Work Text:
La vérité, c'est que Karma ne prend pas souvent le temps d'observer les étoiles.
En fait, Karma est quelqu'un de très occupé. En plus de devoir étudier comme un forcené pour conserver sa place de premier du collège (ce qu'il met un point d'honneur à garder pour lui), il doit s'occuper d'élaborer des plans tous plus farfelus les uns que les autres dans le but d'assassiner son professeur. Son emploi du temps est bien trop chargé pour laisser place à une quelconque distraction, comme jouer au nouveau jeu vidéo dont il a attendu la sortie pendant des mois ou encore sortir avec ses amis. Ça ne le dérange pas particulièrement, parce qu'il sait que la satisfaction qu'il en tirera en vaudra largement la peine.
Lorsqu'il est au collège, il arrive que les autres s'inquiètent ; Okuda, Kayano, Sugino. « Ne te surmène pas trop », lui disent-ils, mais il sait qu'ils ne le pensent qu'à moitié. Ils savent pertinemment que Karma est surdoué et ne travaille que pour rester sur un pied d'égalité avec Asano. Il n'a pas besoin de se rendre malade rien que pour ça. D'ailleurs, ils ne sont probablement pas au courant de la quantité de travail qu'il fournit.
Et puis, du jour au lendemain, les journées passées dans la classe 3-E s'arrêtent. Koro-sensei meurt, emporté par des milliers de lumières dorées. Vient ensuite la cérémonie de remise des diplômes, riche en émotions en tous genres. Cette année aura été la plus enrichissante de toute la vie de Karma, parce qu'il a appris plus de choses qu'il ne le fera jamais, parce qu'il s'est entraîné jusqu'à ce que son corps crie grâce, parce qu'il a réussi à corriger ses plus gros défauts ; mais surtout parce que, pour la première fois de sa vie, il a pleuré. Il a pleuré, encore et encore, jusqu'à suffoquer et n'en plus pouvoir. Aujourd'hui, il ne pense pas pouvoir oublier la sensation des larmes roulant sur ses joues, des yeux bouffis et enflés et des cernes noires, creuses et profondes.
Si tous les autres élèves de la classe l'ont vu pleurer à l'instant de la mort de Koro-sensei, personne n'a été témoin de son chagrin de plusieurs jours (peut-être parce que tous étaient dans le même état) ; personne, à part Nagisa.
Karma se souvient d'absolument tous les détails. Il était allongé sur son lit et rêvassait lorsque Nagisa a frappé contre le carreau de la fenêtre de sa chambre en pleine nuit, dans sa tenue d'entraînement encore intacte. Lorsqu'il lui a fait signe de le rejoindre dehors, Karma n'y a pas réfléchi à deux fois.
La première chose qui l'a marqué lorsqu'il a ouvert la porte est le vent frais qui a caressé son visage. Peut-être aurait-il dû prendre ne serait-ce qu'une veste avec lui, au vu des températures nocturnes du mois de mars.
La deuxième, bien évidemment, est Nagisa.
Assis sur le perron, son ami avait la tête levée vers le ciel étrangement dégagé ce soir-là. Les étoiles y brillaient par milliers, presque semblables à celles qui avaient emporté Koro-sensei, et Karma n'a pas pu s'empêcher de se demander s'il n'était pas parmi elles ce jour-là.
Il est allé s'asseoir près de lui, assez proche pour que leurs épaules et leurs jambes s'effleurent, et il a trouvé le contact réconfortant sans pouvoir en comprendre la cause. (Il la comprend maintenant, bien sûr. Mais il ne s'en veut pas d'avoir été complètement aveugle pendant si longtemps.) Il a regardé le ciel aussi, quelques minutes seulement, avant de décider qu'il ne raterait rien s'il se contentait de contempler Nagisa.
Parce que des étoiles, Nagisa en a plein les yeux. Depuis quelques temps, depuis que les choses vont mieux entre eux, son regard a cette manière inexplicable de briller lorsqu'il parle, lorsqu'il rit, lorsqu'il est perdu dans ses pensées. À chaque fois qu'il pense avoir réussi à percer le mystère qu'est Nagisa, celui-ci l'invite à découvrir de nouvelles facettes de son personnage. Karma sait qu'il pourrait passer sa vie à tenter de le résoudre sans jamais s'en lasser.
