Chapter 1: Vénec
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─ Non mais non, mais Vénec, combien de fois il faut que je vous le dise, je veux pas d'esclaves !
Arthur a la voix qui fatigue un peu, et la patience aussi - enfin ce qu’il en reste. C’est fou ce qu’il faut pour décourager un commerçant opiniâtre comme Vénec, ces jours-cis, même quand on est le roi.
─ Vous en voulez pas, vous en voulez pas, n'empêche que j'vous ai bien vu à mon étal du marché hier ! Même que vous m'en avez pris un, d'esclave !
─ Je vous répète en long, en large et en travers depuis une demi-heure que c'était pour qu'on me foute la paix !
Le trafiquant croise ses bras sur sa poitrine, l’air franchement dubitatif, et Arthur sent un spasme irrité traverser son visage.
─ Eh ben excusez-moi, mais du coup, y'a quand même des chances que vous m'en rachetiez, des esclaves, si tout ce qu'il vous faut c'est ce genre de motivations.
Cette fois, Arthur en a ras, mais ras la frange.
─ Vénec, je ne vous achèterai pas d'esclaves et si vous continuez à m'emmerder, je vous fous au trou pendant un mois pour recel illégal, je vous promets je le fais.
─ Non mais vous énervez pas Sire, moi je dis les esclaves, mais ça ou autre chose, j'suis pas difficile. Laissez-moi au moins vous proposer des trucs quoi, que je sois pas venu pour rien…
─ Mais personne ne vous a demandé de venir. Merde à la fin !
Son ton est cassant, mais il faut dire que Vénec lui casse les couilles depuis une grosse demi-heure, qu’il s’est tapé une séance de doléance super chiante ce matin, qu’il a la dalle et qu’il a toujours pas pu aller manger parce que ce con persiste à lui tenir la jambe avec son baratin. Il ne se rappelle même pas comment il s’est retrouvé entraîné ici, assis avec l’autre homme à la table de la salle des cartes, à discuter obstinément d’une vente qui ne se fera pas. Vénec grimace et, dans un de ses grands gestes dramatiques, reprend sa diatribe, imperturbable.
─ Non mais Sire, sérieusement, mettez-vous à ma place. Vous m’achetez un esclave hier, comme ça, après des années à m’envoyer chier quand je vous propose. Comment j’étais censé savoir que vous aviez pas changé d’avis, et que vous en vouliez toujours pas en fait ? Et comme, en plus, vous vous l'êtes fait chourer de ce que j'ai compris, ben moi, je me suis dit, repasse chez le roi Arthur, histoire de causer un peu plus au propre, loin du marché aux bouseux, pour lui proposer un dédommagement quoi. J'ai même amené ma meilleure came rien que pour vous ! Mieux que ce que j'avais à proposer hier !
─ Vénec… si je dois vous répéter encore une fois…
─ Non mais d’accord, j’ai compris, pour les esclaves, aujourd’hui, c’est mort. Mais c’est pour dire : on peut quand même parler, non ?
Arthur prend une grande inspiration, se renfonçant légèrement dans son siège, histoire de calmer un peu son agacement. A part s’il se décide vraiment à fiche Vénec au trou - mais malgré ses menaces, il n’en est pas (encore) là - il sait qu’il n’a pas réellement de moyen de se débarrasser de l’emmerdeur trop persuasif. Enfin, persuasif... pas assez pour lui faire acheter quoi que ce soit aujourd’hui, quand même, et certainement pas des esclaves. Faut pas déconner non plus.
─ Mouais. Bon admettons, et vous avez quoi, à me proposer, à part des esclaves, exactement?
Vénec ouvre de grands yeux, manifestement un peu pris de court par cette reddition manifestement plus rapide qu'anticipé.
─ Ben, euh, déjà, coté torture… je peux vous proposer plusieurs bricoles, de beaux outils - j’ai pas mal de nouveautés, notamment en provenance de l’orient, et les mecs sont plutôt inventifs par là-bas, et euh… ben vous savez, si jamais vous avez besoin de prestations pour un banquet ou même dans le privé, je fournis ce que vous voulez, les nappes, les décos, la bouffe, les tentures, et les divertissements en donzelles et bonhommes de tout type, ça, ça change pas, vous connaissez la rengaine. Je peux aussi vous prêter du pognon de n’importe quel royaume, mais on en a déjà parlé et je crois me souvenir que vous étiez pas bien chaud, enfin, ça reste toujours une option… Hé, Sire… je vous sens pas bien réceptif, là. Allez, aidez-moi un peu ! Vous savez que je suis polyvalent : votre Vénec, il peut vous dégotter n’importe quoi, gérer tout ce que vous voulez, pour monnaie sonnante et trébuchante. Dîtes-moi de quoi vous auriez besoin plutôt que de vous foutre de ma gueule. Je dois bien pouvoir vous rendre un service !
Arthur ne bronche pas, conservant son masque d’indifférence, malgré la pointe d’amusement qui se promène à la commissure de ses lèvres. L’occasion est trop belle : pour une fois qu’il peut faire tourner le magouilleur en bourrique plutôt que l’inverse… Il fait vaguement mine de réfléchir avant de répondre, de son air le plus innocent :
─ Alors, non. Vraiment, désolé, mais je vois pas à quoi vous pourriez me servir en ce moment.
Il marque une pause dramatique, avant de poursuivre, reprenant son expression excédée :
─ D’ailleurs, attendez, non, je retire ce que j’ai dit, je suis pas désolé en fait. Allez, tirez-vous !
La tête de Vénec est impayable, mais, sans surprise, il en faut plus pour le décourager, le bougre. Il reprend sa rengaine sur le ton le plus théâtralement outragé qu’Arthur ait jamais entendu. Ah, il a le sens du spectacle, on peut pas lui enlever ça.
─ Non mais Sire, essayez de faire un effort, là. Vous voyez pas que je me décarcasse pour vous faire plaisir ? Moi, je viens exprès de pétaouchnoque pour essayer de vous satisfaire, parce que vous êtes un bon client et tout, et vous me laissez même pas-
─ Mais foutez-moi la paix, je vous dis ! l’interrompt Arthur. Non c’est non, et puis c’est marre. Vous êtes sourds ou quoi ?
Arthur soupire, un début de mal de crâne pulsant entre ses tempes. Il reprend, alors que Vénec ouvre la bouche pour répondre, lui coupant (avec une certaine satisfaction) l’herbe sous le pied :
─ En plus, c’est quoi ces salades comme quoi vous venez de l’autre bout du pays ? Vous étiez au marché hier et c’est à 30 minutes de marche du château, grand max, alors venez pas me monter un char comme quoi vous avez marché des heures dans la neige ou je sais pas quoi.
─ Non mais… j’y étais de passage, au marché. En ce moment j’fais pas mal d’aller-retour à travers le pays pour gérer les stocks et négocier des renouvellement de contrat avec mes fournisseurs.
─ Excusez-moi mais, qu’est ce que ça peut me foutre ? rétorque Arthur avec lassitude. A part pour constater que je vois pas du tout en quoi vous m’avez fait une fleur en faisant un détour d’une demi-heure par le château, où je vous ai de toute façon jamais demandé de venir.
─ Non mais c’est sur le principe, Sire ! Je suis venu pour vous, quoi.
Curieusement, même si c’est un simple tour de phrase, ça lui fait quelque chose, à Arthur, d’entendre ça. Comme un léger frisson, profond, sous la peau, un arrière-goût de quelque chose qu’il préfère ne pas examiner de trop près, particulièrement sous le regard perçant et habilement maquillé de son interlocuteur actuel. De toute façon, Vénec continue à parler :
─ D’ailleurs, pendant que j’y pense, vous devinerez jamais qui j’ai croisé l’autre jour près de l’auberge de Tamlin! Un gars de chez vous, un de la table ronde !
─ Ah bon ? C’était qui, Perceval et Karadoc ?
─ Du tout ! C’est un de vos ministres, je crois, un grand qui se donne des airs et qui vous collait toujours aux miches, à une époque. Celui bien fringué, tout pâle, qui a toujours l’air constipé, vous voyez ?
Alors autant imaginer un de ses mecs en train de traîner dans une auberge, ça le bousculait pas plus que ça (notamment le duo de débiles qu’il était régulièrement obligé d’aller chercher là-bas), autant ça, par contre, ça l’interpelle, le roi Arthur.
─ Lancelot ? bredouille Arthur, incrédule. Mais l’auberge de Tamlin, c’est pas le gourbi à la sortie de la forêt noire ? Qu’est-ce qu’il foutait là bas ?
Vénec doit apprécier l'intérêt dont Arthur daigne soudain gracier leur conversation, parce qu’il s’empresse de développer :
─ Ah ça je sais pas, mais de ce qu’on raconte - parce que laissez-moi vous dire qu’un type avec sa dégaine, ça passe pas inaperçu - y’a pas que là-bas qu’on l’a vu traîner, et il doit pas mal battre la campagne en ce moment… Tout ça pour dire, vu qu’il traîne sur mes terrains de vente, je voulais vous demander, vous pensez qu’il serait susceptible de me prendre quels types de gonzesses ? Ou lui, c’est plutôt du genre à taper dans du monsieur ?
─ Je pense que c’est pas vos affaires, déjà. Mais comme vous allez me répondre que vous en avez rien à foutre, je vais vous le dire comme je le pense, il vous prendra rien du tout. Ici, il fréquente pas, point. Après qu’est-ce que j’en sais, franchement. Vous pouvez toujours tenter, mais faîtes gaffe, il allume plutôt sec et il est pas très patient ces derniers temps. Mais c’est peut-être juste avec moi, je sais pas.
Honnêtement, passé la surprise initiale de son arrivée dans la conversation, parler de Lancelot le déprime, et il se prend à regretter vaguement qu’ils n’en soient pas restés aux boniments, aux sarcasmes, et au harcèlement à la vente.
─ Ah… Ah ouais. Bon, merci de l’info, je verrais ce que je peux tirer du guignol sur d’autres fronts, du coup. Peut-être sur l’alcool ou les paris… Le bonhomme vous pose des problèmes, Sire ?
Alors là, il ne l’a pas vue venir celle-là.
─ Non, répond, peut-être un peu faiblement, Arthur. Et même si c’était le cas, ce serait pas vos oignons. Vous sentez qu’on en revient toujours au même point ou pas ?
Vénec se penche vers lui au-dessus de la table, plissant les yeux, et, d’une façon extrêmement prévisible, insiste.
─ Non mais attendez, vous aviez l’habitude de tout y faire ensemble, comme cul et chemise, vous étiez ! En plus, vous avez l’air de quand un truc vous prend la tête. Vous vous êtes disputés ou bien ?
Arthur soupire, sentant tout à coup toute la fatigue qui le ronge depuis des semaines, des mois peut-être, lui retomber dessus, alourdissant ses membres, plombant ses entrailles, ses lèvres, ses paupières. Ses doigts sont glacés sur le bois éraflé de la table, et sa couronne pèse une tonne sur ses cheveux. Il peut bien l’admettre, qu’est-ce que ça change ?
─ Non, enfin, pas vraiment, je crois pas. Je sais pas ce qu’il lui prend à cet emmerdeur. Clairement y’a un problème mais je sais pas ce que c’est.
Vénec garde le silence un moment, l’air de considérer les propos de son roi qui, abandonnant son habituel flegme agacé, se montre soudain terriblement taciturne.
─ Franchement, je le connais pas bien votre gars, mais m’est avis qu’il a le profil d’un mec mal-baisé.
Arthur manque de s’étouffer.
─ Ah ouais, carrément ! Ben laissez-moi vous dire que si c’est ça le problème, ça m’étonnerait que ce soit récent. Et puis, vous me suggérez quoi, exactement, de lui passer dessus ?
─ Ah ben, pas forcément vous, mais après, des fois, ça aide.
Non mais, qu’est-ce qu’il faut pas entendre… Enfin, au moins ça a eu le mérite de détendre l'atmosphère, et un petit sourire a même échappé à Arthur, à l’idée de la tête qu’aurait fait Lancelot en entendant ce diagnostic, qui plus est provenant de cette bouche en particulier.
─ Je sais pas pourquoi, je suis pas super convaincu que ça arrangerait notre situation.
Vénec porte pensivement ses doigts à son menton, se renfonçant lui aussi dans son siège.
─ Après… Je sais pas si vous êtes au courant, mais pendant un temps, y’avais des rumeurs qui couraient dans les villages, comme quoi votre bonhomme et la reine… vous voyez. ça pourrait venir de là aussi.
Non, pas du tout, songe Arthur. Mais au fond, il se sent un peu réchauffé par cette tentative, toute maladroite qu’elle soit, de lui venir en aide. Peu de gens s’intéressent sincèrement à ses problèmes personnels, et il était surpris que Vénec soit du nombre, même brièvement.
─ Oui, non mais ça je sais… il parait que c’est le confident de ma femme, ou je sais pas quelle connerie. Alors forcément, les péquenots jasent, mais ça veut rien dire.
Le regard de Vénec est transparent, presque comme du verre, braqué sur lui. Quand il répond, son expression est indéchiffrable.
─ Ah, ben, si vous êtes sûr, Sire. Moi, j'essaie juste de rendre service.
Chapter 2: Interlude
Notes:
Et voilà pour ce deuxième chapitre ! Rdv vendredi prochain (le 13 décembre) pour la suite ! Il s'agit malheureusement du seul chapitre que je n'ai pas fini d'écrire... tant pis pour moi, au moins je serais finalement obligé de m'y mettre !
