trouvé aucune raison légale de le faire! Je suis comme toi, une simple pièce rapportée dans cette famille royale ! Le rameau greffé de l’arbre généalogique ! C’est la mère de Zelda, la Reine , qui était porteuse du sang d’Hylia. Ce sale type est de sang plus noble que moi et vicieux comme il est… Je me dois d’être irréprochable si je ne veux lui laisser aucune chance de pouvoir m’évincer du trône ! Et quand je parle de m’évincer , cela inclut bien entendu Zelda aussi ! Et toi, probablement, par la même occasion! C’est la raison pour laquelle j’ai pris la lourde décision de te relever de tes fonctions de Garde du Corps dès aujourd’hui ! »
Link en fut sidéré, comme si je lui avais arraché des bras Zelda elle-même. Affichant un dégoût profond que je n’aurais toléré de la part de personne il y a quelques semaines encore, il me jeta:
« Vous m’écartez pour plaire à ce… À ce satyre … ? »
« Non mon garçon ! Je t’écarte pour t’éviter de gâcher ta chance avec ma fille de par tes emportements chevaleresques ! Si quelques heures seulement après le coup d’envoi, deux soupirants viennent déjà se plaindre de toi, je suis fort préoccupé par ce qu’il peut encore arriver durant les trois prochains mois! »
Le garçon ne répondit rien, ses poings s’étaient crispés comme pour frapper quelqu’un. Voilà ! C’était exactement cette attitude qui m’avait poussé à cette décision !
« N’aie crainte pour Zelda: Impa sera avec elle et la protègera à tout moment. Il ne s’agit que d’hommes, pas de Lynels! Quant à toi, si tu arrives à te contrôler jusqu’au Solstice… Croyais-tu que tu resterais son Chevalier Servant encore longtemps ? Non, fils : tu devras être instruit pour te préparer à régner ! Je n’ai fait qu’avancer de quelques mois l’inévitable, autant pour calmer les esprits de ces gripsous grincheux que pour te protéger de ta propre impétuosité ! Là ! Ton Roi a parlé ; tu peux disposer! »
Il s’inclina et fit quelques pas avant de se retourner :
« Majesté, quelque soit le titre que l’on me donnera, je serai toujours son Chevalier Servant. »
IMPA
Le premier prétendant de l’après-midi fut le Baron Hughie, qui fut reçu dans un petit salon du palais. Il passa tout son temps à parler de lui-même et à énumérer ses richesses... Je ne savais pas si ce genre de techniques de séduction fonctionnait avec les filles de la campagne mais, bon sang ! Ça aurait quand même pu lui effleurer l’esprit que ça ne risquait pas d’impressionner l’unique héritière d’un Roi ! Zelda l’écouta déblatérer d’une oreille distraite mais polie : le regard perdu au loin, je la vis sourire plusieurs fois sans raison apparente. Peut-être repensait-elle à notre fou rire de ce matin dans l’écurie, avec son palefrenier préféré et … Cet idiot de Saki…
Après un temps qui me parut interminable, ce fut le tour de l’impressionnant Seigneur Gosao. Il me choqua presque par son physique extrêmement grand et musculeux. De près, je remarquai qu’une impressionnante cicatrice traversait son front d’un long trait oblique, de la naissance de ses cheveux à la base de son nez. Malgré ses allures de guerrier et son cou tatoué, cet homme ombrageux d’une trentaine d’années tout au plus se montrait fort courtois et élégant. Contrastant de manière fort plaisante avec le gars précédent, il parlait très peu… Bon, connaissant les goûts de Zelda, c’était plutôt un bon point pour lui. Mais contrairement à Link, dont les phases de mutisme étaient la plupart du temps dues à ses bouderies ou à son effroyable timidité, mes instincts de Sheikah m’assuraient que Gosao avait quelque chose à cacher… Sa voix, peut-être… Une voix grave et profonde, presque caverneuse...
Pour combler cet embarrassant silence, la Princesse demanda à ce que le goûter soit servi : un assortiment de gâteaux et de fruits fut apporté en plus du thé. Ce ne fut que lorsque je vis cet homme jusque-là si poli se jeter sur l’unique banane du plateau - sans même attendre que la Princesse se soit servie - que je compris. Je dégainai mon kodachi et d’un bond, m’interposai entre ma protégée et lui.
« Votre Altesse ! Restez derrière moi ! »
Zelda - qui s’ennuyait à mourir depuis un moment déjà - sembla se réveiller en sursaut. Gosao avait pris par réflexe une posture de combat qui ne laissa plus aucun doute sur sa véritable identité - même pour Zelda.
« Attends une minute… Suppa ??? » s’écria-t-elle.
« Oui, Votre Altesse. » Il s’agenouilla respectueusement en ignorant la menace de mon arme. « Pardonnez-moi de vous avoir caché mon identité : je vous assure que je n’avais pas de mauvaise intention, je suivais juste les préceptes de mon clan. »
« Pourquoi nous avoir menti sur ton nom, alors ? » intervins-je.
« Je n’ai pas menti. Il s’agit de ma véritable identité civile. Au sein du clan, nous demeurons masqués et anonymes. Les noms que nous utilisons ne sont que des titres transmis d’une génération à l’autre. En tant que Suppa, je suis censé devenir le prochain Grand Kohga à la place de mon Maître, à sa mort. Du moins l’étais-je... »
« Kohga ! » hurlai-je, « Il te croit mort ! Il en a été si affecté qu’il a prêté allégeance à la famille Royale pour pouvoir te venger…! Ne te méprends pas, nous sommes tous heureux qu’il l’ait fait, mais comment as-tu pu l’abandonner à son deuil en pleine guerre ? »
« Je ne l’ai pas abandonné ! Pas plus que je ne suis mort, de toute évidence ! Le Grand Kohga… Il avait tendance à tout reléguer à ses subordonnés, ces derniers temps. Il n’avait plus confiance en ses incroyables arcanes. Lorsque j’ai été laissé pour mort après la trahison d’Astor, et qu’il n’a plus pu compter que sur lui-même, je l’ai vu se surpasser et retrouver sa puissance légendaire. C’est seulement pour qu’il se retrouve lui-même que j’ai continué à feindre la mort !»
« C’est malheureusement un sentiment auquel je peux m’identifier, » consola Zelda, l’air méditatif, « et si je puis me permettre, ta décision a porté ses fruits : le Kohga qui a combattu vaillamment à nos côtés face à des gardiens et des hinoxes n’est pas le même homme nous avions affronté quelques mois auparavant dans le désert… »
Suppa acquiesça avec reconnaissance. Ses yeux d’obsidienne luisaient d’affection et de fierté à l’évocation de son maître, et le coin de ses lèvres tressaillit comme s’il cherchait à retenir un sourire. Il continua.
« Je ne l’ai pas abandonné pour autant. Je me suis simplement débarrassé des fioritures de mon rang, et j’ai récupéré un masque neutre sur le cadavre d’un de mes frères Yigas assassiné par Astor. J’ai intégré votre armée sous l’identité d’un simple officier Yiga. Un avantage d’un clan où l’anonymat est généralisé... Dame Impa, vous vous rappelez peut-être de ce moment sur le plateau du Prélude, où un officier a fait exploser un gardien volant en un seul coup, avant même que vous ne sortiez de son fourreau l’arme que vous pointez sur moi en ce moment même? »
« Oui, je m’en souviens. »
« Cet officier, c’était moi. »
« Prouve-le. »
« Vous m’avez crié dessus que c’était votre proie et m’avez accusé d’être… « un gros ramenard de lèche-cul », si je puis reprendre vos propres termes devant Son Altesse. »
Je me détendis et rengainai mon kodachi : il avait été parmi nous depuis tout ce temps, et aurait pu nous tuer un million de fois s’il l’avait voulu… Toujours à genoux, il reprit :
« Je vous demande Grâce, Votre Altesse pour avoir essayé de vous tuer à maintes reprises durant la guerre. Je ne faisais qu’obéir aux ordres de mes supérieurs. La fin de la guerre m’a permis d’ouvrir les yeux en tant que Yiga sur l’absurdité de nos haines ancestrales, mais aussi d’ouvrir les yeux en tant qu’homme sur votre mérite… Et sur votre beauté. »
Ah ! Lèche-cul…
Zelda se laissa tomber sur son siège en soupirant, massant son front de sa main dans un geste de profonde consternation. « C’est bon, relève-toi et mange ta banane, Suppa… Pardon : Seigneur Gosao … Impa, je t’en prie, prends une chaise et sers toi aussi. Mais par pitié, laissez-moi le baba-au-rhum: je crois que j’en ai besoin. »
ZELDA
Je n’eus pas beaucoup de temps pour ruminer le fait que Suppa faisait partie de mes prétendants. Après une courte pause, le suivant allait être l’effroyable Vicomte Turpan. Lorsque ce dernier entra, j’aperçus Link par la porte ouverte, adossé au mur d’en face. Je savais qu’il voulait que je puisse voir qu’il était là, pour me rassurer et me donner un peu de son courage… Le Courage c’est d’avoir peur mais d’y aller quand même . Ses mots résonnaient en moi comme un mantra désormais.
Le Vicomte referma la porte et s’approcha de moi comme s’il glissait sur le sol, sans jamais me lâcher des yeux. Il était si semblable à un serpent que je n’aurais pas été étonnée une seconde si une langue bifide était soudain sortie d’entre ses lèvres. Impa le fit stopper comme convenu à deux enjambées de moi, d’un ton sec et menaçant.
« Vous êtes assez près comme ça. »
« Voyons chère Princesse, » miaula-t-il, feignant d’être affecté, « vous me connaissez depuis si longtemps ! Comment pouvez-vous avoir de telles réticences envers moi alors que je vous ai vue grandir ! »
Je connaissais son numéro : se faire tout sucre et miel pour me faire baisser ma garde, exactement comme ces plantes carnivores que je cultivais dans mon étude. Faire mine d’être la réelle victime pour susciter la sympathie... Impa répondit à ma place, un autre détail dont nous avions convenu. C’était un prédateur : la crainte qu’il serait susceptible d’entendre dans ma voix ne pourrait que l’exciter davantage.
« Justement. Vous l’avez vue grandir. Son Altesse n’a aucune envie de se marier avec un homme de trois fois son âge, aussi gentil et influent qu’il puisse être. Elle espère que vous aurez la compassion de renoncer à votre cour.»
« Malheureusement … La Loi est de mon côté : si les candidats ne peuvent avoir moins de quinze ans, nulle limite supérieure d’âge n’est imposée. Ceux qui ont rédigé ces lois devaient savoir qu’il faut du temps pour mûrir un homme, tout comme un bon vin. Comme on dit, « Plus âgé l’étalon, plus forts les poulains ». Et si j’ose dire, « plus sereine la jument », en outre. »
Il avait encore avancé vers moi. Mon chaperon tira son kodachi pour la seconde fois de la journée.
«Je ne vois aucune jument dans cette pièce. Reculez d’un pas, » dit Impa, « je connais moi aussi les lois, et je me sens obligée de vous rappeler qu’en tant que Chaperon de la Princesse, je suis le seul Juge dans cette Cour . Je serais ravie de faire appliquer la règle qui veut que désobéir à une de mes injonctions est passible d’exclusion. »
Le Vicomte se plia non sans tordre la bouche aux ordres d’Impa. Il se tint plus ou moins à carreaux pendant le reste de la séance, soliloquant pour compenser mon silence... Il raconta les sentences ignobles qu’il avait rendues en tant que Juge : comment il avait fait envoyer un homme à l’échafaud pour que sa sublime femme puisse trouver « quelqu’un de décent » parmi ses amis ; comment il avait condamné un autre à une telle amende qu’il n’eût pas d’autre choix que de mettre en vente sa maison de famille ; comment il avait acheté lui-même la dite maison pour une bouchée de pain, par pure générosité bien sûr, juste pour l’aider. Comment il avait réussi à faire placer deux petites filles chez des « amis » à lui pour « soulager leurs parents d’une telle charge » : « comment auraient-il pu s’occuper d’enfants convenablement alors qu’ils étaient trop pauvres ne serait-ce que pour payer leurs impôts … ? »
Il étalait sa toute-puissance comme le baron avait étalé son argent. J’avais honte qu’un monstre comme lui officie dans mon Royaume, sous le règne de mon propre père. A quel point la Citadelle s’était-elle donc teintée de corruption ces dernières années, pendant que toute l’attention de l’Etat était focalisée sur la menace d’autres forces du Mal ?
La séance touchait bientôt à sa fin. Le Vicomte se leva et s’inclina poliment. De sa voix douceâtre, il conclut la « conversation ».
« A l’heure qu’il est, votre Altesse, votre favori a déjà été renvoyé de son poste de Chevalier Servant. Pour m’avoir seulement menacé. Il peut se considérer chanceux s’il n’a pas été exclu de cette cour également. Peut-être devrais-je demander que votre vertu soit vérifiée, histoire d’écarter ce tout petit problème plus… Définitivement ? »
Il prit le temps de savourer l’affolement qui devait se lire sur mon visage.
« Je vous veux, Princesse. Et j’obtiens toujours ce que je désire. Toujours. »
LINK
La cloche du château sonna l’heure : je toquai à la porte sans attendre ne serait-ce qu’une seconde et Impa ouvrit presqu’immédiatement pour me laisser entrer. Le Vicomte prit son temps pour partir. Dès qu’il eut refermé la porte, je rejoignis Zelda. Elle avait l’air encore plus bouleversée que la veille, au point qu’elle ne réagit même pas quand je voulus la prendre dans mes bras. Elle fixait le sol, catatonique, et aussi aphasique que je pouvais l’être parfois. Je me mis à genoux devant sa chaise et pris ses mains dans les miennes pendant qu’Impa me racontait ce qu’il s’était passé avec le Vicomte. Quand elle arriva à la fin, et à la menace à peine dissimulée de me faire exécuter pour avoir volé la virginité de la Princesse, Zelda fondit en larmes.
« C’est ma faute, Link, c’est moi qui ai insisté ! Je me sentais si invulnérable à ce moment-là ! Et maintenant il va essayer de te faire mourir pour ça ! Je suis tellement désolée... »
« Pfff… Comme si j’allais le laisser faire… Calme-toi ma luciole…»
« Comme si le Roi allait le laisser faire ! » ajouta Impa. « Allons, Votre Altesse… Votre Père a plus d’indulgence envers Link qu’envers tout le reste de ce fichu Royaume… Il n’est pas dupe vous savez : il se doutait bien que cela arriverait. Ne pas vous faire chaperonner pendant votre petite balade à Lanelle est quasiment une bénédiction en soi si vous voulez mon avis… »
Je me sentis rougir à cette remarque qui me paraissait fort sensée. Gêné ; je choisis de continuer comme si je n’avais rien entendu.
« Et comme si Mipha allait laisser son frère de sang se faire exécuter... Et Daruk ! Et Urbosa qui volerait à ta rescousse au moindre claquement de doigt de sa petite Reine*… Me condamner à mort, ce serait déclencher une guerre contre les Gerudo, les Gorons et les Zoras… »
« Pas seulement eux, » claironna Impa, « le peuple Hylien a le Héros en adoration ! Il y aurait des émeutes dans tout Hyrule ; la moitié de l’armée se mutinerait pour Link ! Et de toute façon, pas d’inquiétude : seul le futur Prince peut demander à ce que l’hymen de sa fiancée soit vérifié. Et même ça, c’est une loi obsolète qui n’a pas été invoquée depuis des siècles ! »
Elle marqua une pause, donnant quelques secondes à Zelda pour saisir ses paroles, et continua sur un ton plus calme.
« Et même en admettant que vous soyez enceinte - et Hylia m’est témoin, j'espère que vous ne l’êtes pas parce que ce serait un scandale que je n’ai aucune envie d’avoir à gérer… Mais au-delà de ça, l’Enfant porterait le Sang de la Déesse… Les Lois d’Hyrule le protègeraient et cette protection s’étend à ses deux parents ! Tant que vous pourrez prouver que Link ne vous a pas forcée, il ne risquerait rien du tout ! Turpan voulait juste vous faire peur, votre Altesse, et regardez à quel point il a réussi... »
Les sourcils froncés, Zelda leva enfin les yeux, d’abord vers Impa puis vers moi, réalisant l’absurdité de ses craintes. Le regard qu’elle nous lança était plein de perplexité, comme si elle se réveillait juste d’un mauvais rêve. C’était dire l’emprise psychologique que ce pervers pouvait avoir sur elle…
« Link, il a dit qu’il t’avait fait renvoyer… ? »
Je lui souris tant bien que mal. J’avais eu le temps de digérer les paroles de Rhoam…
« C’est vrai… Ton père a joué la complaisance pour lui donner un os à ronger… Mais comme il m’a fait remarquer, ça ne change absolument rien pour nous: mes fonctions étaient déjà suspendues pour les trois mois de cour, et après…. Eh bien je serai ton fiancé puis ton époux, plus ton chevalier servant… »
Je lui fis un clin d’œil tendre et elle me sourit enfin. Enroulant son buste sur moi, elle enfonça dans ma crinière ses doigts si délicats, pour blottir ma tête contre son ventre, dans une étreinte presque maternelle. Je lui répondis en enlaçant sa taille de mes bras, la tête posée sur le plat de ses cuisses. Je n’avais pas réalisé à quel point j’avais eu besoin de réconfort moi aussi.
« Il a l’air tellement sûr de lui, » hoqueta Zelda, « il a l’air de tellement avoir l’habitude d’arriver à ses fins, par tous les moyens… Oh, Link… Il va faire en sorte de nous pousser à bout, ou de te faire sortir de tes gonds. Il va chercher à se débarrasser de toi d’une manière ou d’une autre, ou bien te menacer pour me faire plier... Il paiera des gens pour mentir s’il le faut, ou pour te faire assassiner…»
« Il peut toujours essayer, » répondis-je entre mes dents serrées alors qu’une nouvelle résolution s’ancrait dans mes tripes, « mais on ne se laissera pas faire. On ne le laissera plus faire de mal, ni à toi ni à personne d’autre. On ne va pas attendre qu’il nous coince : c’est nous qui allons le coincer.»
***********
Notes:
Trivia:
- Les 7 jours de la semaine font référence aux 7 sages: Raurtag (Rauru), Sartag (Saria), Darutag (Darunia), Rutag (Ruto), Imtag (Impa), Naboortag (Nabooru) et Hyltag pour le 7eme sage (Hylia et Zelda ayant la même racine germanique "Hild"). Les deux jours correspondants à des sages "de lumière" sont chômés, soit le dernier jour de la semaine Hyltag et le premier jour de la semaine Raurtag. Je n'ai rien trouvé dans le Lore canon en référence aux jours de la semaine alors j'ai imaginé ça comme ça.
- Dans la version japonaise, Urbosa n’appelle pas Zelda « Madame » comme en français, ni « little bird » comme en anglais, mais « Ouhi-sama » : Ouhi signifiant « Reine ». Avec ça en tête certains dialogues d’AoC prennent une toute autre saveur, comme lorsque Urbosa lance un grandiose «Nous attendons vos ordres, Ouhi-sama» au nez et à la barbe du roi avant la dernière bataille.
