Work Text:
"La photographie est le seul langage qui peut être compris partout dans le monde." – Bruno Barbey
Ses cheveux dégoulinaient sur ses joues tels des larmes rousses. Le clic de l’appareil s'effaçait dans la fureur du tonnerre et un nouveau flash illumina la couronne de lys fanés au pied des tombes. Satisfaite de son cliché, elle se releva en s'appuyant sur le marbre trempé, récupéra l’urne qui trônait entre les deux dalles, et quitta le cimetière sans bruit.
Lily déposa sa valise dans la voiture et embarqua sur le siège conducteur. Dans le rétroviseur, sa maison d’enfance, dénuée des habituelles décorations saisonnières, lui semblait plus vide que jamais. Elle suivit du regard Marlène qui claqua le coffre puis s’installa à ses côtés. L’ancienne Serdaigle lui offrit un sourire rassurant et déposa sa main sur celle de Lily qui tressauta à son contact. La rousse esquissa un faux sourire avant de se dégager, faisant mine de déplier le plan. Son regard s'attarda sur l'écriture de sa mère, sur les annotations de son père, sur le trait de feutre bleu qui représentait l'itinéraire qu'iels devaient emprunter, et ses yeux s'assombrirent un instant. Elle replia le plan puis, sans un mot, démarra en direction de la maison de James.
Devant la porte des Potter, James et Sirius attendaient. Son sac de sport à la main, James se tenait bien droit, son regard inquiet passait de droite à gauche à la recherche de la petite Ford des Evans. Sirius s'était assis sur sa valise, son coude prenant appui sur son genou pour soutenir sa tête endormie.
Par réflexe, Lily se gara en face de l'entrée et descendit vers la porte. Elle s'arrêta devant les deux garçons, et reprit enfin conscience quand James avança le bras pour l'éteindre. Elle fit un pas en arrière et détourna la tête face au regard blessé de son petit-ami. Lily se retourna et les invita d'un geste à la suivre jusqu'à la voiture, où elle leur ouvrit le coffre avant de monter rapidement à l'arrière, comme pour indiquer qu'elle ne se sentait plus de conduire aujourd'hui.
Le vent avait soufflé les nuages de midi et le ciel crépusculaire offrait un beau spectacle pour les clichés de Lily. La voiture s'arrêta peu avant le coucher du soleil, la première étape du voyage se trouvait non loin de la maison d’enfance de Lily. Un petit village pittoresque à l’architecture gothique, bordé d’une forêt et de falaises abruptes.
Elle s’échappa rapidement du groupe, son appareil photo en main, pour capturer la mer agitée et l'horizon orangé. Lily se posa au sol et respira profondément. Le vent frais jouait entre ses cheveux et emportait avec lui les fragments de souvenirs qui ressortaient.
Un léger craquement se fit entendre à l'arrière et sortit la rousse de ses pensées. James s'installa à ses côtés, au plus proche sans pour autant la toucher. Son regard insistant trahissait sa détresse et son incompréhension. Il attendait que Lily lui parle, lui explique, le laisse l'enserrer. Mais Lily demeurait silencieuse. Il lui demanda une énième fois comment elle allait, ce qu'elle ressentait. Mais il n'eut d'autre réponse que le vent sifflant entre les branches. Il abandonna bien vite, la rejoignant dans son mutisme.
La nuit tomba et les corps avec. La fatigue les submergea tous et rapidement, plus un bruit ne sortait des tentes. Réveillée par des souvenirs de ses parents, Lily s'extirpa de son couchage et sortit le plus silencieusement mais rapidement possible. L'air frais de minuit ne la calma cependant pas et, prise de panique, cherchant son souffle, elle courut jusqu’en haut du chemin que jalonnait la falaise. Elle contourna le sous-bois, gravit la colline puis escalada les escaliers du vieux bâtiment en ruine. En haut, son souffle se reposa enfin et elle s'écroula, l'adrénaline délaissant son corps. Lily réalisa que, dans sa fuite, elle n'avait pas pris son Polaroïd, elle fut déçue de ne pas pouvoir immortaliser ce moment. Désormais perdue dans la solitude de la nuit, à n'avoir nulle autre activité que l'introspection, elle se laissa aller à ses pensées.