Bonne lecture : )
Chapter Text
Si vous êtes sûr… Le problème, c’est qu’Arthur ne l’est pas, sûr.
Pas tant que ça. Plus tant que ça, finalement.
Il pensait que oui, l’évènement oublié, relégué dans un coin de sa mémoire. Une affaire réglée. Une autre connerie à adresser, pour l’écarter et se consacrer à la suivante. Mais, maintenant, il se demande… et si… est-ce que ça aurait pu lui échapper ? Le peu d’attrait qu’il avait pour son épouse aurait-il pu l’aveugler à ce point à l'intérêt qu’un autre aurait pu lui porter ? Non… franchement, il n’y croit pas vraiment, à cette idylle secrète. Déjà parce que sa femme a plus ou moins la subtilité d’une buche, et qu’il est presque sûr qu’elle n’aurait pas pu s’empêcher de lui faire une réflexion à ce sujet lors d’une de leurs disputes, histoire de le mettre bien en face de son échec. Et puis, parce que Lancelot, quoi. Lancelot est droit, fiable, compétent. S’il n’a qu’une chose, c’est des principes (il lui casse les pieds avec bien assez souvent, d’ailleurs). Il a été un allié fidèle, pour Arthur, pendant longtemps. Il n’aurait pas…
Mais, et s’il se trompait ? La voix de Vénec hante ses pensées depuis la fin de leur entrevue, et il n’arrive pas à faire taire ce doute, ces questions qui tournent en boucle dans sa tête, et qui l’ont accompagné à travers les réunions et séances de doléances, jusqu’à sa chambre, jusqu’à son lit, où sa femme l’attend, couchée sous les couverture. Indifférente à son angoisse, qu’elle serait de toute façon bien incapable de reconnaitre sous l’ordinaire masque ennuyé qu’il lui présente.
Et si c’était vrai ? Songe-t-il distraitement alors que Guenièvre lui parle de fleurs et de tapisserie, et qu’il acquiesce vaguement sans écouter. Il prétexte du travail à finir, la relecture du traité des quatre clans de Calédonie, pour couper court à la conversation. Il n’a pas la tête aux engueulades, ce soir, et il est trop ailleurs pour réussir à simuler un intérêt qu’il ne ressent que rarement ces derniers temps, et jamais pour les broderies de son épouse.
Et si c’était ça, la clé de ce changement d’attitude ? Lancelot serait… tombé amoureux… Quand ça ? Impossible à dire. De ce qu’il en savait, ces rumeurs n’étaient pas particulièrement récentes, et elles avaient dû démarrer bien avant de lui être parvenues. Quand il en avait parlé à Lancelot, il y avait quelques mois de cela, il n’avait pas du tout pensé… Tout allait encore bien à ce moment-là, non ? Alors quoi ? La… jalousie ou la frustration auraient-elles pu finir par dissoudre une estime mutuelle ?... ou peut-être, plus simplement, par en éroder le masque ? L’idée, insidieuse, brutale comme un coup de poignard, lui retourne le ventre.
Il ne veut pas y croire. Il ne veut pas considérer que Guenièvre - inutile, encombrante, inoffensive et irritante, insignifiante Guenièvre - puisse être la raison de leur différend. Et pourtant… il n’arrive pas à se sortir l’idée de la tête. Arthur enfonce son visage dans l’édredon, essayant désespérément d’étouffer le sons de ses pensées, qui cette nuit couvre même le bruit des ronflement disgracieux de sa femme.
Le lendemain matin, ça ne va pas mieux et ses ruminations l’ont tenu éveillé jusqu’au petit matin, perdant au fil des heures en cohérence et en substance, jusqu’à simplement se concentrer sur le rictus amer tordant les lèvres fines de Lancelot, là, dans les draps qu’ils avaient brièvement partagés sans se toucher, comme un reliquat de leur ancienne aisance, déjà rouillé par cette gêne, cette distance infranchissable qui avait commencé à s’installer entre eux.
Arthur déteste le goût de fin du monde que le nom de son chevalier le plus compétent met maintenant dans sa bouche. Il sait que ça ne devrait pas compter, qu’il devrait faire abstraction, comme pour tout le reste. Composer avec les éléments du tableau, plutôt que de souhaiter qu’il soit différent. Mais il y a tellement cru… Il ne sait pas s’il peut se passer de ce support, même superficiel. Il ne sait pas… au fond, il ne pense pas qu’il peut y arriver, seul. Complètement seul. Il était déjà tellement seul, même avec Lancelot à ses côtés.
Le petit-déjeuner, qu’il prend seul aux cuisines pour ne pas avoir à le partager avec Guenièvre, a un goût de cendres.
Arthur suit le mouvement, comme plongé sous l’eau, toute la journée durant. Ce ne sera pas la première fois ni la dernière, de toute manière. Il répond quand il le faut, discute, acquiesce, écoute patiemment les mille et une complaintes dont tout le monde l’accable en permanence. Il suit placidement Blaise dehors pour examiner l’état apparemment problématique du parvis de sa chapelle (mais en quoi ça le concerne, franchement). Il observe sans broncher les gardes et les soldats lui faire le compte-rendu de l’avancement (absolument pathétique) de leurs entraînements. Il rétorque il ne sait quelle vacherie à son beau-père, quand il le cherche au déjeuner. Il se sent comme un costume vide. Sans surprise, Lancelot n’est nulle part en vue, mais à ce stade ça devient une habitude. Il s’efforce de ne pas y penser.
Il croise Karadoc au détour d’un couloir et l’arrête au dernier moment pour lui demander des nouvelles de ce spectacle de marionnette qui vient seulement maintenant de lui revenir en mémoire. Il lui semble se rappeler qu’il suggérait quelque chose à propos de Lancelot et de sa femme. Evidemment, Karadoc n’a pas été au marché dernièrement, trop occupé à courir n’importe où avec son débile de coéquipier - apparemment ils reviennent justement d’Irlande. Parler à Karadoc lui donne mal au crâne, avec les trente-six absurdités qu’il lui débite à la minute, et il s’excuse rapidement avant d’exploser. On aura déjà de la chance s’ils n’ont pas oublié leurs épées, leurs frocs et la moitié de leurs affaires là-bas, sans même parler de ramener quelque chose d’intéressant de leurs cinq semaines de voyage, songe Arthur avec aigreur, choisissant volontairement d’ignorer sa conscience qui lui rappelle qu’il devrait être meilleur, plus avisé, qu’il devrait toujours leur laisser le bénéfice du doute.
Le soir venu, il attrape un gamin en train de changer les torchères du couloir, et l’envoie dire à sa femme de ne pas l’attendre ce soir. Quand Démétra lui ouvre sa porte, sa beauté est comme un baume sur ses yeux trop fatigués. Inespéré.
Elle l'accueille d’un sourire, ses bijoux reflétant les flammes alentour, et Arthur sourit aussi. Mais elle peut voir ses yeux vides, encadrés de profonds cernes noirs, ses doigts presque gris sur la manche blanche de sa robe quand il se penche pour l’embrasser. Les lèvres d’Arthur sont froides contre les siennes.
Elle le tire à l’intérieur, et le déshabille, avant de l'entraîner avec elle sur le lit. Il se réfugie presque entre ses bras. Il sait qu’il est trop silencieux, ce soir, et elle ne pose pas de questions. Ses mains sur sa peau tirée, la caresse de ses boucles brunes entre ses doigts, ses murmures et son rire contre sa gorge, ça l’apaise un peu. Ils jouent tous les deux le jeu familier du désir et du plaisir, et Arthur songe qu’au moins, comme ça, il profitera peut-être cette nuit de quelques heures de sommeil.
─ Sire, si vous avez un moment, pourriez-vous prendre le temps de jeter un coup d'œil à la pièce que j’ai écrite pour la fête du Printemps ? Je sais que vous êtes très occupé, mais je pense qu’il est important qu’elle vous convienne - après tout il s’agit d’une commande particulière, qui vous a directement été faite…
Arthur relève la tête des rapports qu’il était en train d’examiner pour jeter un coup d'œil agacé à Bohort, qu’il n’a étrangement pas entendu entrer - et dont le sourire timide et le front luisant trahissent la nervosité mal contenue. C’est la troisième fois cette semaine que son chevalier vient lui bourrer le mou avec son théâtre, malgré ses réponses on ne peut plus claires et de moins en moins polies. A croire que la dramaturgie le rendrait téméraire. Il soupire, un début de colère noire, acide - et probablement injuste - au fond du ventre.
─ Bohort-
Le chevalier craque, se jetant presque sur Arthur, l’air délirant et les yeux hallucinés par la panique qui déborde par vague de sa personne. Ses mains agrippent les bras du roi avec une force insoupçonné qui arrache une grimace d’inconfort au souverain complètement déconcerté, alors qu’il s’écrit, suppliant presque :
─ Donnez-moi au moins votre avis sur le synopsis, Sire, je vous en prie ! Vous m’avez désigné pour composer cette- cette œuvre au nom de Kaamelott et- il est vrai que j’apprécie habituellement l’art noble du théâtre ainsi que l’écriture - mais à présent, je dois vous l’avouer… je suis absolument terrorisé ! Sire, il faut que vous approuviez la pièce, ne serait-ce que pour m’épargner un impair épouvantable… Je dois savoir si elle est à la hauteur ! Et si, finalement, je n’avais aucun talent ?
Arthur tente de se composer un masque rassurant pour endiguer le flot paniqué, incapable cependant de réprimer un mouvement de recul instinctif, ou la crispation de ses mains, qui voudraient bien assommer le délicat chevalier soudain rendu fou par ses nouvelles responsabilités. Il ouvre la bouche, incertain, mais Bohort ne lui laisse pas la moindre chance de parler.
─ Non, ne dites rien ! Je sais que vous allez refuser, mais- non, cette fois, je ne compte pas faire reddition devant vos réticences ! Ecoutez seulement, et- donnez moi votre opinion, Sire. C’est à propos d’un noble et vaillant chevalier qui affronte mille périls pour aller chercher dans un pays lointain une femme magnifique que Dieu a désigné comme la future épouse de son estimé Seigneur. Néanmoins, la belle dame et le preux jeune homme tombent follement amoureux et finissent par céder à leur inclination irrépressible dans le plus grand secret, car la dame est à présent Reine, et le chevalier, neveu du Roi…
Arthur tique, une idée traversant le marasme de son esprit, une pointe d’intérêt qui déchire la ouate opaque de ses pensées comme un fer de lance. Il se libère d’un mouvement sec et empoignant Bohort par les épaules, le repousse à une distance plus acceptable, utilisant le contact appuyé et soudain pour couper le couplet de l’homme désespéré et se donner, enfin, un ouverture.
─ Ah- ben écoutez, ça me paraît, euh, intéressant, tout ça. En plus, ça a vraiment l’air de vous mettre de travers, donc… mh, là j’ai un peu un truc sur le feu, mais vous savez quoi, laissez moi le bidule et je le lirais quand j’aurais un moment.
─ Non, Sire ! Écoutez-moi, pour l’amour de Dieu, je vous en conjure… Je- Bohort s’interrompt au milieu de sa supplique déchirante, la confusion peignant comiquement ses traits. Mais… Quoi ? Vraiment ? Vous… Vous voulez dire que vous acceptez ?
─ Maiiiis oui, Bohort, puisque je vous le dis. Oui, j’accepte. Allez, relevez-vous maintenant, ça va aller.
Arthur lui tapote maladroitement l’épaule, espérant vaguement échapper à… ce qui arrive inéluctablement quand Bohort attrape béatement ses paumes pour les serrer avec reconnaissance, les yeux brillants d’un soulagement inespéré…
─ Oh ! Merci Sire ! Mille fois merci ! Je suis votre obligé pour-
Ouais, non, allez, ça suffit. Il se dégage et recule d’un pas ferme. Les effusions, c’est déjà pas son truc d’habitude, mais aujourd’hui, alors que le moindre contact lui donne l’impression que des serpents se sont installés sous sa peau… Il se sent se raidir et se dit que Bohort a intérêt à se tirer rapidement avec ce qu’il vient de lui offrir s’il veut pas s’en prendre une. Parce qu’il a du self-contrôle, mais faut pas pousser non plus.
─ Non, par contre, on va couper la jérémiade, là, hein, d’accord ? Et puis, aussi, tirez-vous. Je reviendrais vers vous… disons dans la semaine, ça vous va ? Allez, posez ça là et barrez-vous, je vous dis.
Les yeux de Bohort débordent toujours d’une reconnaissance humide (qui ne manque jamais de mettre Arthur confusément mal à l’aise) mais il se tient heureusement à distance, tandis qu’il dépose son manuscrit sur la table en une pile bien nette. Arthur le remorque presque jusqu’à la porte. Juste avant de le pousser dehors, un détail lui revient.
─ Et n’allez pas vous imaginez des choses, Seigneur Bohort. Ce sera la seule fois, on est bien clair là-dessus.
Le sourire de Bohort est éblouissant, même pour les yeux obscurcis d’Arthur. Ça lui donne presque envie de faire ce genre de gestes plus souvent. D’être le genre de personne qui rend les autres heureux. Presque.
─ Bien entendu. Merci, Sire.