– Karma ? Tout va bien ?
Il se rappelle avoir sursauté. La question ne semblait pas vraiment attendre de réponse, parce qu'évidemment, il n'allait pas bien ; personne n'allait bien, ces derniers jours, mais Nagisa était assez fort pour continuer de sourire comme Koro-sensei lui avait dit de le faire. Assez fort, aussi, pour lui ouvrir grand les bras et lui faire signe d'y venir.
Karma n'a pas hésité une seconde avant de plonger dedans. Nagisa embaumait l'après-shampooing, assez pour que les autres puissent trouver ça dérangeant, mais pas lui. L'odeur était apaisante, tout autant que le contact. S'il l'avait pu, s'il y était autorisé, il y aurait sans hésiter passé des heures et des heures.
Nagisa n'est pas resté longtemps cette nuit-là, mais bien sûr il est revenu. Une fois, deux fois, puis tous les soirs pendant des semaines. Et tous les soirs, Karma s'est accordé quelques minutes de faiblesse en se laissant tomber dans ses bras et en profitant du bref confort de ce contact et des étoiles dans ses yeux qui le faisaient se sentir à nouveau entier.
Aujourd'hui, Karma et Nagisa ont vingt-deux ans.
Cela fait sept ans, depuis la classe E, depuis Koro-sensei, depuis la remise des diplômes, depuis leur nouveau départ. Tous deux ont fini leurs études : Karma travaille au ministère de la défense, comme il l'a toujours voulu, et Nagisa, sans surprise, est professeur.
Ils ne se voient pas aussi souvent qu'avant, bien sûr. Maintenant, ils sautent à pieds-joints dans la vie adulte et ils doivent en assumer les nombreuses responsabilités, dont la principale est le manque affreux de temps libre. Mais parfois, ils réussissent à arranger un rendez-vous ; parfois, un vendredi soir, ils se réunissent dans un bar et rattrapent le temps perdu. Karma, fidèle à lui-même, parle avec moquerie de ses collègues de travail, de ses retrouvailles avec Asano, de Terasaka ; Nagisa, pour sa part, évoque les progrès de sa nouvelle classe, ses sorties avec Kayano et Sugino, sa mère. En fait, ils ont tant à se raconter que Karma a l'impression que des siècles s'écoulent entre chacun de leurs rendez-vous. Cela dit, à chaque fois qu'il est finalement face à lui, il lui semble que le temps s'arrête.
Cela fait sept ans, oui.
Cela fait sept ans, mais à chaque fois qu'il voit Nagisa, Karma est surpris de constater à quel point il n'a pas changé. À part ses cheveux qu'il a enfin osé couper, il a toujours le même adorable visage enfantin, la même taille ridicule, le même sourire qui a le don de le mettre de bonne humeur pour des jours.
Il a toujours les yeux pétillant d'étoiles.
Karma ne comprend pas pourquoi, ni même comment, mais elles sont là. Parfois son regard plonge dans le ciel qu'est celui de Nagisa et il y trouve des étoiles, des étoiles par milliers, les mêmes que sept ans auparavant, rayonnantes, éblouissantes, magnifiques. Ces étoiles-là, il pourrait passer sa vie à les contempler sans jamais s'en lasser. Nagisa a toujours été une succession de mystères pour lui, il a toujours été le seul être qu'il n'a jamais su lire comme un livre ouvert. Ces étoiles sont l'un de ces mystères, le plus compliqué auquel Nagisa ait pu le soumettre, mais elles sont indéniablement ce qu'il aime le plus chez lui.
Aujourd'hui est l'un de ces soirs où ils se revoient enfin. Nagisa a les joues roses d'avoir bu et rit sans raison particulière, la tête posée sur ses bras croisés sur le comptoir. Le voir si heureux suffit à faire rire Karma à son tour, alors ils sont là, comme deux imbéciles, à laisser la joie les gagner sans jamais se quitter du regard. Karma se demande si Nagisa se rend compte des étoiles qui dansent dans le bleu de son regard, s'il ne fait pas exprès de le déstabiliser avec. Il se demande si Nagisa a conscience des sentiments que Karma nourrit à son égard, s'il y a ne serait-ce qu'une ridicule chance qu'ils soient réciproques.
