Chapter 1: Le défilé de Nýsa
Chapter Text
La mission était simple : trouver la nouvelle Émissaire de Shiva et la tuer. La bonne nouvelle, la cible était bel et bien sur le champ de bataille. La mauvaise nouvelle, elle et Titan étaient en train de s’éclater la face et ont transformé le terrain en un véritable foutoir. Il pleut des roches et de la glace, et on croirait que le sol est devenu la mer durant une tempête tellement il est instable.
Biast remercie Gwéligore de lui avoir donné de bons réflexes, parce qu’il aurait fini au fond d’une crevasse sinon il y a quelques secondes. Lui qui voulait un peu de piquant, il avait été servi…
Wyverne le suivait tant bien que mal. En espérant qu’il survive jusqu’à ce que leur unité retrouve l’Émissaire à nouveau sous forme humaine. Il était l’élément clé du plan de Tiamat et d’Eibis, grâce à la fameuse bénédiction du Phénix.
« Merde ! »
Une autre roche venait de tomber à moins d’un mètre de Biast. Quelle bande de monstres, ces Primordiaux ! Ça détruit tout sans se soucier des autres.
Biast arrive à un mur. Un coup d’œil derrière pour s’assurer que son coéquipier le suivait toujours à la trace. Il lui fait signe avant de gravir le rocher escarpé. En haut, Biast peut enfin constater l’étendue de la destruction ; le défilé de Nýsa était méconnaissable… Il aperçoit Tiamat et Eibis plus bas devant lui encore en un seul morceau. Les tremblements continuent d’ébranler le terrain. Wyverne le rejoint peu après au bord de l’escarpement. Le terrain n’allait pas tenir.
« Reste pas planté là ! »
Biast saute du haut du rocher en premier et commence la descente apique. Des projectiles rocheux s’écrasent à gauche et à droite. Toute cette poussière rendait la vue mauvaise. Allez, sainte Gwéligore, me lâche pas.
Il entend Wyverne crier quelque chose derrière lui. Il tourne la tête et voit avec horreur un énorme rocher juste au-dessus de lui, impossible à esquiver…
SWOOSHHHH
Contre toute attente, Biast se met à culbuter tête première et se racle le bord du visage au sol. Une vive chaleur s’estompe dans son dos. Il semble avoir arrêté de glisser, mais impossible de savoir. Sa tête tournait encore.
Un bourdonnement gronde dans ses oreilles, et ses yeux ne voient que des étoiles. Puis, une nouvelle secousse se produit, suivie d’un gros BOOOOOUMMMM à proximité.
Et puis plus rien.
***
Quand Biast revient enfin à lui, son corps lui martèle ses plaintes à coups de douleur dans les épaules et au visage, le tout couronné d’un mal de tête carabiné. Il entend une discussion près de lui. Tiamat évaluait la situation avec Eibis : on avait perdu la trace de l’Émissaire.
Biast roule sur le côté avec effort, mais réussit tout de même à s’asseoir. Il ouvre enfin les yeux.
« Les gars. », salue-t-il, la voix rauque.
Tiamat jette un coup d’œil surpris dans sa direction et soupire. Il lui lance une potion, que Biast attrape maladroitement.
« C’est la seule chose que je peux te donner. On est limité en ressource. »
Biast le remercie d’un clin d’œil. Il desserre le bouchon de la fiole pour en boire le contenu. Puis, une soudaine réalisation le frappe.
« Et Wyverne ?
— Ton sauveur est encore dans les vapes. », pointe Tiamat.
Biast soupire de soulagement. Attends, sauveur...? Cette chaleur qu’il avait sentie. C’était bien Wyverne, donc. Adrénaline ou pas, un temps de réaction de la sorte était hors du commun. Son coéquipier et sa bénédiction de Phénix n’avaient décidément pas fini de le surprendre. Biast était content de ne pas être contre lui sur le champ de bataille.
« Bon, je pars devant voir si je pourrais pas trouver des Sang-de-rouille. » Eibis regarde Tiamat, qui lui donne son aval.
Biast lui fait un signe de la main avant que son coéquipier ne les quitte. Son attention se retourne sur Wyverne. Il n’avait pas l’air trop amoché.
« Dis, Tiamat, tu crois qu’il en sera capable. De tuer l’Émissaire, je veux dire.
— Pas le choix, sinon on vaut pas mieux que mort, grimace son sergent.
— Faudra le soutenir du mieux qu’on peut dans ce cas. »
Biast regarde aux alentours. Tout semblait calme à présent. Le combat était donc terminé. Que restait-il du champ de bataille ?
« Comment ça va ? », s’enquiert son supérieur.
Biast aperçoit l’énorme rocher qui aurait dû l’écraser.
« Je suis toujours vivant, c’est déjà ça. », ricane Biast. Il époussette un brin son uniforme avant d’essayer de se lever. « Et hop-ahhhhh… Un peu trop tôt. » Biast se rassoit. « Encore mal à la tête, mais je devrais m’en sortir.
— Profite de ce temps de repos, c’est probablement le seul qu’on aura avant un bon moment. »
Biast accote sa tête et ferme les yeux un temps.
« Je croyais vraiment que j’allais y passer. Merci de pas m’avoir abandonné.
— T’avoir à nos côtés réduit les chances que l’opération déroute. Je sais que je peux compter sur toi.
— Et moi de même, sourit Biast. Ça fait combien de temps déjà qu’on travaille ensemble ? Cinq, six ans ?
— Mets plutôt neuf.
— Déjà ? Wow, je suis toujours aussi mauvais avec les chiffres. Étonnant qu’on n’ait toujours pas clamsé. »
Biast réussit à obtenir un sourire en coin de la part de Tiamat avec sa plaisanterie. Difficile de le dérider depuis le jour où il est devenu sergent. En même temps, il avait à sa charge la vie d’autres soldats pourvoyeurs. Tiamat a beau clamer qu’il faut être égoïste pour survivre, Biast voyait bien que son supérieur veillait sur ses confrères à sa façon.
Wyverne se met à bouger. Il revenait à lui.
« Bien dormi ? », questionne Tiamat.
Son coéquipier se met en position assise sans trop de mal. Il semble un peu désorienté, puis son attention se tourne vers les décombres.
« Désolé… Qu’est-ce qui s’est passé ? » Sa voix est encore rauque également.
« Titan et Shiva ont tout cassé, comme tu peux l’voir, et on a failli y passer. » Biast guette la réaction de son confrère. « D’ailleurs, merci pour tout à l’heure. »
Il n’est pas déçu. Wyverne affiche un air de surprise, puis de soulagement. « C’est rien. »
Biast aperçoit presque un sourire sur les lèvres de son coéquipier. Comme quoi son visage n’était pas fait de pierre. Ça le changeait de son air mélancolique.
Des bruits de pas. Eibis rejoint de nouveau leur groupe.
« Alors ? s’enquiert Tiamat.
— Vous aviez raison, les Sang-de-rouille ont sonné la retraite.
— Tant qu’on les suit… » Leur sergent regarde Biast, puis Wyverne : « Prêts ? Il est temps d’en finir avec cette mission. »
Biast réussit à se lever cette fois-ci, malgré le mal de tête qui persistait. Wyverne suit le mouvement, mais Tiamat l’intercepte pour lui remettre son épée.
« T’en auras besoin.
— Merci, Sergent. »
Wyverne met son arme dans le fourreau sur son épaule, puis les deux hommes rejoignent Eibis et Biast.
« Bon, j’espère que vous avez de l’énergie à revendre, parce qu’on a une armée à poursuivre. », affirme Eibis.
Le groupe se met en marche, avec Tiamat et Eibis en tête de file.
« Mais quand même… J’étais loin d’imaginer que les Primordiaux étaient aussi puissants… », commente Eibis devant ce qui restait du paysage maintenant que la confrontation entre Titan et Shiva était terminée. « Et ils veulent qu’on tue ça ?
— Ce serait du suicide en effet. Mais ils deviennent vulnérables sous forme humaine, corrige leur sergent.
— Y’aura qu’à saisir l’opportunité donc. », intervient Biast, plus pour se rassurer lui-même que les autres. Ça n’allait sûrement pas être aussi simple par contre.
Comme de fait, le groupe arrive à un passage des plus étroits, et il n’y avait pas de chemin alternatif raisonnable. Eibis s’y aventure le premier.
« On peut à peine passer, geint-il. Et c’est à cause de ces sales monstres !
— Je te connaissais pas aussi plaignard, Eibis. »
Biast avait le sourire dans voix, mais il ne rit pas longtemps. C’était à son tour de passer et, même pas un mètre à l’intérieur, il sent les parois se rapprocher inconfortablement de son armure.
« C’est vrai, c’est toi qui commentes d’habitude, Biast. Alors, tu t’en sors ? », raille à son tour son coéquipier.
Biast lâche un juron lorsque les lamelles de son armure commencent à s’accrocher contre les strates des parois. Ce n’était pas le moment de rester coincé.
« C’est pas vrai ! s’exclame Eibis. Ils ont tout démoli de ce côté-ci aussi. Ça va être l’enfer, sortir d’ici.
— À ce point ? Du moment que ça ralentit les Sang-de-rouille… » Biast sort enfin du passage et soupire de soulagement.
« Vous avez pas fini de jacasser, tous les deux ? » Tiamat venait de commencer sa traversée. « Concentrez-vous à retrouver l’Émissaire. »
Biast observe les alentours et comprend ce que Eibis voulait dire. Le paysage était bien plus ravagé qu’avant. Ils se rapprochaient de l’épicentre de leur combat, ce qui était bon signe. Par contre, tout ce qui restait du chemin était déformé par d’énormes éclats de glace et des rochers. Le sol était fissuré à plusieurs endroits, et à entendre la glace craquer sous l’effet de la chaleur du désert, on pouvait imaginer que la marche allait être de plus en plus dangereuse. Et tous ces cadavres, autant ferrégiens que dalmèques… Ça donnait froid dans le dos.
« Un vrai carnage… », marmonne Wyverne derrière Biast, ce qui le fait sursauter. Il ne l’avait pas entendu arriver.
Le groupe continue leur trajet sans autre forme de discussion jusqu’à ce qu’il atteigne un escarpement ceinturé par de la glace.
« Vous entendez ça ? », demande Eibis.
Des échos de voix résonnent.
« Regarde, en bas. », pointe Tiamat.
Une troupe de Sang-de-rouille était en mouvement une bonne dizaine de mètres plus bas. Tiamat et les autres s’accroupissent hors de vue pour observer l’ennemi.
« Bon, semblerait que Titan a mis une dérouillée aux Sang-de-rouille. Mais où sont les autres ? Ça peut pas être l’armée principale. »
En effet, ce groupe ne comportait qu’une poignée d’hommes.
« Attendez. On dirait que la chance nous sourit, Sergent. » Eibis pointe du doigt la seule personne vêtue de blanc. « C’est elle.
— L’Émissaire ? T’en es certain ?
— La religion cristodoxe est barbare, comme tout ce qui est du Royaume de Fer. D’après leurs croyances, les Émissaires sont des monstres qui souillent les cristaux, des aberrations. Leurs prêtres doivent surveiller de près le processus de transformation, et j’en vois plusieurs. »
Biast s’apprête à complimenter Eibis sur ce cours d’histoire — Sérieux, d’où il puise toutes ces infos ? — mais est coupé court par Tiamat qui se lève et dégaine son épée. On passait donc à l’offensive.
« On l’élimine sans traîner. » Tiamat descend de leur perchoir, suivi des trois autres.
La troupe de Sang-de-rouille est aussitôt alertée par leur arrivée. On encercle les prêtres en mode défensif pour les laisser fuir rapidement pendant que leurs combattants sortent leurs haches et leurs massues, ainsi que leur aura menaçante.
Entretemps, un Ferrégien libère l’Émissaire de Shiva de ses liens et la bouscule rudement, la faisant tomber au sol. Un autre lui aboie des ordres incompréhensibles pendant qu’il menace d’une lame l’un des enfants présents dans leur groupe. La brute finit par jeter l’épée par terre et file en tirant l’enfant par le bras.
Le temps que Biast atteigne le sol, l’Émissaire avait pu se relever, épée en main, puis de se mettre en garde. Elle ne semblait pas se transformer. Une excellente nouvelle pour Biast et les autres. En espérant qu’elle soit à bout de force pour que cette mission prenne fin rapidement.
« Biast, Eibis, on va en neutraliser un maximum, ordonne Tiamat.
— Compris, répondent en chœur les deux soldats.
— Wyverne, tu t’occupes de l’Émissaire.
— Entendu. » Wyverne dégaine son épée à son tour.