- Les cannes à sucre existent à Hyrule, et les pirates existent aussi. DONC le Rhum ( et le baba au rhum) existent à Hyrule aussi. CQFD.
Chapter 12: Cartes
Summary:
L’un des prétendants s'avérait plus inquiétant encore qu’il n’avait semblé et Zelda n’avait aucune envie d’attendre de voir s'il bluffait.
Mais comment le mettre hors d’état de nuire? Il était temps pour notre équipe d’étudier les cartes qu’elle avait en main…
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
“La vie n'est pas que question de recevoir de bonnes cartes,
mais parfois, de bien jouer avec une mauvaise main.”
-Jack London
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SAKI
J’étais arrivé à la bibliothèque avec un peu d’avance, par le petit salon du haut. Depuis mon perchoir, j’observais discrètement la petite assemblée qui s’affairait en contrebas. La Princesse qui faisait à mon cœur battre la mesure de toutes mes chansons était en pleine partie de dames avec le jeune Karl-Olef. Ils riaient de bonne grâce à chaque fois qu’ils se prenaient un pion… C’était donc à ça qu’elle allait occuper ses séances avec lui, tandis qu’avec moi, elle allait les passer à raconter comment elle avait gagné la guerre aux côtés de son amant... Tu parles d’une cour : rien de plus qu’une gigantesque mascarade !
Au bout de la table, j’aperçus la fameuse tablette Sheikah dont Zelda m’avait parlé et qu’elle m’avait promis de me montrer aujourd’hui. Elle n’avait pas oublié… Juste à côté, Impa était avachie sur son bras, le regard perdu sur un sablier qu’elle grattait du bout d’un doigt comme pour faire s’égrener le temps plus vite. Ça ne devait pas être facile pour elle non plus, de chaperonner la Princesse à longueur de journées ; elle que d’ordinaire je voyais toujours courir tous azimut dans les couloirs du palais, à s’occuper des moindres tâches que Rhoam et Zelda lui déléguaient…
« Salut, Saki. »
Link. Il venait d’arriver dans le petit salon et m’avait surpris en train d’espionner sa fiancée... Il n’avait rien à faire là, ce n’était pas son heure ! Je remis mon masque de gai luron avant de me retourner.
« Link, quelle bonne surprise ! A-t-on échangé nos horaires ? J’aurais adoré être averti : j’aurais pu me lever plus tard !»
« Non, » soupira-t-il, déjà agacé, « je viens pour autre chose. Zelda et Impa allaient t’en parler mais puisqu’on est en avance tous les deux, on peut peut-être gagner un peu de temps…»
Aussi taciturne que je pouvais paraître jovial, il jeta un regard autour de lui pour s’assurer que nous étions seuls. J’eus presque peur un instant. Mais il se contenta de prendre une grande inspiration et me jeta :
« Le vicomte nous a menacés ouvertement hier soir. Il a laissé entendre qu’il était prêt à toutes les pires bassesses pour s’approprier Zelda et la Couronne. Il a passé sa séance à la torturer psychologiquement… »
« Eh bien… On pouvait s’y attendre avec un pervers avide de pouvoir comme lui. Pourquoi ne vas-tu pas simplement agiter ton épée magique? Deux ou trois petits coups et ce serait réglé, non ? »
«Tu n’as pas idée d’à quel point j’en crève d’envie, » gronda-t-il, la mâchoire serrée et le regard noir, « et si je n’ai plus le choix c’est avec une profonde jubilation que je trancherai sa vieille carne… Mais tu sais mieux que moi ce qu’il arrivera si je fais couler son sang sans procès ; surtout dans ce contexte de cour ! Il a déjà réussi à me faire virer de mes fonctions de chevalier servant juste parce que je l’ai « averti » de ce qui se passerait si « quiconque » faisait du mal à Zelda. »
Il s’était mis à faire les cents pas devant moi comme un Lynel en cage. A croire que les Royales Compulsions de Rhoam avaient déjà déteint sur lui. Il continua :
« Je passerais pour un tyran ! L’Histoire ne se rappellerait que du coup d’épée, pas de l’ignominie de celui l’ayant reçu. Je serais accusé d’avoir assassiné un concurrent ; et banni ! Quand Zelda tenterait de justifier mon geste, on m’accuserait d’avoir obtenu son soutien sous la menace, et si je trouvais tout de même une solution pour l’épouser, toute sa lignée serait souillée pour des siècles à cause de moi, Héros ou pas ! »
Il arrêta enfin ses allées et venues et me fit face.
« Tu es son ami… A Zelda. Son ami d’enfance. Elle a une très haute opinion de toi et elle pense que tu peux nous aider. Tu te doutes bien que ça ne m’enchante pas du tout, mais les filles ont raison: nous avons besoin de plus d’yeux, de plus d’oreilles, de plus de matière grise... Mais ne pouvons en parler qu’à des gens de confiance et ils sont rares. Je ne serai pas idiot et égoiste au point de nous priver d’un allié par fierté... Nous voulons faire tomber cette pourriture. Pour de bon : pas seulement ici, pas seulement pour Zelda... Et ça me fait mal au derche de l’admettre mais je pense aussi que dans le genre de bataille qui nous attend, tu es bien mieux armé que moi. Alors: est-ce qu’on peut compter sur ton aide, oui ou non ?»
J’étais stupéfait qu’il me le demande avec autant d’honnêteté, admiratif qu’il en ait l’humilité, et pourtant, bien malgré moi, je ressentais cela comme un outrage : j’étais éconduit d’office par la demoiselle en détresse mais je devais tout de même voler à son secours ! Risquer ma carrière et ma réputation, mais sans rien attendre en retour -non, non: juste pour qu’elle finisse dans les bras d’un autre ! Ça ne se passait jamais comme ça, dans les poèmes et les chansons d’amour ! Avait-il perçu ma colère ? Car il saisit ma manche et ajouta :
« Je sais que tu ne peux pas me voir. Crois-moi, je ne te porte pas dans mon cœur non plus… Mais il ne s’agit pas de toi ou de moi… Tu aurais vu l’état de détresse dans lequel j’ai récupéré Zelda hier... Il s’infiltre comme de l’eau dans son esprit pour essayer de la détruire de l’intérieur... On ne tiendra pas trois mois comme ça, ni elle ni moi. Et il est hors de question qu’on le laisse gagner. »
Je le toisai du regard, retenant une grimace. Était-ce humainement possible d’être aussi horripilant ? Ou est-ce que ça faisait partie de ses pouvoirs de prodige ? Je libérai mon bras d’un coup sec.
« Bien sûr que je vais vous aider, espèce d’abruti » grognai-je, « même pas la peine de poser la question. »
Je regrettai mon insulte à l’instant. Il ne la releva même pas, se contentant d’un hochement de tête et d’un « Merci » dont la sincérité m’agaça encore un peu plus.
IMPA
Si Zelda gardait la moindre contrariété vis-à-vis de son entrevue de la veille avec le Vicomte, elle n’en laissa rien paraître devant le jeune Duc. Ils s’amusaient comme deux gosses… Rien d’étonnant en soi, vu qu’au moins l’un des deux était encore un gosse, et que l’autre avait passé sa vie à souffrir de ne pas pouvoir en être une…
Malgré l’ennui, voir la Princesse pleine de gaieté et d’insouciance m’était précieux… Bientôt Saki arriverait et avec lui, nous allions devoir remettre le nez dans nos turpitudes. D’abord, le convaincre de nous aider et ensuite… Eh bien, aviser en fonction, je suppose...
Quand le temps fut écoulé, Karl-Olef rangea les jeux de société comme un bon petit garçon bien élevé, et Saki s’avança en haut de l’escalier. L’angoisse me saisit en le voyant : et s’il refusait ? S’il nous dénonçait au Roi ? Pire, s’il acceptait et nous trahissait ?
« Tu peux descendre, Saki.» l’informai-je. La nervosité avait fait trembler ma voix et je me maudis intérieurement pour ça.
Il regarda derrière lui et sembla hésiter. Puis il nous rejoignit, saluant le Duc d’un sourire amical en le croisant et la Princesse d’une révérence et d’un baisemain alambiqués.
« Link est là-haut,» murmura-t-il pour nous deux, « il m’a sommairement expliqué le problème. Vous pouvez évidemment compter sur mon aide. »
« Oh, » lui répondis-je, « c’est… Plutôt une bonne nouvelle, en fait… Merci, vraiment… Acceptes-tu qu’il se joigne à nous ? »
« Ah parce que j’ai le choix en fait? » Il souriait jusqu’aux oreilles sans chercher à dissimuler son ironie. Bien sûr qu’il avait le choix. Pendant les heures d’entrevue un autre prétendant ne pouvait rejoindre la Princesse que sur invitation de celui à qui appartenait l’horaire...
« Saki, s’il te plait … » s’impatienta Zelda.
« Oh c’est bon… Excuuusez-moi , Princesse. Bien sûr. Qu’il vienne... »
J’appelai Link qui descendit à son tour. La tension se lisait sur son visage. S’approchant de notre table, il hésita un instant avant de saluer sa bien-aimée d’une brève accolade et d’un sobre baiser sur le dessus de la tête. Puis il alla s’asseoir à l’exact opposé d’elle. Par respect pour Saki, peut-être ; ou peut-être par méfiance envers lui...
Tous les quatre réunis, nous commençâmes par résumer la situation. Link fut affolé en apprenant que le Seigneur Gosao était en fait notre ancien ennemi Suppa, mais Zelda réussit à le convaincre que le Yiga ne représentait plus aucun danger. Saki ne cacha pas sa désapprobation en comprenant que la Princesse avait déjà perdu son pucelage, invectivant Link de ne pas être capable de maîtriser ses pulsions... Prenant le ton le plus hautain que je n’avais encore entendu de sa bouche, Son Altesse le remis à sa place d’un grandiose :
« Dois-je te rappeler qu’il n’était pas seul quand cela s’est passé, Saki ? Et puisque tu veux tout savoir, Link est de loin celui de nous deux qui a le plus de retenue ! »
Je ne pus m’empêcher de glousser à la vue des deux garçons enfoncés dans leur chaise, finalement aussi penauds et écarlates l’un que l’autre.
Il nous fallait ensuite mettre en place un plan. L’idée générale était d’obtenir une preuve des mauvaises intentions du vicomte, mais cela impliquait de le prendre sur le fait, et donc de lui laisser l’opportunité de passer à l’acte... Un point sur lequel Link, Saki et moi étions unanimes, c’est qu’aucun de nous ne voulait que la Princesse elle-même soit utilisée comme appât…
Puisque les prétendants étaient censés être fidèles à la Princesse qu’ils courtisaient, Saki proposa d’embaucher une complice parmi les « professionnelles » qu’on pouvait trouver de nuit, dans les bas-quartiers de la Citadelle… C’était une mauvaise idée : premièrement parce qu’un tel plan nous permettrait au mieux d’obtenir son exclusion de la cour sans nous fournir de raison suffisante pour pousser les investigations ; deuxièmement parce qu’il y avait de fortes chances pour que le vicomte connaisse plus d’une de ces filles, ce qui pourrait retourner notre plan contre nous…
« Ces filles vendent leur corps pour de l’argent, » grommela Link, «ça ne t’a pas traversé l’esprit qu’elles vendraient volontiers des informations si on leur en donnait l’occasion ? Ça leur coûte sûrement beaucoup moins tout en leur rapportant beaucoup plus!»
« Oh mais je suppose que vous êtes bien placé pour être au courant, ô Votre Lubricité : vous devez bien les connaître!» accusa Saki.
« Quoi ? Jamais ! Je te rappelle qu’à la base c’est toi qui as suggéré d’en embaucher une ! Quelle conclusion devrait-on en tirer selon ta propre logique ? »
« On se CALME les deux coqs! » intercédai-je. « On aurait dû se retrouver dans l’écurie: vous mériteriez un bon seau d’eau sur la crête, tous les deux ! »
Saki se renfrogna au fond de son siège, désabusé; Link quant à lui m’ignora complètement et se tourna vers Zelda.
« Ma Luciole, je préférerais encore me déguiser en Vaï et jouer l’appât moi-même que le laisser te toucher ne serait-ce qu’un instant…»
« Il n’y a pas d’alternative Link. De toute façon, c’est moi qu’il veut, c’est moi sa proie…»
« Attends… En parlant de déguisement et de vaïs, » bafouilla Link à la hâte, les yeux écarquillés, « Suppa! Avec ses techniques de Yiga il pourrait parfaitement se faire passer pour toi, non ? Si Kohga a pu se faire passer pour Urbosa… !»
Link n’avait pas tort… Les arcanes d’infiltration Yigas surpassaient de loin celles des Sheikahs, et nous avions justement l’un des meilleurs Yigas sous la main ! Balayer cette opportunité d’un revers de la main aurait été d’une stupidité sans nom !
« Oh… Bien vu, mon Cœur, » s’étonna Zelda, « mais au niveau de la voix, leur pouvoir d’imitation a des limites, non... ? »
« Justement, Princesse ! » raisonnai-je, « Vous avez déjà décidé de ne plus adresser la parole au vicomte ! C’est parfait ! Suppa pourrait rester complètement silencieux que ça ne paraîtrait même pas louche ! »
« Vous marquez un point tous les deux, » concéda Zelda, « il faudra en discuter avec lui, tout-à-l’heure. Présentons-lui ça comme une mise à l’épreuve de son allégeance - dont en outre je ne doute pas, » s’empressa-t-elle d’ajouter pour Link, « et mettons-le dans le secret…»
« Secret contre secret, Votre Altesse ! Il vous doit bien ça ! » conclus-je avec un clin d’œil.
LINK
Le plan prenait forme : Suppa devrait se faire passer pour Zelda pendant un entretien. Impa serait appelée au-dehors de toute urgence pour une raison qui restait à déterminer : ordre du Roi, début d’incendie au château, peu importait tant que cette excuse pouvait justifier le départ d’Impa de manière à ce que la fausse Zelda se retrouve sans chaperon. A partir de là, il nous fallait un moyen de les retrouver n’importe où dans le château, au cas où le vicomte aurait voulu l’enlever comme il avait tenté de le faire quelques années plus tôt…
« Si seulement Terrako était là,» maugréai-je en attrapant la tablette Sheikah, « quand je pense que pendant la guerre, on pouvait parfaitement voir la position de chaque personne, allié ou ennemi, en temps réel sur cette foutue carte… »
Zelda et Impa s’échangèrent un regard peiné à l’évocation de notre ami, et retournèrent à leur réflexion.
Contrarié, inutile et déprimé, je me promenai sans but dans les menus de la tablette. Plus aucun module de combat n’était actif. La carte fonctionnait toujours, mais à part les balises et repères fixes que l’on pouvait placer soi-même, elle était désespérément vide. L’album d’images me fit sourire : je supposai que c’était Pru’ha qui avait pris en douce cette «sheikographie » de Zelda et moi pendant l’inventaire…
L’encyclopédie était aussi complète que je l’avais toujours connue, par contre.
Entrée numéro neuf : Ecureuil Dresse-Panache … Vachement utile, vraiment …
Je continuai à faire défiler les entrées.
Entrée cent-vingt-six : Lynel à Crinière Bleue * - c’est quoi leur problème à ces foutus Sheikahs ? La crinière des Lynels Bleus est mauve, pas bleue! Bon sang ...
Entrée deux-cent-quatre : Princesse de la Sérénité … Oh, comme Zelda m’avait sermonné il y a quelques Lunes de cela, quand j’en avais cueillie une pour elle… Je ne savais pas encore à l’époque, que c’était une espèce menacée… Mais elle l’avait tout de même gardée précieusement, séchée entre les pages de son journal… Ma Luciole …
Entrée deux-cent-vingt-deux, Petit Sabre de la Défiance… hmm… N’étais-ce pas l’autre nom du Kodachi de Cocorico ?
Je sélectionnai cette entrée et lus:
Cette épée Sheikah , blah blah blah,
forgée selon des techniques antiques , blah blah…
Efficacité 15 … Blah…
Rechercher …
Attends… Quoi ? « Rechercher » ?
J’appuyai sans trop y croire sur la commande.
Rechercher cet élément . Allons-y…
La tablette répondit d’un accord bruyant qui résonna plusieurs fois et attira l’attention de toute la tablée. Puis elle vibra une fois, signe que l’objet recherché était tout proche et enfin, deux notes rapprochées se répétèrent indéfiniment. Je n’étais pas peu fier de moi. Je tournai la tablette vers Saki, dont j’avais malgré moi emprunté le sourire narquois, et la fréquence des sons s’intensifia.
« Ma petite tablette me dit que quelqu’un cache un kodachi de la défiance dans sa ceinture… Voyons si quelqu’un porte un petit sabre de la Clairvoyance…» Je retournai dans les menus pour définir la recherche sur le Kodachi d’Impa. Sans surprise, c’est quand je tournai cette fois ci la tablette vers elle que la tablette s’emballait.
« Link ! Le module de détection fonctionne ? » s’enquit ma jolie blonde, admirative.
« Absolument, ô ma mieux aimée ! » lui répondis-je, déposant la tablette entre ses mains dans une courbette.
« Alors il nous suffit de choisir chacun un petit objet, si possible atypique, qu’on ne trouve pas habituellement dans un château, et qu’on puisse porter sur nous… Et nous pourrons localiser n’importe lequel d’entre nous ! C’est formidable ! »
Je me régalais de la voir si enthousiaste. Elle se mit à parcourir les menus qu’elle connaissait par cœur : ses doigts semblaient courir sur la tablette comme un petit écureuil... Elle s’arrêta un instant, attendrie, et serra fort ses paupières avant de tourner son doux regard vers moi. Je ne savais que trop bien ce qu’elle avait vu.
ZELDA
Cette image avait été prise au moment où Link et moi discutions des runes Sheikah, au laboratoire... Elle me toucha en plein cœur. A cause de la distance imposée par cette cour, j’avais l’impression que notre relation avait régressé jusqu’à ce qu’elle était alors... Il y a moins d’une semaine, nous étions enlacés nus dans le même sac de couchage, partageant nos âmes et la chaleur de nos corps et aujourd’hui, je n’osais pas faire le tour de la table pour le remercier d’un baiser... Il était là, à moins de trois pas de moi et pourtant, il me manquait terriblement.
Impa me sortit de ma rêverie :
« Bon, pour le moyen de retrouver la fausse Zelda, on est bons. Pour la suite, comment ça se passe ? Saki, il me semble qu’en tant que ménestrel royal ton témoignage a valeur de preuve, tout comme le mien en tant qu’Adjointe de Sa Majesté. Mais c’est aussi le cas de Turpan de par sa fonction de Juge et son ascendance royale... Dans l’idéal il faudrait que nous soyons tous les deux témoins en plus de Zelda - vraie ou fausse - pour être sûrs de le surpasser à ce jeu-là. Avec un lézalfos pareil on n’est jamais trop prudent. »
« Mon témoignage ne compterait pas ? » demanda Link.