Lily repensa aux questions de James. Il l'avait interrogé sur son absence de pleurs, y compris lors de leur enterrement. Mais elle n'avait pas su répondre. Pas voulu répondre. Elle ne pouvait pas lui dire que les larmes ne venaient qu'avec la douleur et Lily n'avait pas mal. Elle ne pouvait pas avoir mal. Parce que ce serait accepter que ses parents étaient partis et elle ne le pouvait pas.
Comprendrait-il seulement, se demandait Lily. Elle n'en n'était pas certaine. Elle savait cependant qu'il n'aurait jamais accepté ses autres pensées. Celles qui impliquait ses parents, le monde et parfois même Dieu. Celles qui impliquait un marché. Car si seulement elle le pouvait, elle obligerait le monde à échanger leurs places.
De grands yeux dorés tapis dans l'obscurité s’approchèrent à pas feutrés vers Lily. Elle ne prit pas peur, habitué à la présence du grand chien noir à ses côtés, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il vienne la retrouver. Presque inconsciemment, après avoir aussi longtemps rejeté les contacts physiques, sa main se perdit dans le pelage foncé du canidé qui se laissa faire. Le sombre animal déposa sa truffe chaude sur les genoux de Lily et souffla légèrement. Elle esquissa un petit sourire, tendre, et peut-être le seul réel depuis longtemps. Le ciel avait fini par se dégager et les étoiles scintillaient doucement dans l'univers obscur.
Une douce pluie clapotait sur le capot de la Cortina bleue qui glissait silencieusement sur les routes sinueuses des Midlands. Les rares éclaircies qui filtraient à travers le sous-bois qu’iels traversaient donnaient aux clichés de Lily une teinte féérique. La tête accolée à la fenêtre et perdue dans ses pensées, elle se terrait dans son mutisme depuis quelques jours. Au point qu’un silence de marbre régnait dans la petite Ford, uniquement brisé par le léger bruit de l’appareil photo.
Le regard de Marlène jonglait entre la route et le rétroviseur. Celui de Sirius suivait les feuilles oranges et les gouttes sur la vitre. James avait les yeux soucieux et sa main, posée sur le siège vide entre elleux deux, hésitait à franchir la distance pour tenter de réconforter la rousse. Tous étaient muets, ce qui relevait de l'inhabituel. Mais Lily n'essaya même pas d'y prêter attention, son propre regard focalisé dans son objectif.
L'averse battait son plein quand la voiture se gara sur le parking vide à l'entrée du sentier. Les sorciers, peu inquiets qu'on puisse les voir sous ce torrent, prirent leur baguette en main et déplacèrent leurs affaires rapidement à l'abri. Sirius força l'ouverture du bungalow, prétextant qu'iels ne pouvaient décemment pas dormir sous ce déluge. Marlène grogna à l'idée d'enfreindre la loi, James qui était pour une fois de son côté, ne s'y opposa pas pour autant. Iels regardèrent tous Lily, la plus sage d'entre elleux, attendant qu'elle s'indigne à l'idée de squatter pour la nuit. Mais la coquille vide qu'elle était ne s'y attarda pas, déjà repartie dans ses souvenirs.
Petite, elle n'avait jamais vraiment aimé cet endroit, trop souvent peuplé. C'était pour autant le lieu de vacances des Evans depuis qu'elle et sa sœur avaient appris à nager. Depuis le porche du bungalow, elle observa les bords du lac se dessiner dans la pluie et une pointe de nostalgie la toucha. Elle n'aimait pas cet endroit ; pourtant, à cet instant, alors qu’elle y ressentait la présence de ses parents, la beauté de ce lieu commença à se dévoiler sous ses yeux.