La meute de brutes ne perd pas de temps à foncer sur les soldats pourvoyeurs. Un coup de hache ici, un coup de pied là. Heureusement, leurs mouvements sont lents et Biast réussit à en tuer deux sans trop de difficulté. Puis, il assène un bon coup d’épée dans le dos d’un Ferrégien à proximité d’Eibis.
Les trois se défont assez vite de leurs opposants. Ne restait bientôt plus que l’Émissaire, et Wyverne occupait toute son attention. Un coup d’aile de feu la déstabilise juste assez longtemps pour que Tiamat lui fasse une entaille à l’épaule.
« Laissez-moi ! », s’écrie tout à coup la femme. Une fleur de glace surgit du sol autour d’elle.
Biast s’éloigne juste à temps, mais Wyverne qui était beaucoup plus proche d’elle mange l’attaque de plein fouet.
« À quoi tu joues, là! » Tiamat le soigne rapidement et le tire de nouveau sur ses pieds.
« Pardon, Sergent.
— Concentre-toi, Wyverne. »
Et leur coéquipier repart après l’Émissaire avec un assaut éclipse de feu. Il la rejoint en un clin d’œil et croise le fer avec elle. Biast guette les alentours pour s’assurer qu’aucun autre Sang-de-rouille ne débarque à l’improviste sur le terrain. À vrai dire, c’est presque la seule chose que Biast peut faire, considérant la vitesse à laquelle l’Émissaire et Wyverne se déplacent sur le terrain. Une seconde, ils sont à gauche et, la suivante, ils sont à l’autre extrémité. Autant attendre le bon moment plutôt que de gaspiller son énergie à les suivre.
Des projectiles de glace volent dans sa direction. La femme était de nouveau à proximité de Biast et elle semble à bout de souffle. Le soldat en profite pour lui donner un coup de lame dans le dos pendant que Wyverne lui assène un coup frontal. La femme titube, mais ne lâche toujours pas son épée. Quelque chose clochait. Ils entendent un grognement qui devient un cri :
« Partez d’ici ! »
L’air ambiant refroidit d’un coup alors que l’Émissaire se met à léviter. L’espace d’un instant, l’aura imposante de Shiva remplit la zone, et de gros glaçons se mettent à pleuvoir du ciel.
« Bon sang ! » Eibis passe à deux doigts de se faire écraser.
« Et merde ! » Tiamat esquive de justesse également. « Faites attention ! »
Biast peine à éviter l’attaque glacée. Et ça n’arrête pas de tomber.
« Putain de Primordial…, crache leur sergent.
— Attends, elle est même pas transformée, là ! », affirme Eibis, une pointe de panique dans la voix.
On danse désespérément encore quelques instants avant que les pieds de l’Émissaire ne finissent par retoucher enfin la terre ferme. La femme tousse un bon coup avant de se redresser et de se remettre en garde. Des glaçons continuent de tomber ici et là, mais le gros de l’attaque est passé. L’Émissaire fonce de nouveau sur Wyverne, puis enchaîne cette fois avec une vague de pics acérés surgissant du sol.
La femme s’éloigne, puis lance des projectiles glacés. Biast esquive sans effort, mais son pied se prend dans quelque chose. Le froid…
« Saleté...! »
Il venait de s’empêtrer dans un piège de glace. Et voilà que l’Émissaire le charge. Wyverne intercepte au dernier moment l’attaque. Il repousse difficilement la femme avant d’enchaîner avec une boule de feu pour l’éloigner.
« Ça va ? demande-t-il, la respiration haletante.
— Merci… Oh bordel ! »
L’Émissaire faisait pleuvoir des aiguilles de glace dans leur direction. Biast frappe frénétiquement la glace en vain. C’est quoi c’te connerie ? Je suis censé l’aider, pas me faire prendre comme un con. Wyverne utilise son feu pour ramollir juste assez la glace pour qu’un bon coup de pommeau d’épée la brise finalement et libère son pied. Biast et Wyverne esquivent de justesse.
Il s’éloigne provisoirement de la portée de l’Émissaire pendant que son coéquipier reprend sa chasse. Il allait falloir un plan autre que la fatiguer, parce que son endurance était franchement terrifiante. Et son foutu mal de tête qui l’empêchait de penser clairement.
« Sergent, des idées ? »
De gros éclats de glace se remettent à pleuvoir du ciel.
« Faut se créer une ouverture. Vous deux… » Tiamat évite un morceau qui s’écrase devant lui. « Occupez-la avec Wyverne quand elle sera de nouveau au sol. »
Eibis et Biast se regardent et concluent sur une attaque latérale de chaque côté.
« On va lui mettre la pression. »
Biast évite autant qu’il peut tout en se positionnant autour de l’Émissaire. Lorsqu’elle cesse de léviter, Eibis et lui lui foncent dessus. Wyverne se joint à l’assaut. La femme commence à reculer, juste assez pour refaire surgir une fleur de glace du sol. Puis, elle reçoit un impact à la tête par-derrière. Elle titube et tombe à genoux.
L’éther se condense anormalement autour d’elle.
« Je refuse d’avoir sa mort sur la conscience...! », rugit-elle.
Une nouvelle pluie de glace s’abat sur le terrain, les glaçons encore plus gros, suivie de vagues de pics acérés dans tous les sens. Il fallait en finir au plus vite avant que ça ne dégénère davantage.
L’intensité de l’offensive ferait trembler n’importe qui. C’était à se demander si elle n’allait pas au final se transformer devant eux, auquel cas, ils étaient cuits.
« Wyverne, t’as intérêt à frapper fort ! », ordonne Tiamat.
Leur coéquipier charge une boule de feu dans sa main et semble attendre le moment propice pour se jeter sur l’Émissaire. Il esquive des glaçons, puis une autre série, et vl’an ! Il est parti dans un assaut éclipse.
BANG !
Le souffle de la mini explosion est suffisant pour la déstabiliser et Wyverne use de son poids pour la faire tomber au sol. Tiamat lui lance un projectile magique dans le dos et Wyverne lui assène un dernier coup bien placé de front.
Elle s’effondre enfin par terre, et ne semble pas se relever cette fois.
Enfin quelques secondes de répit. La chaleur revient progressivement au terrain. Biast et les autres reprennent leur souffle.
« Bien joué, Wyverne ! », commente Tiamat, encore un peu le souffle court.
Wyverne retourne l’Émissaire à l’aide de son pied.
« Alors, elle est morte ? »
Wyverne la considère quelques secondes.
« Non, elle respire encore. »
Des bruits de pas résonnent tout autour et se rapprochent dangereusement.
Le soldat aligne sa lame sur le cou de l’Émissaire, mais il arrête soudainement son mouvement.
« Magne-toi ! Il en a d’autres qui arrivent ! », s’énerve Eibis.
Wyverne marmonne quelque chose et secoue la tête. Il recule et secoue la tête encore. Biast discerne les mots « Jill… Qu’est-ce que tu fais ici ? ». Son coéquipier blêmissait à vue d’œil. On aurait dit qu’il avait vu un fantôme.
« Wyverne ? », demande Biast, incertain.
Les bruits de pas résonnent de plus en plus fort. On entendait même des cris.
Eibis bouscule Wyverne.
« Faut vraiment que je fasse tout ! »
Il lève son épée.
Biast aperçoit une hache voler en direction de son coéquipier. Merde ! Il a juste le temps de lancer son épée pour dévier la trajectoire de l’arme.
La hache passe à deux doigts d’ouvrir l’épaule d’Eibis. Ce dernier, stupéfait, bredouille un « merci ».
Le groupe est bientôt encerclé.
« Merde ! On n’a plus l’temps ! », s’écrie Tiamat.
Contre toute attente, Wyverne range son arme et ramasse l’Émissaire dans ses bras.
« Mais qu’est-ce' tu fous ? », éclate Biast.
Mais le soldat n’écoute plus. Il marche en direction d’une paroi rocheuse la plus éloignée des Sang-de-rouille. Impulsivité, absence de réaction face aux autres… Avait-il un épisode que certains décrivent comme « être pris dans sa propre tête » ?
Les trois hommes se regardent, perplexes. Ils n’avaient cependant pas le luxe de s’occuper de leur confrère pour l’instant, pas avec leurs opposants nouvellement arrivés.
« On les abat vite fait, puis on se souciera de Wyverne après. », commande Tiamat.
Biast prend la première arme qu’il trouve au sol. Une massue ferrégienne. Oula… Elle n’était pas nécessairement lourde, mais son point d’équilibre était bien différent de son épée et son poids allait probablement devenir problématique à la longue. Mais il allait falloir composer avec en attendant qu’il reprenne possession de son épée. Que cette journée pourrie finisse…
La nouvelle horde de barbares descend de son perchoir pour combattre. Biast a de la difficulté à manier correctement sa nouvelle arme, mais il réussit tout de même à tuer un Sang-de-rouille. Il cherche du regard son épée et aperçoit Wyverne revenir dans leur formation pour les aider. Il avait l’air… bizarre. Mais le temps n’était pas aux réflexions. Biast identifie donc son prochain adversaire.
En moins de deux, Wyverne jette à terre d’autres croisés ferrégiens avec ses ailes de feu. Biast en profite pour achever ceux qui tombaient à proximité. Son coéquipier se battait avec une ferveur renouvelée, et son silence était d’autant plus troublant.
En peu de temps, les renforts sont décimés.
« Voilà une bonne chose de faite. » Tiamat se retourne vers Wyverne, sa lame pointant sur lui. « Tu vas nous dire c’était quoi tout à l’heure ? »
« Leur Émissaire… Je la connais.
— Et alors ? Les ordres sont de ramener la tête de Shiva. Alors, ôte-lui la vie, qu’on en finisse avec ça !
— Je… je ne peux pas… »
Biast a un mauvais pressentiment.
« Dans ce cas, laisse-moi le faire. »
Wyverne se place délibérément entre les trois hommes et la femme, son arme toujours en main.
« Je ne vous laisserai pas la toucher. »
Tiamat commence à perdre patience.
« Wyverne, t’as conscience de ce que tu dis ? Bouge.
— Je refuse.
— Wyverne… Je t’en prie. » Biast essaie de calmer le jeu. « T’es pas sérieux, hein ?
— Tu oserais trahir Sangbrèque ? » Tiamat semble furieux.
« Trahir ? Je ne me rappelle pas avoir prêté allégeance à l’Empire. »
Non, mais le con ! Arrête ! Tu creuses ta tombe, là !
« Cette marque lui a peut-être assuré mes services, mais pas ma loyauté. Je ne me bats que pour survivre. »
Biast soupire. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que Wyverne se rebelle ? Pourquoi aujourd’hui ? Merde ! Wyverne lui avait sauvé la vie, deux fois même ! Et maintenant Biast s’apprêtait à l’abattre pour désertion. Tu parles d’une façon de montrer sa reconnaissance !
« Et tu crois pas que nous aussi ? rapplique Eibis. On nous tuera si on a le malheur de rentrer les mains vides !
— Fait chier, Wyverne. Tu pouvais pas juste suivre les ordres ? » Mais Biast est ignoré.
« Je ne compte pas y rester. » Wyverne réajuste sa poigne sur la garde de son épée. « Et je veux la sauver. »
Tiamat grimace à ces mots. « Pour la dernière fois. Bouge. »
Wyverne se met en garde. « Je refuse. »
Pas moyen de baisser la tension. Et pas moyen de raisonner Wyverne. Biast remarque que les mains du soldat, mais également celles de Tiamat, tremblent légèrement. Ils étaient tous vidés. Peut-être pouvait-il gagner du temps.
« Si on est pour se battre, on pourrait pas le faire ailleurs ?
— Biast…, avertit Tiamat.
— J’ai pas envie d’avoir ces barbares dans le dos pendant qu’on s’entretue. Ça avancera personne.
— C’est pas le moment, siffle leur supérieur.
— Sergent… Il n’a pas tort. » Eibis pèse ses mots. Il grimace l’espace d’une seconde quand ses oreilles captent des bruits de pas au loin.
Les quatre restent là à se dévisager, sans faire le moindre geste, quand tout à coup une voix résonne derrière eux.
« Et si je vous offrais une autre option : me suivre gentiment et tout le monde vit ? »
Un homme mystérieux tout vêtu de cuir fait son apparition. Ce n’était ni un Ferrégien ni un Dalmèque. Qu’est-ce qu’il foutait sur ce champ de bataille ?
Biast jette un coup d’œil à son sergent, qui était livide. Eibis pâlit peu après. Mais c’est qui, ce mec ?