Chapter 3: Lancelot
Notes:
Tout d'abord, merci à UlricUlric de m'avoir aidé à drafter ce chapitre - dont il a coécrit certains passages avec moi.
Ce chapitre, mes ami.es, ce chapitre m'a tellement... saoulé. J'aurais galéré à l'écrire je peux vous le dire. J'ai procrastiné jusqu'au bout et j'ai l'impression d'avoir arraché péniblement chacune de ces lignes de mon organisme avec mes ongles. C'était long. C'était infini. Mais maintenant, c'est fini, et je vais pouvoir passer à la suite, qui est, merci mes dieux, globalement voir complètement rédigée, contrairement à celui-ci. C'est donc avec aplomb que je vous annonce que malgré les, quoi ? quatre jours de retard ? ou techniquement cinq ? de ce chapitre, le prochain épisode arrivera comme prévu vendredi, donc super vite, puisqu'on est déjà plus ou moins mercredi.
Sur ce, Mesdames, Messieurs, Monêtres : Lancelot du Lac.
Chapter Text
─ Vous m’avez fait demander, Sire ?
─ Ah oui, asseyez vous Seigneur Lancelot…
Lancelot garde un visage neutre, dans lequel perce peut-être une pointe de curiosité, ou du moins d’expectative. Il accepte gracieusement le siège que lui désigne Arthur, lui-même confortablement installé près de l’âtre où il a choisi de le faire mander.
Le soir est tombé, même si la nuit n’est pas encore très avancée, et ils sont seuls au milieu des crépitements du feu et des ombres dansantes projetées par les flammes. Ce n’est pas la première fois, mais cela fait longtemps qu’ils ne se sont pas retrouvés de cette façon. Comme avant. Avant, quand ils appréciaient la présence l’un de l’autre et qu’ils pouvaient passer des soirées entières ainsi, près du feu, dans un silence agréable. Avant, quand ils étaient amis. Avant, quand Lancelot était un soutien stable, un roc auquel s’adosser pour continuer à avancer dans la bonne direction, parfois même un confident peut-être. Avant.
─ Je voudrais que vous me donniez votre avis… C’est un peu particulier.
─ De quoi s’agit-il, Sire ?
─ En fait, Bohort m’a demandé de relire son script pour la pièce qui va être interprétée le mois prochain pour la fête du Printemps. Le problème, c’est que c’est une romance chrétienne moderne, et que bon, déjà la romance, hein, enfin vous voyez, mais en plus, même si moi-aussi je suis chrétien, je pige pas un broc des motivations du héros. Alors j’ai pensé que comme vous- Quoi ?
L’expression de Lancelot est remarquablement éloquente.
─ Excusez-moi, Sire, mais je m’étonne de vous voir vous occuper de ce genre d’affaires…
─ Non mais c’est Bohort, vous savez comment il est… Il chougne, il prend à témoin la terre entière, et puis il insiste…
Le regard sceptique de Lancelot reste résolument fixé sur le visage d’Arthur.
─ D’habitude, vous refusez quand même.
Arthur soupire.
─ Bon, écoutez, je vais être honnête : oui, je ne peux pas blairer le théâtre, oui, j’aurais préféré pouvoir envoyer Bohort sur les roses comme les cinquante dernières fois qu’il m’a demandé de faire ça, mais là, c’est une pièce qui va être interprétée en mon honneur par la troupe personnelle du Duc d’Aquitaine, dont il nous a lui-même commandé l’écriture, alors voilà, c’est diplomatique.
─ Je vois.
Leurs regards se rencontrent dans le silence et Arthur songe qu’il a appris à haïr les traits lisses que Lancelot lui présente, comme la glace d’un miroir ou le métal poli d’une armure. Il s’éclaircit la gorge et reprend :
─ Et donc, je voudrais… votre avis. Sur le personnage principal. Si vous avez cinq minutes.
─ Je suis flatté, Sire, mais je ne sais pas si je suis le mieux placé pour-
─ Vous êtes chevalier, le coupe Arthur, qui commence à en avoir marre de devoir négocier pour le moindre truc. Vous êtes chrétien. Vous êtes lettré. Et puis, outre que je ne pense pas être moi-même particulièrement qualifié pour ce genre de choses, je suis le roi et je peux bien demander de l’aide à qui j’ai envie.
Le “Et je vous demande pas vraiment votre avis, en fait” flotte entre eux, informulé, alors que leurs regards s’affrontent dans la pénombre. Lancelot referme la bouche et, finalement, porte ses longs doigts pâles à la broche de sa cape, qu’il détache pour pouvoir s’installer plus confortablement dans son siège.
─ Certes. Je vous écoute, dans ce cas.
Arthur expire ce qui n’est certainement pas un soupir de soulagement, alors que la tension entre eux retombe, rien qu’un peu.
─ Alors, j’ai pas vraiment eu le temps de trop m’attarder dessus mais j’ai quand même parcouru l’essentiel du machin. En gros, c’est l’histoire de Tristan, le meilleur chevalier du Roi Marc, auquel il est très attaché. A sa demande, il traverse la mer et affronte un dragon, un ogre et un tas d’autres bestioles, tout ça pour obtenir la main d’Isolde, la princesse que le Dieu unique a désigné à Marc comme sa future épouse. Seulement, sur le chemin, Isolde et Tristan sont apparemment tombés fous amoureux l’un de l’autre. Alors, ils… enfin vous voyez, et, une fois rentrés à la cour du roi Marc, ils entame une relation dans le plus grand secret, alors qu’Isolde est sacrée Reine. Et puis, après, bon, c’est surtout des histoires de délations, des nobles jaloux… ils sont suspectés, innocentés, condamnés puis graciés un paquet de fois…
─ Et ?
Lancelot a posé ses coudes sur ses genoux, légèrement penché vers Arthur, une expression curieusement inquisitrice peignant ses traits fins. Arthur se fait la réflexion qu’il a l’air moins raffiné, moins contrôlé… plus vrai, qu’il ne l’est habituellement. Plus sincère, peut-être.
─ Et quoi ?
─ Eh bien, comment l’histoire se finit-elle ? demande Lancelot à brûle-pourpoint.
─ Euh, bredouille Arthur maladroitement, aucune justification crédible ne lui venant à l’esprit pour éluder le sujet. Je ne sais plus… Comme j’ai pas tout lu, ça m’a sûrement échappé. Bien, je suppose, connaissant Bohort.
─ Bien ? Mais… pour lequel des…?
─ Non, mais je sais plus je vous dis, bref. Moi, ce qui me pose problème, c’est qu’on m’a demandé mon avis et- ben je dois admettre que j’ai un peu de mal à me projeter… Vous en pensez quoi, vous ? Est-ce que ça vous parait réaliste, cette histoire ?
Lancelot se recule un peu dans son siège, vaguement déconcerté.
─ C’est important ? Que ce soit réaliste, je veux dire.
─ Ben, un minimum quand même.│
─ Mh, je ne sais pas quoi vous dire. Ça ne me choque pas, en tout cas…
Arthur s’étrangle à moitié.
─ Ça vous… Non mais attendez - sans même aborder le problème moral de courtiser la femme de son Seigneur, parce qu’il y en a un, vous l’admettrez quand même - déjà, s’ils s’aiment, pourquoi revenir à la cour du roi en premier lieu ? Ils auraient pu s’enfuir ensemble, c’est complètement con. Ou rester dans son pays à elle. Ou, mieux, pourquoi ne pas en parler avec le roi, qui, d’après ce que j’ai lu, a l’air plutôt sympa ? Sans compter qu’il n’a encore jamais vu la dame, donc c’est pas comme si lui même en était déjà fou amoureux à ce stade. Et puis, quelle idée aussi, de tomber amoureux de la future femme du roi ! Et il s’y accroche, après, il n’en démords pas, le Tristan, il faut forcément que ce soit elle et personne d’autre ! Je suis désolé, c’est peut-être moi, mais je comprends vraiment pas.
Lancelot rit, le visage rejeté en arrière découvrant son interminable gorge blanche, sa main se levant à peine pour effleurer sa bouche ouverte. Un son clair et piquant, qui éclate soudainement et s’éteint vite mais continue de résonner dans la pièce, presque palpable. Aux oreilles d’Arthur, c’est comme du sel sur une blessure ouverte. Il peine à contrôler son expression, à dissimuler la grimace qui cherche à retrousser ses lèvres, à découvrir ses dents.
─ Pour être honnête, Sire, finit par dire Lancelot une fois calmé, je ne suis pas surpris que vous ne compreniez pas.
Arthur serre les dents et affronte le regard encore moqueur de Lancelot, dont le haussement de sourcils insolent autant que la remarque volontairement obscure semble n’avoir aucun autre but que de le forcer à exiger des éclaircissements qu’il devine aisément qu’il ne va pas apprécier.
─ Ah d’accord, et c’est censé vouloir dire quoi, ça ?
Le chevalier détourne ostensiblement le regard avec un petit sourire en coin, comme s’amusant d’une pensée dont Arthur reste irrémédiablement exclu, avant d’articuler avec soin, sans regarder son souverain :
─ Simplement que, avec vos multiples attachements, je comprends qu’il vous soit difficile de vous projeter dans la tragédie d’un amour exclusif et impossible, qui plus est à l’égard d’une… noble dame.
Arthur accuse le coup. Si la formulation est neutre, ce n’est pas le cas du ton employé par Lancelot, qui laisse quant à lui assez peu de doute sur ce que le Beau trouvé pense des “attachements” d’Arthur. Eh ben… C’est gratuit, ça fait plaisir. Arthur serre les lèvres et croise les bras sur sa poitrine, carrant les épaules dans son siège.
─ Ah ouais. Et vous comptez commencer à m’expliquer des trucs à un moment, ou juste continuer à vous payer ma fiole toute la soirée ?
Cette fois, quand ses yeux rencontrent à nouveau ceux d’Arthur, Lancelot déglutit et baisse le regard, l’air soudain un peu plus incertain, et peut-être même un peu embarrassé. Il s’humecte les lèvres et se gratte le cou, avant de reprendre d’un ton nettement plus neutre :
─ Eh bien… pour commencer, et même si je suis réduit à le deviner puisque je n’ai pas moi-même lu la pièce, je suppose que c’est par honneur qu’ils sont tous les deux revenus à la cour. Tristan devait honorer sa promesse et mener à bien sa quête, et Isolde accomplir sa destinée et épouser le roi que Dieu lui avait destiné. Leur amour ne pouvait pas les détourner de leur devoir.
Arthur hausse les sourcils, peu impressionné.
─ Par honneur ? Et vous allez me dire que c’est honorable aussi, de se voir en cachette ? De tromper le roi ?
─ Non, bien-sûr… Concède Lancelot d’un geste dédaigneux de la main. Du moins pas vu sous cet angle. Mais s’ils cèdent à leur inclination, peut-être était-ce parce qu’elle était impossible à réprimer. Vous n’êtes pas vous-même étranger à la… violence que peuvent avoir les pulsions du cœur, Sire, si ce qu’on raconte est vrai.
Arthur s’étrangle.
─ Pas avec des femmes mariées, non !
Lancelot hausse les épaules.
─ Je pense que c’est ce qui fait la beauté, la tragédie de leur histoire d’amour : elle est impossible et pourtant ils ne peuvent se résoudre à l’abandonner. Après tout, on ne choisit pas qui on aime.
Arthur écoute attentivement, gardant une expression volontairement lisse pour ne pas se trahir. Même si Lancelot ne se dévoilera certainement pas si facilement, ses réponses témoignent de sa pensée, de ses sentiments, qu’il en ait conscience ou pas, et Arthur espère pouvoir en tirer une quelconque conclusion concernant ses suspicions récentes. Préférablement, une nette infirmation. Malheureusement, jusque là, les propos de Lancelot n’ont pas eu beaucoup matière à rassurer Arthur.
─ Si c’est de l’honneur des héros dont vous vous inquiétez, je maintiens ma position : un amour pur et sincère ne saurait en lui-même être un déshonneur, quel que soit son objet.
Lancelot a l’air terriblement sûr de lui en disant ça. Il a le menton haut, les épaules détendues et le regard franc. Aux yeux d’Arthur, il rayonne presque, paré comme il l’est de cette intense certitude, de cette confiance inébranlable qui le caractérise. Malgré lui, Arthur bat des paupières, un peu troublé.
─ Je vous avoue que j’ai un peu de mal à vous suivre sur toute cette histoire d’amour pur dont vous ne cessez de me parler, mais… à la limite. Admettons.
Arthur secoue la tête, avant de recentrer le débat sur ce qui lui paraît être le noeud du problème, et qu’il a l’impression que Lancelot ne cesse d’esquiver :
─ Mais enfin, ce n’est pas seulement une femme mariée, c’est la reine ! L’épouse de son Seigneur ! Ça non plus, ça vous paraît pas poser plus de problème que ça ?
─ Honnêtement, non.
Arthur tique. Lancelot a croisé les mains sur ses genoux avec résolution, et Arthur attend la suite, mais… rien ne vient. Les secondes passent lentement. Arthur sent une brutale bouffée d’irritation piquer sa peau, brûler sous ses joues, contre sa nuque. Finalement, c’est lui qui rompt le silence, à travers des dents serrées :
─ Et vous voulez m’expliquer, ou…?