L'ambiance pendant les repas s'alourdissait rapidement. Les premiers jours, ses amis avaient tenté de la faire parler, d’évoquer des souvenirs heureux de ses parents. Mais leurs tentatives s'étaient heurtées à un mur de glace. Les seuls mots qu’elle échangeait avec elleux se résumaient généralement à des monosyllabes. Ce soir, ses amis tentaient à nouveau de la faire parler. Lily sentit la détresse dans leur demande. Cependant, elle n'était toujours pas prête. Cherchant à répondre à leurs questions, Lily ouvrit la bouche, mais aucun mot n'en sortit. Finalement, elle se leva brusquement et s'éloigna vers l'extérieur, laissant ses amis déconcertés et inquiets.
L'averse s'était calmée mais la pluie demeurait. Tandis qu'elle traversait le sentier, l'eau lui glaçait la peau jusqu'aux os. Elle s'abrita sous le porche d'un autre bungalow, plus proche du lac que le leur, et resta silencieuse. Lily ne savait pas quelle heure il était, ni même depuis combien de temps elle avait quitté le groupe. Le temps lui semblait figé comme dans ses photographies.
L'absence de vent extérieur n'empêcha pas ses pensées de tourbillonner dans son esprit. Lily pensa à ses amis. Les blesser était la dernière chose qu’elle souhaitait, pourtant, dans son mutisme, elle avait fini par faire souffrir ses proches. Alors, elle avait fui, par peur. Peur que son silence ne les éloigne irrémédiablement. Peur de perdre d’autres personnes. Elle était consciente de les avoir blessés et elle en comprenait les raisons. Elle souhaitait se mettre à leur place, pour qu'iels puissent comprendre à leur tour pourquoi elle n'arrivait pas à sortir de son mutisme.
Quelques pas s’approchèrent lentement, leur son presque complètement étouffé par la pluie. Marlène s'installa aux côtés de Lily, en rangeant son sort parapluie, puis déposa une tasse de chocolat chaud saupoudré de cannelle entre ses mains. La tasse encore fumante lui brûlait presque les mains mais la chaleur qu'elle dégageait réchauffait déjà Lily. Un vague sourire s'esquissa sur le visage de la rousse. À nouveau, le silence demeurait.
Sirius les rejoignit peu après. Il se posa en silence de l'autre côté et invita Lily à se reposer sur lui. Une vague d'hésitation la submergea mais finalement elle posa sa tête sur l’épaule de Sirius et attrapa la main de Marlène.
Quand James, trempé jusqu'aux pieds, se posta devant le groupe, les yeux rouges et la gorge enflée, un éclair frappa le ciel derrière lui. Le cœur de Lily se brisa au bruit du tonnerre et elle se rua sur lui. Toutes les larmes de son corps se déversèrent enfin, la pluie se mêla à ce torrent inarrêtable. Les bras de ses trois amis l’encerclèrent et Lily ne sentit enfin plus seule.
Au matin, les doux rayons du soleil reflétaient sur le lac une myriade de couleur. Elle captura cet instant et comprit enfin pourquoi ses parents aimaient tant cet endroit.
— C'est ici qu’ils se sont demandés en mariage.
La voix de Lily, enrouée par son mutisme et brisée par ses larmes, s'éleva doucement quand ses amis franchirent la porte du parc. Devant elleux, des petites collines brunes et des arbres aux teintes chocolat, comme si le parc s'était revêtu d’un filtre sépia. Lily avança, l'urne en main au lieu de son fidèle Polaroïd. Elle gravit la colline et s'arrêta devant un arbre aux initiales gravées dans l'écorce. Elle ouvrit l'urne et en déversa le contenu. Les cendres de ses parents s'envolèrent avec le vent automnal.
Lily prit une dernière photo, un instant figé dans le temps. Le voyage n’était pas terminé, pas plus que le deuil, ni la peur, mais quelque chose en elle avait changé. Elle commençait à comprendre que courir n’était pas la solution. Que s'ouvrir, même si cela faisait mal, était la seule voie pour avancer, pour guérir, et pour aimer.
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