« Normalement, si … Mais le Vicomte a trop de moyens de le faire contester, surtout que tu l’as déjà menacé. Le plus on aura de témoins, le mieux ce sera. Bien sûr le meilleur témoin de tous serait Sa Majesté lui-même, mais ça risque d’être compliqué à goupiller et on ne peut pas le mettre dans la confidence. Oh non : notre petite magouille ne lui plairait pas du tout... Tu garderas la tablette Sheikah, Link. Tu es celui qui la maîtrise le mieux avec Son Altesse, mais vu qu’elle devra restée cachée... Si tu peux, sers-t-en pour prendre des images comme preuves supplémentaires. Et puis avoir les mains occupées ça t’évitera peut-être de faire une bêtise… »
Impa avait raison. Comme nous en avions discuté ensemble la nuit précédente, notre plus grande menace était que Link perde son sang-froid et s’en prenne au Juge. Il pourrait être exilé pour plusieurs années voire pour toujours selon la gravité des blessures infligées. Il fallait l’en empêcher à tout prix…
Le temps de l’entrevue était terminé depuis longtemps. Nous rangeâmes nos parchemins et nos notes avant de partir vers la grand-salle pour le déjeuner. Par soucis de justesse comme par nécessité, Saki et peut-être également Suppa nous rejoindraient ce soir pendant le tour de Link. Ils n’arriveraient pas tout de suite pour ne pas trahir notre coalition, mais je n’aurais que quelques minutes à passer seule avec Link, et cette idée me démoralisait déjà.
Alors que les deux Sheikah, pris dans leur conversation, prenaient un peu d’avance, je fis ralentir Link et me pressai contre lui. Il m’enlaça un instant, soupirant dans mon cou. J’aurais voulu que le temps s’arrête là. J’aurais voulu être de retour dans notre grotte juste sous le toit du Monde. Il ne dit pas un mot, il fit seulement « RRRrrr » à mon oreille. J’acquiesçai vivement, frottant ma tempe contre la sienne, comprenant sa référence à l’image qu’il avait dû voir dans la tablette, lui aussi. « RRRrrr », lui répondis-je.
Les mots deviennent bien superflus quand les cœurs battent à l’unisson… Et puis... J’avais de bien plus doux projets pour nos lèvres…
SUPPA
Moi qui pensais que retrouver mon identité et ma vie de gentilhomme m’éloignerait des affres de la guerre, je m’étais lourdement trompé. Un jour un Yiga, toujours un Yiga . La Princesse que je courtisais et à laquelle mon clan et moi-même avions prêté allégeance était menacée au sein même de son palais, par un noble sans honneur.
Je lui proposai immédiatement de la débarrasser de l’inopportun de manière propre et discrète. Elle sembla considérer cette option quelques instants, mais finit par refuser : elle préférait si possible éviter de faire couler le sang. Des menaces avaient été proférées par quelqu’un cher à son cœur et elle craignait que la responsabilité ne lui en soit attribuée… En outre, elle souhaitait faire de ce cas un exemple, pour que son Royaume entier sache qu’elle ne tolérerait pas de tels agissements sous son égide...
Je fus tenté de lui expliquer que mon clan avait connaissance de poisons indétectables, dont les empoisonnements ressemblaient à une mystérieuse maladie; apportant la mort en quelques jours... Mais je ne pus me résoudre à le faire, car je savais que sa propre mère, la Reine d'Hyrule, avait péri d'un tel venin une dizaine d’années auparavant. Je n'étais qu'un officier à l’époque et mon Maître n'était encore que le Suppa : je n'avais jamais vraiment su si notre clan était responsable de son assassinat ou non. Vraisemblablement, nous avions seulement fourni la toxine au Prophète... Je ne pouvais pour autant pas me résoudre à la laisser arriver à cette conclusion par elle-même, de peur que cela remette en question notre paix retrouvée : je choisis lâchement de ne pas insister face à son refus...
La Princesse me confia donc une mission d’infiltration en coopération avec son chaperon et deux autres prétendants, et même si dans le détail cette mission me semblait pour le moins déstabilisante, j’acceptai promptement.
L’un des prétendants était le minuscule mais féroce chevalier qui l’avait protégée maintes fois contre mes propres lames. Je réalisai vite qu’elle y était très attachée et supposai qu’il était celui même qui avait proféré des menaces à l’ennemi. J’avais une dette envers ce garçon : durant la dernière bataille, il avait sauvé la vie du Grand Kohga par deux fois alors que ce dernier était pris en étau par les monstres de Ganon… Mon honneur de Yiga m’interdisait de le trahir d’une quelconque manière...
Qu’à cela ne tienne. Mon Clan et mon Maître me manquaient plus que je ne désirais quelconque présence féminine. Il était temps pour moi d’aller confronter le Grand Kohga avec la nouvelle de ma survivance… Mais avant cela, j’allais aider cette Reine qui avait pardonné et honoré mon peuple après dix mille ans de haines mutuelles.
Pour le reste de ma vie, je me contenterai de vénérer à distance ses beaux cheveux couleur de banane lame…
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Notes:
Oui oui, j'ai bien suggéré que c'est son amour des bananes qui a poussé Suppa dans cette cour ... :p
* En réalité, l’erreur n’est pas faite dans la version française, mais la version anglaise appelle le Lynel Bleu « Blue Maned Lynel » soit « Lynel à crinière bleue » (il a tout de bleu sauf la crinière !). Je n’ai pas résisté à l’idée d’importer ce détail dans ma VF : pour une fois que Link a une occasion de se moquer des Sheikahs et pas l’inverse !
Chapter 13: Liens
Summary:
Face à la menace d'un infâme prétendant, Zelda et Link décidèrent de prendre les devants.
Il était temps pour leur petite équipe de mettre leur plan à execution ... A moins que...
Chapter Text
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Ce chapitre est une des raisons pour lesquelles cette fiction est classée comme “MATURE”.
Merci de bien prendre en compte ce classement avant lecture.
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‘’ Tu es nœud de relations et rien d’autre. Et tu existes par tes liens.
L’amour véritable commence là où tu n’attends plus rien en retour.’’
- Antoine de Saint-Exupéry
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ZELDA
Le vicomte reprenait sa torture psychologique à chaque nouvelle entrevue ; trop subtilement pour justifier son éviction, mais pas assez pour que je puisse ne pas saisir les implications de ses récits. J’avais suivi le conseil de Saki et passais désormais chaque séance cachée derrière un livre, à feindre de ne pas l’entendre. Je me permettais même de le provoquer en retour en choisissant mes ouvrages : La Boucherie pour les Nuls , Potences et Gibets à travers les Âges , Traité Vétérinaire de la Castration des Animaux de Rente … Malgré tout, la présence de Link était toujours un nécessaire réconfort après ces durs moments.
Suppa n’avait pas mis bien longtemps à parfaire son imposture. C’était vraiment troublant de me tenir dans une pièce avec mon propre double : comme si mon reflet dans un miroir se mettait subitement à agir de son propre chef ! Sa performance fut mise à l’épreuve au sein de notre équipe. Ni Saki, ni même Impa n’étaient capables de nous différencier. Seul Link me reconnaissait systématiquement, et il s’étonnait que ça ne soit pas le cas des autres.
« Vous trichez, tous les deux ! » avait accusé Saki, vexé, «elle te donne des indices, c’est évident ! Des regards d’amoureux ou je ne sais quoi. »
« Mais pas du tout ! » jura Link, «Nayru m’en soit témoin, tu es aussi mauvais perdant qu’Impa !»
« Eh ! Me mêlez pas à ça ! » s’indigna Impa. Link continua :
« Si quelqu’un réussit là où tu échoues, c’est forcément qu’il triche, pour toi ! C’est ça?»
« Bah alors vas-y, » aboya Saki, « explique-le ton secret ! C’est pour ça qu’on fait ces tests à la base : leur seule finalité est d’aider Gosao à être le plus fidèle possible ; pas de laisser une occasion à Môsieur le Héros de montrer qu’il est plus fort que les autres ! »
« Mais j’en sais rien, justement ! Ça se voit, c’est tout ! L’une est Zelda et l’autre non : comment est-ce que je suis censé expliquer ça ?»
Les deux garçons se chamaillaient constamment. Mais plus le temps passait plus leurs disputes ressemblaient à un jeu. Un agacement moqueur avait remplacé la méfiance et la hargne ; et l’inimitié s’était adoucie en une rivalité presque bon-enfant.
Avant même que la semaine ne se termine, nous avions tenté de mettre notre plan à exécution. Princesse Suppa s’était retrouvée seule de longues minutes avec le Juge, mais ce dernier n’avait rien fait, n’avait rien tenté, n’avait rien dit ; rien du tout. Pas même n’avait-il tenté de franchir la distance de deux pas imposée par Impa en mon nom. Comment avions-nous pu être aussi naïfs ? A quoi nous attendions-nous au juste ? Nous avions basé notre plan sur le fait qu’il avait déjà tenté de m’enlever autrefois, mais qu’aurait-il pu gagner en faisant cela aujourd’hui, pendant cette cour officielle ?
Aussi nous avions décidé de mettre à profit les jours qui suivirent pour observer notre ennemi. Impa devant rester avec moi à tout moment, et Link n’étant pas vraiment le roi de la filature, ce furent Saki et Suppa qui se relayèrent pour observer avec discrétion les allées et venues du Vicomte, prendre note d’avec qui et de quoi il parlait et nous notifier de tout comportement suspect. Nous n’avions rien relevé d’extraordinaire, à part que l’après-midi d’Hyltag - l’un des deux jours par semaine où la cour était suspendue - Suppa avait dit avoir perdu sa trace dans la bibliothèque...
Il me fallait trouver un moyen de le localiser via la tablette Sheikah, lui aussi… La difficulté étant qu’il ne portait rien de caractéristique sur lequel le détecteur aurait pu se focaliser. Cependant, après d’innombrables heures de manipulations sur l’appareil - jusque bien tard dans la nuit - j’avais réussi à pirater l’encyclopédie afin de pouvoir y ajouter d’autres entrées. J’avais pu notamment créer un onglet « personnes » et avais pu y enregistrer chacun de nous en prenant une sheikographie de nos visages. Le radar de la tablette était désormais capable de détecter les gens qui y étaient répertoriés, et il ne fut pas difficile de voler discrètement un cliché du Juge pour l’ajouter aux fichiers !
Ils étaient tous stupéfaits de ma découverte, mais seuls les yeux de Link brillaient de tant de fierté. L’expression pleine de confiance qu’il affichait me rappelait celle qu’il avait eue juste après que nous ayons scellé Ganon ensemble. Sa tête légèrement penchée, un sourire faussement détaché sur les lèvres et son regard bouillonnant d’un amour inconditionnel m’affirmaient sans un seul mot : « J’ai toujours su que tu en serais capable »… Cet homme croyait en moi comme un prêtre croit en ses Dieux. Chacun des regards et chacun des contacts que nous échangions étaient un baume pour mon âme. Peut-être était-ce à ce moment-là que je le compris : je pourrais endurer n’importe quelle épreuve dans ma vie pour peu qu’il soit à mes côtés.
Un jour, par ennui, mais aussi en me disant que ça me permettrait de la retrouver si jamais je l’égarais, je pris également une sheikographie de la vis de Terrako ; cette même vis que je gardais toujours sur moi depuis qu’il avait été détruit... Contre toute attente, l’Encyclopédie l’ajouta automatiquement dans l’onglet « personnes » au lieu de l’onglet « monstres » avec tous les autres gardiens : il ne s’agissait probablement que d’une erreur, mais mon cœur en fut submergé d’affection et de nostalgie.
Sous son entrée pouvait-on lire : « Nano Gardien Sacré : modèle de machine de guerre adapté à la protection et à la compagnie de l’incarnation terrestre de la Déesse Hylia. D’une résistance extrême, il possède la capacité de combattre à deux armes, et conserve le mécanisme de déplacement à plusieurs jambes ainsi que le rayon d’énergie caractéristiques des gardiens. Il est en outre doté d’une intelligence artificielle dépassant toute intelligence biologique, de la capacité à communiquer par la musique et de plusieurs autres fonctions de protection classées confidentielles. »
Terrako… Mon petit gardien dont j’avais trouvé et remonté les pièces par simple jeu avec ma très chère mère quand je n’étais qu’une petite fille, avait donc été créé pour une de mes anciennes incarnations, il y a plus de dix mille ans... Je n’en parlai pas aux autres, car ils ne partageaient pas notre deuil, mais je montrai ma découverte à Link qui en fut tout autant estomaqué que moi.
« Finalement, cela éclaire beaucoup de zones d’ombre,» murmura-t-il, «on le réparera, tôt ou tard, ma Luciole… Je te le promets. »
SAKI
Contrairement à Impa, qui avait grandi au Village Cocorico auprès de notre tribu, j’avais eu à la fois la chance et la malchance d’être élevé au château d’Hyrule où mes parents, de la petite noblesse, officiaient au service du Roi. C’est pour cela que j’avais pu partager la même classe et le même précepteur que Zelda, la brillante et douce Princesse dont j’avais fini par tomber amoureux, en grandissant… Mais ma jeunesse d’enfant curieux et impertinent, fils unique d’un espion et d’une scribe, me donnait aussi d’autres atouts. Comme une connaissance parfaite des passages secrets et couloirs dérobés du palais royal !
La remarque de Gosao concernant la disparition du Vicomte dans la bibliothèque nous avait interpellés, la Princesse et moi. Nous suspections le vicomte d’avoir rejoint l’embarcadère secret accessible derrière l’un des lourds pans de la bibliothèque. Mais lorsque je m’y rendis pour mener l’enquête, je ne trouvai rien de plus que des marquages au sol tracés à la craie dans une graphie inconnue. Je copiai les marques sur mon carnet, mais ni Zelda, ni Impa, ni Gosao ne surent reconnaître le système d’écriture utilisé. Je ne demandai même pas à Link, sachant d’ores et déjà qu’il ne connaissait que l’Hylien et quelques runes Sheikah. Il répliqua d’un regard sombre à la mimique condescendante dont je le gratifiai en passant devant lui.
Je dois admettre qu’il était touchant, ce petit chevalier. Complètement inculte, certes, éprouvant pour les nerfs aussi, et tellement exaspérant avec ses regards lugubres et sa mine renfrognée ! Mais touchant, et au final quand il daignait prendre la parole, ses remarques étaient souvent pertinentes : il n’était peut-être pas aussi inintelligent qu’il en avait l’air.
Pendant nos rendez-vous quotidiens, parallèlement à l’échafaudage d’un nouveau plan, Impa, Zelda et parfois également Link continuaient à me raconter cette guerre dont je n’avais été qu’un témoin distant. Les épreuves qu’ils avaient affrontées, ensemble et séparément. Le soutien indéfectible qu’il avait été pour elle et elle pour lui. Le réveil de l’Epée de Légende avant même qu’il ne la touche, juste par sa volonté sans limite de la protéger. L’Eveil tant attendu des pouvoirs de Zelda lorsqu’elle fut à son tour menacée de la perte imminente de l’être aimé. Comment pouvais-je encore espérer rivaliser avec cet amour capable de gagner une guerre ? Le voulais-je encore seulement ? L’homme que j’étais le désirait encore peut-être, mais le ménestrel ne se pardonnerait jamais de gâcher les derniers vers d’une si belle geste…
IMPA
Hyltag et Raurtag étaient passés en un battement de cils. Sartag était arrivé et avec lui, une nouvelle semaine de cour avait commencé. Ou plutôt devrais-je dire : une nouvelle semaine de jeux de société avec le Duc, une nouvelle semaine de somnolence avec le Baron, une nouvelle semaine du sourire de Saki qui me rendait de plus en plus nerveuse sans que je ne comprenne pourquoi ; une nouvelle semaine de son comportement passif-agressif à la noix mojo envers Link…
Aujourd’hui, ce dernier n’était passé qu’en toute fin de matinée, pour confier la tablette Sheikah à Zelda jusqu’au soir : nous suspections en effet deux membres du personnel d’être de mèche avec le Juge, et Zelda voulait les sheikographier pour les ajouter à son fichier. De toute façon, nous n’avions pas encore convenu d’un nouveau plan...
Juste après le déjeuner, alors que j’appréhendais d’entamer un nouvel après-midi d’ennui mortel, les cloches du château sonnèrent l’alarme. Bientôt, une clameur se répandit le long des couloirs: des monstres ! Des monstres avaient envahi le palais. Je croisai le regard de la Princesse : elle était livide.
«Non… Ce n’est pas possible ! Pas encore ! Pas déjà !»
… Quoi ?
« Votre Altesse ! Allons vous mettre à l’a… »
« Hors de question ! Je vais me battre ! Allons-y !»
Elle ôta son gant droit : sur son poing serré, les triangles sacrés des Déesses flamboyaient aussi intensément que la détermination au fond de ses yeux. Je hochai la tête à contrecœur, et nous partîmes en hâte vers la source du vacarme. Je pouvais déjà entendre le fracas des armes : il semblait nous guider vers la bibliothèque, que nous avions quittée une heure plus tôt seulement… La garde était arrivée avant nous. Je pressai le pas pour franchir le seuil de la salle suivante et ouvrir le chemin pour la Princesse. Quand je jetai un œil vers elle pour vérifier si elle me suivait toujours, la lourde porte de bois s’était refermée derrière moi.
ZELDA
J’étais tombée par terre. Avais-je trébuché sur ma robe ? Non… Alors que j’essayais de me relever, quelqu’un s’assit à califourchon sur mon dos, m’écrasant violemment contre le sol. Une main empoigna ma chevelure pour me faire courber la nuque en arrière, tandis qu’une autre pressa un morceau de tissu sur ma bouche et mon nez.
Une puanteur âpre se déversa dans mes poumons, m’envoyant subitement dans les limbes. Dans une dernière étincelle de conscience, je perçus la voix mielleuse du Vicomte :
« Êtes-vous perdue, Votre Altesse ?
Laissez-moi vous emmener en sécurité… »
LINK
Je sortais à peine de table quand les cloches sonnèrent : ce rythme et cette tonalité indiquaient une attaque de monstres. Je m’attendais à tout sauf à ça ! Mon esprit bondit instantanément sur les visions que Zelda avait eues à Lanelle : ses visions de cette momie de Ganondorf pourrissant dans les sous-sols du Royaume et y déversant sa rancœur... Etais-ce cela qui réveillait déjà les monstres ? Ou s’agissait-il seulement des derniers survivants de la guerre, lançant une ultime offensive pour partir en beauté ? Épée à la main, je me précipitai vers le combat.
« Link ! » Saki courrait à ma rencontre, pantelant. Entre deux inspirations rauques, il souffla : « Où sont les filles ? »
« Aucune idée, mais les connaissant, elles vont vouloir se battre : elles y sont peut-être déjà ! »
J’étais pressé, j’espérais que mon ton le lui avait fait comprendre et je tournai les talons. Il s’accrocha à ma manche, secouant la tête, montrant les dents. Il peinait encore à retrouver son souffle.