L’homme fait craquer la foudre dans sa main. « Vous n’y voyez aucun inconvénient, n’est-ce pas ? »
Et Biast percute à son tour. Bordel, y manquait plus que ça…
Tiamat lui avait déjà parlé de cet homme, un certain Cidolfus Télamon, l’Émissaire de Ramuh. Biast ne voulait pas se frotter à un autre monstre, pas après le combat contre cette femme. Cette… Jill ?
Biast se souvient que son sergent avait aussi mentionné que Cid était l’ancien commandant des chevaliers royaux valœdois, conseiller et bras droit du roi immortel Barnabas Tharmr, ce qui voulait dire qu’il représentait une menace probablement pire que celle de Shiva… Il semblerait que l’homme ait abandonné son poste après un différend avec son roi. Ces dernières années, on parlait surtout de Cid le renégat, et l’Empire avait mis sa tête à prix suivant la casse qu’il avait faite à la capitale. Personne n’avait réussi à retrouver sa trace.
La question restait par contre : que foutait-il sur ce champ de bataille ?
« D’ailleurs, vous seriez bien gentils de les ranger. » Cid pointe leurs épées. « J’ai la gâchette facile quand je vois des armes. »
Biast observe Tiamat, qui remet doucement la lame à sa ceinture. Eibis fait de même. Biast laisse tomber sa massue au sol. Il voulait plutôt récupérer son épée. Oh ! La voilà à proximité du groupe. Sûrement qu’on ne lui laissera pas la chance de la reprendre par contre…
Seul Wyverne était encore en garde.
« Wyverne, baisse ton arme. », demande lentement Tiamat.
Le soldat ne bouge pas d’un poil. On aurait dit un chien acculé au pied du mur, prêt à bondir sur quiconque s’approcherait. Biast ne l’avait jamais vu comme ça avant. Que signifiait cette femme pour lui ?
Cid considère Wyverne quelques instants, puis secoue la tête. « Sergent, votre soldat ne vous écoute pas, dit-il visiblement déçu. Insubordination ou désertion ? »
Tiamat aurait normalement rétorqué quelque chose, mais il reste silencieux. On pouvait voir les muscles de sa mâchoire se contracter.
« Peu importe. Je ne veux pas me mêler de vos affaires personnelles. Je ne suis pas venu pour vous. »
L’homme se dirige vers le groupe d’une démarche nonchalante, la main sur le pommeau de la longue épée à sa hanche. Biast pouvait sentir son estomac se nouer à mesure que Cid approchait d’eux. Le soldat tentait discrètement d’atteindre son épée avec son pied.
Cid s’arrête devant Wyverne et le dévisage.
« J’vous préviens…, grogne ce dernier.
— T’inquiète, elle est entre de bonnes mains. » Il dépose sa main sur son épaule. « Au repos, soldat. »
Le Pourvoyeur se raidit d’un coup et laisse tomber son épée avant de s’effondrer au sol. Biast se fige. Que lui avait-il fait ? Cid venait-il de tuer Wyverne sans broncher ?!
« Maintenant que le dernier élément gêneur est réglé. » Cid se retourne. « Goetz, viens par ici ! »
Une voix fluette répond : « Y-y’a plus de danger ? Sûr de sûr ? »
« Sûr de sûr. »
Un grand gaillard avec un immense sac de transport fait son apparition. Il s’approche nerveusement du renégat.
« Vous n’allez pas nous tuer ? », ose Biast. Tiamat le fusille du regard.
« Pourquoi ? Faudrait ? Ah ! À cause de… » Cid pointe Wyverne. « Il est juste inconscient. » L’homme leur offre un sourire bienveillant. « Ma proposition tient encore, vous savez. »
Biast n’est pas convaincu, mais avant qu’il puisse rétorquer, Eibis lui vole la parole.
« La rumeur… que vous libérez des Pourvoyeurs… », mais il interrompt son idée à mi-chemin et baisse les yeux. « Impossible, nous sommes des soldats…
— Et alors ? Vous méritez d’être libres aussi. Tout homme mérite de l’être. »
Une lueur illumine brièvement le regard d’Eibis.
Ce n’est pas que Biast n’était pas convaincu, en fait il serait bien tenté de croire Cid, mais si son expérience sur le terrain lui a bien appris une chose, c’est que l’espoir est synonyme de deux choses : la déception et la douleur. Les hommes « altruistes » sont tout sauf ; ils cachent juste mieux leurs fourberies. Et pour avoir été stratège pour Valœd, il devait s’y connaître en manigances et en manipulation.
« Détendez-vous, voyons. Je vais pas vous mordre. »
Cid porte de nouveau son attention vers le dénommé Goetz et lui pointe l’Émissaire. Son acolyte hoche la tête à petits coups et presse le pas dans sa direction.
« Vous m’excuserez un moment. »
Cid va observer rapidement la femme. Lui et le grand gaillard échangent quelques mots, puis Cid lui donne son approbation. Il revient vers le groupe.
« J’espère que vous avez pris votre décision. Nous partons. »
Les trois soldats se regardent. Tiamat soupire.
« Biast, prends Wyverne. »
Ce dernier dévisage son sergent avec surprise.
« À la bonne heure, sourit Cid. Par ici, je vous prie. »
Chapter 2: Le désert de Velkýroj
Summary:
Notre groupe de soldats pourvoyeurs a survécu au défilé de Nýsa, mais sauront-ils se rendre au repaire du mystérieux Cid ? Tiamat n'a aucunement confiance en l'ancien commandant valœdois, qu'il croit d'ailleurs toujours au service du roi Barnabas. Après tout, personne n'échappe réellement à sa patrie...
***
Changement de PoV pour ce chapitre. Tiamat passe aux commandes.
Notes:
Ma chère Seynne, merci encore pour ton écoute et tes idées. <3 Nos belles discussions continuent de nourrir ce merveilleux univers alternatif. Partageons notre amour pour eux ! Je tiens également à remercier ma sœur pour ses bons conseils.
Et sincèrement, je ne pensais pas avoir autant de plaisir à écrire leurs PoV. Mine de rien on est rendu à 10k mots. Une première pour moi XD
***
For those reading using an automated translator, do note that I'm using the French localization names in this fic. I've listed the differences with the English translation in the End Notes.
***
(2023-11-15: Je me suis rendue compte que les vêtements dans FFXVI ne comportent pas de boutons, surtout l'habit de Jill. Alors, j'ai ajusté le texte. XD)
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
« Biast, prends Wyverne.
— Qu- ? » Ce dernier dévisage Tiamat avec une expression de surprise.
« À la bonne heure, sourit leur nouveau bourreau. Par ici, je vous prie. »
Biast se penche pour récupérer leur confrère inerte au sol et, avec l’aide d’Eibis, l’installe sur son dos. Pendant ce temps, Tiamat fait le bilan mentalement de la situation :
- [prévu] ils ont trouvé l’Émissaire de Shiva ;
- [imprévu] Wyverne s’est retourné contre eux ;
- [imprévu] Cidolfus Télamon s’est interposé pour la leur voler ;
- [imprévu] ils sont contraints de le suivre.
La présence de Cidolfus au défilé de Nýsa est pour le moins curieuse. S’il est toujours affilié à Valœd…
Comment pourrait-il en être autrement ? Personne n’échappe à sa patrie ; pas même le grand Cidolfus ne peut se soustraire à cette réalité…
Qu’aurait ce royaume à gagner en s’ingérant dans ce conflit ? À moins qu’on ait eu la même idée que le Saint-Empire : éliminer un élément gênant avant qu’il ne devienne une véritable menace.
Mais alors, pourquoi la garder en vie ? Il aurait été facile de l’achever et de supprimer en même temps quelques soldats sangbréquois, des Pourvoyeurs par-dessus le marché ! Le stratège avait probablement un plan derrière la tête, et le sergent ne voulait aucunement en faire partie.
Tiamat trouve malgré lui un certain réconfort à l’idée que lui et ses hommes vivaient encore ; ils avaient encore une chance de s’en sortir, même si leur temps était compté.
Ainsi, le groupe finit de se préparer. Tiamat ramasse l’épée de Wyverne et aperçoit celle de Biast un peu plus loin. Décidément, ces deux-là, entre le taciturne et le blagueur invétéré, avaient la fâcheuse manie de toujours vouloir sauver les autres, quitte à se mettre dans une position désavantageuse. Difficile de leur en vouloir, mais considérant leur statut de Pourvoyeur, c’était extrêmement dangereux. Ils étaient chanceux d’avoir réussi à survivre aussi longtemps…
Tiamat récupère les ceintures de Biast et de Wyverne pour pouvoir enfiler les deux armes plus confortablement. Il ne savait pas ce qui les attendait, alors autant avoir les mains libres au cas où la situation partirait en vrille.
Le groupe se met rapidement en marche.
Heureusement, leur trajet se déroule sans encombre ; on ne croise aucun Sang-de-rouille. Par contre, Tiamat remarque la présence de quelque chose, qui les observe. Parfois, il peut entendre des bruits de pas furtifs.
Tiamat fait signe à Eibis. Cidolfus et son acolyte ne semblent pas préoccupés. Étonnant que le stratège n’ait pas remarqué, à moins que ce ne soit prévu… Par contre, montrer de l’hostilité envers la créature pourrait alerter Cidolfus et être mal interprété.
« Nous sommes suivis… Par un genre de bête, s’essaye-t-il en guettant la réaction de l’homme.
— Oh, je me demandais aussi où il était passé. Faut pas s’inquiéter, c’est un copain. » Cidolfus lève la tête de côté, puis lance à voix haute : « Tu peux venir mon grand. »
À peine a-t-il terminé sa phrase qu’une ombre surgit du haut d’une paroi rocheuse. Un loup grisâtre atterrit au milieu du groupe. Tiamat et Eibis se mettent en garde par réflexe, et Biast manque de laisser tomber Wyverne.
Le quadrupède se met à grogner et semble prêt à bondir sur l’un d’eux au moindre faux mouvement.
« Tout doux, réprimande Cidolfus. J’ai dit que c’est un ami ! »,
Tiamat fixe la bête et hésite un instant, puis relâche finalement la garde de son épée. Eibis fait de même. Elle semble se détendre un brin, puis tourne la tête en direction de Biast qui rajuste Wyverne sur son dos. Le loup marche vers lui.
« Euuuuh… » Biast perd de ses couleurs. « Vous êtes sûr que ça va pas me manger ?
— Je ne l’ai jamais vu manger d’humain, donc…, hausse les épaules Cidolfus.
— Mais ça veut rien dire, ça !!! », s’affole Biast.
La bête se remet à grogner, et ce dernier se fige complètement. Elle attend quelques secondes. Elle se détend, puis commence à lui tourner autour.
Le loup renifle ses jambes, puis celles de Wyverne. Tout à coup, il se met à gémir et à remuer la queue. Il tourne à nouveau autour de Biast.
« Il nous fait quoi là ?!
— Bonne question. » Cidolfus considère un moment la scène en silence. « Bon, commence-t-il avant de se retourner en toussotant, ne nous attardons pas ici plus longtemps. »
Biast semble sidéré. Il se tourne vers son sergent. Tiamat tente de s’approcher, mais le loup montre les dents. Les deux se fixent du regard, puis Tiamat recule en levant les mains. La bête se calme.
« Va falloir t’y faire. », signale Tiamat avant de partir devant. Mieux valait ne pas empirer les choses en restant trop près de l’animal.
Eibis murmure un « Désolé ».
À peine quelques secondes plus tard, Tiamat entend derrière un « Va chercher ! » puis reçoit un impact dans le dos. Il se retourne net.
« Biast… » Tiamat fusille du regard Biast. Venait-il sérieusement de lui jeter une branche dans le dos ?
Biast écarquille les yeux.
« Ben quoi ? … J’ai paniqué, OK ?! », s’excuse à moitié le malheureux en grimaçant.
Le sergent expire bruyamment. Il n’avait pas de temps à perdre avec ça, et reprend sa marche sans commenter.
« Attends ! », s’exclame Biast, mais Tiamat accélère le pas, excédé. « Héé ! Je suis désolé ! »
***
Le groupe s’arrête pour une énième fois à l’ombre pour se réhydrater et s’assurer que l’Émissaire allait bien malgré la chaleur du désert. Elle s’était réveillée quelques fois avant de se rendormir par épuisement.
Wyverne avait également repris connaissance assez rapidement, mais le choc que lui avait donné Cidolfus un peu plus tôt l’avait empêché de se mouvoir par lui-même un certain temps. Biast avait donc continué à le porter sur son dos une partie du trajet. Tiamat l’avait entendu mettre à jour le soldat sur la situation, sûrement pour éviter que Wyverne ait la brillante idée de s’enfuir ou de reprendre les hostilités.