Maintenant qu'il y pense, il y a beaucoup de choses qu'il ne sait pas au sujet de Nagisa. Par exemple, sa sexualité : il n'a jamais montré le moindre intérêt pour la gente féminine, à toujours rejeter les filles qui se confessaient à lui (Karma se souvient encore avoir dû réconforter Kayano et Nakamura en même temps) ; mais ce n'est pas pour autant qu'il s'est un jour intéressé aux garçons. En fait, Nagisa n'est tout simplement pas le genre de personnes à penser à ces choses-là. Il a toujours un objectif dans la vie, un but à accomplir, dont il ne se détourne jamais ne serait-ce qu'une minuscule seconde. Et ce choix, même s'il le fait souffrir plus que de raison, il le respecte.
– Hé, Karma… marmonne Nagisa et son sourire béat transparaît presque dans sa voix.
Karma pose ses yeux sur lui et lui rend son sourire pour lui certifier qu'il l'écoute. Nagisa, pourtant, ne reprend pas la parole. Il se contente de le fixer droit dans les yeux, comme s'il cherchait à lire en lui de la même manière que Karma tente toujours de le faire avec lui. C'est déstabilisant, bien sûr ; gênant, aussi, mais Karma aime bien trop la couleur de ses yeux et l'étincelle qui s'y allume pour se détourner.
Peut-être provoque-t-il les mêmes réactions chez Nagisa, au final. Peut-être le considère-t-il aussi comme une véritable énigme, peut-être a-t-il lui aussi passé des années à tenter de la résoudre en vain. Peut-être qu'il y a des milliers de choses qu'il ne sait pas de lui, peut-être espère-t-il un jour pouvoir lire en lui comme dans un livre ouvert.
Peut-être voit-il aussi des étoiles dans ses yeux sans en comprendre leur origine.
Et, se surprend à penser Karma en prenant une nouvelle gorgée de sa boisson, la chose est assez plaisante à imaginer.
« Ça fait un bon moment que je me pose la question, mais… à tout hasard, tu ne serais pas amoureux de Nagisa ? »
Karma est en réunion lorsqu'il reçoit ce message de la part de Kayano. Il n'est pas vraiment censé sortir son téléphone de sa poche, mais il ne peut pas s'en empêcher ; les personnes qui l'entourent sont si ennuyeuses qu'il est à deux doigts de s'endormir.
« Surpris » n'est pas l'adjectif qu'il utiliserait pour qualifier sa réaction. Il a toujours su que quelqu'un finirait par le percer à jour, qui que ce fût ; peut-être qu'il s'attendait un peu moins à ce que ça vienne de Kayano.
Toutes les fois où il a tenté de l'aider à se confesser à l'époque du collège et du lycée sans jamais y être parvenu lui reviennent en mémoire. Il se souvient des chaudes larmes qu'elle a versées des jours durant après s'être fait rejeter, il se souvient l'avoir serrée dans ses bras dans un geste d'affection dont il ne se pensait pas capable. Il se souvient aussi, bien qu'il préfère en général ne pas y penser, avoir ressenti un soulagement sans nom sans pouvoir en expliquer la raison.
Il le comprend, maintenant.
Il comprend qu'il est fou amoureux de Nagisa et que personne n'y pourra jamais rien.
« Et toi ? » tape-t-il discrètement sous la table. « Tu l'es toujours ? »
La réponse ne se fait pas attendre plus d'une minute.
« C'est vraiment important ? »
Karma veut répondre la première chose qui lui passe par la tête : « Oui, ça l'est. Ça l'est parce que tu es toujours si proche de lui et que s'il venait à ressentir la même chose que toi, je ne m'en remettrais probablement jamais. »
« Non », écrit-il. « Pas spécialement. »
Un vendredi soir d'hiver, Nagisa le prive de ses étoiles.
C'est l'un de ces soirs où ils se retrouvent dans le même bar que toutes les fois précédentes et discutent des derniers évènements intéressants qui ont pu arriver dans leurs vies respectives. Les cheveux de Nagisa ont un peu poussé depuis la dernière fois qu'ils se sont vus, mais pas assez pour qu'il puisse les attacher en une petite queue de cheval. Malgré cela, il parle déjà d'aller les couper lorsqu'il trouvera un peu de temps ; Karma adorerait passer sa main dedans au moins une fois avant que cela n'arrive.