« Link, ATTENDS ! … Les monstres viennent de la bibliothèque… Sûrement arrivés par l’embarcadère… Les marques de craie… »
« Tu crois que ça a un rapport avec… »
« ÉVIDEMMENT! … La Tablette : cherche Zelda. »
Ses mots me firent l’effet d’une draco-batte Moblin en pleine tête. J’avais confié la tablette à Zelda juste avant le repas. Je paniquai.
« Saki, c’est Zelda qui l’a. C’est Zelda qui a la tablette ! »
« NON… !! Putain de merde, Link ! C’est tout c’qu’on te demandait ! »
« Elle en avait besoin pour … »
« J’EN AI RIEN A FOUTRE, espèce d’abruti ! Allons-y ! »
Nous partîmes en hâte vers la bibliothèque, terrifiés tous les deux. Pas besoin de m’insulter, je m’en voulais déjà assez pour me traiter de noms bien plus grossiers qu’ abruti . Je dévalais les allées en implorant les Déesses: que Zelda soit toujours en sécurité avec Impa, et qu’on les retrouve vite…
Si seulement j’étais capable de la traquer, comme elle le faisait avec l’épée! J’étais si hermétique à tous ces trucs spirituels ! Je n’avais jamais eu de ma vie ne serait-ce qu’un pressentiment, je n’étais pas capable de sentir les auras - encore moins de les voir ; je n’avais aucun souvenir du tout d’aucune de mes vies antérieures, ne pouvais pas communiquer avec mon épée à part pour trancher du monstre et quand elle, elle essayait de me parler, je ne comprenais rien du tout ! Quelle blague que mes tordus de parents m’aient appelé Link parce que ça voulait dire « Lien » : de tous les benêts de ce fichu royaume, j’étais sans aucun doute le moins apte à me connecter à qui ou quoi que ce soit!
Gosao nous rejoignit au détour d’un couloir. Il n’avait aucune idée non plus d’où étaient les autres mais, bien qu’habillé en civil, il était armé jusqu’aux dents. Bien. Nous vîmes bientôt arriver Impa en face de nous. Elle était seule et avait l’air aussi affolée que moi. Comprenant immédiatement, mon moral s’effondra… Saki attrapa Impa par les épaules.
« Impa ! Où est Zelda ? »
« Je n’en sais rien, » couina-t-elle à travers sa gorge serrée, « elle était juste derrière moi ! Une porte s’est refermée entre nous ! Impossible de l’ouvrir : solidement barrée! J’ai fait le tour par un autre couloir et je ne l’ai pas trouvée ; mais il y avait un filin par terre : ils ont dû le tendre pour la faire tomber! Ces monstres, c’est un coup monté ! Je suis tellement désolée !! Oh, Votre Altesse…!»
Je me sentais aussi impuissant qu’à Lanelle, à brandir une épée inutile contre un ennemi insaisissable. J’aurais dû trancher ce vicomte de mes deux quand j’en avais l’occasion! Saki me surprit par son sang-froid. Il tenait toujours les épaules d’Impa :
« Où est le Roi ? »
« Dans la bibliothèque : il affronte les monstres auprès de sa garde.»
« Bien. Écoute-moi, Impa. Écoute-moi ! » Il la secoua doucement et attendit qu’elle le regarde dans les yeux. « Je veux que tu ailles le rejoindre. Tu es le meilleur combattant que Cocorico ait jamais connu. Aide-le à se débarrasser des monstres, aussi vite que possible et conduis-le jusqu’à nous. Il t’écoutera. Je te laisserai des indices pour que tu puisses nous pister. Je sais que tu peux le faire ! »
Le poète maintenait délicatement le menton de la guerrière vers le sien tandis qu’il lui parlait, pour l’empêcher de détourner le visage. Elle opina douloureusement et accepta d’une voix brisée :
« Compte sur moi ! »
Impa s’élança comme une flèche vers la bibliothèque. Saki fit volte-face et, d’une voix évoquant plus celle d’un capitaine que d’un poète, il rugit :
« Les gars ! Le nouveau plan est l’ancien plan ! On les retrouve, on le surprend et on le fait pendre ! »
« Doit-on se séparer pour les chercher ? » demanda Suppa.
« Inutile! Link va nous guider. »
Saki saisit mon épaule comme il l’avait fait avec Impa et me foudroya du regard avec aigreur.
« J-je... J’en suis pas capable Saki ! Ces trucs spirituels, c-c’est son truc à elle ! J’ai essayé des dizaines de fois ! »
« Ouaip. Mais tu n’avais aucun enjeu en essayant. C’est comme ça que vous fonctionnez, tous les deux, non ? Monsieur et Madame Le Syndrome de l’Extrême Limite . » Tenant toujours mon épaule, il me donna une secousse. « Tu es tendu comme une corde de harpe ma parole ! Donne ta main. »
Il attrapa ma main gauche et enfonça son pouce profondément dans ma paume. La douleur fut vive mais, comme par magie, mon bras se détendit en quelques secondes, suivi de mon épaule et du reste de mon corps. L’Epée de Légende pendait mollement au bout de mon autre bras.
« C’est mieux. Maintenant, fais le vide dans ton esprit. Ça ne doit pas être trop compliqué pour quelqu’un comme toi. »
Il lâcha ma main ; je n’en revenais pas qu’il arrive encore à être aussi cinglant dans un moment pareil.
« Ton Epée est connectée à ta femme . Et ton épée est dans ta putain de main ! Fais corps avec elle. Laisse-la te guider. »
Faire corps … Je pris une profonde inspiration et fermai les yeux.
Lorsque j’étais en plein combat, la Lame Purificatrice était un prolongement de mon corps. Nous ne faisions plus qu’un : comme si nos âmes se mettaient à vibrer en résonance. Suivant les conseils du Sheikah, j’essayai de retrouver cet état d’esprit.
Lorsque je chevauchais Vermeille dans le vent tiède des plaines d’Hyrule, nous ne faisions qu’un : comme si mon cœur battait au rythme du martèlement de ses sabots. Peut-être n’étais-je pas aussi infoutu de me connecter que je ne le croyais…
Quand je m’étais enfouis en Zelda dans l’ivresse de notre Amour, nous ne faisions qu’un, fondus ensemble par notre passion l’un pour l’autre…
Je repensai à ce sentiment de complétion qui m’avait saisi dans ces moments-là. Et je me rappelai ce que j’avais ressenti dans la forêt, en sortant l’Epée de la pierre : c’était comme retrouver une vieille amie... Comme ce cliquetis satisfaisant quand deux pièces d’une relique s’emboîtaient parfaitement entre elles, reformant le mécanisme qu’elles étaient censés être…
La lame émit un son familier et se mit à briller.
« Oui ! C’est ça, gamin ; continue ! » chuchota Saki.
« Guide-moi, je t’en prie. Zelda a des ennuis. Guide-moi… » pensai-je à l’intention de la Lame.
« Maître… » l’entendis-je seulement répondre.
Mais à ce simple mot, tout se remit en place. Je compris… Non… Je sus que j’avais déjà été guidé sans le savoir. Une force m’avait mis sur le chemin qui me conduirait vers elles : vers Zelda, vers l'Épée de Légende, vers ma Destinée... Avant même que je ne sorte la Lame Purificatrice de son socle, nous étions liés : c’est grâce à ce lien que son éclat avait vaincu les illusions d’Astor dans la Forêt. C’est grâce à ce lien que je différenciais si facilement Zelda de Suppa déguisé. Et grâce à ce lien, je pouvais retrouver Zelda ; mille fois plus naturellement qu’avec n’importe quel détecteur ou carte. Nous étions tous les pièces d’un même mécanisme qui n’aspirait qu’à s’assembler de nouveau.
Je rouvris les yeux, glissai mon Amie dans son fourreau avec foi et me ruais dans les couloirs. Mes deux anciens ennemis, à qui j’avais donné ma confiance, m’emboitèrent le pas sans un mot.
ZELDA
Je me réveillai dans mon propre lit. Dans ma propre chambre ; celle que je n’occupais plus depuis des semaines. J’essayai de me relever, mais j’étais attachée, poignets et chevilles, aux quatre montants du baldaquin. Je forçai sur les liens, mais ils étaient robustes et serrés. J’essayai d’appeler à l’aide, mais j’étais solidement bâillonnée.
De l’autre côté du lit, le vicomte s’approcha, affichant un rictus sordide. Il prit la parole de sa voix douceâtre :
« Ah, la voilà réveillée ! Ne vous inquiétez pas, ma douce nièce. Je ne vous ai pas touchée … Cela fait si longtemps, Zelda, que j’attends ce moment. Même si vous n’êtes plus la jeune et délicieuse vierge que vous étiez alors, cela aurait été un énorme gâchis de ne pas savourer pleinement une occasion tant espérée… Et puis, voyez-vous, il se trouve que j’avais autre-chose à faire avant…»
Sa voix s’éteignit tandis qu’il s’éloignait de nouveau. J’étais confuse : ma tête bourdonnait encore de son poison. Je levai les yeux vers lui, peinant à comprendre ce qui était en train de se passer. Une arbalète chargée et armée reposait sur son bras alors qu’il regardait par la fenêtre.
« Quel temps magnifique ! Et que c’est prévenant de la part de votre ex-chevalier d’avoir mis vos deux chevaux dehors ! Était-ce également son idée d’avoir leur petit enclos visible de vos quartiers ? Maintenant dites-moi, Princesse : où rangez-vous votre Sceau Royal ? »
Toujours dans ma torpeur et distraite par son histoire de chevaux, mes yeux se tournèrent brièvement vers ma bibliothèque avant que mon cerveau ne puisse les en empêcher.
« Merci beaucoup, très chère; c’est un réel plaisir d’avoir votre pleine coopération. J’ai cru comprendre à vos choix de lectures que ce n’était peut-être pas votre cas, mais j’ai pour ma part une sainte horreur de devoir m’en prendre à d’innocents animaux. »
Il posa l‘arbalète sur mon bureau et se dirigea vers l’étagère à laquelle j’avais jeté un coup d’œil. Inspectant soigneusement les traces dans la poussière du meuble, il choisit un épais volume bleu. Je fermai les yeux tandis qu’il en ouvrait la couverture. Les pages de ce livre avaient été creusées pour que je puisse y cacher mon sceau. Il lui aurait fallu des heures pour mettre la main dessus si je n’avais pas moi-même trahi son emplacement. Alors que dans ma colère, mon poing se serrait sur du vide, je réalisai qu’il m’avait déjà pris ma bague également.
«Aaah… Le voilà! Vous n’avez pas menti, je suis si fier de vous! Peut-être vais-je laisser la vie sauve à votre petit chevalier, en guise de récompense. En vérité, il a déjà été empoisonné deux fois cette semaine mais on dirait que ce drôle de petit bonhomme peut digérer absolument n’importe-quoi! Alors… Nous avons la lettre - j’ai eu des années pour m’entraîner: je peux imiter votre écriture à la perfection. Ollie a été une si gentille fille en me fournissant régulièrement tant d’échantillons... Nous avons de l'encre, eeeet nous avons la bague ... »
Reprenant doucement mes esprits, je regardais frénétiquement autour de moi, à la recherche de quoi que ce soit qui pourrait m’être utile. J’aperçus par terre la tablette Sheikah : mon sang ne fit qu’un tour quand je compris que mes amis n’avaient aucun moyen de savoir où j'étais. J’essayai de pousser le bâillon avec ma langue afin de pouvoir crier et manquai de m’étouffer lorsque ma salive coula vers mes bronches.
« Voyez-vous, douce enfant, c’est aussi par votre femme de chambre que j’ai su la date de votre dernière Lune de Sang. Vous, les femmes, êtes toutes faites sur le même modèle… Aussi je vous sais dans votre période fertile, en ce moment même. C’est pourquoi je ne suis pas tombé dans votre piège ridicule la semaine dernière : ce n’était pas le bon moment ! De toute façon j’ai l’impression que je suis bien meilleur pour poser des pièges ; je pourrais vous apprendre, si vous voulez… »
Sa façon doucereuse de s’adresser à moi était encore plus effrayante que tout le reste. Il venait de réussir à déverrouiller mon sceau à l’aide de l’anneau et j’entendis la frappe sourde du tampon sur mon bureau.
« Très ingénieux, vraiment très ingénieux. Eh bien ma douce Zelda, vous venez de signer et authentifier une lettre déclarant que Nayru vous a fait grâce de sa Sagesse : vous avez compris que j’étais le plus apte de vos prétendants à devenir Roi. Malgré vos sentiments et votre peine, vous me choisissez car bien sûr, le Devoir d’une Princesse doit primer sur ses désirs égoïstes. Vous êtes impatiente de porter mon enfant, parce que vous savez qu’une nouvelle menace plane déjà sur Hyrule, et vous avez la certitude qu’un nouveau descendant d’Hylia, porteur du plus pur des sangs possible, sera la clef pour sauver notre Royaume. Oui, j’ai eu des rêves aussi : je sais que ce n’est pas encore fini. Au moins nous avons tous les deux conscience qu’une partie de toute cette comédie est vraie. »
Tirant de toutes mes forces sur les liens, je ne faisais que les resserrer davantage. Je sentais mes mains enfler et s’engourdir sous l’effet du garrot.
« Je vais vous faire mienne ici et maintenant et vous mettre enceinte. Vous porterez mon enfant : le plus pur des héritiers d’Hylia. Vous n’oserez le dire à personne : d’abord parce que vous vous sentirez honteuse et souillée, et par expérience cela suffit généralement à vous maintenir la bouche fermée ; ensuite parce que je tiens les vies de tous ceux qui vous sont chers entre mes mains ; et enfin, parce que je vous aurai droguée jusqu’à l’apathie. Chut, chut… Tout va bien. Il n’y a pas de regret à avoir : personne, pas même votre petit chevalier, ne voudras plus de vous vu l’état dans lequel je vous aurai mise après m’être occupé de vous... »
Des grosses conneries !! Comme si j’allais le laisser s’en tirer comme ça ! Je le tuerai moi-même, droguée ou pas ! Link ne croirait jamais une seule des foutaises de cette lettre, jamais ! Il comprendrait à la première seconde si je n’étais pas dans mon état normal ! Je le savais avec une certitude si absolue que l’espace d’un instant, j’eus l’impression que c’était Link lui-même qui le hurlait dans ma tête… ce type était fou, encore plus fou que ne l’avait été Astor ! Sa propre sensation de toute-puissance, nourrie par un long passé à abuser de la faiblesse de pauvres gens, le dévorait désormais tout comme Ganon avait dévoré le Voyant! Il continua son monologue abject en débouclant sa ceinture.
« Oh, vous ne me croyez pas, n’est-ce pas ? Ce n’est pas nécessaire. J’ai douze amis à la citadelle prêts à attester sur leur propre vie que je suis en ce moment même avec eux en train de jouer au cul-de-chouette. Alors si quelqu’un doit être accusé de l’état déplorable dans lequel vous serez après que je vous aie droguée, ce sera votre chevalier. Je trouverai aussi des témoins pour ça : c’est mon métier. Je n’ai pas besoin que les gens m’apprécient ou croient en moi ; j’ai juste besoin des lois et de preuves incontestables. J’ai des témoins, votre propre témoignage écrit, signé et scellé, et des lois qui me protègeront en tant que père de notre enfant… »
Il ne cessait de s’approcher de moi. Je pouvais désormais discerner chaque goutte de sueur sur son front. Je tentais d’invoquer mon Pouvoir Divin pour le repousser, mais s’il ressentit quoi que ce soit, il n’en montra rien.
« Vous savez que je partage votre sang, » ria-t-il, « votre pouvoir ne peut pas m’atteindre ! En parlant de choses qui pourraient échouer… Une partie de moi espère vraiment que cette saillie échouera : ainsi devrai-je réessayer à la prochaine Lune… D’ici là votre petite équipe ne sera plus un problème. Et je vous aurai détruite si profondément que je serai devenu votre unique option si vous ne voulez pas que la lignée d’Hylia s’éteigne avec vous…»
Il avait baissé son pantalon et était monté sur le lit, rampant entre mes jambes. Je tentai de lui donner des coups de genoux mais ne fis que me heurter aux liens qui retenaient mes chevilles. Un rire guttural s’échappa de sa gorge, suivi d’un râle de plaisir : il se délectait visiblement que je me débatte ainsi. Il souleva ma robe et mon jupon au-dessus de mes hanches et continua à avancer en écartant mes cuisses de ses genoux. Ça ne pouvait pas arriver ! Pas question ! Je hurlais silencieusement dans mon bâillon, rejetant cette pourriture de chaque fibre de mon être.
La porte de ma chambre vola en éclat dans un immense fracas.
SAKI
Le petit chevalier avait couru avec de plus en plus de précipitation dans les couloirs, comme poussé par un sentiment d’urgence grandissant. Sans la moindre hésitation, il avait explosé la porte de la Suite Princière d’un seul formidable coup de son épée et s’était figé, tressaillant de rage, n’osant pas faire un pas de plus.
Plus rapide que la foudre, Gosao mis en pratique l’Arcane de Fumée pour s’engouffrer dans la pièce : disparaissant juste derrière moi, je l’entendis réapparaitre quelques enjambées devant nous, dans un nuage de poudre grise, de papiers d’incantation et d’éclats de bois. Nous ne pûmes voir ce qu’il se passait que lorsque la fumée se dissipa : Gosao se tenait alors derrière le vicomte, le maintenant droit de sa serpe autour de la gorge et d’un shuriken pointé dans le dos.
« Estimez-vous chanceux que la Princesse m’ait demandé de ne pas faire couler le sang, » cracha le Yiga, « sans ça, vous seriez déjà mort. »
Zelda était allongée sur le lit devant eux. Attachée et bâillonnée. Je détournai les yeux de ses jambes nues et fis face à Link. La fureur que je lisais sur son visage et que je sentais dans son aura brûlante surpassait en intensité tout ce dont j’avais été affligé ou témoin dans ma vie. Il n’allait pas résister à massacrer Turpan. Il allait tout gâcher : la possibilité d’une enquête poussée et de jugements, ses chances de fiançailles ...
Et merde ! Pas moyen! Si je ne m’autorisais pas moi-même à gâcher leur chanson, il était hors de question que lui en ait le droit !
J’empoignai son épaule tremblante et fixai mon regard dans le sien. Je voulais qu’il puisse voir ma propre colère et mon propre dégoût en miroir ; qu’il sache qu’il n’était pas seul à les ressentir. Son épée tremblait dans son poing crispé. Je concentrai mon esprit sur son chi: rouge et noir, embrasé de la haine qui s’insinuait dans chacune de ses veines, envahissant tous ses méridiens… Il n'existait pas de rapide technique d’acupression pouvant calmer une telle tempête... J'ouvris mon propre flux vital, dans le but d’éponger autant de son énergie corrompue que possible : il fallait l’en soulager avant qu’il ne perde la tête. Mon estomac se souleva face à l'intensité de cette Rancœur intangible, qui se déversait en moi comme une coulée de boue.