─ Quoi, s’étonne Lancelot, vous ne voyez pas, Sire ? Je pensais que ce serait évident, particulièrement pour un esprit aussi fin que le vôtre…
Lancelot laisse encore passer un ou deux moment, prenant apparemment son temps pour considérer la question, probablement pour le pur plaisir de laisser Arthur se consumer un peu plus de frustration, avant de daigner finalement ouvrir la bouche pour exposer avec suffisance:
─ Vous voyez, c’est justement parce que c’est la reine. C’est… la valeur de son statut, sa fidélité au roi malgré sa passion envers un autre, qui en fait un objet d’adoration parfaitement noble, exempt de toute souillure. C’est parce que c’est sa reine, sa dame à qui il doit admiration et respect, que l’amour que lui porte Tristan est légitime, malgré ce qui les sépare… irrémédiablement.
Lancelot a prononcé ce dernier mot très bas, presque dans un murmure. Après cette tirade appuyée, éloquente, presque agressive, ça sonne… étrangement. Comme un regret. Leurs regards s’accrochent, et ils se dévisagent en silence, à travers la pénombre qui semble seulement s’épaissir autour d’eux, au fur et à mesure de cette conversation. Arthur a un poids sur l’estomac, un creux dans la poitrine. Il essaie de se concentrer sur la démonstration de Lancelot, dont le raisonnement lui parait toujours incongru, mais… Tout ce qu’il entend, c’est la voix douce de Lancelot, appelant avec déférence Guenièvre ma reine. Sa propre voix brise le silence, dissipe la réminiscence :
─ Non… Non, je suis désolé, mais… non, je comprends pas.
─ Pfff…
Lancelot a levé une main devant sa bouche pour masquer son visage, et feint un air poliment neutre qui ne réussit pas entièrement à masquer le je ne sais quoi qui frémit sous la surface. Arthur devine une forme de satisfaction - en même temps, il aurait dû le voir venir - un amusement mauvais qui fait pétiller ses yeux gris, qui doit recourber méchamment la courbe de ses lèvres fines sous le masque de ses doigts. Lancelot rit plus souvent à ses dépends qu’avec lui, depuis quelques mois, et ce ne sera qu’une fois de plus à ajouter au nombre.
─ Quoi ?
Arthur sait qu’il marche droit dans le panneau, encore, mais il n’arrive pas à s’en empêcher. Ça le hérisse, c’est plus fort que lui. Il ne peut pas s’empêcher de répondre, de demander, toujours, peut-être porté par un genre d’irrépressible désir de se faire mal. Ou peut-être que c’est pour voir si Lancelot va répondre autre chose, va finalement lui donner tort. Peut-être qu’il espère encore.
─ Je vous l'avais dit, n’est-ce pas ? Que vous ne pourriez pas comprendre ?
Les joues d’Arthur le brûlent, son cou, ses tempes. Ses poings se serrent sur les accoudoirs de son fauteuil.
─ Seigneur Lancelot, vous commencez gentiment à me gonfler…
─ C’est vous qui m’avez convoqué, Sire.
La répartie de Lancelot cingle Arthur comme une gifle, et il reste un instant pétrifié par l’outrecuidance- Arthur a les paumes qui le démangent, il a envie de saisir Lancelot par le col, de lui en coller une, une bonne fois pour toute. Il a une réplique mordante au bout de la langue, il devrait le menacer, le remettre à sa place puisqu’il a apparemment quelques difficultés à y rester ces temps-cis - non pas qu’Arthur se sentent particulièrement obligé de mater ses interlocuteurs en général, mais ça tourne carrément à la manie avec celui-là. Mais… Il a convoqué Lancelot ce soir pour une raison bien précise. S’il le vire maintenant, il ne sera pas plus avancé qu’avant. Putain. Arthur se force à prendre une profonde inspiration, histoire de calmer un peu ses nerfs sur le point de vriller.
Il a la sale impression que Lancelot sourit sous ses doigts toujours levés. Arthur a l’impression (probablement fausse) qu’il n’a jamais autant eu envie de frapper quelqu’un.
Inspire… Expire…
─ Bon… Mh. donc, vous me dites que, d’après vous, le fait que ce soit la Reine ne nuit pas à l’histoire ou à la valeur des personnages… Et le fait de céder à leurs pulsions ? La consommation de leur relation adultère, ça vous pose aucun problème non plus ?
Cette fois, Lancelot est moins prompt à répondre. Sa main retombe sur ses genoux ou il tripote la couture de ses braies. Il a l'air en proie à une réflexion qui pince ses lèvres, dessine des rides courbes sur son front.
─ Il est vrai que cette mention de l'amour physique... Pour être honnête, je ne sais pas si c'est bien judicieux.
─ Ha ben quand même. Et comment ça, je vous prie ?
─ Hé bien, je crains que cela ne desserve la clarté du message et amoindrisse l'image de cet amour secret parfait, qui, je pense, gagnerait à rester chaste.
─ Ha bon ?
Cette fois, c’est au tour d’Arthur de rire, même si son amusement a un côté acerbe, caustique, qui n’est probablement pas étranger au fait qu’il y a une minute, Arthur rêvait très fort à en mettre une dans la belle figure de Lancelot. Le chevalier ne dit rien, mais pince les lèvres avec l’air de quelqu’un typique de quelqu’un qui vient de croquer dans un citron. C’est qu’il aurait presque l’air vexé, le blondinet. Ça lui fait du bien, à Arthur, ça, tient.
─ Donc, laissez-moi résumer, renchérit Arthur, une fois qu’il a repris son souffle. Vous trouvez que représenter dans une pièce en mon honneur la pure et noble romance de la femme du roi avec son meilleure chevalier, qui se passe sous son nez et où, excusez-moi, on le prend quand même pour une poire, ça passe parce que c'est noble, mais par contre mentionner une scène d'amour physique, comme vous dites, là c'est trop ?
Lancelot fait la moue, visiblement inconfortable - malgré l’obscurité et la lueur orange des flammes, qui l’empêchent de s’en assurer, Arthur jurerait presque qu’il a légèrement rosit - mais se reprend vite, maintenant ses positions.
─ Eh bien, c’est sûr que formulé comme ça… Mais oui, ça me paraît plutôt limite, surtout pour une commande diplomatique. Je ne sais pas, c'est… vulgaire. Et puis, franchement, je vois pas ce que ça apporte d'en parler. Quant à la tromperie du roi… Cela sert l’intrigue et me paraît tout à fait entendable, pour une fiction.
Pour une fiction…
─ En plus, ce sera l’occasion pour vous de donner l’image d’un souverain moderne, au fait des aspects les plus pointus du noble art de la chevalerie, et sûr de son autorité qui plus est, puisque ce serait la preuve que vous ne craignez justement en rien que la déconvenue fictive de Marc puisse ressurgir sur vous... Non, vraiment, à part peut-être concernant ce détail, je pense que vous devriez valider la pièce.
Arthur plisse les yeux.
─ Seigneur Lancelot, est-ce que vous vous foutez de moi ?
─ Je n’oserai jamais Sire.
Ils se fixent un moment sans rien dire. Lancelot, qui s’est un peu emporté pendant sa démonstration, a presque le souffle court, et ses yeux, deux perles acier dans la noirceur de la pièce, ne le lâchent pas. Arthur se sent las. Le front de Lancelot prend un pli déterminé alors qu’il reprend, après une brève hésitation :
─ Arrêtez-moi si je me trompe mais, honnêtement, je pense que c’est la meilleure marche à suivre si vous cherchez toujours à…
─ Alors déjà, le coupe Arthur avec un rictus amer, moi je rien du tout, c’est juste Bohort, je supervise que dalle dans le département créatif, et ce truc, c’était certainement pas mon idée.
Cette fois, il ne parvient pas à retenir le fond de sa pensée qui éclate presque malgré lui entre eux deux, tranchante comme de la poterie brisée, aiguisée comme une lame.
─ Et ensuite… vraiment, Seigneur Lancelot ? Vous me faites marrer, un peu. Vous savez ce qui me dérange le plus, moi, dans cette pièce ? C’est le fait que tout ça se passe dans le dos de Marc. Non seulement sa femme le trompe, mais son chevalier lui ment, et jusqu’au bout. Tristan, qui lui a prêté serment - ce qui n’est pas rien, mais vous le savez vous-même, n’est-ce pas? - le trahit et le déshonore, et j’ai du mal à voir comment ça, ça se goupille avec votre idée d’amour noble, ou avec une quelconque crédibilité. Sans parler d’un modèle de chevalerie, vous me permettrez de dire.
Lancelot bat des paupières, déconcerté, mais ne se démonte pas.
─ Je… Je convient que l’histoire semble prendre certaines libertés avec les contraintes intrinsèques à notre serment de chevalerie. Mais, Sire, si le sujet est la romance, une romance tragique qui plus est, cela ne peut-il pas excuser quelques arrangements faits avec la réalité ?
Bon allez , se dit Arthur, à bout de nerf, tant pis pour la subtilité.
─ Non mais franchement, Seigneur Lancelot, à la place de Tristan, vous feriez un truc comme ça, vous ?
Il y a comme un flottement entre eux, l’espace d’un instant, puis l’outrage fleurit presque comiquement sur le visage de Lancelot, écarquillant ses yeux, creusant ses joues, étirant ses lèvres. C’est tout un spectacle parfaitement exécuté de déni à hauts cris, peint sur la toile vierge d’un visage connu. Lancelot joue presque toujours son rôle à la perfection, et ce soir, il ne déçoit pas.
─ Vous savez bien que personne ne vous est plus dévoué que moi, Sire.
Arthur le regarde, et il a l’impression de ne voir que le vide entre eux. Que le vide autour de lui. Il réprime un frisson glacé, et hoche vaguement la tête, tournant son regard vers le foyer qui finit de se consumer entre eux. Il avait presque oublié le feu dans la pièce.
─ …Ouais, marmonne-t-il sans conviction. Vous pensez toujours que je devrais faire valider la pièce ?
Lancelot bafouille un peu.
─ Je- Oui. Oui, je pense que c’est la chose à faire. C’est les “qu’en dira-t-on” qui vous inquiètent ? Je vous assure, Sire, personne ne songera à… imaginer que de telles incongruité puissent sortir des chemins balisés de la fiction symbolique, là dans le monde réel ! Je croyais que nous avions déjà réglé la question des rumeurs concernant mon rôle de protecteur envers-
Arthur se racle bruyamment la gorge, l’interrompant brutalement.
─ Mh, eh bien, merci pour cette discussion… enrichissante, vous pouvez disposer, Seigneur Lancelot.
Lancelot se fige au milieu de sa tirade, incertain.
─ Comment, Sire ?
─ Je suis fatigué, reformule Arthur en articulant soigneusement à travers ses dents serrées. Cassez-vous. Quoi, il faut que je vous l’épelle aussi ?
Arthur n’arrive plus à masquer la fêlure dans sa voix, l’agression dans son ton. Il a envie de hurler. Il faut que ça s’arrête maintenant, qu’il fasse autre chose, qu’il pense à autre chose. La voix de Lancelot lui est soudain devenue insupportable.
─ Nul besoin, Sire.
Le chevalier se lève de son siège et, d’un mouvement leste, gracieux, ramène sa cape sur ses épaules, où il l'agrafe impeccablement, avant de continuer :
─ J'espère que j'ai satisfait à vos attentes. Reposez-vous bien, surtout, Sire. Vous avez l’air… à cran, en ce moment.
Et, pour une raison que je ne m’explique pas, ça à l’air de vous faire plaisir.
─ Je me demande bien comment vous pouvez avoir des opinions sur mes états de santé, considérant que ça fait plus de deux semaines que vous n’aviez pas foutu les pieds au château et que c’est seulement par hasard que j’ai appris d’un grouillot que vous étiez rentré ce matin de vos dernières errances. Une chance pour moi d’avoir pu vous attraper au vol, hein ?
Lancelot fronce les sourcils et ouvre la bouche pour se défendre, mais Arthur le fait taire d’un geste.
─ Non, ne répondez pas.
Lancelot referme la bouche et serre la mâchoire, acquiesçant sèchement, avant de se détourner. Il esquisse un pas vers la porte et Arthur se détend presque, quand il fait soudain volte-face et, en trois longues enjambées, se retrouve juste devant Arthur. Lancelot se penche sur lui, l’embaumant de son étrange parfum à la fois fleuri et amer, pour venir lui murmurer à l’oreille, le poison bien audible dans sa voix doucereuse:
─ Prenez soin de vous, Sire.
Quand la porte se referme, Arthur brise la desserte de bois d’orme et toute la vaisselle qui s’y trouvait. Les feuillets de la pièce volent dans la salle obscure, s’éparpillant sur le désordre, alors que le roi s’assoit par terre devant l’âtre, pour regarder le feu mourir.
Chapter 4: Interlude
Notes:
Et, Mesdames, Messieurs, Monêtres, c'est un chapitre posté... dans les temps !!! Eh oui !
Celui-là est pas mal long, mais il se passe beaucoup de choses aussi, donc c'est assez logique.
On se retrouve la semaine prochaine avec le chapitre suivant, spoiler : il s'intitulera... "Guenièvre" !
Bonne lecture : )
Chapter Text
Ça ne veut rien dire, se répète Arthur pour ce qui lui semble être la millième fois, sans que ça lui fasse plus d’effet que les fois précédentes.