Par contre, il avait été impossible pour Tiamat de s’approcher des deux hommes. Le loup ne les avait pas quittés d’une semelle depuis le début, et l’animal ne semblait pas particulièrement apprécier la présence du sergent. Tiamat avait donc gardé ses distances et profitait d’une roche plus loin pour reposer ses jambes lors du présent arrêt.
Il ne savait toujours pas la distance qui restait à parcourir. Le stratège de Valœd avait sciemment évité les lieux habités, ce qui n’avait rien d’étonnant considérant sa présente compagnie. Ce qui dérangeait par contre Tiamat, c’est qu’on se dirigeait invariablement vers le nord, sinon on aurait atteint la mer il y a longtemps. Cidolfus ne prévoyait donc pas de prendre le bateau. Mais qu’allait-il faire sur les terres du Saint-Empire ? Espérons qu’il ne soit pas tenté de nous livrer à Sangbrèque contre une poignée de gils pour avoir trouvé des « déserteurs »…
« Sergent… », chuchote Eibis. Il a probablement remarqué également le curieux trajet. « Si nous continuons dans cette direction, nous allons nous retrouver dans les terres mortes. »
Ces terres dépourvues d’éther et infestées de monstres… Les Pourvoyeurs perdaient la faculté d’utiliser la magie dans ces endroits, et les Émissaires sans doute aussi. Qu’allait-on faire là-bas ? Impensable que Cidolfus se mette volontairement en désavantage.
« Mmm… que manigance-t-il enfin ? » Tiamat reste songeur.
Un peu plus loin, mais toujours à l’ombre, Wyverne flatte le loup, qui s’est couché près de lui. Il semblait avoir l’esprit ailleurs.
« T’as pas peur qu’il t’arrache la main ? », demande Biast, assis de l’autre côté de son confrère.
« Non. » Il gratte maintenant la mâchoire de la bête. « D’ailleurs, il s’appelle Talgor.
— Parce que tu viens de lui trouver un nom en plus ? » Biast secoue la tête avec découragement.
Tiamat les regarde discuter. On pourrait croire que Biast avait complètement baissé sa garde. Il avait un naturel pour la conversation et la plaisanterie quand ils étaient en mission, loin de l’armée et de leurs supérieurs.
Le sergent se renfrogne quand il aperçoit Cidolfus s’approcher de Wyverne et du loup.
« Vous vous connaissez tous les deux ? s’enquiert innocemment le stratège.
— Oui, sourit légèrement Wyverne. Mon père l’avait trouvé lors d’une expédition dans les Terres du Nord.
— Ça explique alors pourquoi il ne tenait pas en place plus tôt et qu’il jappait. Il a dû reconnaître ton odeur. » Cidolfus tapote affectueusement la tête de l’animal. « Tu dois être content d’avoir retrouvé ton maître, hein ? » Le quadrupède lui répond d’un aboiement bref.
Biast sursaute au son, faisant évaporer toute semblance de calme dans sa posture. Avait-il toujours eu ce malaise face aux canidés ? En même temps, il avait rarement été en contact avec eux bien longtemps, note intérieurement Tiamat. Le soldat avait probablement eu de mauvaises expériences par le passé… Au moment où le sergent s’apprête à l’interpeler, Biast se lève de lui-même. Ce dernier s’excuse rapidement auprès de Wyverne, puis se dirige d’un pas semi-pressé vers Tiamat et Eibis.
« Tu tiens le coup ? taquine Eibis.
— Ha ha… J’ai voulu lui offrir une main, mais il n’en a pas voulu, plaisante Biast avec un rire forcé.
— C’est vrai, un loup gros comme ça, c’est plutôt ta jambe tout entière qu’il voudrait. » Le sourire d’Eibis s’élargit alors que Biast pâlit devant l’image. Ce dernier secoue la tête vigoureusement comme pour chasser l’idée.
« Alors, vous en pensez quoi de tout ça ? demande Tiamat à brûle-pourpoint.
— Du loup ? » Biast lui jette un regard perplexe.
« Non, de lui. » Leur sergent pointe du menton Cidolfus.
« Ah… Mmm… À vrai dire, j’ai mes réserves. Mais pour l’instant, on peut rien faire. Sinon, tu nous aurais déjà sortis de là, je me trompe ? »
Biast n’avait pas tort. Tiamat se creusait les méninges depuis l’arrivée impromptue du stratège. Ils ne peuvent rien tenter tant que Cidolfus commande la foudre de Ramuh, et finir griller ne figure pas dans les plans de Tiamat.
La remarque d’Eibis lui revient en tête.
« On a peut-être une chance. Eibis, quelle distance estimes-tu entre ici et les terres mortes ? »
Le soldat réfléchit un temps.
« Je dirais une ou deux heures de marche maximum. » Eibis ferme les yeux. « Je ne ressens pas encore l’appauvrissement d’éther, mais ça ne saurait tarder lorsque nous reprendrons notre trajet. »
Le grand gaillard, Goetz, attire l’attention de Tiamat avec son va-et-vient incessant. Un peu plus et le pauvre bougre allait se creuser un trou avec tout ce piétinement. Sa nervosité avait nettement empiré depuis tout à l’heure.
Pendant la discussion du groupe de Tiamat, celui-ci note que Goetz se décide enfin à approcher Cidolfus.
« C-cid… Si on-n se pr-presse pas, Mamie va nous gronder. »
Le stratège semble embêté par la remarque.
« Tu as raison… » Il jette un coup d’œil au ciel. « Cependant, je doute qu’elle apprécie que je te fasse aventurer dans les terres mortes de nuit. S’il devait t’arriver quelque chose, c’est pas mes oreilles qu’elle va rincer à coup d’injures, mais ma tête qu’elle va faire tomber. »
Tiamat arque le sourcil en entendant ceci. Une « mamie » faisait peur au stratège ? C’est une blague…
« Dormir… I-ici ? Avec… » Il s’interrompt, puis se cache la bouche pour chuchoter. « Avec eux ? E-et s’ils décident de nous t-t-tuer ? »
« Voyons, mon bon Goetz, ils n’ont aucune raison de s’en prendre à toi. » Cidolfus lui sort un autre de ses sourires bienveillants.
« S-si tu le dis… » Il regarde en direction de l’Émissaire. « Et que fait-on de la fille ? Elle a besoin d’un ausc-s-oscu…
— Oui, Tarja doit l’ausculter, mais demain matin, quand on pourra se déplacer sécuritairement jusqu’au repaire. » Cidolfus lui tape l’épaule pour le rassurer. « Au fait, ne te resterait-il pas des onguents et des bandages dans ton sac ? »
Goetz dépose son sac et fouille rapidement à l’intérieur. Il acquiesce.
« T-tu t’es b-blessé, Cid ? dit-il avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
— Non, rassure-toi. C’est pour nos quatre amis. Bien qu’ils soient de bons soldats, ils se sont beaucoup battus aujourd’hui. Je veux m’assurer qu’ils aient le nécessaire pour se soigner.
— Entendu… » Goetz lui tend les items en question. « Mmm… Oublie pas de p-payer Mamie p-pour le matériel.
— Je paierai mon dû. Promis. »
Sur ce, Cidolfus se retourne de nouveau vers Wyverne et lui offre son aide. Le soldat ne semble pas savoir quoi lui répondre. Le stratège lui laisse une fiole avant de se lever et de s’approcher de Tiamat, Eibis et Biast.
« Bonjour messieurs, nous n’avons pas eu l’occasion de parler alors que nous marchions. »
Les trois hommes dévisagent Cidolfus en silence.
« Bien qu’il ne nous reste pas un grand trajet à parcourir, nous passerons bientôt dans une zone, disons…
— Les terres mortes ? interrompt Tiamat. Nous avons remarqué. »
Il aurait préféré éviter les discussions inutiles, mais le stratège semblait déterminé à leur parler…
« Excellent. Dans ce cas, vous ne serez pas étonnés que je propose que nous montions un campement de fortune. Je ne peux pas, en bonne conscience, vous faire traverser les terres mortes de nuit, pas après la journée que vous avez eue. D’ailleurs, à ce sujet, comment allez-vous ? Des blessures à signaler ? »
Et il semblait déterminer à les « aider »…
« Merci pour votre sollicitude, mais nous allons bien, rétorque Tiamat.
— Vous avez tout de même affronté des Ferrégiens et un Émissaire. Ce n’est pas une mince affaire. Je vous laisse ces onguents à proximité. Prenez ce dont vous avez besoin. »
Cidolfus soutient leurs regards quelques secondes encore, attendant une remarque ou une question. Eibis hoche discrètement la tête. Le sourire du stratège reprend forme immédiatement, puis l’homme se retire.
Quand Cidolfus semble de nouveau occupé, Eibis prend l’une des fioles et scrute son contenu, puis l’étiquetage. Il les passe toutes en revue avant d’en tendre une en direction de Biast.
« Tu pourras soigner ta bonne joue. J’y repense, t’es vraiment chanceux de t’être éraflé de ce côté plutôt que de l’autre.
— Ah… » Biast porte une main à sa marque et rit nerveusement. « Et c’est quoi ce truc que tu me donnes ?
— Selon ce qui est écrit, ça désinfecte les plaies. Ça en a l’odeur aussi.
— Et tu vas utiliser ce qu’il te donne ? questionne Tiamat, agacé.
— Il nous a dit de prendre ce dont on a besoin, répond calmement Eibis.
— J’espère que tu ne fais pas confiance à ses mots, dit Tiamat entre ses dents.
— Parce que ces gestes ne sont jamais gratuits ? Je sais… » Encore cette lueur qui illumine brièvement le regard d’Eibis. « Et s’il était différent ?
— Comme dans les rumeurs que t’as entendues ? Elles déforment la réalité, j’ai pas besoin de te le rappeler. » La déception dessine une grimace sur le visage de Tiamat. « Je te croyais plus logique…
— J’utilise justement ma tête, tranche Eibis. S’il voulait nous tuer, il l’aurait déjà fait. Il en est capable, et vous le savez. Mais vous avez vu l’attention qu’il porte à l’Émissaire ? À son compagnon ? Et même à Wyverne ? Avez-vous senti une goutte de soif de sang durant notre trajet ? Certes, il peut être un excellent manipulateur, mais… » Eibis soupire. « Je sais pas… Juste cette fois-ci… »
Tiamat lui serre l’épaule en signe de compréhension.
« Euh… Je peux utiliser le truc ou pas ? », demande finalement Biast, la fiole toujours dans sa main.
Silence.
Le soldat continue de fixer les deux, attendant visiblement une réponse. Eibis se retourne vers Tiamat et lève les sourcils. Le sergent secoue la tête avec exaspération. Sérieusement…
« Fais c’que tu veux, grogne Tiamat. Viens pas te plaindre après si ta figure boursoufle. »
Tiamat se lève pour prendre un peu de distance avant de sortir une remarque qu’il regretterait. Ce Cidolfus avait décidément beaucoup de charisme. Ça commençait à être dangereux. Plus ils resteront en sa présence, plus le stratège aura le loisir de s’immiscer dans leurs têtes. Il fallait mettre un terme à cette charade avant qu’il ne soit trop tard.
***
« Bon ! s’exclame soudainement Cidolfus. Profitons du fait qu’il fait encore jour pour trouver un endroit où monter notre campement. »
Tiamat revenait au même moment auprès du groupe. Il aurait aimé être moins sur les nerfs, mais l’annonce du stratège lui fait aussitôt pincer ses sinus par agacement. Non seulement il n’avait pas pu marcher bien loin de peur d’éveiller des soupçons, mais il n’avait pas non plus réussi à faire aboutir ses réflexions sur un plan viable.
Cidolfus avait bien énoncé plus tôt son désir de tous les faire dormir dans le désert, mais Tiamat ne pensait pas qu’il l’aurait proposé à ce temps-ci de la journée. Le sergent jette un coup d’œil au ciel. Cidolfus n’avait pas tort ; la journée était déjà bien avancée.
Le groupe, incluant Tiamat, aide aux préparatifs. On trouve assez rapidement une sorte d’alcôve dans les parois rocheuses. Goetz étend une couverture qu’il détache de son sac pour y installer doucement l’Émissaire. Le loup vient se coucher à proximité d’elle.
Pendant ce temps, Cidolfus se propose pour ramasser de quoi alimenter un feu. Avant qu’il n’ait à demander de l’aide, Eibis se propose pour l’accompagner. Biast le suit de peu, prétextant vouloir se dégourdir les jambes. L’abri étant plus restreint, Biast se sentait probablement mal à l’aise d’être si près de l’animal.