Nagisa est un peu étrange, aujourd'hui. Il fixe son cocktail à peine entamé avec rêverie, comme absorbé par des pensées que Karma tuerait pour pouvoir déchiffrer, et pince les lèvres sans vraiment s'en rendre compte. Cela dit, il continue de parler comme à l'accoutumée, à raconter des anecdotes sur les élèves de sa classe ou simplement ce qu'il a mangé au petit-déjeuner.
À aucun moment il ne regarde Karma droit dans les yeux.
Karma le remarque immédiatement. Parce qu'il a attendu avec tellement d'impatience le moment où il pourrait contempler à nouveau les étoiles dans ses yeux, parce qu'il a souhaité les compter encore et encore, parce qu'il a rêvé s'y perdre et ne plus jamais s'y retrouver. Mais Nagisa s'obstine à ne rien regarder d'autre que sa boisson et les glaçons qui y fondent, et Karma veut simplement hurler de frustration.
– Nagisa ? questionne-t-il et il contient péniblement les tremblements de sa voix. Il y a un problème ?
Explique-moi ton problème, veut-il dire, raconte-moi chacun de tes tracas pour que je puisse t'en débarrasser ; mais les mots restent coincés au fond de sa gorge sans qu'il puisse jamais les prononcer.
Et Nagisa, bien que la question lui soit directement adressée, ne se retourne toujours pas. Il se contente d'un léger sourire, à moitié nerveux et toujours un peu rêveur, et secoue la tête en signe de négation. La soirée continue ainsi ; des regards esquivés, des questions à moitié formulées et jamais répondues et un inexplicable malaise palpable. Karma fait de son mieux pour faire perdre ses moyens à Nagisa, pourtant. Il a toujours été maître dans le domaine, avec ses blagues déplacées et ses sous-entendus foireux, mais Nagisa ne semble plus les relever autant qu'il le faisait par le passé.
Il a changé, réalise Karma pour la première fois en sept ans. Nagisa a peut-être toujours le même physique, mais il a indéniablement changé. Et ce changement, parce qu'il ne le comprend pas, l'effraie au plus haut point.
Il veut le faire réagir, et tous les moyens sont bons pour parvenir à cet objectif.
– Nagisa-kun.
Karma prend soin de bien insister sur l'honorifique. Il n'a pas beaucoup d'espoir, et pourtant, pourtant, sa phrase a l'effet escompté. Nagisa écarquille les yeux et se retourne vers lui, l'air presque outré. Et-
Oh.
Il n'y a jamais eu autant d'étoiles dans son regard.
L'éclat est fort et inexplicable. Karma en oublie presque la situation et veut plonger la tête la première dans ce bleu pétillant, mais déjà la voix de Nagisa le ramène à la réalité.
– Pourquoi l'honorifique ?
Il demande ça d'une voix qui laisse deviner qu'il se contient ; mais que contient-il au juste ?
– Pour te faire réagir. Tu ne m'as pas regardé dans les yeux une seule fois depuis qu'on est arrivés.
Nagisa réussit l'exploit de devenir plus rouge que les cheveux de son interlocuteur. Mais étrangement, il ne se détourne pas.
– Oh, je suis tellement désolé. J'avais peur que si je te regardais, je…
Karma attend patiemment la fin de la phrase, mais elle n'arrive jamais. Au lieu de ça, son ami retourne à sa boisson et se mure dans le silence.
Lorsqu'en plus de ça il décide de s'en aller en laissant un billet sur le comptoir, Karma ne peut chasser cette impression d'être passé à côté de quelque chose d'extrêmement important sans pouvoir mettre la main dessus.
« Il s'est passé quelque chose avec Nagisa aujourd'hui ? »
Les messages de Kayano arrivent toujours aux moments où Karma s'y attend le moins (et concernent toujours Nagisa, pour une raison que Karma préfère – prétend – ne pas connaître).
« Il aurait dû se passer quelque chose ? » écrit-il sans vraiment de conviction.
« À toi de me le dire. »
Karma décide, pour sa santé mentale, de ne plus répondre.