Oui, bien-sûr, il avait espéré que sa… petite discussion avec Lancelot le détrompe, lui sorte ce doute stupide de la tête une bonne fois pour toute - après tout, il persiste à dire qu’il s’agit d’une idée ridicule. Et, bon, certes, ce n’est pas tout à fait le résultat qu’il a obtenu. Mais de là à dire qu’il y a un problème…
Un violent frisson secoue son corps au souvenir du souffle tiède de Lancelot contre son oreille. Il revoit tout en un éclair. Le sourire mauvais, à peine dissimulé par ses doigts fins, les moqueries à chaque tour de phrase. Le rire impudent et soudain, crispant, toute gorge déployée. Le besoin de gagner, d’avoir le dernier mot, et la menace, à peine voilée, déformant ce qui aurait pu - qui aurait dû être une marque d’attention, d’affection.
Le regard de défi dans les yeux acier qui le surplombent, à peine perceptible dans l’obscurité.
Bon, d’accord, il y a un problème avec Lancelot. C’est indéniable. Arthur le savait déjà, mais si cette rencontre a eu un seul effet, c’est de le confirmer d’une manière incontestable. Oui, il y a un problème. Un problème grave, et probablement urgent.
Mais est-ce bien ce qu’il soupçonne ? Arthur… Arthur n’en est pas sûr. Ce n’est pas assez de savoir que Lancelot pense qu’un “amour pur” peut-être destiné par un chevalier à la femme de son suzerain. Ce n’est pas concluant. Il s’agit de graves accusations et… Arthur n’a aucune preuve, ni aucune certitude.
Franchement, il n’est pas plus avancé maintenant qu’il ne l’était à la fin de sa conversation avec Vénec, la semaine dernière… Et il n’est pas bien sûr de ce qu’il peut encore faire, à ce stade, pour démêler cette situation. Clairement, le doute, l’angoisse, ne vont pas disparaître par eux-même. Pas plus que son… problème avec Lancelot, manifestement. Il ne peut pas prendre le risque d’aller en parler avec lui plus directement sans être absolument certain de ce qu’il avance, vu la volatilité actuelle de leurs rapports, mais…
Qu’est-ce qu’il pourrait faire d’autre ?
Arthur aborde le sujet au moment où les compotes arrivent sur la table. C’est presque la fin du repas, et il se demande comment amener la chose depuis des plombes maintenant. Il a passé presque tout le repas à côté de ses pompes, réagissant à peine aux anecdotes de Perceval, qui semble s’être fait un devoir de meubler la conversation avec une absurdité maximale (la dernière histoire dont Arthur a retenu quelques mots impliquait des loutres, une malédiction et de la tomme de montagne magique), probablement dans l’espoir confus de changer les idées au roi absent.
Il attends que la boniche se tire et referme la porte et, profitant du silence induit par un gros morceau de brioche, se lance avant que Perceval ne puisse enchaîner sur un nouveau récit improbable :
─ Perceval, vous… qu’est-ce que vous feriez si… vous pensiez que quelqu’un était amoureux de votre femme ?
Perceval avale difficilement sa bouchée, et réponds, la confusion écrite en gros sur son visage:
─ Mais j’en ai pas, de femme.
─ Non, je sais, mais imaginez que vous en ayez une.
─ Ben je veux bien, mais déjà, ce serait super bizarre, et en plus, je suis désolé mais je vois pas à quoi ça sert puisque j’en ai pas. Du coup, de toute façon, personne peut en être amoureux.
Arthur respire pour ne pas se mettre à crier. Il a le mérite d’avoir de la pratique dans cet exercice mais, curieusement, ça ne semble pas le rendre plus facile sur le long terme. Il se pince le nez, et reprend, plus lentement, sous un angle différent :
─ … Et Angarad, c’est pas votre fiancée ou quelque chose dans ce goût là ? C’est presque pareil qu’une femme, non ?
─ Ah bon ? Mais, quelqu’un est amoureux d’Angarad ?
Maintenant, ça y est, Perceval a l’air complètement perdu. Arthur a déjà envie de laisser tomber, mais il sait que s’il se dégonfle maintenant, il ne réessaiera pas et ses ruminations lui donnent l’impression d’être enfermé dans le noir et sous pression à l’intérieur de sa propre tête depuis bientôt une semaine, et c’est encore pire depuis qu’il a vu Lancelot. Il ne veut pas continuer comme ça. De toute façon, il n’arrive à rien par ses propres moyens. Il se force à persévérer :
─ Non… enfin, j’en sais rien. Mais qu’est-ce que vous feriez si c’était le cas ?
─ Je vois pas bien l’intérêt d’en parler si c’est pas le cas, je verrais bien sur le moment si ça arrive non ?
Les jointures de ses mains sont blanches, serrées sur le bord de la table et il s’en faut peu pour qu’Arthur ne se frappe le front sur la surface du meuble. La frustration traverse son corps comme une décharge électrique, saturant ses nerfs à vif, et il fixe la pile d’écuelles sales sur la table pour tenter d’étouffer ses envies de violence. Il ne répond pas.
─ Sire, vous dites plus rien… j’ai dit une connerie ?
─ C’est rien, parvient-il à articuler. C’est bon, c’est pas grave…
Tant pis, se dit Arthur. Il pourra toujours… ne pas en parler. Toute cette histoire est stupide, et il aurait dû se débarrasser de cette fixation depuis longtemps, de toute façon. Ça lui passera probablement à Lancelot, amoureux ou pas. Et personne n’en voudra à Arthur d’être trop absorbé par ses responsabilités de chef d’état pour partir à la chasse aux secrets de son lunatique premier ministre… Peu importe le goût des cendres. Peu importe la panique sourde, le mauvais pressentiment qui bats dans ses oreilles dans les contours de l’absence de plus en plus fréquente de son meilleur chevalier. Peu importe le pli amer de la bouche de Lancelot, chaque fois qu’il regarde Arthur.
Cette fois, quand Perceval parle, sa voix est hésitante et il a l’air sincèrement triste.
─ Vous aviez vraiment l’air de vouloir me demander quelque chose. Je suis désolé, je suis trop con, c’est ça ?
Il a sa mine de chien battu, les yeux humides, tournés vers le sol, le haut de ses pommettes un peu rouge, les épaules rabattues en avant. Arthur déglutit difficilement.
─ Non… Non, c’est moi. Je sais pas à quoi j’ai pensé. Ce que je voulais dire… en fait, je pense que quelqu’un est amoureux de ma femme, et, ben… ça me travaille. Je sais pas trop quoi faire à propos de ça.
─ Quelqu’un est amoureux de votre femme ?
Les yeux de Perceval sont écarquillés de surprise. Ils sont d’un bleu très pâle, presque céruléen, et le contraste de ses étranges cheveux blancs en fait un tableau saisissant. Il est beau, pour un con, songe Arthur malgré lui.
─ Je crois.
─ Vous êtes pas sûr ?
─ Non, admet Arthur. Mais j’ai des raisons de le penser.
─ Ah ouais… Et- et c’est à moi que vous venez demander des conseils pour ça ?
Arthur rigole presque, mais son visage est un peu crispé et ses paupières lourdes.
─ Apparemment. C’est pas glorieux, je vous l’accorde. Maintenant que je suis là, je me demande vraiment à quoi j’ai pensé, mais vu qu’on a commencé à en parler, si vous avez une idée, allez-y, lancez-vous, n’hésitez pas.
─ Euh, ben, je sais pas… Je suis pas le roi, moi, et je la connais pas, votre femme. J’ai peur de dire une connerie. Ça a quand même l’air drôlement important.
L’air incertain, presque penaud, de Perceval est, pour être honnête, plutôt attendrissant. Arthur se ressert un peu de gâteau, en glissant au passage une tranche dans l’assiette délaissée de Perceval.
─ Non mais, vous en dîtes tout le temps, des conneries, de toute façon. Vous angoissez pas, ce sera comme d’habitude. Et je le sais bien, que c’est pas évident… c’est pour ça que je vous demandais d’imaginer, pour que vous puissiez vous mettre à ma place, me parler de vous, plutôt que de moi.
Le visage de Perceval s’éclaire soudain, illuminant toute la pièce.
─ Ah mais c’est pour ça que vous me parliez d’Angarad, en fait !
─ Ben oui.
─ Mais j’avais pas compris, ça ! Du coup, si j’ai bien tout pigé comme il faut… vous voulez que je fasse comme si on parlait de moi, sauf que j’aurais une femme, même si en vrai j’en ai pas, et qu’un autre gars avait le béguin pour… c’est ça ? Et comme ça, je vous dis ce que je ferais pour inspirer votre déclaration.
C’est si inattendu qu’Arthur ne peut retenir un sourire, un vrai sourire, malgré la teneur de leur discussion. Perceval a compris. Qui l’eut cru. Franchement, ça n’arrive pas tous les jours qu’il pige un broc de quoi que soit, encore moins quand il s’agit d’un truc important, et certainement pas en moins d’une heure de pénible délibération. Comme quoi, ça vaut toujours la peine de continuer d’essayer, quelques fois ça paie. Cela dit… Arthur fronce légèrement les sourcils.
─ …Ma “réflexion” ?
─ Ah ouais c’est mieux là ! C’est plus fulgurant. Vous êtes vraiment bon avec les mots, Sire.
C’est sûr que comparés à vous … soupire Arthur silencieusement.
─ Oui c’est ça. Et donc ? Vous avez une idée ?
─ Attendez, je réfléchis…
Le roi hausse un sourcil, l’air de dire “Vous pouvez faire ça, vous ?”, mais il a toujours un petit sourire au coin des lèvres. Il se rappelle pourquoi il aime tellement manger avec Perceval, et ça fait du bien. Avec Perceval, Arthur est toujours surpris, même s’il est souvent frustré ou irrité au-delà de toute mesure. Et puis, Perceval est foncièrement bon, à l’intérieur, et ça, ça le change agréablement de tous les utilitaristes sans scrupules qu’il se coltine au quotidien. Ça lui redonne espoir, juste un peu.
─ Elle l’aime, ma femme, le type ?
Arthur s’étouffe avec sa salive, et tousse un peu, avant de relever de grands yeux bruns consternés vers son ami, qui le regarde toujours d’un air concentré.
─ Je sais pas, finit-il par admettre, un peu à contre-coeur.
Perceval hoche la tête et prend un moment pour réfléchir, ses sourcils pâles tendus dans un clair effort de réflexion. Finalement, ses yeux reviennent se lover dans ceux d’Arthur, quand il lui déclare :
─ Ben, je suis pas à votre place, mais moi, j’irai lui demander alors.
Sur le coup, Arthur est sans voix.
─ Parce que si elle l’aime pas, ben je m’en fou du béguin de ce type. Mais si elle l’aime, je sais pas, ça pue vachement plus. Après faut aussi savoir si moi je l’aime ou pas, ma femme, ça change la marinade…
Oui, c’est pas faux - ça change la marinade, pense Arthur en se mordant nerveusement la lèvre, la panique montant comme une vague dans son ventre.
Il n’avait pas pensé à ça, il n’avait pas pensé à Guenièvre une seule seconde. Seulement à Lancelot, à comment apaiser Lancelot, comment contenter Lancelot… Bien sûr, il avait envisagé qu’ils entretiennent une romance, peut-être, sans vraiment y croire, mais jamais il ne s’était posé la question sous cet angle.
Est-ce que Guenièvre aime Lancelot ? Il n’en a aucune idée. Elle l’apprécie, oui, c’est sûr, mais… En tout cas, elle n’a jamais évoqué le sujet avec lui. En même temps, ce n’est pas comme si Arthur avait l’habitude de beaucoup l’écouter, de toute façon. Il a l’impression de se noyer dans le flux de ses propres spéculations.
Est-ce qu’ils… s’aiment, tous les deux ? Est-ce que c’est récent ? Est-ce qu’ils s’aiment depuis des années, sous son nez, sans rien lui dire ? Comme pour Tristan et Isolde, condamnés sans le savoir par les dieux et leur lien au roi Marc. Il ne pensait pas vraiment avoir choisi un exemple aussi littéralement adapté à sa situation… mais…
Est-ce qu’il… se tient dans leur chemin, de la même façon qu’elle se tient dans le sien ? Est-ce qu’il l’empêche d’être heureuse, alors qu’elle pourrait peut-être l’être ?
Sans qu’il sache vraiment pourquoi, cette pensée réveille une douleur sourde dans son sternum, une brûlure derrière ses yeux. Une immense tristesse, qu’il ne comprend pas.
Ce soir là, alors qu’il retire sa tunique pour se glisser dans le lit - une nuit de plus, grossièrement annoncée par l’envoi d’un messager à la dernière minute, la cinquième depuis qu’il a déserté sa chambre, ou plutôt son épouse - où s’est déjà étendue Démétra, il hésite. Il sait qu’il devrait retourner à sa chambre. Il devrait parler à Guenièvre, mais il sent… il sait que ça va tourner à la dispute et, même si Perceval a un peu éclairci son atmosphère aujourd’hui, il sent encore sur la peau l’écho de cette noirceur dévorante qui semble le consumer de plus en plus souvent, installée dans ses os éreintés, dans ses soupirs, comme une maladie qu’on peut seulement endormir, quand on en a la chance…
Demain. Demain, il ira parler à Guenièvre. Elle ne lui mentira pas. Probablement. Il peut bien s’accorder une dernière nuit, pour se donner du courage. Même s’il est bien incapable d’apaiser son esprit, d’oublier les doutes qui le tiraille… Il arrange les couvertures contre ses jambes, appréciant le contact chaud et doux de Démétra contre son flanc, le contact léger de ses boucles sur son épaule…
─ Je peux vous poser une question…
Elle lève vers lui de biais des iris chauds, pétillants.