Jetant un coup d’œil par-dessus la tête de Link, j’aperçus Impa arriver : je n’avais jamais été aussi heureux de voir un visage de toute ma vie. Rhoam et la garde royale étaient derrière elle… Je dis tout haut, peut-être autant pour moi que pour lui :
« C’est bientôt fini, mon ami. Le Roi arrive avec Impa. Plus que quelques secondes à tenir… »
Son regard avait viré de la frénésie à la supplication alors que ses yeux s’étaient tournés vers le visage de Zelda. A la seconde où Rhoam mit un pied dans la pièce, Link me poussa de côté pour lui emboîter le pas. Il fit virevolter son épée ; non pas pour tuer le juge mais pour couper les cordes qui retenaient notre Princesse. Libérée, Zelda s’arracha elle-même son bâillon et se jeta dans les bras de Link... Je n’arrivais même plus à être jaloux.
Rhoam était sans voix: la bouche entre-ouverte dans sa barbe blanche, il observait avec épouvante le juge dressé sur ses genoux sur le lit de sa fille. Comprenait-il seulement ce qu’il voyait ?
« Le Vicomte Turpan a tenté de violer votre fille, Votre Majesté. Il a également orchestré l’attaque des monstres pour faire diversion et la subtiliser à la surveillance de son chaperon. Link, Gosao et moi-même sommes arrivés juste à temps. »
Je crus un instant que le roi allait vomir.
« Il s’agit là d’une grotesque mise en scène, Votre Majesté ! Je suis sûr que vous n’allez pas croire ces enfants ! J’ai une lettre de la main de Zelda prouvant que j’avais son consentement !» Gosao resserra ses armes sur lui.
«Je n'ai écrit ni signé AUCUNE lettre! Il m'a droguée et a volé ma bague et mon sceau pendant que j'étais ligotée! Vous avez TOUS pu constater que je l'étais! »
La voix de Zelda était si rauque… Elle se leva, échevelée et avec ses entraves encore suspendues à ses poignets meurtris; pourtant, elle avait plus que jamais l’air d’une Reine. Elle continua:
«Ce n’est pas seulement une tentative de viol : c’est du vol, de la falsification et de l’usage de faux… De la haute trahison! Et deux tentatives de meurtre par empoisonnement, qu’il a avouées lui-même, envers le Héros! »
Elle regarda Link qui s’était levé à sa suite et se tenait juste derrière elle. Ils échangèrent un regard inquiet avant que Zelda ne reprenne la parole.
«Gardes! Ne laissez rien de ce que vous avez vu s’ébruiter et bouclez le château jusqu'à ce que nous ayons tiré les noms de tous ses complices de sa répugnante bouche! J'ai déjà des doutes concernant Rashell, le nouveau commis de cuisine ; Bellan et Weyson qui travaillent tous les deux pour le Contrôleur Général des Finances, ainsi que ma propre femme de chambre Ollie. Je veux qu'ils soient tous placés en garde à vue aujourd’hui même et ce jusqu'à ce que nous ayons eu le temps de les interroger! »
Le capitaine de la garde royale s’inclina respectueusement et envoya la moitié de ses hommes exécuter les ordres de leur Reine. Le véritable Roi s'avança vers Turpan, le saisit par le col et le souleva au-dessus de son poing de sa force colossale. Le juge et sa nouille disgracieuse pendouillaient aussi misérablement l’un que l’autre désormais.
Zelda expliqua, peut-être plus pour nous que pour le Roi:
« Il attendait ma période de fertilité ! Il ne voulait pas seulement me profaner, il avait prévu de me mettre enceinte ! Il croyait pouvoir nous lier par un héritier et se mettre sous la protection des Vieilles Lois ! »
A ces mots, le Roi lança le Vicomte de toutes ses forces : l’odieux personnage heurta violemment le mur et tomba au sol comme une poupée de chiffon.
« QU’ON LE METTE AUX FERS !!! » hurla le Roi. Deux de ses gardes emportèrent l’homme à moitié assommé sans prendre la peine de lui remonter son pantalon. Gosao les suivit avec dévotion. Rhoam fit un pas vers sa fille :
« Ma chère Zelda, je… »
« Laissez-moi,» rétorqua-t-elle, « admirez bien la belle protection que vos chères traditions m’ont apportée, à moi et à ma lignée , et laissez-moi avec des gens capables de penser par eux-mêmes ! »
Elle se tourna vers son chevalier qui l’enveloppa de ses bras alors qu’ils se rasseyaient ensemble au bord du lit. Vaincu, Rhoam fit un signe de tête à Link avant de partir et le garçon le lui rendit, acceptant sans un mot la mission de prendre soin d’elle.
Au départ du Roi, Zelda se mit à sangloter dans le cou de son amant tandis qu'Impa s’écroula par terre en larmes, cachant son visage dans les paumes de ses mains. Hyrule était bénie avec ces filles si fortes, qui avaient attendu de se sentir parfaitement en sécurité avant de laisser paraître le moindre signe de faiblesse. Je me sentais béni également, d'une certaine manière : de faire partie de leur refuge...
Zelda venait de traverser l'enfer même, sans vaciller… Les larmes d'Impa, quant à elles, ne découlaient que d'un immense soulagement, d'une bonne dose de compassion féminine et peut-être d'une pincée de culpabilité; du moins le supposai-je. Je m'assis en tailleur à côté d'elle et posai amicalement une main sur son épaule.
"Eh là, c'est fini! On a tous super bien géré, et on a réussi ! ». En guise de réponse, elle vint appuyer son front sur ma poitrine en pleurant de plus belle...
"Hopopopo, un peu de tenue, mademoiselle… Un tel comportement est inapproprié pour une Dame de votre rang!"
Je n'en pensais pas un mot, tout fasciné que j'étais de découvrir un côté sensible à l'impitoyable Impa. Mes doigts s'emmêlaient avec bonheur dans ses longs cheveux platine et mon pouce, vagabondant entre ses omoplates l’invitait à rester.
«Mais quel cœur d’artichaut, » murmurai-je, « non mais regarde-toi: qui pourrait croire que c’est toi la guerrière entre nous deux, hein?»
Eh merde… Mieux valait qu'elle reste là encore un peu… Juste au cas où je me mettrais à pleurer aussi.
LINK
Par-dessus l’épaule de Zelda, j’avais regardé le Roi fracasser cette pourriture contre le mur. Il allait payer pour ce qu’il avait tenté de faire, il allait payer pour ce qu’il avait fait, et le fait qu’il soit encore en vie nous permettrait de démanteler tout son réseau de salopards avec lui. Ensuite, il serait pendu : ainsi mourra-t-il sans que le sang d’Hylia ne soit versé.
Je le savais. Et pourtant rien au monde ne m’avait jamais semblé aussi insurmontable que de rester planté là sans le mettre en pièces.
Pendant que je courais vers Zelda guidé par nos liens, je pouvais sentir ce qu'elle ressentait, de plus en plus clairement, comme si mon âme avait pris un peu d’avance et se tenait déjà à ses côtés. Ma colère avait grandi en même temps que sa terreur... Si j'avais été seul dans cette épreuve, j'aurais détruit beaucoup plus que cette porte ...
Mais seul, je ne l’étais pas : l'Épée de Légende répugnait à faire couler le sang de sa créatrice, je n’entendis plus sa voix ce jour-là mais sa réticence était comme une force qui retenait mon bras ; Saki avait été un soutien également, au sens propre, et de par sa sagesse. En fait, nous ne serions même pas arrivés à temps sans son infaillible sang-froid et ses conseils. Je ne savais pas si il avait été sincère en m’appelant « ami » mais pour ma part, j’étais tout à fait prêt à le compter parmi les miens ; aussi cynique qu’il puisse être… Mais plus que toute autre chose, ce fut le courage qui brûlait dans les yeux de Zelda, même dans ce moment d’angoisse et d’humiliation, qui m’avait retenu… Je pouvais sentir dans ma propre poitrine sa volonté de mettre un terme à tout ça… Elle… Non : nous ne tolèrerions pas ce genre de choses sous notre règne.
Quand ses pleurs se calmèrent, je l’éloignai de moi pour l’aider à se débarrasser du bâillon qui pendait encore à son cou, et des liens tranchés encore attachés à ses chevilles et ses poignets. Sa peau était profondément éraflée et une nouvelle bouffée de colère m’envahit. Comme pour étouffer les flammes de ma haine, elle se blottit de nouveau contre moi.
« Ça me rappelle les lanières de mes sandales… Tu te souviens ?»
Bien sûr que je m’en souvenais. C’est ici même, de l’autre côté de ce lit, que je l’avais aidée à se soigner après le combat contre Ganon… Surmontant enfin l’état de choc qui m’avait une nouvelle fois rendu muet, je répondis :
« Oui… Je suis content d’avoir fait plusieurs pots de ma pommade à Necluda : le premier est déjà presque fini… Je vais prendre soin de tes blessures, ma Grenouille… Je vais prendre soin de chacune d’elles.»
*************
Chapter 14: Parole
Summary:
Le sordide juge Turpan a été mis hors d’état de nuire.
Mais qu’en est-il du poison qu’il a su instiller dans nos deux héros ?
Chapter Text
‘’Quand on peut accomplir sa promesse sans manquer à la justice,
il faut tenir sa parole.’’
- Confucius
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IMPA
Les évènements de Sartag avaient beaucoup chamboulé notre routine. Fort heureusement, le tumulte avait été entièrement attribué à l'attaque des monstres, et le peu d'informations qui avaient filtré concernant l'enlèvement de Zelda avaient été rapidement reléguées au rang d’invraisemblables rumeurs - ne compromettant ainsi pas nos futures investigations.
Je laissai Link et Zelda se soutenir mutuellement autant qu’ils le voulaient ce jour-là, et ni Saki ni Rhoam n'osèrent y émettre la moindre objection. Au Banni cette arnaque de tradition! Sa Royale Majesté et sa fille avaient eu une longue conversation à ce sujet dans l’étude privée du Roi. D'après ce que Zelda m'en dit par la suite, Rhoam s'était platement excusé et avait proposé de tout annuler compte tenu de la situation… Mais Zelda avait refusé. Elle était reconnaissante qu'il admette avoir eu tort, mais elle savait qu’une annulation serait source d’un monumental remue-ménage… Nous avions au contraire besoin que les choses se tassent comme si de rien n'était si nous voulions avoir une chance de «nettoyer la Citadelle de toute sa crasse». Ainsi, aussi surprenant que cela puisse paraître, la cour traditionnelle devrait se poursuivre dès le lendemain matin…
Bien évidemment le Vicomte en était désormais exclu. Jeté dans les cachots avec ses complices et sous haute surveillance, il subissait un interrogatoire rigoureux laissant très peu de place à la bienveillance...
Gosao s’était de lui-même présenté au Roi, lui rappelant qu’il avait pointé son arme sur un autre prétendant et annonçant qu’il se soumettait l’exclusion qui, selon les règles, en résultait. Sa Majesté lui assura qu’il n’avait à aucun moment envisagé de le punir pour avoir porté secours à sa fille, surtout qu’en l’occurrence, aucune goutte de sang n’avait été versée… Malgré tout, Gosao insista sur le respect des règles : je crois qu’au fond, il cherchait juste une excuse honorable pour s’en aller.
Le baron Hughie quant-à-lui, complètement inconscient de la gravité de la situation, eut le culot de s’offusquer de s’être vu poser un lapin! Bien sûr, il ne fut pas mis au courant de l’enlèvement ni de la tentative de viol sur la Princesse pendant l’heure supposée de leur rendez-vous… Mais il aurait pu tout de même avoir conscience de l’attaque des monstres !
En termes de prétendants, il ne restait plus que lui, le jeune Duc, Link et Saki…
Saki… Je m’étais sentie si bête après avoir pleuré dans ses bras comme une chochotte ! Depuis lors, l’anxiété qu’il provoquait en moi n’avait fait que se renforcer de jour en jour, me rendant invariablement malhabile en sa présence. Je ne discernais même plus les raisons d’une telle crainte mais j’entrais à chaque début d’entrevue dans un cercle vicieux d’agitation. Un matin, il arriva très en avance, et demanda à Karl-Olef la permission de se joindre à nous. J’en fus si effarouchée que j’en fis tomber mon sablier! Je ne savais même plus dans quel sens j’étais censée le remettre sur la table... Pathétique ! A mon grand désarroi, le jeune duc accepta avec joie.
A partir de ce jour, Saki vint jouer avec le Duc et la Princesse presque tous les matins, proposant également à Karl de rester jusqu’à midi : j’étais souvent obligée de prendre part aux jeux afin de respecter la parité… Je n’étais pas sûre que ce soit bien équitable, puisqu’ils doublaient quasiment leur temps de cour, mais cela n’enfreignait à ma connaissance aucune règle puisque les deux garçons renouvelaient chaque jour leur accord. Et puis, ce n’était pas comme s’ils essayaient vraiment de la séduire… J’en étais tourmentée chaque matin: redoutant à chaque instant l’arrivée de Saki autant que je me sentais inexplicablement vide après son départ ; le cherchant du regard en permanence mais refusant de croiser le sien… De quelle curieuse maladie étais-je donc affligée ?
Link nous rejoignait parfois aussi, puant encore le cheval ou la transpiration et se faisant accueillir par son rival d’un sarcasme tout frais à chaque fois. Il ne se gênait plus pour embrasser ou enlacer Zelda devant Saki, qui semblait en outre ne plus s’en émouvoir.
Le chevalier avait l’air préoccupé et songeur. Il avait insisté pour récupérer la tablette Sheikah et la gardait constamment avec lui. Peut-être de peur que Zelda disparaisse de nouveau… Pendant ses séances, qu’on avait décalées à l’horaire de Gosao, nous tirions un rideau à travers la pièce et je m’occupais à la réalisation d’une tapisserie pour les laisser tranquilles autant que possible.
LINK
Quelques jours s’étaient déjà écoulés depuis l’effroyable expérience avec le Juge. Contre toute attente, la cour traditionnelle ne fut pas annulée. J’étais un poil médusé en apprenant que c’était une décision de Zelda elle-même… Je comprenais son raisonnement, bien entendu, mais faire semblant de la continuer pour quelques semaines seulement aurait été largement suffisant ! Pourquoi nous infliger de supporter les trois mois de cet enfer ?
Je m’abstins cependant de lui en faire le reproche ouvertement. Pour l’instant, Zelda et moi avions tous les deux besoin du réconfort que seul l’autre pouvait lui apporter, et le peu de temps que nous offraient nos rendez-vous programmés était bien trop précieux pour être passé à se disputer…
Elle cachait ses poignets écorchés sous ses gants blancs, ne les ôtant que pour me laisser panser ses plaies comme je le lui avais promis... Nous étions en sécurité désormais, sans le vicomte pour la torturer ou nous menacer... On m'avait donné des antidotes contre toutes sortes de poisons, juste au cas où. Cela dit, je n'avais montré aucun signe d’intoxication, et bientôt Zelda et Impa théorisèrent que c’était peut-être grâce aux cailloux que j'avais pris l'habitude de grignoter : ils avaient agi comme un bézoard , me dirent-elle avec une profonde fascination, et avaient épongé le poison dans mon estomac... J’avoue, j'avais juste pris goût à leur croquant, mais sachant que ça m'avait sauvé la vie... Plus personne ne me convaincrait jamais d'arrêter d'en manger !
Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter non plus pour les prétendants restants : Karl était un agneau, Hughie était un pauvre type mais pas du genre dangereux, et Saki était un allié, maintenant… S'il n'avait pas été aussi assidu avec ses entrevues, j’aurais même pu croire qu'il avait renoncé à courtiser Zelda...
Et pourtant, malgré tout, ma chère et tendre ne semblait plus se sentir en sécurité nulle part ; pas même avec moi. Elle continuait à chercher mes bras et ma tendresse mais elle flanchait ou se figeait à chaque fois que nos baisers se faisaient plus charnels. Je ne pouvais pas vraiment la blâmer après ce qu'elle avait vécu, même si j’en souffrais... Cela me ramenait à cette époque douloureuse de la fin de la guerre, quand j'étais persuadé qu'elle avait peur de moi… Sauf que désormais, cet enfoiré de juge avait rendu mes craintes réelles ! M'abstenir de descendre dans les cachots pour déchaîner ma colère sur ce sac à merde était toujours une épreuve quotidienne.
Les journées me paraissaient interminables... Je m’occupais des chevaux chaque matin, les libérant dans leur enclos dès que le temps le permettait. Un jour, je partis même avec Vermeille faire un tour dans la plaine et dans la Vallée du Néant. Elle semblait ravie de retrouver l’enivrement des grands espaces, et je l’étais aussi. Mais je ne m’étais accordé cette balade que pour aller vérifier quelque chose…
Dès mon retour, je commençai à préparer mon départ pour plusieurs semaines : tente, sac de couchage, habits hivernaux, de quoi chasser, de quoi cuisiner, de quoi creuser... Je rangeai tout ça dans les sacoches que Noïa avait agrandies pour nous.
J’allai voir Rhoam en premier : à quoi bon stresser Zelda alors que j’ignorais encore si son père allait autoriser mon escapade? Je lui expliquai tout : mon mal-être et mon projet, la nécessité de le mettre en œuvre dès maintenant; pourquoi ça ne pouvait pas attendre l’hiver et le fait que nous serions sûrement trop occupés l’an prochain... J’arguais même que mon absence m’assurerait de ne pas faire de faux-pas auprès du peu de prétendants qu’il restait… Il tenta de me dissuader mais ne s’opposa pas à mes desseins ; je lui fis cependant promettre de ne rien en dire à sa fille, au cas où je ne reviendrais pas…
ZELDA
Turpan croupissait dans les donjons du château, gardé par les membres les plus loyaux de la Garde Royale. Nous avions déjà tiré des noms et des lieux de l’immonde latrine qui lui faisait office de bouche. Je devais laisser la suite de l'enquête entre les mains d'experts, mais même si Saki et Impa m'assuraient que je pouvais compter sur les espions Sheikah qui en avaient été chargés, il m'était difficile de me résoudre à déléguer...
Link avait l’air absent depuis plusieurs jours. Quelque chose le tracassait visiblement mais il refusait de m’en dire quoi que ce soit : il avait repris cette attitude taciturne et secrète qu’il avait parfois, et qui le murait dans le silence. Je me demandais si c’était ma faute… Si c’était parce que j’étais plus… Distante.