(Nagisa lui envoie des messages, aussi, pendant qu'il dort. « Je suis désolé », dit-il, « Je suis tellement désolé », mais lorsque Karma se réveille, tout a déjà été supprimé.)
Karma est plus stupide et plus faible que ce qu'il veut faire croire aux autres, alors c'est lui qui envoie le premier message à Nagisa.
« J'espère que tu vas mieux. Je suis libre tous les vendredi soirs et week-ends pour les deux prochains mois, alors dis-le-moi si tu veux qu'on se voie. »
Il passe le reste de la journée à se blâmer pour sa faiblesse d'esprit, à regretter d'avoir envoyé ces quelques mots, à réfléchir aux mille-et-une autres formulations qu'il aurait pu leur trouver. La nuit venue, il est si fatigué qu'il ne remarque même pas la réponse de son ami.
« Vendredi prochain, ça me va ! »
(« On peut se voir toutes les semaines, dans ce cas. Enfin, si ça ne te dérange pas. », avait-il écrit à la base, mais Karma ne le lira jamais.)
La première fois que Nagisa et lui s'embrassent, Karma croit voir les étoiles.
On est vendredi soir, comme à chacune de leurs rencontres, mais cette fois-ci ils ne sont pas dans un bar mais dans le bâtiment de l'ancienne classe 3-E. Ils ont tous les deux apporté les énormes livres que Koro-sensei a écrit pour eux et s'amusent à lire à haute voix les passages les plus drôles ou marquants. Nagisa a passé énormément de temps à lire le sien ces sept dernières années à la recherche des conseils qui lui ont permis d'arriver à son métier actuel et va bientôt atteindre la fin ; Karma n'en est qu'à la moitié, parce qu'il déteste comme ce fichu poulpe a toujours raison lorsqu'il prédit son avenir.
C'est la première fois qu'ils sont seuls ici. D'ordinaire, ils se rassemblent avec la majorité de leurs anciens camarades pour faire le ménage et prendre des nouvelles les uns des autres. Aujourd'hui, l'endroit est propre parce qu'il a été nettoyé il y a tout juste deux semaines ; calme, aussi, et s'y retrouver uniquement avec Nagisa a un effet apaisant sur Karma.
Ils sont assis au fond de la classe, sur le bureau qui appartenait autrefois à Karma. Nagisa a apporté une chaise pour se placer juste à côté de lui alors qu'une vingtaine d'autres places sont libres, aussi le jeune Akabane a-t-il du mal à rester totalement calme. Karma décide d'initier le contact en touchant sa jambe de la sienne, une, deux, trois fois, trop pour que ce soit accidentel, mais malgré tous les signaux qu'il lui envoie, Nagisa ne réagit pas.
Parce que Nagisa est absorbé par sa lecture, et, à mesure qu'il y progresse, Karma peut voir son regard s'illuminer de plus belle. Malgré le froid et l'obscurité qui règnent en maîtres à l'extérieur, cela réussit à lui apporter la chaleur et la lumière dont il a besoin.
– Oh, Karma, fait Nagisa et l'interpellé sursaute, il faut que tu… que tu lises ce passage.
Il pointe du doigt un paragraphe inscrit dans un coin d'une page, presque à la fin de l'énorme manuel. Pour une raison qui lui est totalement obscure, il prend soin d'éviter son regard.
Karma se sent d'humeur taquine, alors il ne tire pas le livre vers lui et se contente de se pencher vers Nagisa, assez pour que leurs épaules se touchent et que ses cheveux rouges aillent lui chatouiller le visage. Nagisa, pourtant, ne se recule pas.
Le passage pointé du doigt est rédigé avec l'écriture à la fois soignée et pressée de Koro-sensei. Au premier coup d'œil, Karma croit y reconnaître son nom.
« Je suis désolé d'avoir passé tout ce temps à essayer de faire marcher les choses entre Kayano-san et toi alors que tu ne ressentais rien pour elle. », explique-t-il. « J'ai fini par remarquer la manière que ton regard a de briller lorsque tu le poses sur Karma-kun. Je sais qu'au moment où tu liras ces mots, vous serez deux jeunes hommes épanouis mais probablement un peu perdus sur le chemin parsemé d'obstacles de l'amour. Je te dis ça à toi maintenant parce que je ne pense pas que Karma-kun finisse son livre de sitôt, mais je vous souhaite de tout cœur de vivre une longue et heureuse vie ensemble. (Montre-lui ce passage la prochaine fois que vous vous verrez, s'il te plaît. Je suis certain qu'il en a bien besoin.) »
Oh.