─ Bien sûr. Vous vous embêtez pas à demander d’habitude, d’ailleurs !
Il cherche ses mots, un peu. Il a bien conscience qu’il n’est pas toujours très doué pour ce qui est d’aborder ce genre de sujets délicats. C’est plus facile, après en avoir parlé à Perceval, mais il rechigne toujours à parler de ses soucis, à se rendre vulnérable. Même avec elle.
─ Comment vous savez qu’un homme a le béguin pour vous ?
Elle rit un peu, incrédule.
─ C’est ça votre question ? Euh, je sais pas… en général, il me le dit, ça aide.
─ Non mais… quand il vous le dit pas ?
─ Est-ce que vous me demandez si quelqu’un a le béguin pour moi en secret ?
─ Mais non… c’est pas ça… râle Arthur, sentant la frustration familière revenir sous sa peau.
Il se demande un peu si ça vient de lui, à la fin. Il doit pas être clair quand il essaie de parler des choses qui l’emmerde. Probablement parce qu’il a pas vraiment envie d’en parler. Ça lui facilite pas la tâche en tout cas.
─ C’est quoi alors ?
Sa main fine se pose doucement sur sa poitrine et il se décrispe un peu. Le ton de Démétra est curieux maintenant, intrigué.
─ C’est… J’aimerais réussir à savoir si… deux personnes s’aiment en secret.
─ Vous parlez de qui ?
Ses yeux brillent. Arthur détourne le regard.
─ Je parle de personne.
─ Bien sûr, oui, fichez vous de moi. Excusez-moi, mais vous êtes pas vraiment le genre à taper dans les commérages, d’habitude, alors ça m’intrigue, c’est normal. Est-ce que c’est à propos de la reine ?
─ Non, mais alors là, pas du tout, rétorque Arthur, un peu trop vite, un peu trop sèchement (est-ce qu’elle peut l’entendre dans sa voix ? comment peut-elle savoir-). Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
─ Je sais pas, rien de particulier. J’essaie de deviner.
Elle a le regard un peu rêveur, et le visage serein, bien habituée à ses sautes d’humeurs, depuis le temps. Il essaie de se ressaisir, de se calmer. De naviguer ça rationnellement, en gardant ses insécurités sous contrôle. Il ne doit pas se trahir maintenant…
─ Eh ben vous devinez mal. Et, excusez-moi de même, mais vous, vous êtes du genre à taper dans les commérages justement, et c’est peut-être pour ça que je veux pas vous dire de qui il s’agit ! Vous y avez pensé, à ça ? Peut-être qu’un… ami… est venu me voir pour me demander conseil, et que je lui dois de préserver sa vie privée…
─ D’accord, mais à ce compte là, pourquoi vous m’en parlez alors ?
Parce qu’elle est intelligente, Démétra, et perspicace. Parce qu’elle fait attention à des choses dont Arthur se fiche, notamment dans le domaine interpersonnel. Parce qu’elle est un territoire sûr pour lui, ou en tout cas une des choses qui s’en approche le plus.
─ Mais je vous en parle parce que- parce que je vous demande conseil, voilà, c’est tout. ça veut pas dire que je suis obligé de vous donner la biographie des mecs.
─ Non mais, les noms, c’est un minimum quoi.
─ Ben c’est un minimum que je ne rencontrerai pas. Vous m’aidez ou non ?
Elle lève les yeux au ciel, et se blottit plus confortablement sur son torse avec un peu plus de force que nécessaire. Il sent son coûteux parfum de fleurs dans l’air. C’est à cause d’elle qu’il aime autant le jasmin.
─ Mais oui, c’est bon. Vous êtes pas drôle, ce soir. En plus, vous en posez, des questions. Un couple qui s’aime en secret… J’en sais rien, j’imagine qu’ils essaieraient de trouver des excuses pour passer du temps ensemble. Qu’ils se regarderaient discrètement, qu’ils s’offriraient des cadeaux… Vous avez remarqué des trucs de ce genre ?
Non. Non, Arthur n’a rien remarqué et c’est bien là la racine du problème. Il essaie d’évoquer des moments où il aurait vu Guenièvre et Lancelot ensemble, mais rien. Il sait qu’ils se parlent, qu’ils se voient plus ou moins régulièrement, mais il ne se souvient même pas de la dernière fois qu’il les a vraiment vus ensemble. Est-ce que l’anniversaire de sa femme compte ? Mais Lancelot avait à peine adressé la parole à Guenièvre, à ce moment-là…
Comme il ne répond rien, elle finit par se dégager à nouveau pour pouvoir mieux le regarder, s’appuyant sur un coude dans les coussins pour lui faire face, un fin sourcil levé dans une expression inquisitrice.
─ Il y a bien des raisons pour lesquels vous les suspectez, non ? Donnez moi un peu de contexte au moins, sinon je vois pas comment je peux vous aider.
─ C’est… c’est à cause de quelque chose qu’on m’a dit.
Elle lui lance un regard, l’air de dire “Mais vous écoutez les rumeurs, vous, maintenant ?”, qu’Arthur choisit sagement d’ignorer, pour plutôt ajouter après une seconde de réflexion :
─ Je sais qu’ils s’apprécient, ils ont l’habitude de passer du temps ensemble parce qu’ils évoluent dans les mêmes cercles…
Démétra fait la moue, manifestement peu convaincue.
─ C’est un peu léger quand même, pour des soupçons, vous trouvez pas ? En plus, je comprends pas, qu’est-ce que ça vous fait, qu’on se fréquente à votre cour ?
─ C’est pour rendre service à quelqu’un, je vous dis. Et puis… il hésite, mais il a bien conscience que la conversation ne risque pas d’aller quelque part s’il persiste à retenir toutes les informations pertinentes. La dame est déjà mariée, si ça aide à situer le problème.
─ Ah oui d’accord ! s’exclame-t-elle dans un sourire, clairement amusée par le tour de la conversation. Non mais il fallait commencer par là ! Donc vous suspectez quelqu’un d’avoir des vues sur une femme mariée, voire d’entretenir une liaison avec… Et, vous les connaissez personnellement, ces personnes dont on parle ?
Arthur avale sa salive, mal à l’aise.
─ Oui… on peut dire ça.
─ Donc, vous avez une opinion sur elles. Vous savez comment elles se comportent d’habitude. Pour lui, par exemple : vous avez remarqué quelque chose qui laisserait penser à une romance ?
─ Non, je crois pas… Ou si. Il y a quelque temps, lui m’a dit qu’il y avait quelqu’un, mais il a refusé de me donner son nom.
Arthur se souvient parfaitement de la mine satisfaite de Lancelot, de son petit sourire en coin, quand il avait admis à demi-mot avoir quelqu’un en vue, alors qu’Arthur tentait maladroitement de s’excuser des conjectures qu’il avait avancé et dont Lancelot avait manifestement pris ombrage. Arthur, il n’avait pas voulu lire l’arrogance sur son visage, il avait préféré se réjouir, pour Lancelot, mais aussi de ce qu’il avait interprété comme une confidence, un témoignage de confiance, d’amitié.
─ Cohérent s’il s’agit d’une femme mariée.
Maintenant, Démétra a l’air de vraiment s’amuser. Elle a l’air concentrée, presque conspiratrice, et il se dit qu’il devrait peut-être lui demander plus souvent son avis. Histoire de lui donner l’opportunité de faire fonctionner son esprit acéré sur des problèmes plus variés que les ragots de couloirs, le marchandage de bijoux et de cosmétiques, ou les intrigues de cour (c’est-à-dire, entre ses maîtresses, en fait).
Arthur continue à réexaminer ses souvenirs. Il repense maintenant à cette discussion avec Lancelot, dans un couloir. Sur le moment, il avait été si distrait (d’abord par la légère anxiété induite par son oubli, puis par sa propre amertume face à la négligence répétée de Lancelot à son égard) qu’il n’avait pas vraiment fait attention à l’obsession étrange de son chevalier pour l’anniversaire de sa femme. Contrairement au sien, Lancelot n’avait, de mémoire, pas une seule fois manqué l’anniversaire de son épouse, depuis… la fondation de Kaamelott. Et puis, il y avait eu cette farce puérile et inattendue (offrir des cafards à sa femme, franchement, il n’avait même pas su comment réagir), qui maintenant, ressemble presque à une vengeance. Comme s’il avait voulu le punir… de quoi ? De ne pas aimer Guenièvre comme elle le méritait ?
─ Il sait des choses sur elle. Ce qu’elle aime, ce qu’elle fait. Il se rappelle toujours de son anniversaire. Et puis…
Soudain le constat est là, lourd comme une pierre du château qui aurait malencontreusement atterri dans son estomac, et il se demande comment il n’a pas relié ces deux éléments plus tôt. Maintenant qu’il y pense, c’est si évident, et, au regard de ce que Lancelot lui a confié… ça lui reste un peu en travers de la gorge, mais il se force à terminer :
─ C’est la seule femme avec qui on le voit jamais.
Démétra acquiesce d’un air entendu.
─ Bon, je pense qu’on peut raisonnablement établir qu’il est plus que probable que lui l’aime, dans ce cas. Elle agite une main pour illustrer sa conclusion, pour immédiatement enchaîner : Et elle ?
─ Quoi, elle ?
─ Eh ben, vous avez remarqué quelque chose dans son comportement ? Est-ce qu’elle a l’air amoureuse, plus heureuse, est-ce qu’elle le regarde beaucoup ?
Arthur panique un peu en réalisant que même en y pensant vraiment, il n’en a absolument aucune idée. Il ne sais pas ce que sa femme regarde, à qui elle parle, ce qu’elle fait de ses journées. Est-ce que Guenièvre a l’air heureuse ? La seule chose qu’il se rappelle de leur dernière interaction, c’est que ses cheveux ne ressemblaient à rien et qu’elle l’a gonflée avec des histoire de broderies. C’est pathétique.
─ Je- Je sais pas. Je la connais pas bien, je saurais pas dire. Je passe pas ma vie avec, vous savez.
Le demi-mensonge lui tord les lèvres, la honte au bout de sa langue.
─ Et son mari, il vous a pas dit un truc ?
─ Non… rien de particulier.
─ Eh ben, si ça c’est pas aidant !
Démétra soupire dramatiquement, se laissant retomber sur le dos, affalée dans les coussins.
─ Et ça se passe bien entre eux ?
Arthur sent son visage se fermer, et devine aisément le pli amer au coin de sa bouche. Bon on va pas épiloguer là-dessus non plus…
─ Oui… enfin, j’en sais rien. Ils se disputent, mais…
─ Non mais vous, vous pensez qu’elle pourrait vouloir aller chercher de l’affection ailleurs ? insiste Démétra. Est-ce qu’elle s’ennuie, est-ce qu’elle est délaissée ?
Arthur sent la moutarde lui monter au nez, la chaleur envahir son visage et son cou.
─ Je la connais pas je vous dis !
─ Mais ça va, vous énervez pas !
Elle se redresse pour le fusiller du regard, attrapant une de ses boucles sur laquelle elle tire avec un soupir frustré.
─ Bon, ben… je sais pas, dîtes moi au moins si vous pensez qu’elle pourrait être tombée amoureuse du gars ! Est-ce qu’il est charmant ? A votre avis, il est son type ?
Est-ce que Guenièvre pourrait être amoureuse de Lancelot… Il essaie de se mettre à sa place, de l’imaginer à travers ses yeux à elle. Que verrait-elle ? Lancelot est beau, il est blond, grand, distingué, le regard clair et le port fier. C’est un chevalier glorieux, un chef de guerre, un homme de principes guidé par ses idéaux, intransigeant mais accompli. Plus encore, c’est un homme intelligent, éduqué et galant, qui peut même se montrer doux et prévenant quand il veut l’être… ce qui semble toujours être le cas avec elle. Cela doit lui changer agréablement, à sa femme, d’être traité avec autant de soins et d’attentions.
Il se demande si elle connaît aussi l’autre facette de Lancelot, son impatience, son arrogance, sa mesquinerie parfois même. Son indifférence. Probablement pas. Après tout, Arthur lui-même n’avait pas complètement pris la mesure de ces aspects jusqu’à il y a peu. Aux yeux de Guenièvre, il est sûrement en tout point semblable au prince charmant dont elle rêvait avant d’être enchainée à Arthur par des enjeux politiques qui ne l’ont jamais concernée.
Une myriade de détails insignifiants lui reviennent soudain en mémoire : la façon dont les yeux de Lancelot se plissent légèrement sous la concentration, le pli pâle de ses lèvres lorsqu’il se retient de parler, sa présence rassurante dans le dos d’Arthur lors des négociations difficiles, son rire toujours un peu retenu, dans les moments de détente privée, après les longs conseils de guerre… Oui, peut-être qu’il peut imaginer ce qui pourrait pousser sa femme vers Lancelot, ce qu’elle pourrait voir en lui.
─ Oui… je… c’est possible, balbutie Arthur.
Démétra hausse les épaules, le mouvement vif repoussant un peu plus une couverture qui ne couvre déjà pas grand chose.