Ainsi, Tiamat se retrouve seul avec Wyverne, Goetz, l’Émissaire et le loup. Était-ce l’opportunité rêvée ou une autre manigance de Cidolfus ? La seule menace dans le présent groupe est Wyverne et possiblement le loup. Correction, possiblement uniquement le loup. En effet, le quadrupède était de toute évidence toujours sur ses gardes malgré ses yeux fermés, alors que Wyverne semblait perdu dans ses pensées, à regarder distraitement la femme. Ce dernier était plus lent à la détente lorsqu’il se noyait dans sa culpabilité.
Tiamat remet sur la table ses options. S’en sortirait-il s’il tentait de prendre la tête de l’Émissaire de Shiva à l’instant ? Tout dépend du temps que Cidolfus et ses deux confrères prendront à revenir au campement… Et considérant le danger de traverser le désert durant la nuit, rien ne lui garantissait d’atteindre Kanvěr en un seul morceau. Et même s’il réussissait, un Pourvoyeur seul n’est rien sans un maître…
Le sergent sort de ses pensées en entendant couiner le grand gaillard. Il fouillait encore dans son sac. Tiamat comprenait qu’il rende l’homme nerveux, mais il y avait une limite à mettre à jour son inventaire. Les nombreux coups d’œil en direction de la femme rendent par contre curieux le sergent. Il tend alors l’oreille au marmonnage de Goetz… L’Émissaire avait une soudaine poussée de fièvre ?
Tiamat attrape du coin de l’œil le changement d’expression de Wyverne. Le cœur du sergent se serre.
« Vous n’avez rien dans votre sac pour ça ? demande Tiamat, feignant un ton désintéressé.
— A-ah ! Euh… » panique Goetz. Il prend une inspiration. « Euh… Non. J’ai des t-topiques, des élixirs, des bandages, euh… Mais rien pour la fi-fièvre spécifiquement.
— Une de ses plaies s’est peut-être infectée ? Avez-vous vérifié tout son corps ? Je… » Tiamat hésite tout à coup. « Je l’ai frappée au moins à l’épaule et à la tête. »
Le sergent s’approche de l’Émissaire automatiquement et s’accroupit pour l’observer de plus près. Ses vêtements étaient tachés et effilochés. Elle portait encore les signes de leur dernier combat, et quelques bandages, notamment à l’épaule. Son visage était contracté et d’une pâleur malgré ses joues empourprées. Tiamat a parlé d’infection, mais la femme était clairement épuisée et son corps peinait sûrement à refermer ses plaies.
« Biast lui a entaillé le dos. Vous avez bien nettoyé cette plaie ? J’aimerais voir le bandage. Tournez-la, je vous prie. »
Goetz s’exécute aussitôt. Tiamat lui fait signe de retirer le haut du vêtement de la femme. Le grand gaillard sursaute et manque d’échapper l’Émissaire. Le sergent la rattrape et réprimande Goetz.
« Doucement, voyons ! »
Tiamat est de plus en plus irrité. Qu’était-il en train de faire au juste ? Il n’était tout de même pas en train d’aider l’Émissaire… Sûrement, il… Sûrement…
C’était le regard affolé et rempli de désespoir de Wyverne, comme si son monde s’effondrait autour de lui. C’était ce qui a déclenché le pilote automatique de Tiamat.
Eh merde…
Le sergent demande s’il reste de l’eau dans la gourde de Goetz. Ce dernier acquiesce.
« Wyverne, va me la chercher. » Son ordre semble être suffisant pour sortir le soldat de sa stupeur.
Pendant ce temps, Tiamat retire la robe de la femme avec l'aide de Goetz, puis il dénoue par la suite son corsage pour révéler un buste couvert d’ecchymoses et d’entailles. Les bandages qui recouvrent son dos étaient rouges et encore humides, mais aucune mauvaise odeur.
« Wyverne, apporte de nouveaux bandages pendant que tu y es. » Puis à Goetz. « Et l’onguent qui désinfecte ? C’était une fiole verte, il me semble ? » L’homme lui répond par l’affirmative. « Wyverne, tu m’en ramènes une aussi. »
Le sergent fait tenir les cheveux de la femme par Goetz alors qu’il commence à retirer délicatement les bandages. Tiamat constate que la plaie s’était rouverte. Wyverne ne tarde pas à revenir avec le nécessaire. Tiamat prend en premier l’eau et en verse un peu sur ses gants pour enlever la poussière, puis il verse une partie sur le dos de l’Émissaire. Il referme la gourde et la dépose sur les jambes de la femme.
Le sergent positionne ses mains à quelques centimètres du dos de l’Émissaire et prend une grande inspiration. Une lueur émane de ses paumes. Il tente de canaliser au mieux l’éther ambiant. Après quelques secondes, la plaie commence déjà à se refermer un peu. Il sent des gouttes de sueur perler sur son front. Tiamat déplace ses mains vers la prochaine zone profonde. Au bout d’un moment, l’entaille s’est refermée à plusieurs endroits. Un peu plus et… et… Sa vision se trouble.
Une main lui agrippe l’épaule pour le tenir en place. Une vague de sueurs froides le prend d’assaut et la nausée ne tarde pas à suivre. Tiamat doit s’arrêter un temps et retire ses mains. Heureusement, le gros du travail était fait.
« Wyverne, dit le sergent essoufflé. Prends le relais… Je vais m’asseoir. »
Wyverne l’aide à reculer avant que ses jambes ne soient trop molles. Tiamat le remercie. Il prend de grandes inspirations avant de pouvoir guider le soldat sur la marche à suivre. Il ne restait qu’à enduire un morceau du bandage propre avec l’onguent, puis à l’appliquer sur ce qui restait de la plaie.
« Ensuite, tu entoures le bandage… Comme ça. » Tiamat ferme de nouveau les yeux et respire un bon coup. « J’imagine que tu sais comment lacer un corset. » Tiamat lui décoche un sourire en coin.
Wyverne rougit instantanément. On aurait dit un adolescent à nouveau. Il lui faut un moment pour réussir à la rhabiller. Ses mains étaient remplies de pouces. Quand il a terminé, Goetz la couche sur le côté en suivant les instructions de Tiamat.
Le visage de la femme semblait d’un meilleur teint et ses traits, plus détendus. Elle allait survivre. Tiamat soupire à nouveau. Dire qu’il préméditait encore leurs morts il y a moins d’une heure et voilà qu’il venait de les aider au prix de son énergie. Par réflexe, putain ! Ses hommes n’étaient pas les seuls à être incorrigibles apparemment…
Il ferme les yeux et appuie son front sur ses mains jointes. Qu’allait-il faire maintenant ? La période pour rapporter la tête de l’Émissaire se rétrécissait inexorablement, et il venait de jeter à l’eau une autre occasion de la lui prendre.
Mais était-ce réellement la seule solution… ?
D’une part, il ne voulait pas devenir un déserteur et gaspiller toutes ces années passées à se prouver. Il avait finalement une équipe, un titre, un nom… Pour cela, il avait dû tuer un nombre incalculable d’ennemis du Saint-Empire, mais aussi abattre ses semblables, pour être utile, pour survivre…
D’autre part, si Cidolfus désire livrer l’Émissaire à son roi Barnabas, alors pourquoi s’embêter avec une poignée de Pourvoyeurs ? Les marqués n’étaient guère mieux traités au Royaume de Valœd, même que le bruit courait qu’on les donnait en pâture aux monstres qu’on utilise sur le champ de bataille… Est-ce que le stratège était de ces nobles qui prennent plaisir à faire croire qu’ils veulent aider les marqués et qui, derrière les rideaux, leur mettent des cibles dans le dos pour leur chasse à l’homme « récréative » ? Et puis, pourquoi aller vers le nord ? Comptait-on traverser la contrée annexée de Rosalia vers un port dérobé ? Autant passer par Kanvěr au sud, ce serait plus rapide.
Autant de questions et si peu de réponses.
Enfin, il y a la possibilité improbable qu’avançait plus tôt Eibis, que Cidolfus veuille vraiment les aider. Si c’est le cas, qu’y gagnerait-il ? Comment pourrait-il les protéger, lui, un seul homme ? On ne fuit pas longtemps Sangbrèque, et aider un déserteur est un crime passible de mort. Personne ne serait assez fou… Et pourtant, Tiamat se souvient de l’exploit absurde de Cidolfus : s’infiltrer dans la carrière de Chefdrac, à la capitale, et réussir à s’en échapper après avoir été découvert par Bahamut lui-même. Le stratège était recherché depuis, mais il était toujours libre. Alors qu’en est-il des rumeurs autour de Cidolfus, divagations totales ou…
Tiamat n’ose pas finir cette pensée. Il n’osait plus espérer.
Il se passe les mains dans les cheveux. Ça ne servait à rien de se torturer l’esprit de la sorte. Il était vivant et c’est tout ce qui comptait.
Tiamat porte son attention sur Wyverne. Il était assis plus près de l’Émissaire, mais semblait plus crispé qu’avant, avec les joues qui se coloraient de rose chaque fois qu’il la regardait trop longtemps. Son regard avait une douceur que Tiamat ne lui avait jamais vue avant.
« Vous étiez proches ? », demande le sergent.
Wyverne rougit de nouveau à la question, puis son air mélancolique revient au galop.
Il reste silencieux un moment avant de finir par acquiescer. « Je ne pensais jamais la revoir… »
Son regard se perd en direction de l’entrée de leur abri. Le soldat semblait de nouveau perdu dans sa tête, probablement à revoir des images du passé.
« Elle… » Tiamat interrompt sa question.
Le sergent n’a jamais été du genre à s’intéresser au passé des autres — pas comme Biast qui avait le don pour soutirer de l’information même à travers les conversations les plus banales —, mais pour une raison quelconque, il éprouvait de la curiosité face à la nature du lien que partageait Wyverne et la femme. C’était comme si leur rencontre avait réveillé quelque chose chez le soldat.
« Jill…, murmure Wyverne. Elle s’appelle Jill.
— Jill…, se répète Tiamat à lui-même. Vous… Vous vous êtes connus où ?
— Avant l’armée…
— À Rosalia ? »
Wyverne semble surpris par ce nom. Cela devait faire longtemps qu’il ne l’avait pas entendu.
« Oui… »
L’Émissaire venait donc du passé de Wyverne…
« Et elle n’avait pas de pouvoirs…
— Pas à ma connaissance. »
Quel dommage qu’elle soit tombée entre les mains du Royaume de Fer... Le sergent n’avait rien de personnel contre la femme. Probablement que dans d’autres circonstances… À quoi pensait-il au juste ? Il servait le Saint-Empire. Elle était la cible de leur mission. C’était sa tête ou la leur.
« Merci pour tout à l’heure.
— Pour ? Ah… j’ai agi par réflexe…
— Merci quand même.
— Mmm… »
Tiamat ressent une petite chaleur. Ce n’était pas le moment de couvrir une fièvre lui aussi. Il avait peut-être trop forcé plus tôt. En espérant que ça passe…
L’abri redevient silencieux, avec quelques cliquetis ici et là que Goetz produisait en fouillant dans son sac. Puis, tout à coup, il lâche un « Cid ! ». Cidolfus, Biast et Eibis revenaient à l’instant de leur cueillette. Ils avaient même rapporté du gibier. Le groupe allait pouvoir se mettre sous la dent autre chose que des biscuits secs. Tiamat ne voulait pas se l’avouer, mais l’idée de manger de la viande le faisait saliver, même si c’était du dhole des steppes.
Le grand gaillard rejoint le stratège sans tarder et le débarrasse de la carcasse. Cidolfus le remercie.
On prépare assez rapidement un feu de camp près de l’entrée. Wyverne prête ses flammes pour allumer les brindilles. Goetz revient avec des morceaux de viande à faire cuire. Il avait travaillé avec une vitesse impressionnante. Biast lui offre de l’aider pour nettoyer ses mains et ses outils grâce à son affinité avec l’élémentaire aqueux.
Autour du feu, Cidolfus raconte leur chasse inattendue. Eibis sourit. Biast se joint à la narration en négligeant de mentionner ses cris face à l’animal sauvage qui l’avait surpris au retour. Eibis le corrige de façon espiègle.
Tiamat les écoute sans commenter, mais sourit malgré lui devant leur bonne humeur.
« Et de votre côté, vous ne vous êtes pas trop ennuyés ? demande Cidolfus entre deux bouchées.
— Rien de particulier, répond le sergent.
— R-rien ? Il a aidé J-jill ! Elle faisait de la fièvr-, commente Goetz avant que Tiamat ne l’interrompe.
— C’était rien. »
Voilà que la chaleur revenait à ses joues. Il sent des paires d’yeux le scruter. Biast tout particulièrement.