Alors que nos caresses avaient été si naturelles il n’y a pas si longtemps, le simple fait d’entendre sa respiration s’accélérer lorsqu’il me désirait me rappelait cet horrible moment avec le Juge. Même si Link et mes amis avaient réussi à l’arrêter avant qu’il ne puisse… Oh, Hylia… J’avais l’impression que cette expérience avait suffi à casser quelque chose en moi…
Un jour, pendant notre rendez-vous quotidien, après que j’aie une nouvelle fois tressailli de peur sous ses baisers impatients, Link s’était levé pour aller se planter devant la fenêtre. Le regard perdu au loin, ses tics nerveux et ses nombreux soupirs trahissaient sa contrariété. Je m’en voulais tellement de réagir ainsi ! C’était si absurde : il avait mon amour, il avait ma confiance, je voulais toujours qu’il m’ait, moi, toute entière ! Et pourtant, j’avais beau essayer de me raisonner, c’était comme si mon corps avait gardé une appréhension bien à lui… Après un silence prolongé, Link se retourna vers moi et me lâcha, de but en blanc:
« Zelda, je vais quitter le palais. »
Devant la stupeur qu’il devait lire sur mon visage, il revint s’asseoir près de moi, pris mes mains dans les siennes et précisa :
« C’est juste pour quelques semaines, ne t’inquiète pas. Deux mois tout au plus. Je te promets de revenir pour le bal du Solstice... »
J’étais horrifiée à l’idée de ne pas le voir pendant deux mois entiers !
« Mais… Non ! Tu ne peux pas ! Pourquoi veux-tu partir, Link ? Est-ce que c’est parce que je … »
« Non, mon Amour, ce n’est pas pour quoi que ce soit que tu aies fait, ou pas fait, tu m’entends ? Tu as juste besoin de temps… Et quant à mon départ, c’est juste que j’ai quelque chose à faire… Quelque chose d’important que je veux absolument régler avant nos fiançailles… »
Je ne comprenais pas ! Qu’est-ce qui pouvait l’obliger à m’abandonner en pleine cour, moins d’une demi-lune après le sale coup du juge ?
« Quelque chose de plus important que moi ? »
« Non. Non, ma Grenouille, voyons… Pas plus important, mais peut-être pas beaucoup moins … Écoute, tu es en sécurité maintenant et de toute façon, on ne peut se voir qu’une petite heure par jour… »
Il continuait à m’expliquer pourquoi je ne devrais pas m’offusquer ainsi de son départ, mais je ne l’écoutais déjà plus. Je m’étais soudain rappelé ce jeu que nous avions fait au Laboratoire : son aveu d’être tombé amoureux d’une fille il y a plus de dix ans, et de n’avoir jamais cessé de l’aimer. C’était naturel après tout : des semaines à me voir être courtisée par d’autres hommes lui avaient sûrement rappelé que lui aussi avait d’autres options. Des options qui ne lui imposeraient jamais de porter une couronne et de se conformer à des pratiques grotesques comme celle-là! Des options qui ne l’enfermeraient jamais dans un château. Des options qu’aucun homme n’avait jamais « cassées » en essayant de les prendre de force...
Pleine d’amertume, je lui demandai :
« Ça a quelque chose à voir avec cette autre fille, n’est-ce pas ? C’est ça que tu as à régler ? »
« … Quelle autre fille? »
« Ne fais pas l’innocent avec moi. Celle dont tu avais parlé au laboratoire ; celle dont Pru’ha te demande toujours des nouvelles, depuis lors… »
« Ah, celle-là … » Il sourit tristement. « Oui… Oui ça a tout à voir avec cette femme-là, ma Luciole… »
Je sentis mon cœur se briser et ma tête tourner. Lui me regardait avec mélancolie, caressant mon visage de sa main comme s'il m’avait dit des mots tendres. Je détournai la tête.
« Ne me touche pas, Link. »
« Zelda, ma puce… Écoute … »
« J’en ai assez entendu. Laisse-moi. »
Je refusais de l’écouter, je refusais de le regarder : je voulais juste qu’il s’en aille pour qu’il ne me voie pas pleurer !
« Va-t’en, Link. Puisque c’est ce que tu veux. »
« Pas comme ça, Zel’! Je dois partir au plus tôt… On n’a pas … »
« Va-t’en !! » lui hurlai-je.
Je le repoussai physiquement en plus de verbalement cette fois : frappant son torse et son bras de mes poings. Il se leva. Je l’entendis avaler bruyamment sa salive ; j’imaginais très bien le dégoût affiché sur son visage. Puis, il obéit et partit en trombe tandis que je m’effondrai par terre en pleurs sous le regard désemparé d’Impa.
SAKI
Brun de Van Dyke. C’est comme ça que s’appelait cette couleur sur les tubes de peinture qu’utilisait ma mère, lorsqu’elle était encore là : un mélange lugubre de suie grisâtre et d’oxyde de fer... Et ce jour-là, quand j’arrivai à la bibliothèque pour notre partie quotidienne de jeux de société, c’était la couleur de leurs auras.
Karl-Olef sembla soulagé de mon arrivée et bien que sa séance soit à peine entamée, il prit congé immédiatement, prétextant ne pas se sentir bien. Il me fixa d’un air entendu comme pour me confier ses deux amies.
Impa me lança un regard misérable avant de retourner son attention vers Zelda. Les yeux de la Princesse étaient rougis par le chagrin, faisant ressortir les nuances émeraude de ses iris.
C’est Impa qui m’expliqua tout : le jeu au Laboratoire, l’autre fille, la décision soudaine de Link... J’étais en colère contre le garçon : faire un coup comme ça après tout ce qu’ils avaient traversé ! Et pour une fille qui à priori savait à peine qu’il existait…? Ça ne ressemblait pas à l’image glorieuse qu’elles avaient réussi à m’enfoncer dans le crâne ! Zelda était catastrophée. Des sanglots incontrôlables la reprenaient à tout moment.
Et puis Link arriva.
Il portait l’armure de cuir hylienne au-dessus d’une tunique de laine vert-sève, et un bonnet assorti, long et pointu, absolument ridicule: s’il partait vraiment pour un plan drague il était mal barré. Ses sacoches de selle jetées sur une épaule, il était visiblement prêt à prendre la route. Il nous salua d’un geste hésitant de la main, puis déposa son paquetage et son bonnet à l’entrée de la bibliothèque et descendit l’escalier, sans un mot.
Zelda se remit à sangloter de plus belle en le voyant et détourna la tête avec indignation. Je faisais de mon mieux pour ne pas le fustiger avant d’avoir pu écouter sa version de la mélodie.
« Zelda… Je m’en vais… Je voulais juste te dire au revoir… »
« Voilà qui est fait ! Au revoir, Link. »
« Ma Luciole… Je ne peux pas te laisser comme ça… »
« Ta décision. Ton problème.»
« Mais c’est important, pour toi aussi! Je dois y aller… Je t’en prie, ne nous oblige pas à nous séparer comme ça…»
« Par les boules de feu de Din, » explosa Impa, « tu es sacrément gonflé de lui faire des reproches alors que c’est toi seul qui l’as mise dans cet état ! Qu’est-ce qui t’est passé dans le ciboulot en lui avouant que tu partais régler tes histoires avec l’autre fille ?! »
« Je sais ! Mais pour l’Amour de Nayru, c’est ce qu’elle a entendu ; pas ce que j’ai dit ! J’ai essayé de lui expliquer mais elle ne veut plus rien entendre ! »
« Qu’y a-t-il à expliquer ? » demandais-je calmement.
« Cette histoire de fille dont Zelda fait tout un fromage ! » Sa voix grinçait comme une corde de violon en train de céder. « Mais peut-être que je devrais juste mettre les voiles et vous laisser demander à l’armée de vous parler d’elle pendant que je serai loin ! Oui bonne idée, tiens : allez demander au vieux Colonel Eghi, ou à Sedio-n’a-qu’un-œil de la garde Royale ! Ils vous en parleront, si jamais ça vous intéresse. Ils se sont foutus de ma gueule pendant si longtemps à cause de cette fille! » Les yeux de Link étaient perlés de larmes amères lorsqu’il les arracha de Zelda. « Au revoir, Votre Altesse… Prenez soin de vous… »
Il commença à s’éloigner, blessé, sa propre aura reflétant celle de sa Princesse aussi bien qu’avec un miroir. Ras le bol de ces insupportables morveux toujours en train d’essayer de gâcher leur chanson… !
« Hopopopopo, attends une minute, gamin ! Assieds-toi et raconte-moi ton histoire de fille, s’il te plait. Je me moque de savoir si son Altesse veut l’entendre ou pas : moi je le veux. J’aime ça, les histoires, tu vois! J’en ai même fait mon métier ! Et je préfère toujours quand elles sont racontées du point de vue du protagoniste.»
J’étais quand même un peu vache pour Zelda, car elle n’avait aucun droit de mettre un terme prématuré à une de nos séances et nous en avions tous conscience. Si Link décidait de tout me déballer, elle n’avait aucun moyen de s’y soustraire. Impa me jeta un regard inquisiteur, ne sachant plus sur quel pied danser. Link prit quelques secondes pour étudier l’opportunité que je lui offrais.
« Je te l’ai dit. On s’est déjà payé ma tête pendant dix ans à cause de ça : d’une, je n’aime pas la raconter et de deux, je n’ai aucune envie de t’inspirer une nouvelle ode au cynisme. »
« Je te promets que je n’en ferai rien ! Tu as ma parole d’honneur et deux témoins qui m’ont entendu te la donner ! Et puis j’ai ma fierté : je ne fais pas dans le réchauffé. »
« Ça… Ça risque de prendre un temps fou à raconter : je ne voudrais pas interférer avec ta séance …»
« Ma séance ? Tu te fous de moi ? Regarde-la ! … Allez, poses ton cul et crache le morceau, nom de Farore ! »
Il revint bon gré mal gré, plus renfrogné que jamais. Il attrapa en route une chaise d’une autre tablée et la ramena vers le bout de notre table pour pouvoir s’asseoir près de Zelda. Il prit trois, quatre grandes inspirations pour se ressaisir, les mains crispées l’une sur l’autre dans sa nervosité. Quand il commença son récit, ce fut sur un ton neutre et posé.
« Si tu veux réussir à comprendre cette histoire, Saki, il faut que je te la raconte depuis le tout début. Je suis né à Elimith, d’où mon père, un chevalier provincial, était lui aussi originaire. Il avait épousé une femme venant d’Ecaraille, qui avait bien du mal à s’intégrer au village. Pas seulement parce qu’elle était petite et au teint foncé, avec des yeux d’un bleu inhabituel, mais surtout parce qu’elle savait préparer des remèdes à base de plantes, de petits animaux ou de morceaux de monstres... Les gens l’ont vite considérée comme une sorcière, et l’appelaient ainsi... Et si ils n’avaient aucun problème pour venir chez nous quémander des potions à ma mère chaque fois qu’ils en avaient besoin, ils ne l’ont pour autant jamais tout à fait acceptée.
J’avais quatre ans quand Maman est tombée de nouveau enceinte : qu’est-ce que j’étais content à l’idée d’avoir un petit frère ou une petite sœur ! Quand elle a commencé à avoir mal au ventre, mon père était en service. C’était beaucoup trop tôt: elle n’attendait pas le bébé avant la saison suivante... Elle perdait énormément de sang et aucun de ses philtres n’a pu l’aider. Je suis allé tambouriner à toutes les portes du village pour chercher de l’aide, mais personne n’est venu. Personne. Quand je suis rentré à la maison, elle était morte dans une mare de sang ; avec ma minuscule petite sœur, écarlate, posée sur son ventre. Elle était si petite, si maigre… Elle était née trop tôt pour survivre. Elle ne ressemblait même pas vraiment à un bébé… »
Malgré sa voix maîtrisée, le pauvre gamin tremblait en se remémorant son passé. Impa avait les larmes aux yeux et Zelda avait arrêté de sangloter : elle avait beau s’obstiner dans sa bouderie, je savais qu’elle l’écoutait attentivement, et souffrait avec lui.
« Mon père est rentré deux ou trois jours plus tard. Il m’a trouvé dans le jardin, en train d’essayer de creuser une tombe avec ma petite pelle d’enfant. C’était l’été, il faisait chaud et la terre était tellement dure ; je n’avais pas creusé grand-chose... Personne n’était venu entre-temps vérifier si on allait bien, ni s’occuper des corps. Ni s’occuper de moi... Comme s’ils avaient été terrifiés à l’idée de traverser le petit pont de bois qui menait chez nous…
Moi, j’avais eu le temps de m’habituer, mais pour mon père, entrer dans cette maison qui empestait la putréfaction… Ça a été terrible. Quand il a arrêté de hurler et de pleurer, il m’a donné à manger puis nous avons fini de creuser la tombe. Nous les avons enterrées ensemble, en essayant de ne pas prêter attention aux asticots. Ma petite sœur nichée dans le cou de notre mère… Personne n’est venu ; personne n’a dit un seul mot pour elles, même pas moi… Je n’ai pas pu… Je suppose que c’est depuis ça que parfois je… Je peux pas... »
Les paupières de Link se scellèrent un instant, faisant rouler de grosses larmes silencieuses vers le sol. Sous le coin de la table, je devinai que Zelda, bien qu'évitant toujours son regard, lui avait saisi la main. Il prit quelques instants pour étouffer des sanglots naissants avant de reprendre.
« Après ça, mon père est allé faire savoir aux gens du village ce qu’il pensait d’eux. Quand il est revenu, il a fait nos bagages et m’a emmené avec lui. Il est reparti à ses affectations sur le barrage de la Luterrane, et m’a confié à une nourrice au Domaine Zora... C’est à ce moment-là que je suis devenu ami avec Mipha, Kodah, Byrotan et les autres. J’étais comme un poisson dans l’eau parmi eux, malgré nos différences. Enfin, j’avoue : j’ai dû en mettre des coups de poings dans les branchies pour faire ma place... Mais au final, j’avais trouvé une vraie famille en eux… »
La fameuse « autre fille » était-elle un poisson, du coup ? Pouvait-il s’agir de la jeune Princesse Zora ? Je m’abstins de tout commentaire et le laissai continuer.
« Quelques années ont passé comme ça… J’étais heureux, vraiment. Mon père venait me voir tous les jours : souvent il m’emmenait patrouiller avec lui, il m’apprenait le maniement des armes et me laissait m’entrainer avec ses hommes. Il était si fier de moi ! Et puis un jour, Sa Majesté la Reine est morte. »
Zelda frémit à l'évocation soudaine de sa propre mère.
« Nous avons accompagné la garnison à la Citadelle pour lui présenter un dernier hommage. Il y avait des milliers de personnes de part et d’autre de la route où allait passer le cortège. Des gens qui ne la connaissaient pas pleuraient comme s’ils avaient perdu un proche… Ils s’étaient vêtus de noir, avaient apporté des bouquets de fleurs… J’étais tellement en colère ! Pourquoi des milliers d’inconnus se lamentaient pour cette femme, pourquoi est-ce qu’ils se bousculaient pour une chance de seulement apercevoir son cercueil, pourquoi étions-nous venus d’aussi loin, alors que personne n’avait daigné seulement traverser un foutu pont quand ma propre mère était morte ? C’était injuste, j’étais furieux ! »
Le visage de Zelda s’était décomposé alors qu’elle commençait, tout comme moi, à comprendre ; qui était cette fille, pourquoi il n’avait jamais pu se résoudre à lui en parler... Link se pencha vers sa Princesse pour continuer, parlant tout bas, tenant sa main dans les siennes.
« Et puis le cercueil est passé. Et derrière lui, une petite fille d’à peu près mon âge. Elle était tellement jolie ! Et tellement digne alors qu’elle marchait derrière le carrosse mortuaire qui emportait sa mère : pas une seule larme sur ses joues, rien qui ne pouvait trahir sa peine. Et pourtant je la sentais là, en moi : toute son épouvantable souffrance, me coupant le souffle comme si c’était la mienne. A ce moment-là, j’ai pensé que c’était seulement parce que j’avais moi-même vécu la même perte… Maintenant, je sais que c’était bien plus que ça. J’avais envie de la prendre dans mes bras aussi fort que j’en ai envie, là, maintenant… »
Pour le coup, la Princesse n’était plus aussi digne que dans l’histoire de son chevalier : en larmes, elle s’était remise à hoqueter et reniflait éhontément. Elle approcha sa chaise de celle de Link pour pouvoir se blottir contre son cœur; il referma ses bras sur elle en poussant le plus profond des soupirs qui n’ait jamais retenti en Hyrule et continua.
« Il aura fallu neuf ans avant qu’elle ne sache que j’existe mais moi, déjà à l’époque, j’ai dit à mon père que c’était elle : je lui ai dit que quand je serais grand ce serait avec elle que je me marierais, que je ferais en sorte qu’elle ne soit plus jamais triste… Comme je vous ai dit, toute la garnison en a ri pendant des années. Face à ma naïveté enfantine, mon père a seulement répondu, avec sa grosse voix : Fils, c’est de la Princesse d’Hyrule, de l’héritière du trône dont tu parles. Les Princesses n’épousent pas les rats des champs comme nous … Je n’ai pas compris tout de suite, car ma meilleure amie était aussi une princesse et qu’elle ne m’avait jamais traité de rat… Mais ils ont fini par me convaincre que ma seule façon de pouvoir lui offrir ma vie, c'était en mourant pour elle sur le champ de bataille. Alors dès que j’ai pu, je suis entré dans l’armée… Voilà, Saki. Je crois que la suite, tu la connais… »
« Tu as été élu par l’Épée de Légende et tu as gagné le droit de prétendre à sa main…»
C’est Impa qui me répondit, un peu hébétée :
« Non… Il… Il n’en savait rien ! Il a combattu toute la guerre à ses côtés persuadé qu’il était toujours indigne d’elle et à en désespérer. C’est moi-même qui lui ai appris son statut, il y a quelques semaines seulement, dans un moment de grande détresse… Je comprends mieux, maintenant, ce qu’il m’a dit ce jour-là…» Elle se tourna vers Zelda. « C’était la veille que vous partiez au laboratoire pour l’inventaire, Votre Altesse… J’ai dû l’empêcher de se faire du mal…»
Zelda sembla se remémorer quelque chose et laissa s’échapper un hoquet de surprise.
« Tes blessures aux mains… ! Oh Link, je te demande Pardon … Je suis une abrutie… »
« Encore une bonne raison de croire qu’on est faits l’un pour l’autre… » lui répondit-il avec tendresse sans la contredire.
« Ça, je n’en ai jamais douté… Mais pourquoi, Link ? Pourquoi avoir laissé entendre que c’était une autre fille ? »
« Tu t’attendais à ce que je confesse devant toute l’équipe du labo que c’était toi, alors que je ne savais même pas ce que tu ressentais ? La dernière fois que je t’avais avoué mes sentiments, tu avais fui à travers la plaine de Cernoir et tu t’étais évanouie ! Et puis je n’ai jamais dit que c’était quelqu’un d’autre… C’est toi qui t’es mis ça dans la tête : j’ai juste dit que c’était une fille de mon âge que j’aimais depuis mon enfance et qui n’avait appris que récemment que j’existais. Tu aurais pu te douter que c’était toi. Je suis sûr que Pru’ha l’a compris, elle. Il n’y a jamais eu d’autre fille, ma Grenouille. »
Elle le regarda comme s’il était la toute première chose que ses yeux caressaient depuis cent ans, touchant ses joues et ses mèches de cheveux avec la délicatesse d’un papillon. Puis elle l’embrassa, avec autant d’application et de douceur que s’il s’était agi de leur toute première fois. On aurait pu entendre Link ronronner sous ses mains et ses lèvres. Vaincu, je levai les mains au ciel et les reposai bruyamment sur la table dans un souffle.