─ Dans ce cas, j’aurais tendance à vous dire qu’ils sont ensemble. Évidemment, je peux me tromper, surtout vu que je sais pas de qui on parle ! Mais quand un homme charmant vous fait la cour et que vous vous disputez avec votre mari, en général…
─ Faire la cour, carrément, tempère Arthur, qui se sent pâlir. Vous croyez pas que vous exagérez ?
─ Croyez-moi, une femme sait quand elle est désirée.
Elle a l’air terriblement sûre d’elle.
─ Pffff. N’importe quoi. Aux dernières nouvelles, à l’époque, il a fallu être pas mal explicite vous concernant, alors venez pas me rabâcher je sais pas quelle connerie sur l’instinct féminin, s’il vous plaît.
─ Bon, vu comme ça vous rend aimable, dernière question et puis on passe à autre chose, hein. On va pas passer la nuit sur votre histoire non plus. Vu que vous connaissez pas la dame, je vais pas demander, mais votre homme, là, est-ce qu’il y a eu un changement inexpliqué dans son comportement ? Si quelque chose s’est passé entre eux récemment, par exemple un rapprochement, le commencement d’une relation, ça peut avoir affecté son humeur… ça pourrait être un bon indicateur, à défaut d’autre chose.
Arthur a du mal à respirer, tout à coup. C’est comme si les lumières de la pièces avaient disparu et qu’il se retrouvait soudainement plongé dans le noir. Il a froid, et la chaleur de la peau de Démétra a l’air lointaine, irréelle, de l’autre côté du lit. Comme un fantôme. Il ne veut plus penser à Lancelot, Lancelot s’absentant de plus en plus, désertant le château à mi-temps, disparaissant peu à peu de sa vie. Lancelot et ses paroles ambigües, ses regards indéchiffrables, ses sourires forcés…
─ Je vais prendre ça pour un oui, vu votre tête. Elle secoue sa longue crinière brune, avant de continuer dans un geste triomphant : Eh ben voilà, vous voyez, on l’a résolu votre problème : votre type a manifestement une toquade pour la dame, et il s’est probablement passé quelque chose entre eux il y a peu de temps, même si c’est difficile de savoir quoi exactement, vu la déplorable quantité d’informations que vous avez à votre disposition.
Elle se penche pour poser sa main sur l’épaule d’Arthur, immobile.
─ Vous allez faire quoi, du coup ?
─ Je sais pas, souffle-t-il.
Il ne sent presque pas le contact. Il n’arrive pas à regarder son visage, à rencontrer son regard, à écouter sa voix. Il se sent loin, très loin. Il ne sait pas ce qu’il s’était imaginé.
─ Allez, faites pas la gueule… Je croyais que vous vouliez savoir ! Vous devriez être content qu’on soit arrivé à un genre de conclusion, non ? Vous pourrez aller le dire à votre ami, là. Bon, c’est pas la meilleure des nouvelles pour lui, mais il vaut mieux savoir, non?
Il laisse passer un moment, et puis… il force un sourire de façade. Juste pour donner le change. Ne pas rester pétrifié, à se morfondre indéfiniment. Après tout, cela n’aurait pas de sens, qu’il soit si dévasté, même pour la romance brisée d’un très bon ami.
─ C’est à dire que, si je dois faire quelque chose, je préfèrerai être sûr, réussit-il à articuler péniblement. J’aimerais pas qu’une relation ait été foutue en l’air, tout ça parce que je me suis monté un char tout seul comme un grand.
─ Parce que vous avez encore des doutes, là ?
Oui. Non… Peut-être. J’en sais rien, pense Arthur sans rien répondre. Il ne sait même plus s’il veut vraiment savoir, finalement. Pourquoi il s’inflige ça, déjà ? Parce que Lancelot est en train de lui file entrre les doigts, et qu’il sent au plus profond de lui que s’il n’agit pas maintenant, s’il ne trouve pas une idée, une stratégie, une solution maintenant, il sera trop tard. Et parce que son instinct lui souffle que le départ de Lancelot serait une très mauvaise chose à un niveau global, et pas seulement parce qu’il se sentirait plus seul.
Démétra lève son autre main pour venir caresser les cheveux d’Arthur. Elle a un petit sourire, et un soupçon de pitié dans le pli de ses yeux. Malgré ses efforts, il ne doit pas avoir l’air bien, parce que sa voix est anormalement douce quand elle répond :
─ Bon, si vous tenez absolument à être certain… je suis désolée, ça va pas vous plaire, mais, à moins que vous réussissiez à les choper en flagrant délit, et j’avoue que je vous imagine mal passer vos journée à suivre vos sujets dans les couloirs…
Elle s’approche encore, posant sa bouche contre la sienne dans un baiser léger, sa longue crinière brune venant chatouiller sa barbe, sa main brûlante contre son épaule nue et glacée. Il pose une main entre ses omoplates et entrouvre les lèvres, se laissant sombrer contre sa chaleur. L’espace d’un moment, il se laisse croire qu’il peut noyer sa détresse dans le ballet familier de leurs langues, dans cette imitation de tendresse qu’ils partagent. Quand elle se recule, elle conclut sans méchanceté, d’une voix terriblement raisonnable :
─ Il n’y a rien d’autre à faire : vous allez devoir aller leur demander. A lui ou à elle.
Arthur ferme les yeux.
─ C’est pas très confortable c’est sûr, mais au moins vous serez fixé. En plus, vous êtes le roi, non ? Qu’est-ce qui peut se passer ?
Chapter 5: Guenièvre
Notes:
Bon... J'ai rien posté la semaine dernière et on est samedi, donc j'ai techniquement 1 semaine et 1 jour de retard pour ce chapitre... Après, pour ma défense, c'était les fêtes de fin d'année, avec le nouvel an et tout, donc c'était pas facile de garder un planning strict. Bref, ce chapitre est enfin là, et comme le suivant est pas encore prêt, eh ben il arrivera... plus tard. Genre, vendredi prochain. Du coup, on va avoir une semaine de décalage avec le planning de publication initial, voilà.
Et d'ailleurs, je vous souhaite à tous une superbe année 2025 : l'amour, la santé, l'accomplissement, les voyages... Que vous profitiez, cher.e.s lecteur.ices tous du meilleur de cette nouvelle année qui s'annonce ! Car vous êtes, puisque vous me lisez, des gens d'une immense qualité... : )
Bonne lecture !
Chapter Text
─ Ah ben, vous êtes là, ce soir, vous ?
─ Ah oui, tiens, j’avais pas remarqué, rétorque Arthur du tac au tac, se crispant au son de la voix de Guenièvre, qui l’accueille dès qu’il passe la porte de la piaule.
─ Non mais, reprend sa femme d’un ton caustique en le fusillant du regard, c’est juste qu’à force de pas vous y voir, je me demandais si on vous reverrait un jour, dans cette chambre.
Ça lui pique la langue de retenir la réplique acerbe qu’il a sur les lèvres. Il s’y attendait un peu, mais il peut essayer d’être raisonnable. Après tout, il est conscient qu’il s’est un peu conduit comme un connard, à déserter sans préavis ni explication pendant pas loin d’une semaine entière. Et puis… il est triste, ce soir. Ses épaules sont lourdes sous son armure.
─ Ecoutez… je, mh- je sais que vous aimez pas quand je vous préviens pas à l’avance de mes absences. Je comprends que vous soyez remontée et… je vous présente mes excuses. Je vous promets que j’essaierai de mon mieux d’éviter que ça se reproduise.
Les yeux de Guenièvre sont ronds comme des coupes, mais c’est normal, elle a pas l’habitude… Arthur refuse de reconnaître la brûlure de la honte contre ses dents. Pas maintenant, pas si tôt. Il a bien le temps de la sentir venir ce soir, cette vieille amie.
─ Vous… Vous vous excusez ? Ah bon, ben… balbutie-t-elle, confuse.
Un silence s’installe entre eux, alors qu’il s’approche du lit pour poser Excalibur contre le chevet. Il retire sa cape et détache sa ceinture. Retire ses galons, un par un. Puis ses bottes.
Il voit Guenièvre s’agiter du coin des yeux, tordre ses doigts sur l’édredon, lui jeter plusieurs coups d'œil qu’elle pense probablement subtils, se trémousser sur les oreillers. Elle hésite manifestement, esquisse un geste vers lui une fois, puis deux, sans jamais aller au bout de sa pensée. C’est quand même elle qui finit par briser le silence, presque timidement :
─ Et sinon… comment allez-vous ? Vous… vous avez passé une bonne journée ?
Non, pas vraiment, mais ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Et puis, il n’a pas envie d’en parler, surtout avec elle. Il ouvre le tiroir de son chevet pour y ranger méthodiquement sa ceinture ainsi que les autres pièces de cuir qui composent son attirail de jour. Il lui tourne le dos pour commencer à dessangler son plastron.
─ La routine. Et vous ?
─ Eh ben, oui, plutôt, enfin, comme d’habitude…
Arthur sent que Guenièvre cherche quelque chose à ajouter, sans trouver quoi. Distraitement, il feuillette la pile de papier au pied de son lit pour en extraire trois parchemins (un brouillon de traité marchand, un extrait des lois de libre échange actuellement en cours et une carte des eaux territoriales de la côte est) qu’il jette négligemment sur son oreiller. Des devoirs pour l’occuper ce soir ou pour avoir une excuse pour couper court à la conversation si le besoin s’en fait sentir.
─ Démétra va bien ? demande finalement sa femme en désespoir de cause.
Arthur s’arrête, un accroc dans son manège bien huilé.
─ Oui, je crois. Il se creuse la tête un instant - après tout, lui aussi peut bien faire un effort pour se montrer un minimum courtois, particulièrement ce soir. Elle a reçu deux nouvelles robes du tailleur hier. Elle sera sûrement contente de vous les montrer si vous voulez passer la voir demain.
─ Ah, d’accord, oui je ferais ça.
Le silence retombe et, cette fois, s’étire entre eux, ininterrompu. Arthur réarrange ses affaires à son chevet, et fouille un peu dans ses tiroirs, tandis que Guenièvre bricole il ne sait quoi de son côté du lit, sans le regarder non plus. Il sait qu’il essaie juste de gagner du temps, de retarder l’inévitable discussion qu’il est venu avoir cette nuit. Il ne veut pas l’avoir, cette conversation (en même temps il n’a jamais vraiment réussis à se convaincre du contraire, il faut bien l’avouer) mais il a désespérément besoin de se libérer l’esprit de ces tourments permanents, qui le maintiennent éveillé, qui le détourne des autres problèmes sur lesquels il devrait pouvoir se concentrer… De toute façon, il ne pourra pas repousser le moment de se coucher indéfiniment. Il fait quelques pas pour poser sur une chaise un peu à l’écart la tunique qu’il vient de faire glisser le long de ses épaules. Sans la regarder, il se lance, finalement :
─ Puisque vous êtes là, qu’on est tous les deux, tout ça, il y a un truc dont je voulais vous parler… Est-ce que vous êtes heureuse avec moi ?
Elle hoquète et manque de s’étouffer avec la tisane qu’elle devait être en train de boire.
─ Kof, kof ! Kof- Quoi ? Kof ! Mais- pourquoi vous me demandez ça, tout d’un coup ?
Il se penche en avant pour récupérer dans la commode toute proche sa chemise de nuit.
─ Je sais pas… j’ai pas le droit de vous poser la question ?
─ Si, si, enfin, je- Heureuse ? Oui, j’imagine oui…
Il défroisse pensivement le vêtement avant de l’enfiler d’un geste.
─ Vraiment ? Je sais que notre relation n’est pas… la romance que vous auriez désiré. Je comprendrais que vous ayez été chercher… ailleurs ce qui peut parfois manquer à nos échanges…
Guenièvre ne répond rien, mais il sent une certaine tension entre eux à présent. Il se retourne vers elle, sans pour autant affronter son regard.
─ Ce que je veux dire… Ah, je sais pas comment formuler ça… Bon, voilà, je sais qu’il y a quelque chose entre vous et le Seigneur Lancelot et- mh…
─ Excusez-moi, mais qu’y-a-t-il exactement entre moi et le Seigneur Lancelot, je vous prie ?
Sa voix est glaciale, mais Arthur ne se laisse pas le temps de trop y penser. Il veut aller au bout, percer l’abcès maintenant. Il est sûr de lui, même s’il se demande finalement s’il n’aurait pas été préférable qu’il continue d’ignorer la situation, au diable les conséquences.
─ Ecoutez, je ne vais pas vous faire un dessin non plus, c’est assez embarrassant comme ça. Une attraction. Une idylle, une liaison, peut-être. Je n’ai pas besoin de connaître tous les détails pour-
─ Est-ce que mes oreilles m’abusent ? Si je comprends bien, vous m’accusez d’adultère? Mais… comment osez-vous porter de telles allégations contre moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour vous faire penser une chose pareille ?
Cette fois, Arthur ne peut s’empêcher de relever la tête. Guenièvre a les yeux écarquillés, le teint marbré de taches rougeâtres. Ses doigts sont blancs, crispés sur le couvre-lit, et si les regards pouvaient tuer, eh bien, il ne fait aucun doute qu’il serait mort, tout élu des dieux qu’il est.
─ Non mais écoutez, je comprends, d’accord ? insiste-t-il malgré tout, même s’il sent distinctement la situation lui échapper. Vous n’avez pas besoin de nier. Je sais que je ne suis pas un époux idéal, et je ne vous reproche pas de-
Guenièvre pose brutalement son livre sur son propre chevet, Arthur sursaute presque.