« Ça devait être une sacrée urgence, toi qui ne soignes jamais personne d’habitude », taquine le soldat.
Biast taraude de questions Tiamat, qui se borne à rester silencieux. Son chef n’ayant manifestement aucune intention de lâcher le morceau, le soldat se tourne vers Goetz pour obtenir la version complète des événements. Et il se trouve que l’homme est très loquace en compagnie de Biast, au grand dam du sergent.
Wyverne passe dans le moulinet de Biast par la suite. Le pauvre ne dérougissait pas.
Tiamat voyait difficilement le visage de Cidolfus de l’autre côté du feu, mais il aurait juré l’entendre pouffer de rire.
Eibis ne commente pas, mais quelque chose dans son regard changeait l’expression de son visage. Tiamat n’avait pas les mots justes pour la décrire. Il y avait encore cette lueur dans ses yeux.
Avant que la conversation ne dérape davantage, Tiamat propose de convenir des tours de garde. La soirée progressait assez rapidement et il fallait se réveiller à l’aurore. Biast rit encore un coup, puis reprend son sérieux avant d’acquiescer. Tiamat prend le premier tour. Eibis s’offre pour le dernier, puisqu’il était matinal de toute façon. Biast opte pour le deuxième avec Wyverne.
Le groupe nettoie rapidement le campement, puis s’installe pour tenter de dormir, quoique pour être franc, les soldats somnolent en général plus qu’ils ne dorment. La nécessité d’être toujours sur le pied d’alerte l’exigeait, surtout en territoire ennemi…
Il ne reste bientôt plus que Tiamat debout. Il s’assure que le feu a encore suffisamment de branches avant de se déplacer à l’extérieur de l’abri, son épée à la ceinture.
La nuit dans le désert était nettement plus froide que sur le territoire de Sangbrèque, mais il appréciait l’absence d’humidité. Il y avait peu de nuages pour cacher la lune, alors les dunes offraient au loin une assez belle vue. Très calme.
Tiamat entend des bruits de pas derrière lui. Il se crispe quand il entend la voix de Cidolfus.
« Je viens prendre l’air, pour digérer. »
Fallait-il vraiment qu’il vienne lui piquer une jasette ? Le sergent tente de l’ignorer.
« Je peux ? », demande le stratège en montrant une cigarette. Voyant que Tiamat ne s’y opposait pas, il l’allume à l’aide de son index et prend une bouffée. « Je voulais aussi en profiter pour discuter un peu avec leur chef. Ils vous tiennent en haute estime, vous savez.
— …
— D’accord… » Il prend une autre bouffée. « Pas du genre très bavard. » Il expire la fumée lentement. « N’empêche, j’ai besoin de valider certains points avec vous, notamment la façon dont vous voyez la situation. J’ai besoin que vous compreniez que vous n’êtes pas mes prisonniers. »
Tiamat tique à ces mots.
« Dans ce cas, que sommes-nous pour vous ?
— Des hommes libres. Tout simplement.
— Et où nous emmenez-vous ?
— Mon repaire.
— Votre repaire est dans les terres mortes…
— En effet.
— Personne ne peut vivre dans ces zones, grimace Tiamat.
— Précisément pour cette raison. Ça évite le voisinage et les curieux.
— Dites plutôt que c’est une prison. »
Cidolfus étouffe un rire. Tiamat n’arrivait pas à savoir s’il le faisait marcher ou s’il était sérieux. En fait, il n’arrivait pas du tout à cerner le stratège. Que voulait-il vraiment ?
Cidolfus s’adosse à la paroi rocheuse, puis monte la cigarette à sa bouche. Il reste dans cette position un instant sans toutefois inhaler de fumée. Il jette un coup d’œil en direction de Tiamat, qui le dévisageait sévèrement, et soupire.
« Je comprends que vous doutiez de moi, un étranger qui débarque de nulle part…
— Un homme de Valœd. Un commandant de surcroît.
— J’aurais dû me douter que vous seriez au courant… »
Il souffle une nouvelle bouffée de sa cigarette et marque une pause, contemplant le ciel. Puis, il reprend la parole, plus calmement :
« En revanche, je me dois de vous corriger, c’est "ancien commandant". J’ai laissé cette vie derrière moi.
— Permettez-moi d’en douter.
— Je vous le concède, ce n’est pas quelque chose qu’on puisse prouver par de simples paroles. »
Le sourire que Cidolfus produit ressemble plus à une grimace qu’autre chose. Il porte sa main à la nuque et pousse un petit soupir, à la limite d’un rire.
« Par Gwéligore ! reprend-il, un sourire dans la voix. Vous êtes pas facile à convaincre ! En même temps, je n’en attendais pas à moins de vous. Vous êtes un bon leader, vous veillez à la sécurité de vos hommes. C’est admirable.
— Vous voulez quoi à la fin ? s’impatiente Tiamat.
— Est-ce si difficile à imaginer que je n’aie aucun plan derrière la tête ? Que je veuille réellement vous aider ? »
Cidolfus fixe Tiamat. La lueur de la lune accentuait ses traits, chargeant son regard d’une intensité qui rend tout à coup mal à l’aise le sergent. Ce dernier détourne les yeux.
« Personne n’aide les Pourvoyeurs.
— Et moi, je vous dis que si. »
À ces mots, Tiamat remarque du coin de l’œil un changement de posture chez le stratège. Cidolfus semblait tout à coup tendu, et son expression était devenue plus sérieuse, plus sombre, et paradoxalement, plus vulnérable. Sa voix se fait plus puissante, plus agacée.
« Diantre ! crache-t-il. Personne ne peut dicter comment une autre peut vivre sa vie ni comment elle se termine. Je veux offrir cette liberté à mes semblables, et vous en faites partie ! »
Tiamat reste sans voix devant cette exclamation. Qu’avait vécu Cidolfus pour qu’il dise ça ? Habituellement, les personnes qui s’insurgeaient pour les Pourvoyeurs les prenaient en pitié, elles ne s’incluaient pas dans le lot. Le sergent se tourne vers Cidolfus et croise son regard l’espace d’une seconde avant que ce dernier ne lève les yeux vers les astres. Il prend une nouvelle bouffée d’une main tremblant légèrement.
« Pardon, je me suis laissé emporter », dit Cidolfus en expirant. Il écrase sa cigarette peu après. « Je vais rentrer me reposer ; la fatigue me fait pas… »
Tiamat, encore immobile, regarde le stratège marcher vers l’intérieur du repaire. Ce n’est que lorsque ce dernier passe l’entrée que le sergent retrouve enfin la parole :
« Je vais être franc, je ne vous fais pas confiance, lance-t-il sur un ton accusateur. Par contre, continue-t-il plus doucement, je reconnais que vous avez été bons envers mes hommes et… comment dire… »
Cidolfus se retourne vers Tiamat, la surprise dans le regard.
« Je veux bien vous accorder une chance. »
Un sourire illumine le visage du stratège. « C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre. »
Notes:
Chapitre 2 - liste des équivalences FR / EN:
Terres mortes = Deadlands
Terres du Nord = Northern Territories
Velkýroj = Velkroy
Dalméquie = Dhalmekia
Sangbrèque = Sanbreque
Ferrégien/Sang-de-rouille = Ironblood
Valœd = Waloed
Chefdrac = Drake's Head
Talgor = Torgal
Eibis = Aevis
Pourvoyeur/marqués = Branded
Émissaire = Dominant
Primordial = Primal
Gwéligore = Greagor
Dhole des steppes = Sunhound
Chapter 3: Les Terres mortes
Summary:
Après avoir passé la nuit dans le désert, le groupe reprend la route, mais Eibis a l'esprit ailleurs. Il repense à la conversation entre Tiamat et Cid, qu'il a entendue par hasard. Le soldat n'en revient pas que son sergent accepte de faire confiance à Cid! Il se prend à penser que les choses pourraient peut-être enfin s’améliorer pour eux, que leur liberté est bel bien possible...
***
Changement de PoV: on suit Eibis ce chapitre-ci <3
Notes:
Après plus d'un an, je réussis enfin à poster le 3e chapitre. Je l'ai réécrit près de six (6) fois, en fait probablement plus, avant d'être satisfaite avec le flow de l'histoire et de la voix de Eibis. J'ai toujours autant de plaisir avec ces trois hommes. Comme je disais à Seynne l'autre jour, on va leur faire du contenu à ces trois chéris!
J'aimerais remercier de nouveau Seynne et ma sœur pour leur écoute, leurs suggestions et la revue du chapitre. Je vous adore! Vous êtes ma source d'inspiration!
Et merci à vous, lecteurs, pour votre patience! Je vous envoie plein d'amour!
***
For those reading using an automated translator, do note that I'm using the French localization names in this fic. I've listed the differences with the English translation in the End Notes.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
« Je veux bien vous accorder une chance »
Il n’y a aucun doute, c’est bien la phrase que son sergent a prononcée hier soir. Parmi tous les scénarios qu’il a pu se faire, Eibis n’aurait jamais pensé que Tiamat démontre une ouverture après seulement une journée en compagnie de Cid. Déjà que la rencontre avec l’ancien commandant de Valœd était complètement inattendue, voire miraculeuse, puis que son sergent donne grâce à Wyverne après son affront et même qu’il soigne la cible de leur mission plus tard dans la journée. Le sourire de Tiamat durant le repas aurait dû être le point culminant, mais non, il a décidé de faire confiance à Cid, un brin en tout cas. Quelle autre surprise leur sergent leur réservait-il ?
Eibis tente de modérer son enthousiasme, mais, à dire vrai, la phrase n’a pas quitté ses pensées depuis. Il s’était même pris à rêver que les choses pourraient peut-être bien s’améliorer au final…
Ressaisis-toi, voyons. Impossible que ce soit aussi simple.
Il se permet toutefois une petite dose d’optimisme et le début d’un sourire, qu’il n’arrive pas à effacer depuis tout à l’heure. Heureusement, ses compagnons d’armes sont plus occupés par leurs propres pensés ou par où ils mettent les pieds que par les expressions estampées sur la face Eibis.
Cid leur a bien indiqué qu’ils emprunteraient un chemin peu fréquenté avant d’ouvrir la marche ce matin, mais le chemin en question semble plutôt avoir été laissé à l’abandon depuis des années. On peut à peine voir le sentier à travers la gravelle, les roches et le sable. Les parois semblent également marquées par des impacts. Les tempêtes de sable sont-elles à ce point violentes dans le désert ? La roche semble pourtant solide par ici.
D’ailleurs, où sont-ils rendus maintenant ? Combien plus au nord ? Eibis a beau noter mentalement la distance parcourue à pied et la position du soleil, il aimerait bien avoir un aperçu de l’horizon pour avoir une idée plus exacte de leur emplacement. Le seul indicateur de leur proximité aux terres mortes est l’éther ambiant, mais c’est encore une mesure subjective. Le soldat dénote bien une baisse, mais rien qui puisse lui faire affirmer que le groupe est entré dans la zone.
Eibis tente de se remémorer la carte du territoire dalmèque qu’il a étudiée avant de partir en mission. Elle détaillait avec une étonnante précision la République et ses passages dérobés, ce qui rendait presque risible la tache d’encre qui représentait les terres mortes. On y décelait avec effort le crayonné d’une zone montagneuse sous tout ce noir.
À bien y réfléchir, aucune des cartes à la disposition de l’armée ne comportait d’informations sur la région ou, du moins, rien qui ne soit utile au soldat dans le présent contexte. Rien au sujet du terrain, rien au sujet des chemins possibles et encore moins au sujet de comment le Fléau noir affecte la région. Ce n’est pas comme si les cartographes se bousculent d’ailleurs pour étudier les terres mortes et leur dégradation, surtout avec les effectifs de l’Empire de plus en plus mobilisés par le conflit qui s’étire avec le Royaume de Valœd. L’autre jour encore, Eibis avait aperçu un nouvel arrivage d’adolescents qu’on envoyait au front, avec heureusement aucun Pourvoyeur dans leurs rangs…
La marche se poursuit encore un moment, et Eibis commence enfin à voir des changements dans l’environnement. Le peu de végétation désertique et le sable laissent la place à des arbrisseaux rabougris et de la terre. Quelques touffes d’herbes ici et là décorent le bord du chemin. L’air semble un brin plus humide. C’en est presque agréable. Avec un peu de chance, le repaire du renégat serait peut-être situé dans une oasis au sein des terres mortes.
« Je n’vous cacherai pas que le monde au repaire va être surpris que je ramène, pas une, mais cinq personnes. »
La voix rocailleuse de Cid résonne chaudement contre les parois alors que le groupe passe sous un énorme rocher coincé entre celles-ci.