Oh non.
– Ce fichu poulpe.
Face à sa réaction, Nagisa laisse s'échapper un petit rire ; léger, à moitié étranglé, un peu timide. Et pour la première fois depuis des années, Karma sent son cœur battre la chamade, pour la première fois il sent son visage prendre feu et pour la première fois il n'ose pas lever les yeux pour rencontrer ceux de Nagisa.
J'ai fini par remarquer la manière que ton regard a de briller lorsque tu le poses sur Karma-kun.
C'était lui.
Pendant toutes ces années, ces étoiles… Elles étaient pour lui.
– Et donc… chuchote Nagisa et son souffle caresse la nuque de Karma. Il a raison ?
Karma se retourne et plonge dans le ciel étoilé qui lui fait maintenant face.
– À toi de me le dire.
Ça se fait lentement, comme si le temps était suspendu au bout de leurs lèvres. Nagisa semble hésitant et se rapproche avec prudence ; Karma, même s'il tente de paraître assuré, est dans le même état. Peut-il vraiment ?
Lorsque leurs lèvres se rencontrent enfin, Karma croit rêver. Parce que Nagisa sent si bon et a les lèvres si douces et, putain, est si doué, mais surtout parce que bordel il est en train d'embrasser Nagisa. Nagisa, dont il est amoureux depuis des années et des années. Nagisa, qui occupe ses pensées jour et nuit depuis qu'il le connaît.
Juste, Nagisa.
Karma ose entrouvrir les yeux, et manque de sursauter lorsqu'il constate que ceux du garçon qui lui fait face sont grands ouverts. Il a un regard à la fois fiévreux et concentré, comme s'il donnait tout dans ce baiser, et Karma se rappelle comme il était autrefois effrayé par ce regard ; aujourd'hui, il le trouve simplement magnifique. Parce que des milliers d'étoiles s'y baignent, l'illuminant de mille feux, et il sait qu'elles lui sont destinées, à lui et uniquement à lui.
Lorsqu'ils se séparent enfin, après une longue minute passée à se découvrir, Nagisa semble revenir à la réalité et ses pommettes se parent d'une adorable couleur rosée. Karma, fidèle à lui-même, ne peut s'empêcher de le taquiner.
– Bitch-sensei avait totalement raison, tu embrasses divinement bien.
– Toi aussi ! rit timidement Nagisa. Je suis étonné que tu n'aies pas été classé plus haut que troisième.
– Peut-être que j'ai simplement besoin d'entraînement, chuchote-t-il pour toute réponse.
Et déjà les lèvres de Nagisa sont à nouveau contre les siennes, tendres et patientes, prêtes à lui apprendre. Pendant quelques minutes, ses baisers continuent de la sorte – doux, suaves et affectueux ; le calme avant la tempête.
Parce que Nagisa est sur lui avant même qu'il puisse réagir, leurs corps un peu trop collés pour sa santé mentale. Et, d'un geste qui pourrait tout aussi bien être extrêmement calculé ou absolument accidentel, les mains du Shiota vont se perdre sur son torse et y dessinent des ronds du bout des doigts. Karma croit perdre la tête.
Son pull est la première pièce de vêtements à tomber au sol. Il se demande si le retirer est vraiment raisonnable de sa part, parce que le vent d'hiver souffle avec force derrière les murs du pauvre bâtiment et celui-ci est loin d'être chauffé. Immédiatement après, le pull de Nagisa disparaît à son tour et la chaleur de sa peau contre la sienne lui fait instantanément oublier ses soucis.
– Mh, Nagisa, commence-t-il, tu es sûr de vouloir-
Il n'a pas besoin de finir sa phrase, car les yeux de Nagisa répondent pour lui : les étoiles y entament une longue et fascinante danse endiablée que Karma rêve de rejoindre.
Alors, dans la tranquillité de la classe 3-E, ils les imitent.