« Ok. J’abdique. Vous êtes adorables. Je ne voudrais plus vous séparer même si je croyais encore en avoir le pouvoir... Link, tu peux partir tranquille, je vais libérer la Princesse de nos entrevues… »
Du coin de l’œil, j’aperçus le sourire d’Impa s’effacer tandis que ses yeux quittaient mon visage.
« Non. Reste, s’il te plait, » assura Link avec un sourire sincère, « j’ai toute confiance en ce qui nous lie, Zelda et moi. Si quelque chose peut me permettre de partir plus tranquille c’est bien de la savoir avec des amis. Avec toi et Impa, je sais que tout ira bien et que le temps passera plus vite. Et puis, il ne faudrait pas donner trop d’espoir au baron, tu ne crois pas ? »
« Ça marche. Mais seulement si ces dames sont d’accord, » répondis-je en lançant un clin d’œil à Impa, qui me regardait de nouveau. Elle détourna les yeux à la hâte et en guise de réponse, elle haussa les épaules d’un air désinvolte. Elle était si vexée à chaque fois que je la surprenais à laisser traîner ses yeux sur moi! C’était mignon... Elle avait passé toute sa vie à cultiver son image de guerrière impassible: qui aurait pu croire que derrière sa croûte de pierre et d’acier, elle cultivait aussi la petite fleur bleue… Ce n’était qu’un masque, exactement comme mon éternelle bonne humeur…
Zelda, quant-à-elle, ne releva même pas ma question : elle était agrippée des deux mains à l’affreuse tunique verte de Link.
« Tu es vraiment obligé de partir, Link ? Reste toi aussi, reste… » le supplia-t-elle, « ou au moins, explique-moi pourquoi tu pars…»
« Je suis désolé, ma Princesse… Je ne peux pas le dire. Tu essaierais encore de m’en dissuader,» ronchonna-t-il, « aie un peu foi en moi… Je reviendrai, je te le promets.»
Ils s’enlacèrent longuement ; puis nous l’accompagnâmes ensemble jusqu’aux écuries où ils se firent de longs et humides adieux… Phtalo : une subtile nuance de bleu vert, volant dans les plumes du paon et de la sarcelle… C’est ainsi que ma mère aurait décrit leurs auras tandis que Link s’en allait vers ses secrètes aventures.
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Chapter 15: Ensemble
Summary:
Link est parti vivre de mystérieuses aventures.
Il a promis de revenir à temps pour le bal du solstice…
Hahaha ! Comme s’il était connu pour sa ponctualité…
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
"J'ai besoin de nos chemins qui se croisent:
Quand le temps nous rassemble, Ensemble, tout est plus joli."
- Jean-Jacques Goldman
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IMPA
Link était parti, personne ne savait où. Il avait refusé de nous donner le moindre indice sur les raisons de son départ. Au moins savions-nous désormais qu’il n’était pas parti courir la gueuse, contrairement à ce dont Zelda s’était initialement persuadée… Nous remarquâmes rapidement qu’il avait emporté la tablette Sheikah avec lui, et que Sa Majesté le Roi lui avait donné son consentement pour sa course mystérieuse.
Depuis ce matin-là où il nous avait raconté son enfance, Zelda semblait avoir retrouvé une certaine sérénité. Elle n’avait plus versé une seule larme depuis, comme si elle s’efforçait d’être la petite fille digne dont il était tombé amoureux, il y a si longtemps déjà… De temps à autre, elle arrêtait subitement ce qu’elle était en train de faire, ses yeux luisant de joie et un doux sourire sur le visage : je crois qu’elle était toujours plus ou moins connectée à lui.
Nous passions désormais chaque matin à quatre : son Altesse, Le Duc d’Akkala, Saki, et moi. J’avais fini par réaliser pourquoi je me sentais si nerveuse en présence du Sheikah ; pourquoi mon cœur semblait vouloir s’enfuir de ma poitrine à chaque fois que je croisais son regard… Ça m’était apparu comme une évidence, un matin au réveil, après un rêve d’une incroyable niaiserie: j’étais en train de m’en amouracher ...
Ça ne m’était encore jamais arrivé avant ! Pourquoi fallait-il que ce soit maintenant, et de lui ? C’était stupide, vraiment ! Déjà parce que ces histoires de romance n'étaient qu’une perte de temps, d’énergie et de matière grise à mon sens - et il n’y avait qu’à regarder Zelda et Link pour s’en convaincre - mais aussi parce que Saki était déjà amoureux d’une autre… Il était littéralement là pour la courtiser ! Vraiment, ma vieille Impa, tu fais tout de travers… Malheureusement, en avoir pris conscience et lutter contre ne m’aidait pas, bien au contraire. Je me languissais de sa présence, ne pouvais m’empêcher de le regarder en douce sous toutes les coutures, et le guettais à tout moment dès qu’il n’était pas là. Même l’entendre jouer de sa musique au loin provoquait cet absurde élancement dans ma poitrine !
Alors, le matin, quand il arrivait avec cet insupportable sourire sur le visage qui semblait se moquer à la fois de moi et de mes stupides sentiments, je ne savais même plus si je devais être heureuse, triste ou en colère. Lui, en tous cas, avait l’air de beaucoup s’amuser de mes réactions puisqu’il cherchait constamment à les provoquer.
SAKI
J’adorais jouer aux échecs avec elle. Souvent, je me cachais en haut de l’escalier et j’attendais, pour m’annoncer, que La Princesse et le Duc aient commencé une partie en duo : juste pour qu’Impa soit obligée de jouer rien qu’avec moi. Pendant des années, elle avait été réputée imbattable, aussi étais-je doublement fier quand j’arrivais à la décontenancer assez pour qu’elle perde face à moi. La saluer d’un baisemain en arrivant m’assurait toujours de gagner au moins la première partie et parfois, il suffisait que je la regarde fixement sans rien dire pour qu’elle perde absolument tous ses moyens pendant de longues minutes. Elle était tellement outrée quand je lui disais « Esheikh et mat » ; et d’autant plus attirante… Je redoutais la fin de la cour : elle allait retourner à ses nombreuses fonctions et je la croiserais à peine...
Je finis par aller la voir, un matin, avant que nous dissolvions notre petite assemblée.
« Dame Impa, pourrais-je vous parler ? »
« C’est bien ce que tu es déjà en train de faire, non ? »
« Je vais prendre ça pour un oui. J’aimerais savoir… Puisque Link est parti en me donnant carte blanche - vous en êtes témoin - serait-il exagéré que je puisse également occuper ses horaires d’entrevue, l’après-midi, en plus des miens ? »
Elle plissa légèrement le nez et les sourcils puis détourna les yeux.
« Oui c’est exagéré. Et contraire au règlement puisque Link n’est pas là pour renouveler l’invitation. Je ne peux pas l’accepter. Tu n’en as pas assez avec les horaires de Karl-Olef ? Je croyais que tu renonçais à ta cour. »
« Tss… Je n’ai pas dit que c’était avec Zelda que j’espérais passer du temps, » lui murmurai-je de ma voix la plus séductive, « et non en effet, je n’en ai pas encore assez… Tant pis, oublions ça. Merci pour votre considération, ma Dame. »
Haha ! Son joli minois était rouge comme une crête de cocotte !
IMPA
Il avait lâché ces mots diaboliques et il était parti, l’air de rien, en emportant son foutu sourire ! Oh et quand bien même aurait-il carrément avoué me courtiser, moi : il perdait son temps! Je ne serais le lot de consolation de personne, pas même de lui ! Pas même si j’en crevais d’envie, hors de question ! Ça finirait par me passer : tout finit toujours par passer.
Je réussis à l’ignorer scrupuleusement plusieurs jours après ça. Jusqu’au Hanafuda … J’avais toujours détesté les jeux de cartes - qui laissent beaucoup trop de place au hasard - mais il fallait être quatre pour y jouer et je m’étais dévouée, pour faire plaisir à Son Altesse. On utilisait généralement des graines de citrouille Armo ou des haricots pour compter les points. Mais ce jour-là nous nous servions de fruits d’oiseaux, dont Saki avait ramené un petit sac pour grignoter…
Au début, tout se passait plutôt bien. J’avais amassé pas mal de points : moins que Karl-Olef mais plus que cet idiot de ménestrel, qui était assis en face de moi. Lorsque je reçus un premier grain, je l’ignorai ; ne sachant que trop bien qui me l’avait lancé. Le second me mit un peu en rogne : ne pouvait-il donc pas juste me ficher un peu la paix ? Le troisième me frappa en plein sur la joue. Assez !
Je levai les yeux vers Saki, furieuse, persuadée de tomber sur son sourire narquois habituel mais il n’en fut rien : il avait l’air au contraire penaud et sincère, avec une pointe de mélancolie. Comme si je lui manquais… Je me cachai derrière mes cartes, troublée par la douce douleur qui avait transpercé mon cœur. Je ne lui manquais pas : c’est juste se payer ma tête qui lui manquait, ça oui. Et même si c’était le cas, ça finirait par lui passer…
Je reçus bientôt un autre fruit d’oiseau, qui rebondit sur ma tête. Quand je baissai à nouveau les cartes je ne pus plus m’empêcher d’être désarmée par la tendresse qui émanait de son regard. Un sourire triste et honnête se dessina sur ses lèvres tandis que je me perdais dans ses yeux…
« Impa... Impa ? Tu rêves ? C’est à toi de jouer ! »
« Oh ! Pardon, Votre Altesse ! »
Un peu honteuse, je jouai rapidement et évitai à nouveau son regard. Mais il fit voler un autre grain, et puis un autre… C’en était trop : d’une pichenette Sheikah bien sentie, je lui en tirai un à mon tour, auquel il riposta immédiatement.
ZELDA
Impa et Saki s’étaient subitement engagés dans une bataille rangée à coups de fruits d’oiseaux. Fâchée au départ, la Maîtresse des arts guerriers était clairement avantagée par sa force et sa dextérité. Mais au bout de quelques instants, elle était dans un tel état d’euphorie qu’elle arrivait à peine à atteindre son adversaire ! Le poète semblait un peu plus heureux à chaque graine qui fouettait son visage et à chaque éclat de rire d’Impa… Karl-Olef se plaignit qu’on ne pourrait plus compter les points et les deux Sheikah s’allièrent finalement pour le viser à son tour. Ils n’arrêtèrent que lorsqu’ils n’eurent plus rien à lancer, ni sur la table ni dans le sac…
A la suite de cet évènement, mon amie fut bien moins sur la défensive et, de fait, notre petit groupe retrouva une ambiance plus décontractée. Saki n’avait plus d’yeux que pour elle, et si Impa se faisait un honneur et un jeu de l’éconduire à chaque fois, ses yeux pétillaient toujours tandis qu’elle repoussait inlassablement les avances du poète… Par moment j’avais l’impression que nos rôles s’étaient inversés : c’était désormais elle qui se faisait courtiser et moi qui étais devenue son chaperon. J’avais hâte que Link revienne pour voir ça…
Mon Prince était parti depuis plusieurs semaines déjà. Au début, j’avais continué à sentir sa présence assez nettement, mais elle s’était estompée avec la distance et le temps... Je ne gardais que cette impression vague qu’il allait bien ; parfois, je sentais qu’il dansait avec l’épée, exalté par un combat ; de temps en temps me prenait la sensation poignante qu’il aurait terriblement voulu être près de moi. Je craignais, par moment, qu’il ne s’agisse que de cela : de sensations et d’impressions. Rien de réel…
Je devais encore rencontrer le baron chaque début d’après-midi. Impa avait surnommé ce rendez-vous quotidien « la sieste ». Malgré les semaines qui s’égrenaient, il arrivait toujours à déblatérer sur lui-même et sur ses richesses et sur à quel point toutes les femmes célibataires ou pas de l’Etape d’Hyrule le convoitaient… Saki s’arrangeait souvent pour pratiquer l’accordéon dans une salle proche, pour nous distraire autant que pour le faire enrager.
Le reste de mes après-midi étant désormais entièrement libre, je pus recommencer à aider mon père dans les affaires du Royaume. Nous pouvions notamment superviser ensemble les enquêtes pour corruption et trafic de mineurs liées à l’arrestation du Juge. Je racontai de nouveau aux enquêteurs, et ce aussi précisément que possible, les affaires dont le Vicomte s’était vanté pendant nos entretiens. Puis nous comparions ces récits aux registres juridiques afin d’en retrouver les victimes et les bénéficiaires. En outre, neuf des «douze amis à la citadelle prêts à attester sur leur propre vie » qu’il était avec eux au moment de sa tentative de viol croupissaient déjà aux cachots avec lui.
J’appris bientôt qu’un nouveau site de fouilles avait été mis à jour sur le Plateau du Prélude pendant des travaux de déblaiement, et qu’il s’avérait très prometteur ! J’espérais y trouver quelques pièces pour réparer Terrako, et puis je rêvais secrètement que m’éloigner du château me permettrait de ressentir plus clairement la présence de Link…
Réussir à convaincre mon Père de me laisser partir en enquête de terrain ne fut pas une mince affaire, surtout sans mon Chevalier pour assurer ma protection : j’avais dû arguer qu’il n’y avait qu’à traverser la plaine, sans quitter le « monde civilisé » comme il l’appelait, et qu’avec Blizzard désormais complètement rétabli, ça ne serait jamais que l’histoire d’une ou deux heures de trajet... Je fus finalement autorisée à y passer mes deux jours hebdomadaires de liberté, sous la protection de gardes royaux, comme cela arrivait avant la guerre.
Nous n’étions alors qu’à quelques semaines du Solstice, aussi faisait-il un peu froid malgré un temps sublime. Je ne sentis pas la présence de Link, mais nous fûmes embusqués par trois Lynels élémentaux et deux Lynels de Rancoeur. Le combat fut intense et éprouvant mais grâce au Pouvoir d’Hylia, nous n’eûmes à déplorer aucune perte ! Et mes recherches furent récompensées d’un magnifique condensateur harmonique R-13 pour Terrako, une pièce d’une extrême rareté !
Mon père, cela dit, ne m’autorisa plus aucune sortie après cela…
SAKI
Le bal du Solstice approchait à grands pas et Link n’était toujours pas revenu. Je commençais à craindre qu’il ne lui soit arrivé quelque chose. Zelda tentait de ne pas le montrer mais elle se rongeait les sangs, faisant les cent pas dans les couloirs à longueur de temps. Pour la troisième fois de la matinée, nous étions en route vers les Écuries... Impa marchait à mes côtés quelques mètres derrière elle et l’observait avec sympathie.
« Il va revenir, » tentai-je de la rassurer, « arrêtez de vous inquiéter toutes les deux … »
« Peut-être qu’on devrait aller le chercher… »
« Hopopopo, du calme! Il reste deux jours, et Zelda est privée de sorties de toute façon… »
Ses yeux s’étaient perdus dans le vide…
« Alors je devrais y aller toute seule, » rumina-t-elle, « mais peut-être que ça t’arrangerait bien, qu’il ne revienne pas… Toi aussi tu serais le lot de consolation de quelqu’un, tu sais … »
Qu’insinuait-elle ? … Que j’étais le second choix de Zelda oui, certainement ; mais pourquoi ce « toi aussi » ?
Oh…
« Impa… »
J’écartai doucement mon bras pour caresser sa main de la mienne, mais elle la retira à peine l’eussé-je effleurée, comme si mon contact l’avait brûlée… Elle détourna le regard.
« Si Link ne revenait pas, » marmonnai-je d’un ton feutré, « ce serait un désastre : vous partiriez toutes les deux le chercher en me laissant tout seul ici, avec mon bandonéon inutile… Et si on apprenait la mort de Link, j’en serais personnellement triste déjà, mais surtout il faudrait ramasser Zelda à la petite cuillère ; ce serait terrible… Mais ça ne changerait rien d’autre pour moi : c’est toi que je continuerais à draguer du matin au soir. Il n’y a que les imbéciles comme eux qui ne changent pas d’avis : c’est vous mon premier choix désormais, Lady Impa… »
Elle essayait de ne pas montrer qu’elle était émue, mais elle accrocha soudain sa main à mon bras comme pour s’y retenir. Quand je la regardai par-dessus mon épaule, elle grommela d’une petite voix brisée:
« Oh non. Pas de commentaire. »
Je posai mon autre main sur la sienne, en savourant son sourire.
« Chut ! »
ZELDA
Le bal avait commencé après le dîner et j’étais toujours sans nouvelle de Link. J’avais passé la journée à accueillir les invités affluant au palais, et malgré le fait que je ne sentais pas sa présence ni celle de l’Epée, je courais pleine d’espoir à chaque fois que de nouveaux arrivants étaient annoncés… L’équipe du labo, la famille de Karl-Olef, Kohga et même Suppa qui avait retrouvé le masque : pour un tel évènement, tant de gens importants avaient été invités… Ce qui incluait évidemment les quatre Prodiges.
Revali était arrivé en premier, avec sa femme Fuwa qui, comme toujours, se montrait aussi douce que son mari pouvait être amer. Tandis que sa propre livrée, trempée par les intempéries, s’égouttait sur le sol de l’entrée, Revali taquinait envieusement son épouse à propos de son plumage imperméable ; un des nombreux traits que la jeune femme partageait avec les canards... Voyant à quel point la jeune Piaf rayonnait de fierté à ses mots, je supposai que cette démonstration flagrante de jalousie était sa manière bien à lui de la complimenter.
Le voyage avait été éprouvant pour Daruk, qui n'était pas habitué à un tel climat. Des gouttelettes d’eau grésillaient encore sur ses épaules alors qu'il entrait dans le hall, créant un nuage de vapeur tiède autour de son corps monumental: il n'avait pas l'air d’avoir froid, mais semblait épuisé. Il avait dû utiliser ses pouvoirs de lave depuis la Montagne de la Mort pour se maintenir à une température décente. Il me salua chaleureusement et, comme s'il était tout-à-fait chez lui, il partit directement vers les fourneaux pour confier à nos cuisiniers déconcertés quelques gigots de caillasse qu'il voulait faire rôtir...
Mipha, par contre, était parfaitement dans son élément sous cette froide pluie hivernale. Elle arriva avec le petit Sidon et une escorte de trois autres enfants Zora qu'elle présenta comme les « Services Secrets du Seigneur Sébass ». Impa et moi fûmes bien surprises d'entendre à nouveau les noms des amis d'enfance de Link...
Urbosa arriva la dernière, et sans aucune escorte. J’eus du mal à la reconnaître au premier abord, toute enveloppée qu’elle l’était dans des vêtements hivernaux, et juchée sur un cheval gigantesque. Je la connaissais depuis toujours mais c'était bien la première fois que je la voyais utiliser toute autre bête qu’un morse des sables ! C'était aussi la première fois que je voyais un destrier assez grand et massif pour convenir à une Gerudo... La crinière orangée de l’animal semblait flamboyer au-dessus de sa robe couleur de suie.