« Tant qu’ils ne sortent pas les pics et les torches en nous voyant, blague Biast, ce qui lui vaut un coup de coude de la part d’Eibis. Ha ! Ha ! Ha ! Aïe !
— Aucun risque là-dessus, glousse l’ex-stratège. Il n’y a aucun différend qui résiste à un verre ou deux.
— Parce que vous avez de l’alcool en plus ?! »
Donc, ils ont tout de même un peu de moyens. C’est plutôt bon signe. À moins que ce ne soit du stock volé à l’Empire.
« Rooh ! J’ai trop hâte d’y être et de m’réhydrater la gorge ! Dites, on arrive bientôt ? »
Eibis se retient d’émettre un commentaire désobligeant à l’égard de Biast. Il aimerait bien lui aussi entendre la réponse de Cid.
« Plus très loin. Probablement une fourche ou deux, un gros tronc d’arbre et on y est. À côté, quoi, sourit-il de nouveau. »
À côté, hein ?
Le soldat lui retourne son sourire pour masquer son agacement. Soit l’ex-stratège reste volontairement flou, soit il est mauvais en calcul…
Le pied d’Eibis glisse.
« E-ep !
— Hé oh ! s’exclame Biast alors qu’il lui agrippe l’épaule pour le retenir de tomber. Ça va, mon vieux ?
— Pardon… je…
Le cliquetis du gravier continue encore un moment, le bruit porté par l’acoustique des parois rocheuses. Ce n’est que lorsque le silence revient que le soldat sent ses joues rougir d’embarras.
« Une erreur d’inattention.
— Mouais… dit Biast en lui relâchant l’épaule. Bon ben, fais gaffe, hein ? J’veux pas avoir à te porter si tu t’casses une jambe. »
À peine son camarade se retourne-t-il que son pied glisse à son tour.
« Pu------tain… Mais c’est quoi c’te chemin d’con ?! »
Cid ralentit légèrement le pas et regarde derrière lui en direction d’Eibis et de son camarade qui reprend tant bien que mal son équilibre à travers un florilège de jurons.
« Mes excuses. La pente est quelque peu instable.
— J’avais pas remarqué, maugrée Biast. Mais sérieux, z'auriez pas un meilleur chemin ? On va s’estropier si ça continue.
— Votre compagnon me dit qu’il y en a d’autres, répond entre deux jurons leur sergent à l’arrière du groupe.
— En effet, commence Cid, sans rien perdre à son sourire. Cependant, celui-ci est le plus direct. Je vous demanderais encore un peu de patience, messieurs. »
Eibis peut sentir l’énervement gagner Tiamat malgré la distance entre la tête et l’arrière du groupe. Pour être honnête, la facilité avec laquelle Cid se déplace sur ce terrain contre la maladresse marquée des soldats commence à irriter Eibis également. En ce moment, ils tirent plus du hobgobelin dans une boutique d’antiquités que d’une unité d’élite. Ce maudit gravier… Même le dénommé Goetz s’en tire mieux qu’eux !
Et avec tout ce bruit… Ils vont finir par attirer l’attention d’un monstre, et Eibis n’a pas particulièrement envie de se battre. Pas aussi proches de terres mortes.
D’ailleurs, l’éther est à peine perceptible maintenant. Le soldat scrute les parois rocheuses et constate que la végétation s’est raréfiée davantage, sinon desséchée. Étrangement, même la terre semble plus terne. Et la roche friable… Si c’est bien les effets du fléau noir, alors comment est-ce que les gens réussissent à vivre ici si tout tombe en ruine ?
***
Le groupe atteint après un moment la seconde fourche. Bien que ce ne soit pas « à côté », comme le prétend Cid, le segment du trajet est tout de même plus court que dans les appréhensions d’Eibis.
« C’est fou pareil, s’exclame Biast avec un sifflement, on dirait que toute la région a cramé ! J’comprends mieux le “noir” dans “fléau noir”.
— Tu croyais que le nom venait d’où ? demande à demi-sourire Eibis.
— J’sais pas, d’une “inspiration divine” ou une niaiserie du genre.
— Certains croient en effet que ce phénomène serait un châtiment divin, indique Cid.
— Comme le trou de j’sais plus qui ?
— Les chutes de Dzémékys, corrige Eibis.
— Ça. Mais y’a rien eu du calibre des Célestes depuis, alors je vois pas pourquoi. Et puis, Gwéligore est pas réputée vengeresse. M’enfin, dit Biast alors qu’il casse sans effort une branche d’un arbrisseau à proximité, c’est moche comme endroit…
— J’avoue que le ciel est plutôt décevant pour dormir à la belle étoil-
— Rassurez-moi, vous vivez pas dehors quand même !
— Non, nous ne vivons pas dehors. Ça n’en a pas l’air mais, Cid pointe tout autour, ce n’est pas les cachettes qui manquent ici !
Eibis remarque seulement à l’instant quelques bouts de colonnes blanches qui dépassent au-dessus des parois rocheuses.
— … les vestiges des Célestes, dit pensivement Eibis.
— Exactement ! Ma foi, quelle perspicacité ! J’en connais un qui va être ravi de faire votre connaissance. »
Voilà qui pique la curiosité du soldat. Ainsi l’ex-stratège compterait un érudit parmi ses partisans ? Ce fameux repaire gagne en intérêt.
« J’aim-
— Ahhh… j’crève la dalle ! se plaint Biast.
— T’as qu’à manger des biscuits !
— Ark ! Non, j’avalerai pas un autre de ces biscuits moisis !
— Monsieur fait les fines bouches maintenant ? questionne sarcastiquement Eibis.
— Dixit celui qui est passé à deux doigts de les gerber la veille !
— Je me suis étouffé !
— Mouais, j’y croirais presque si c’tait pas d’la face que tu faisais.
— Et la chasse, ça vous parle ? interjecte Cid, coupant net l’échange entre les deux soldats. Nous pourrions bien mettre à profit vos talents pour trouver du gibier.
— Ah bah là, tu m’parles ! De la viande, je salive déjà.
— Fais gaffe à ne pas développer des goûts princiers, Biast.
— Vous avez fini de jacter, oui ? s’exclame Tiamat avec une exaspération marquée. »
Eibis se raidit à la réprimande, ce qui lui vaut un petit rire moqueur de la part de Biast.
« Avec tout ce bruit, vous allez les attir- »
Eibis jette un coup d’œil vers l’arrière pour voir la cause du soudain mutisme de leur sergent. Ce dernier est visiblement tendu, la main déjà sur la garde de son épée et les yeux balayant les alentours. Le soldat se met instinctivement à faire de même.
« Voyons, détendez-vous, dit Cid avec son ton rassurant. Je connais ce chemin. Personne ne l’emprunte depuis des lunes.
— Parfait. Parce qu’on jurerait qu’on vient tout droit de marcher dans une embuscade.
— Une embusc- ? Puisque je vous dis qu- »
Mais l’ex-stratège est interrompu par des ricanements qui résonnent au-dessus du groupe. Son sourire s’estompe l’espace d’une seconde.
« C-ciiid ...! s’écrie nerveusement Goetz à l’arrière du groupe. »
Une poignée de gobelins viennent d’atterrir autour du grand gaillard qui transporte la blessée. Talgor se met à grogner de façon menaçante, mais ça n’empêche pas les créatures d’avancer.
Eibis dégaine prestement son épée pour venir en aide à la queue du groupe, mais Tiamat l’interpelle aussitôt :
« Eibis ! Garde les yeux devant ! »
Comme de fait, des gobelins ont également fait apparition au-devant du groupe.
Si ce n’était que de ceux-là… D’autres gobelins continuent de montrer leurs vilaines figures et leurs oreilles pointues en haut des parois rocheuses.
Heureusement, ils ne sont pas tous arm-
Des galets commencent à fuser de part et d’autre.
Les enfoirés...!
Le soldat esquive un coup de gourdin, donne un coup de pied à gauche, puis un coup d’épée à droite tout en essayant de protéger une partie de son visage des projectiles. Un gobelin profite de son angle mort pour lui sauter dans le dos.
Chi-chi-chi-ching ! Les coups de griffes abondent sur son armure pendant qu’Eibis se débat. Il finit par opter pour écraser la créature contre une paroi.
Tout juste lorsqu’il sent la créature le relâcher que CLAC ! des galets éclatent tout près de sa tête. Eibis se jette sur le côté pour éviter un projectile en direction de ses yeux.
« Mais y’en a combien, putain ?! gronde Biast.
— Au moins une dizaine à l’arrière, répond Tiamat à travers la cacophonie des roches, des épées et des ricanements. Et vous, à l’avant ?
— Au moins deux ou trois, dit Cid.
— Z'êtes bigleux ou quoi ? Y’en a cinq juste en face de moi ! s’énerve Biast. »
Eibis tente de trouver un coin moins exposé pour pouvoir mieux évaluer la situation. Cette petite corniche fera l’affaire, ne serait-ce que pour quelques secondes.
Le soldat compte approximativement sur les parois une dizaine sur la gauche et une autre sur la droite. Si seulement il pouvait conjurer un coup de vent, il les décapiterait d’un coup ! Il commence à en avoir marre de ces monstres ricaneurs et de ce passage exigu, d’autant plus que Biast vient de passer à deux doigts d’écorcher Cid avec son swing.
D’ailleurs, l’ex-stratège semble moins alerte. Ses mouvements sont moins gracieux que tout à l’heure. Commencerait-il à fatiguer ? Quoique les autres ne seront pas en meilleure position d’ici peu.
Du coin de l’œil, Eibis aperçoit du mouvement un peu plus loin. Il prend en chasse la créature, mais la perd presque aussitôt alors qu’il transperce un énième élément gêneur sur son chemin.
Où est-il passé ?
Du gravier déboule de la paroi à un mètre ou deux plus loin.
Te voilà !
Pensant s’approcher d’une des fameuses cachettes mentionnées par Cid plus tôt, Eibis poursuit sa cible sans plus attendre, épée en main. Mais aussitôt tourne-t-il le coin que son sang se glace dans ses veines.
Un hobgobelin. Aussi gros que la cavité qui l’abrite. Assis. Avec un immense tronc d’arbre comme gourdin. Les yeux fermés. La respiration tranquille. Et avec un peu de chance, toujours assoupi.
Le ricanement du gobelin qui était en fuite la minute d’avant n’a rien de rassurant. Le soldat a à peine le temps de lever les yeux avant que le petit diablotin porte un cor à ses lèvres et souffle de toutes ses forces.
Merde !!!
Le géant renifle un coup, puis ouvre les paupières mollement. Il redresse la tête. Renifle de nouveau. Ses yeux ne tardent pas à se centrer sur Eibis, qui prend aussitôt les jambes à son cou.
« Biast, Sergent ! On a un problème ! s’écrie le soldat lorsqu’il aperçoit le groupe.
— C’est quoi, t’en as trouvé un autre ?
— Oui !!
— T’aurais pu l’tuer au moins ! »
La paroi rocheuse derrière Eibis vole en éclats.
« Bordel ! Mais qu’est-ce tu nous ramènes ?!
— Hobgobelin !!
— Parce qu’y a des gigas cons en plus ? Sérieux, Cid- »
Un bang ! suivi de sifflements au-dessus de la tête d’Eibis. Des roches se pulvérisent contre la paroi rocheuse devant lui. Un coup d’œil au-dessus de son épaule confirme que le géant se prépare à balancer son gourdin dans l’autre direction. Avec ces quelques secondes de merci, le soldat regarde de nouveau devant lui.
Le groupe n’a pas bougé.
Pourquoi ?
Ne voient-ils pas l’énorme créature ?
Non, ils l’ont vue. Forcément qu’ils l’ont vue.
Le chemin est encore obstrué par les gobelins…
Oui. Ça ne peut être que ça.
En effet, Eibis aperçoit Tiamat et Wyverne qui se battent du mieux qu’ils peuvent autour de Goetz et de la blessée. Et à l’avant du groupe, Cid et Biast sont eux aussi toujours aux prises avec les créatures.
Une poussée d’air fait culbuter le soldat vers l’avant. Quelques gravats lui tombent dessus, comme pour lui rappeler son sort s’il n’évite pas le prochain coup. Aplati comme une crêpe. Si près du but, de leur liberté…
Non ! C’est le hobgobelin qui va mourir ici. Pas Eibis, et certainement pas ses frères d’armes !
Le soldat se jette entre les jambes de sa cible en lui lacérant au passage un mollet. Une fois debout derrière lui, Eibis lui assène plusieurs coups d’épée dans le dos. Puis, une autre salve. Et une autre. Le sang ruisselle déjà, mais aucune réaction de la part du géant. Pas même un soubresaut. Pis encore, il continue son avancée sans encombre. Eibis connaît la résistance des hobgobelins, mais là s’en devient ridicule.