« Un présent que j'ai reçu du prince d'Hyrule en personne, ma Reine,» annonça-t-elle malicieusement face à mon regard perplexe tandis qu'un palefrenier impressionné conduisait l’imposante bête aux écuries, « il pensait que cela pourrait m’être utile pour vous rendre visite plus souvent. Ce n’est pas lui en revanche qui m’a appris à monter: ça, c’est votre mère elle-même quand nous étions enfants…»
Elle marqua une pause, le regard perdu dans ses regrets. Je ne savais quoi lui répondre; à vrai dire, ma tête ne fourmillait que de questions. Urbosa continua.
« C’est un mâle. Je l’ai nommé Monsieur Patrice en mémoire de Riju... Nous prévoyons de le faire reproduire : la tribu Gerudo était autrefois peuplée de redoutables cavalières ; qui sait, peut-être que cela pourrait revenir au goût du jour si nous avions des montures à notre mesure... En parlant de mâle, votre voi n'est-il pas encore rentré avec votre cadeau ? »
« Sois la bienvenue, Urbosa, » chevrotai-je, « non, toujours pas... Et je n'ai nul besoin d'un quelconque cadeau… ! À quand remonte la dernière fois que tu l’as vu ? »
« Oh, il y a quelques semaines tout au plus…» éluda-t-elle. Posant sa main sur mon épaule avec une tendresse maternelle, elle ajouta : "Allons, ne vous en faites pas : il retrouvera le chemin de la maison."
C'était beaucoup plus facile à dire qu'à mettre en pratique. Il n'avait pas daigné nous faire parvenir de nouvelles en deux mois, mais il avait eu le temps de dresser un cheval sauvage et de rendre visite à Urbosa pendant que j'étais ici, à désespérer de son retour ! Maintenant, cette dernière me parlait d'un cadeau dont je ne me souciais pas le moins du monde tandis que Link était plus scandaleusement en retard qu'il ne l'avait encore jamais été ! A chaque instant, je sentais mon cœur bondir comme s'il était déjà à la porte mais il ne l'était jamais, et j'étais de plus en plus en colère !
Cette fois, le bal avait lieu dans la Grand-salle, afin de profiter de la chaleur de son large foyer. Je portais la même robe de soie sauvage écrue qu’à l'Équinoxe, mais elle avait été modifiée pour lui donner une allure plus hivernale : son col et ses manches étaient désormais doublés de fourrure de renard neigeux - rendant ces dernières encore plus lourdes. La ceinture en était également agrémentée. Dès la tombée de la nuit, la pluie était devenue neige, parant le château lui-même de mes couleurs nuptiales.
Au milieu de la salle, Saki volait toutes les danses d’Impa. La valse n’était pas vraiment la tasse de thé de ma Conseillère, et elle était d’autant plus gauche qu’elle semblait complètement étourdie par la proximité de son soupirant… Mais le poète la guidait d’un pas sûr et refusait de la lâcher ne serait-ce qu’un seul instant. Au moins ces deux-là avaient-ils trouvé une consolation à ces trois mois de faux-semblants.
Le Baron m’approcha pour requérir une danse et la bienséance m’obligea à accepter. Mais alors qu’il me conduisait vers le centre de la piste en se dandinant comme une cocotte, il eut le culot de glousser :
« Je suis heureux de constater que ce parvenu de chevalier ne s’est finalement pas montré. Il a dû réaliser qu’il n’était pas à sa place. Ou peut-être a-t-il fui en prenant conscience des lourdes responsabilités qu’impliquerait la gestion d’un Royaume… ! »
Je fus capable de retenir le soufflet que je mourais d’envie de lui envoyer sur le museau, mais rien au monde n’aurait pu m’empêcher de répliquer à son insulte.
« Il suffit ! » explosai-je devant tous les convives, « Link n’a pas fui devant des armées de gardiens, il n’a pas fui devant Ganon lui-même ni devant ses quatre Ombres, il n’a pas fui devant sa propre mort. Comment osez-vous suggérer qu’il pourrait avoir fui aujourd’hui devant de la vulgaire paperasse et des responsabilités , lui qui à son jeune âge a déjà porté le destin du Monde entier sur ses épaules sans vaciller? Le Chevalier Purificateur a ma totale confiance et s’il s’est permis de partir c’est seulement parce que j’ai aussi la sienne. C’est quelque chose qu’un bokoblin dégénéré tel que vous n’aura jamais la chance de partager avec aucune femme, et encore moins avec une Reine ! »
Je le laissai planté là, humilié, et sortis sur le balcon, jetant un froid Lanellien aux festivités ; au propre comme au figuré. Mon père le Roi ne me fit aucune remarque mais tenta de me montrer sa compassion et son appui par sa présence. Il savait bien que sans Link, il n’y aurait pas de fiançailles ce soir : je l’attendrais encore longtemps. L’attendre… ? Oh non j’en avais fini d’attendre. Dès le lendemain, je partirais le chercher, où qu’il se trouve, avec ou sans l’aval du Roi ! Et il aurait intérêt à être dans un sévère pétrin pour justifier de n’être pas revenu en ce jour !
La neige avait désormais recouvert tous les toits et les routes aux alentours, étendant son blanc manteau jusqu’aux confins de la plaine. La Lune devait en être à son premier quartier : sa lumière filtrait faiblement à travers les nuages et pourtant, la clarté glacée de la couche neigeuse laissait voir le monde comme au crépuscule. L’imposant pilier Antique qui luisait d’azur et d’or juste en face de la Grand-salle gâchait désormais en grande partie la vue… Mon regard se porta au loin, sur ma droite, où la Citadelle endormie s’estompait sous les flocons gris. Seules les fenêtres éclairées de la lumière chaude d’un feu permettaient encore de deviner le contour des maisons ; au-dessus d’elles, la fumée des cheminées se mêlait en montant à la brume, emplissant l’air humide d’une odeur âcre. Sur la place centrale, dont la fontaine avait gelé, se détachait une silhouette plus sombre, avançant péniblement sur les pavés glissants, et suivie d’un cheval… Link !!
C’était Link ! Il était trop loin pour que je discerne les traits de son visage, trop loin même pour reconnaître la robe de Vermeille dans cette pénombre et à travers le grésil, mais c’était lui ! J’en étais absolument certaine ! Je rentrai en courant dans la Grand-salle, relevant ma robe pour ne pas trébucher dessus, traversai la piste de danse au pas de course, dévalai les escaliers quatre par quatre en direction du hall d’entrée... Les gardes à la porte principale le laissèrent entrer au moment même où j’arrivais. Il eut à peine le temps de poser ses sacoches et d’ouvrir ses bras avant que je ne me jette à son cou…
Je l’étreignis de toutes mes forces. Tant pis si la neige qui fondait entre nous glaçait ma peau, tant pis si ses habits crasseux tachaient la soie de ma robe, tant pis si j’allais sentir le cheval et le graillon! Plus rien n’importait au monde que sa présence, la douce pression de ses bras dans mon dos, l’odeur de sa nuque dans mes narines et le frisson de ses lèvres gelées sur ma gorge.
« Pardon pour le retard… Vermeille s’est fait mal, et puis ensuite la neige… »
Me souvenant soudain d’à quel point je lui en voulais de m’avoir fait attendre si longtemps, je m’arrachai à ses bras avec une grimace de colère, incapable de souffler un mot. Puis je pris son visage entre mes mains tremblantes et l’embrassai de toute ma fureur, suçotant et mordillant chaque recoin de sa bouche avec rage. Il répondit à mes baisers avec passion pendant quelques secondes avant de s’écrouler sur le sol.
« Link !! Link est-ce que ça va ? Tu es blessé ??»
Alors que je m'agenouillais près de lui pour soutenir sa tête et son buste, je réalisai à quel point il était pâle. Les gardes s’étaient approchés en le voyant tomber, prêts à recevoir mes ordres. Derrière moi résonnait l’écho de pas pressés descendant l’escalier. Link reprit connaissance et porta sa main à mon visage et à mon cou.
« Link, je t’en prie, dis-moi que tu vas bien… »
« Je vais bien… Mais vas-y doucement avec les câlins… Je n’ai pas dormi ni pris de vrai repas depuis hier, pour revenir à temps… »
J’entendis la voix de Saki dans mon dos :
« Haha ! Il a plus assez de Chi pour sa tête et pour son… »
« SAKI ! » l’interrompit Impa avec les yeux écarquillés et une tape sur le bras.
Link se redressa, se grattant nerveusement la tête.
« Saki, Impa, je suis content de vous voir aussi. »
« Oui bah si tu veux mon avis évite de trop remuer la… »
« Mais ça suffit !!! » l’arrêta encore une fois Impa, « je serai là-bas au besoin, Votre Altesse. J’emmène ce soi-disant poète au coin. Bon retour chez toi, Link ! »
Ils se mirent à rire doucement ensemble ; Saki inclinait sa tête vers elle affectueusement tandis qu’elle le traînait par le bras loin de nous. Link haussa un sourcil et tourna vers moi un regard perplexe ; j’acquiesçai en silence avec un haussement d’épaules pour lui confirmer qu’il ne rêvait pas. Il sourit, visiblement aussi amusé que je l’étais, et m’attira encore une fois vers ses lèvres.
LINK
J’étais toujours assis au milieu de l’entrée, n’osant pas me relever tout de suite. Je tendis un bras pour attraper mes sacoches de selle et, de l’un des côtés, je sortis ma gourde qui contenait encore un peu d’eau sucrée au miel enduro… J’en bus quelques gorgées et, impatient, je montrai l’autre côté de mon paquetage à ma Princesse.
« Ma Luciole, je n’avais pas grand-chose à t’offrir pour nos fiançailles... Mais je crois que tu vas être très heureuse de ce que je t’ai ramené … »
Elle fronça les sourcils avec désapprobation et repoussa le sac.
« Il n’y a pas de cadeau qui puisse me rendre plus heureuse que ta présence, Link,» répliqua-t-elle d’une voix rauque, « quoi que ce soit, je n’en veux pas si c’est la chose qui t’a tenu éloigné de moi si longtemps… »
« Ouvre, au moins, je t’en prie… » ronronnai-je en clignant doucement des yeux.
Elle soupira et, à contrecœur, défit la boucle du sac puis en souleva le rabat.
En dessous, chacune soigneusement emballée dans du feutre de laine, se trouvaient les pièces manquantes pour la réparation de son petit gardien. Je vis ses mains trembler alors qu’elle déballait les reliques et les observait, incrédule. Glissée entre le cuir et la laine, elle trouva ma copie de la liste des pièces manquantes et fit courir ses doigts sur le parchemin froissé : presque chaque pièce était cochée désormais.
« Link ! Mais comment as-tu pu en trouver autant ? Il faudrait des années…» gémit-elle à travers sa gorge serrée.
« Grâce à toi ! Depuis que tu as entré le Nano Gardien Sacré dans l’encyclopédie de la tablette, le détecteur fonctionne sur toutes les pièces compatibles ! Je suis allé vérifier la portée de détection en me promenant vers le labo il y a deux mois... C’est là que j’ai décidé de partir… »
« Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? »
«Je l’aurais fait si tu avais accepté d’annuler la cour… Mais tu étais coincée ici jusqu’au Solstice et pas moi. Si je te l’avais dit, tu m’aurais arraché la tablette des mains et tu aurais insisté pour qu’on y aille ensemble : ça nous aurait obligés à attendre le printemps… Alors j’ai décidé de te faire la surprise… Pardonne-moi, ma Grenouille, mais je m’en veux toujours de l’avoir détruit. Et puis pour une fois que j’avais les moyens de t’offrir un cadeau digne de toi…»
Zelda posa avec précaution le rouage qu’elle avait dans la main et enroula une nouvelle ses bras autour de mon torse.
« Merci ! Oh mon Amour, Merci… »
« Il y a quasiment tout, même quelques doubles. Il n’y en a qu’une seule que je n’ai pas trouvée... C’est pour ça que j’ai tardé : j’espérais vraiment tout te ramener… »
Elle s’éloigna de moi de nouveau pour attraper mon parchemin.
« Alors, j’ai échoué, mais on… »
« Laquelle est-ce ? » coupa-t-elle tout en cherchant dans la liste.
« Le Condensateur harmonique R-13 ! » prononça-t-elle avec un grand sourire en même temps que moi. Puis elle ajouta, espiègle : «Tu n’as pas échoué ! Il se trouve que j’en ai justement trouvé un il y a quelques semaines… Hmm… J’attendrai que tu aies repris des couleurs pour te raconter cette aventure…»
Zelda essuya de ses grands yeux les larmes de joie qui y brillaient et m'enlaça encore.
«Nous les avons toutes, Link! Nous avons tout!! J’étais déjà tellement heureuse de te retrouver toi, et tu me ramènes Terrako…! Sois mille fois remercié ! ».
Elle se leva et frotta distraitement sa robe blanche mouillée et tachée de boue, m’évoquant quelques souvenirs douloureux mais précieux de cette guerre que nous avions gagnée ensemble. Quand elle me tendit la main, son sourire était plus éblouissant encore qu’avait pu l’être sa Lumière à Necluda.
« J’ai vraiment hâte de montrer tout ça à Pru’ha… ! Mais pour le moment, je crois que nous sommes attendus dans la Grand-Salle…»
RHOAM
La fustigation du Baron Hughie par ma chère Zelda avait fait grand bruit parmi les convives. Tout comme, par la suite, sa course effrénée au milieu de la piste de danse. Les gens avaient pitié de la Princesse abandonnée par son favori avant la fin de la cour. Ils commençaient à médire du Héros qui les avait sauvés il y a si peu de temps pourtant. Oh comme mes sujets pouvaient avoir la mémoire courte parfois…
Je connaissais la raison du départ de Link : il voulait rendre la vie à son petit frère d’arme, qu’il avait été forcé de détruire ; rendre à ma fille son autre petit chevalier, qu’il jugeait bien plus méritant que lui-même et crucial pour sa sécurité... Il m’avait fait promettre de ne rien dire : il ne supportait pas l’idée qu’elle soit déçue s’il échouait, ou qu’elle s’en veuille pour le restant de ses jours s’il périssait dans sa quête.
Quand Zelda refit son apparition quelque temps plus tard, accrochée fièrement au bras de son Élu, le silence tomba comme un couperet dans la salle. Link semblait épuisé et étrillé par les éléments : ses guenilles étaient aussi sales et trempées que s’il avait été piétiné par un troupeau de buffles des marais. Pour autant, il se mouvait avec la dignité d’un Prince à travers la foule et la robe souillée de Zelda affichait aux yeux de tous l’enthousiasme de leurs retrouvailles. Ils vinrent tous deux à ma rencontre puis le garçon posa un genou à terre devant moi.
« Votre Majesté, j’implore votre indulgence pour mon arrivée tardive. J’ai la joie de vous annoncer avoir pu accomplir la mission pour laquelle je m’étais absenté. Et je vous demande humblement votre bénédiction, car je souhaite épouser votre fille. »
« Relève-toi, Link, Héros d’Hyrule. Te penses-tu digne de la Princesse Zelda? »
« Non, Votre Majesté. Je pense que personne au monde ne l’est. Mais nous nous aimons. Dans cette vie, comme dans beaucoup des précédentes.»
« Ma fille, est-ce là le prétendant de votre choix ? »
« Oui Votre Grâce, il est le seul que je veuille. »
« Le jugez-vous digne de la Couronne ? »
« Oui, Père : il est intelligent, courageux, généreux, désintéressé, dévoué… Je pense qu’il n’y a personne de plus digne de porter la couronne dans tout ce Royaume ; à part vous-même, bien sûr. »
Son ton était celui d'une petite fille aimante et le sourire timide qui illuminait son visage me rappelait si intensément sa mère… C'était un mensonge éhonté : elle le considérait bien plus digne que moi. Finissons-en une bonne fois pour toutes avec cette comédie absurde.
« Bien. Jeunes gens, je vous accorde ma bénédiction. »
****************
Notes:
- Merci à Cheesemine de m’avoir permis d’inviter son OC « Fuwa » au château <3 https://twitter.com/cheesemineart
- Saki a une grande affection pour le peuple Piaf, c'est en se rendant régulièrement à leur village, avant la guerre, qu'il a pris l'habitude de grignoter des fruits d'oiseaux. J'espère que ceux qui auront lu jusque-là l'auront compris: dans l'autre futur, c'est lui qui enseignera ses chansons à Asarim, pour qu'il aide Link a retrouver ses capacités après son long sommeil... « L’amour véritable commence là où tu n’attends plus rien en retour.»
- Les Hanafuda sont des cartes à jouer japonaises représentant des arbres, fleurs et animaux pour ne pas reprendre les codes occidentaux, autrefois interdits. Leur fabriquant le plus connu est Nintendo.
Chapter 16: Epilogue
Chapter Text
“Rentrer chez soi, c'est retrouver des gens, non un lieu.
Si tu retournes dans un pays d'où tout le monde a disparu,
tu ne vois que cette absence.”
- Robin Hobb
***
TERRAKO
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« Et voilà, c’est PARFAIT ! Enfin… En théorie. »
« Et t’es sûr que ça va marcher ? C’est pas pour dire, mais il fait toujours pas de bruit.»
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« Se pourrait-il… Qu’il manque quelque chose ? »
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« Nous avions fait tout ce que nous pouvions. Nos efforts vont payer j’en suis sûre. »
Mi…pha ? Je vois Mipha mais c’est pas sa voix !
C’est qui la grande br1ngue derrière déjà… ?
« Si ça se trouve, il prend juste son temps pour se réveiller. »
Dra… uk, R4… Violi ?
« Le Seigneur Revali a raison. »
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« Allez, c’est plus l’heure de dormir ! DEBOUT P’TIT PARESSEUX !! »
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« Doucement Impa ! »
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s. Les couleurs
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de reviennent…
… Mais pourquoi cette garce d’Impa me tape encore ???
« STOP ! Tu arrêtes tes conneries tout de suite, la vieille ! J’ai la tête dans le cambouis, je sais même pas comment je suis arrivé là et tu commences déjà à me harceler ??? Alors maintenant ça suffit, tu vas me lâcher l’arbre, un peu ! Je me suis jeté dans le Grand Cochon pour vous protéger alors je pense que je mérite un minimum de respect! Et J’aimerais savoir pourquoi y’a autant de Sheikah dans cette salle, vous trois encore je veux bien mais le nouveau qui colle à la garce, c’est qui ? Arrêtez de me regarder en souriant comme des abrutis je suis sérieux! Et vous, qu’est-ce qui vous fait rire ? Quelle plaie qu’ils ne comprennent rien quand je parle, tous !
… Oh-oh… »
Quelqu’un m’a pris dans ses bras… C’est Zelda. Je vois le Héros aussi, il est à côté d’elle. Elle me serre dans ses bras. Elle pleure ? Je n’aime pas qu’elle pleure… mais ses larmes, c’est comme de l’énergie…
« Zelda …? »
« Bon retour parmi nous, Terrako ! »
Elle me sourit… Elle se rappelle enfin du nom qu’elle m’a donné autrefois …
Je vais lui chanter sa Berceuse…
***

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