Trouver autre chose…
« Hé ! crie Eibis en lui balançant un galet. L’affreux ! Je suis ici ! »
Il enchaîne les galets. Mais toujours aucune réaction.
Le soldat s’apprête à attaquer les mollets du géant quand un sentiment étrange lui parcourt le corps. Comme un picotement… La pression ambiante… L’air qui se charge…
Puis, vient la foudre.
Bourdonnement.
Vision trouble.
… Vivant.
Il est vivant.
Eibis se surprend à rire.
Il est vivant.
Et les autres ?
Des voix…
« Z'êtes malade ou quoi ? Vous voulez nous griller, c’est ça ? »
Biast. Bien sûr.
« C-ciiiid ! »
Un rire rauque bienveillant.
D’autres murmures…
Ils sont vivants.
Eibis n’arrive cependant pas à voir le groupe derrière ce gros rocher.
Une odeur de chair brûlée.
C’est le hobgobelin.
De la fumée se dégage du corps. Est-il vraiment mort ? Il semble immobile.
Autant ne pas prendre de chance…
Le soldat grimpe sans plus réfléchir sur le dos du géant et lui plante son poignard dans la nuque. Le sang s’écoule tranquillement de la plaie. Aucun souffle. Le monstre est bel et bien mort. La foudre l’a eu avant Eibis.
La foudre… Le ciel n’indique pourtant aucun signe d’orage. Ça ne laisse que la magie… mais comment est-ce possible dans les Terres mortes ? Comment Cid a-t-il réussi à canaliser de l’éther ici ? D’où l’a-t-il puisé ?
Les émissaires sont décidément bien effrayants.
Le soldat tire avec effort le géant par l’arrière pour le faire tomber et libérer le passage du même coup. La poussière est soulevée un moment.
« Eibis ! T’as pas morflé, hein ? s’enquiert Biast.
— Pas encore. »
Eibis nettoie d’un coup sec la courte lame, puis son épée avant de les remettre à sa ceinture.
« Messieurs, commence Cid avec un signe théâtral, le chemin est de nouve- kof… kof… »
Une quinte de toux prend d’assaut l’ex-stratège. Goetz le rejoint rapidement avec une gourde d’eau, mais ça ne semble pas l’apaiser.
« Mer- kof… kof… -ci.
— Cid… »
Goetz lui propose une fiole ensuite, mais Cid secoue la tête à la négatif :
« Ça va kof… j’irai voir Tarja. »
Ce n’est qu’à la mention de ce nom que l’inquiétude apparente du grand gaillard s’estompe. Il lui pointe tout de même de s’asseoir un moment.
« Une guérisseuse ? s’enquiert Eibis.
— Une médecin, corrige Cid après une autre gorgée d’eau, et excellente, qui plus est. »
L’homme tend la gourde à Eibis, mais ce dernier la refuse poliment. Cid reprend une gorgée, puis s’essuie la bouche du revers de la main.
« D’ailleurs, vous pourrez lui rendre visite une fois qu’elle aura ausculté Jill. À ce sujet… Goetz, comment va-t-elle ? »
L’homme en question dépose la blessée aux côtés de Cid. On vérifie ses signes vitaux, la réveille momentanément pour l’hydrater et vérifier ses bandages. De ce qu’Eibis peut voir, elle ne semble présenter aucune nouvelle blessure. Un coup de chance peut-être… ou pas, considérant que Wyverne et Tiamat ont tous deux veillé à sa protection. Le soldat sourit à l’image de deux preux chevaliers. Il ne manque que les dragons majestueux pour compléter la scène.
Le contraire d’un assassin…
« Eibis ?
— Mmm ?
— T’as comme quelque chose là, et là, signifie Wyverne.
— Par Gwéligore ! Il parle ! s’amuse Biast.
— Oh… répond Eibis en s’observant enfin. »
En effet, le devant de l’armure du soldat est couvert de sang. Son petit exploit avec le hobgobelin va lui valoir une séance de nettoyage en profondeur. Et avec la quantité d’écailles. Le potentiel de rouille… Il soupire intérieurement.
« Misère… J’espère qu’ils ont de quoi récurer là-bas… Ah mais ! Vos armures sont tout aussi dégoûtantes que la mienne.
— T’as les yeux qui louchent ou quoi ? J’me suis pas roulé dans un bain de sang, moi ! répond Biast, feignant l’indignation.
— T’en es certain, parce que… renchérit Wyverne, avec enfin un petit sourire en coin. »
Quelque chose dans la répartie de Wyverne prend par surprise Eibis…
« Pfft…
— Eibis ? »
Mais plus précisément, l’expression stupéfaite de Biast à l’instant…
« Pfft… ah ha ha ha ! Ha ! Ha !
— Mais…
— Ha ha ha ha !
— … tu perds la boule, mon vieux ?
— Ha ha ha ha ha ha ha !
— Ha ha ha ! »
Le fou rire prend Wyverne à son tour.
« T’y mets pas toi aussi !
— Ha ha ha ha !
— J’y crois pas… »
Les protestations de Biast sont enterrées par les deux soldats quasi aux bords des larmes. Il ne met cependant pas longtemps à succomber lui aussi aux rires aussi contagieux qu’incontrôlables.
« Ha ha ha ha ! »
On dirait des gamins qui viennent d’entendre la meilleure blague de leur vie et qui n’arrivent plus à respirer. Ou des soulons qui ont eu une soudaine « révélation ».
Ils doivent vraiment être exténués pour rire de la sorte. Et pourtant, Eibis sent un petit regain d’énergie alors que la tension accumulée jusqu’à présent s’évapore.
Goetz s’approche timidement d’eux. Il faut un moment aux trois hommes pour reprendre enfin possession de leurs moyens et écouter le grand gaillard.
« C-cid va mieux. On reprend la route. »
Les trois hommes hochent la tête, mais Wyverne fait quelques pas en direction du grand blond et parle sans se cacher.
« Je voulais te remercier pour tout ce que tu fais pour Jill.
— H-hi ! Ah… Mamie a accepté que je sois de la mission, mais… Euh… Ça fait… Ça fait plaisir.
— Je la remercierai également.
— Elle en sera ravie, répond Goetz avec un sourire radieux. »
Les traces d’un sourire éclairent le visage de Wyverne.
« Et toi, ça va ?
— O-oui oui.
— Content de l’entendre. Tu t’es défendu comme un chef.
— M-merci- »
Cid l’interpelle plus loin. Goetz fait signe de la main et s’en retourne auprès de l’ex-stratège aussitôt, laissant en suspens sa conversation avec Wyverne.
Eibis ne devrait pas être étonné par leur échange, considérant les discussions amicales autour du feu la veille. Il s’en serait même réjoui ce matin ! Il s’en serait réjoui ce matin ! Seulement, quelque chose le tiraille de l’intérieur à mesure que le fameux repaire se rapproche, qu’il devient tangible :
Et si c’était un piège après tout ?
Et si… Tiamat avait raison et qu’Eibis se montre trop crédule devant les rumeurs au sujet de Cid ?
Et si…
On ne parle pas à un marqué. Pas sans malice. Sans regard agacé. Sans mépris. Sans dédain. Goetz semble être quelqu’un de bien… Mais c’est justement avec ce genre de personne que ça fait le plus mal quand les masques tombent. Parce qu’on se prend à espérer que peut-être… peut-être qu’un Pourvoyeur peut être plus qu’un cristal au rabais, plus qu’une bête, plus que de la chair à canon, plus… comme un être humain à part entière, qui mérite le respect et la dignité.
Goetz n’est peut-être qu’un marchand opportuniste pour qui l’argent n’a pas d’odeur ou bien un marchand dont les problèmes d’argent le forcent à tout accepter pour se sauver les fesses. Dans de tels cas, l’ex-stratège saurait habilement tirer profit de la situation.
Et pourtant, les actions de Cid et de Goetz portent à croire que les deux hommes semblent réellement vouloir les aider.
Mais imaginons que les doutes du soldat soient fondés et que lui et ses confrères doivent fuir, où partiraient-ils ?
À partir du moment où ils ont commencé à suivre Cid… Non, à partir du moment où ils ont priorisé leur vie à leur mission, ils sont devenus des traîtres pour l’Empire. Quand bien même qu’ils rapporteraient par miracle la tête de Shiva et celle de Ramuh, on ne leur pardonnerait pas leur manque de ferveur. Et quand bien même qu’on expierait leurs péchés, qu’y gagnerait Sangbrèque à garantir la vie sauve à une poignée de Pourvoyeurs ? Plutôt que de louanger leurs faits d’armes, on les dépêcherait aussitôt vers une nouvelle mission suicide, puis une autre, et une autre, jusqu’à ce que mort s’ensuive…
« Tu traînes des pieds, Eibis.
— Pardon, Sergent ! Je-
— N’accélère pas. Je ne suis pas venu te sermonner. Par contre, rassure-moi, tu ne caches pas de blessures ? »
Eibis dévisage Tiamat d’un air surpris. Ce dernier lui répond d’un froncement de sourcils, et d’un coup d’œil évident à son poitrail.
« Ah, ça ? dit-il en pointant le rouge de son armure. C’est le hobgobelin. J’ai été chanceux. Et vous ? Je suis content de voir que vous vous portez-
— Tu n’as pas été foudroyé ? interrompt son sergent, toujours d’un air sérieux.
— Ah… pas que je sache. Mais j’avoue avoir été sonné sur le coup. Toute cette lumière et ce bruit… J’imagine que peu de gens peuvent se vanter d’avoir vu la foudre d’aussi prêt sans y avoir laissé sa peau.
— Et j’espère que tu n’auras pas à renouveler l’expérience à cause de sa négligence.
— J’ose croire qu’il a meilleure connaissance du reste du chemin…
— Il a intérêt. »
Les deux hommes continuent en silence un moment.
La cime d’une des colonnes blanches est de nouveau visible au-dessus des parois rocheuses. Eibis ralentit le pas malgré lui en l’apercevant.
« Sergent ?
— Ne me dis pas que tu doutes de ta décision…
— C’est idiot, je sais…
— Pas que ce soit une mauvaise chose avec l’autre qui brille par son incompétence. Tu fais bien de rester sur tes gardes.
— Vous y allez un peu fort, Sergent.
— Tu crois ? Il se borne à se perdre dans des “raccourcis”, met en danger son unité et utilise son éther comme un insouciant. T’as vu le sang qu’il a toussé tout à l’heure ? Et son bras…
— Pardon, du sang ?
— Oui, c’est beau s’il n’a pas taché la gourde de son comparse, fulmine Tiamat. Il… promet de… protéger et l’con fait… le contraire, continue-t-il entre les dents. »
Eibis se laisse distraire un instant par la dernière remarque de Tiamat, par la petite chaleur qu’elle procure au creux de sa poitrine. Leur sergent est d’un direct presque tranchant, mais, quand vient le temps d’être vulnérable, il préfère se servir d’insultes pour masquer le véritable sens de ses mots. Mais il n’est pas difficile de lire entre les lignes.
Mais revenons à nos moutons…
« Est-ce chose courante de cracher du sang pour un Émissaire ? Est-il malade ?
— Je suis loin d’être un expert, mais la même chose est arrivée à la fille hier durant notre combat.
— Mmm.... vous avez raison. Et à en juger son état déplorable, on pourrait déduire que les Sang-de-rouille ont possiblement abusé de ses pouvoirs aussi. Et vous avez dit que Cid aurait puisé dans son éther tout à l’heure ?
— Comment expliques-tu alors la foudre ?
— Faire appel à un Primordial utilise forcément une quantité d’éther non négligeable… »
La réalisation frappe Eibis.
« Attendez… Vous n’êtes tout de même pas en train d’insinuer que nous profitions d’un moment de faiblesse pour…
— Je n’insinue rien. Cependant, si la situation l’exige, nous devons utiliser tous les moyens à notre disposition.
— Je le conçois, mais…
— Allez, soldat, on s’active ! Le groupe prend de la distance sur nous.
Qu’avez-vous derrière la tête, Sergent… ?
Notes:
Chapitre 3 - liste des équivalences FR / EN:
Eibis = Aevis
Valœd = Waloed
Dalméquie = Dhalmekia
Terres mortes = Deadlands
Fléau noir = Blight
Pourvoyeur/marqués = Branded
Célestes= the Fallen
Talgor = Torgal
Gwéligore = Greagor
Émissaire = Dominant
Sangbrèque = Sanbreque
Primordial = Primal

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