─ Oh non, mais vous nagez en plein délire, très cher ! s’insurge-t-elle. Trop c’est trop ! Elle pointe vers Arthur un index accusateur, l’outrage et la colère évident dans sa voix. Je ne sais pas d’où vous tirez ces élucubrations mais, pour votre gouverne, il n’y a absolument rien entre le Seigneur Lancelot et moi, mis à part une amitié sincère et parfaitement innocente ! Et c’est bien la même chose avec vos autres chevalier, et tous les hommes du château en général, au cas où vous vous poseriez aussi la question !
Elle se lève du lit, froissant indifféremment les couvertures, et marche vivement jusqu’à lui, tout en poursuivant furieusement :
─ Maintenant, est-ce que je peux savoir pourquoi, après cinq nuits d’absence soudaine et inexpliquée, vous m’accusez soudainement d’avoir bafoué mon honneur et notre mariage en consortant avec votre meilleur ami, ou j’ai juste le droit de me recoucher sur vos insultes ?
Arthur louche sur le doigts de sa femme, à seulement quelques centimètres de son nez, qui le sépare du visage absolument outré de Guenièvre. Il esquisse instinctivement un pas en arrière.
─ Vous- Vous n’avez pas de relation avec le Seigneur Lancelot ?
─ Mais absolument pas !
Arthur a du mal à raccrocher les wagons. Mais qu’est-ce qu’elle lui raconte ?
─ Mais… alors, vous l’avez éconduit ? Je ne comprends pas, vous l’appréciez pourtant, non ? Vous êtes pas amoureuse de lui ?
Les yeux de Guenièvre lancent carrément des éclairs, maintenant.
─ Mais non ! Enfin… je sais pas, je me suis jamais posé la question ! Je suis mariée, je vous rappelle, au cas où ça vous aurait échappé !
─ Mais… mais quel rapport ?
Elle avance d’un pas et enfonce douloureusement son doigt dans le torse d’Arthur, furibonde.
─ Quel rapport ? Quel rapport ? Le rapport, mon p’tit père, c’est que vous pouvez peut-être vous permettre d’aller courtiser qui ça vous chante, mais je suis la reine, et ce qu’on attends de moi, c’est d’aimer le roi, et de lui être fidèle ! Ne me dites pas que je vous l’apprends !
Arthur recule encore et cogne le tiroir de la commode, derrière lui. Il s'emmêle, rougit, bafouille. Il a la peau brûlante et les paumes désagréablement humides contre le bois rugueux du meuble.
─ Non mais, je voulais dire… Je sais pas… Je pensais-
─ Eh bien vous pensiez mal ! Je n’arrive pas à croire que nous avons cette conversation… Après toutes ces années à m’occuper de vous, pendant que vous vous occupez de toutes les autres femmes que la Bretagne a vu naître ! Et c’est vous qui venez me dire-
La moutarde lui monte finalement au nez, et il accueille la colère avec soulagement, alors qu’elle vient balayer l’inconfortable brûlure de la honte d’un feu différent, plus familier. Cette fois, c’est lui qui avance d’un pas, se redressant de toute sa hauteur pour toiser sa compagne.
─ Eh, ça va ! Vous trouvez pas que vous en rajoutez un peu aussi ? On va freiner sur les cris, les pleurs, et les imprécations à Zeus là ! Je me suis peut-être trompé, n’empêche, je vois pas en quoi mon raisonnement était si absurde !
Guenièvre le fusille du regard un instant, un rictus amer sur les lèvres, avant de faire-volte face, traversant la pièce d’un pas rageur pour retourner se réfugier de son côté du lit, où elle se met à farfouiller frénétiquement dans son armoire. Ce qu’elle peut bien être en train de foutre, Arthur n’en a aucune idée - et il n’en a honnêtement rien à carrer, de toute façon.
─ Eh ben, qu’est-ce que j’aurais pas entendu avec vous, je vous le demande !
Arthur se cale contre la commode et croise les bras, le visage fermé, campant fermement ses positions de son côté du terrain. Ce refrain-là, il le connaît bien, il n’a même pas besoin d’y penser pour que l’habitude prenne le relais : les mots coulent d’eux même de sa bouche, calé sur le rythme de leurs hostilités réciproques. C’est triste à dire, mais il faut bien admettre que les railleries et les insultes lui viennent plus facilement que les mots d’amour, à Arthur, et ce n’est que plus flagrant là où Guenièvre est concernée.
─ Moi je vous le demande pas ! Et puis, vous allez me dire que Lancelot a pas le béguin pour vous, peut-être ? Ça vous a jamais effleuré l’esprit, c’est ça ?
─ Mais absolument ! D’où est-ce que vous sortez ça, franchement ? Vous avez complètement tourné la carte, mon pauvre ami ! Franchement, c’est à croire que vous ne savez plus quel prétexte utiliser pour me houspiller !
Il décroise les bras, soufflé.
─ Quoi ? Mais vous êtes sérieuse là ? Vous pensez vraiment que Lancelot n’est pas amoureux de vous ?
Elle se retourne vers lui, une pointe d’incertitude au coin des yeux, les cheveux en vrac et la robe toute froissée, et se décompose à sa vue, manifestement perturbée par son changement de ton.
─ Ben… non ? Enfin, je ne sais pas… Pourquoi vous pensez ça, vous ?
Arthur repense à Lancelot… si galant, toujours prêt à protéger, surveiller, accompagner la reine où qu’elle aille. Si empressé de rendre service, de se proposer comme homme de confiance quand Arthur cherche un soutien auprès d’elle. Toujours tellement complaisant avec elle, la connaissant par cœur, prévenant le moindre de ses désirs, comme lors de son anniversaire…
─ Putain, j’arrive pas à croire que vous ayez rien vu… murmure-t-il presque, avant que la piqûre de l’agacement, et de la mauvaise foi, ne revienne l’aiguillonner au coeur, ravivant de plus belle son animosité - et c’est avec une sorte d’exultation mauvaise qu’il reprend : Vous pourriez faire un effort pour être moins tarte quand même, suivre un peu, juste pour tenir la face ! Ça peut pas être si compliqué d’être un poil plus attentive, pour pas se retrouver derrière à chaque fois.
─ Mais je ne vous permet pas ! lui crie-t-elle presque au visage.
─ En plus, je croyais que Lancelot était votre confident ou je sais pas quelle connerie ? continue Arthur avec un geste condescendant. Il vous raconte pas des trucs sur lui ? Comment vous avez pu passer à côté d’un truc pareil !
Guenièvre a les yeux brillants et les doigts serrés à s’en briser sur les foulards et les fripes qu’elle a éparpillé partout sur le sol.
─ Vous êtes infect, ce soir ! Si le Seigneur Lancelot avait secrètement des sentiments à mon égard, vous imaginez bien que ce n’est pas à moi qu’il irait en parler, espèce de détraqué !
Arthur considère l’idée un bref instant.
─ Peut-être bien oui, quoi que de mon avis il aurait aussi tout à fait pu se déclarer… Il écarte l’idée d’un haussement d’épaules nonchalant, avant de relancer, moqueur : Enfin, vous pourriez au moins avoir quelques soupçons ! Je veux dire, si moi j’en ai - sans parler de tout le royaume, qui, je suis désolé de vous le dire, a l’air d’avoir été mis au jus il y a environ deux ou trois plombes, c’est quand même un monde que vous soyez dans la purée comme ça ! Y’a pas à dire vous êtes unique !
─ Ah! (Guenièvre se redresse soudain, l’invectivant d’un long madras rouge qu’elle agite vindicativement dans sa direction.) Mais c’est pour ça que vous m’avez évité comme la peste toute la semaine ? Vous pensiez que je vous trompais avec le Seigneur Lancelot ! Qui n’est même pas au château, je vous ferai dire !
Arthur se renfrogne, se renfonce contre son meuble, carrant inconsciemment ses épaules.
─ Déjà, je vous ferai savoir que si, puisqu’il est rentré de mission avant-hier. Et puis, de toute façon, il a pas besoin d’être au château pour que le fait qu’il veuille vous passer dessus me pose problème !
Guenièvre reste choquée quelques secondes, la bouche entrouverte, les yeux grands ouverts. Les chiffons lui glissent des doigts et retombent lentement au sol, inertes. Quand elle se reprend, son teint tourne au cramoisi et sa bouche se tord, alors qu’elle avance de deux pas dans sa direction.
─ Mufle ! Quand je pense que je me suis inquiétée pour vous… Que j’ai cru que c’était peut-être de ma faute… Maintenant je vois bien que c’était seulement vous, le problème, espèce de zinzin !
Arthur sent sa propre peau s’échauffer et avance à son tour, forçant le ton, lui aussi.
─ Ben ça ne fait que confirmer votre finesse d’esprit naturelle ! Quand je pense que je suis revenu… j’aurais mieux fait de me casser une jambe !
Il n’a jamais vu sa femme aussi en colère que dans cet instant, alors qu’elle marche sur lui, l’invectivant, son fragile index à nouveau dressé comme une épée devant elle, revenant le menacer, le maudire, de tout son poids-plume drapé de lin blanc.
─ Brute ! Goujat ! Mais… attendez, maintenant que j’y pense… Son expression change soudain, s’éclairant d’un sourire narquois : Arrêtez-moi si je me trompe, Monsieur le roi de Bretagne, mais si tout le monde est, comme vous dites, au courant, vous étiez, me semble-t-il, au moins autant dans les choux que moi !
Arthur sent comme un filet d’eau glacé couler le long de sa nuque. Il se crispe, tente en vain de contenir sa réaction, de garder la face.
─ Non, mais… pas du tout ! Cette semaine, j’étais fatigué, ça n’a rien à voir !
Cette fois-ci, le sourire de Guenièvre est féroce et triomphant. Elle prend de l’assurance et se penche sur lui, trop près, le forçant à lui céder un demi-pas, contestant ouvertement ses dires, interrogeant ses propos. Arthur serre les dents, un goût de fer sur la langue.
─ Menteur ! D’habitude aussi vous êtes fatigué, et vous ne désertez pas notre chambre pour autant ! Et puis, si vous le saviez, comme tous les “autres”, comment expliquez-vous n’avoir jamais agi sur la question jusqu’à aujourd’hui ?
─ Pfff, bien-sûr que je le savais, ne me confondez pas avec vous, merci bien ! C’est juste que je- je refusais de me séparer d’un atout comme Lancelot pour une simple histoire de bonne femme, voilà !
Guenièvre hausse les sourcils, clairement dubitative.
─ Convoiter la reine, une simple histoire de bonne femme ! C’est bon à savoir ! Et qu’est-ce qui a changé, si vous me permettez, pour que vous adressiez soudainement la question ?
Arthur, acculé contre la commode, s’échappe de côté, fait quelques pas au centre de la pièce et se retourne vers sa femme, pour lui hurler au visage, le coeur au bord des lèvres :
─ Ce qui a changé, c’est que cette “relation” avec vous l’éloigne de la table ronde, de quête du Graal, voilà ce qui a changé ! Et c’est inadmissible !
─ Mais quelle relation ? éclate-t-elle, des larmes de frustration perlant sur ses joues. Je vous répète que nous n’en avons aucune ! Si le Seigneur Lancelot s’est lassé de vos petites aventures, c’est peut-être tout simplement parce qu'elles ne vont jamais nulle part! Ça n’a rien à voir avec moi !
Les mots s’échappent de sa bouche, cruels, pour masquer son trouble, sa peur, son désespoir.
─ Vous êtes vraiment stupide, ma parole ! Bien-sûr que ça a à voir avec vous ! Je vous dit qu’on est à deux doigts du scandale public ! Et on n’en serait pas là si vous laissiez mes chevaliers tranquille au lieu d’aller vous amuser à leur faire les yeux doux quand on vous demande rien ! Un traître, voilà ce que vous en avez fait !
Elle hurle, attrape un petit bol en terre cuite ouvragé sur un coffre proche et le jette sur le sol entre eux, où il explose bruyamment. Un immense sanglot secoue ses épaules, étire ses lèvres, et les larmes roulent sur ses joues, son nez, jusque dans son cou. Elle cache son visage dans ses mains et reste là, debout, ses épaules secouées par les pleurs.
Arthur se sent glacé, soudain, alors même que la honte revient le submerger, la brûlure sourde et corrosive de la sensation se répandant dans son sang, dans son ventre, accablante. Il a envie de vomir. Il devrait… il devrait dire quelque chose. Il sait qu’il s’est montré cruel, qu’il est sûrement allé trop loin, mais il ne peut pas s’excuser, il ne peut pas reculer. Il ne sait même pas comment s’arrêter. Malgré tout, il esquisse presque un geste, instinctivement, les doigts tendus vers son épaule, mais elle soupire et relève déjà la tête, et la main d’Arthur retombe et se serre contre sa jambe avant qu’elle ne puisse la voir, son masque hostile à nouveau en place pour la garder à distance. Pour garder sa propre honte, sa propre insuffisance à distance.
Ses yeux sont rouges et ses lèvres tremblent encore, mais elle prend une profonde respiration et attrape un chiffon au sol pour s’essuyer le visage, avant de reprendre la parole, d’un ton plus mesuré.
─ Que vous m’insultiez passe encore, j’y suis, bien malgré moi, habituée. Mais je ne comprends pas comment vous pouvez parler ainsi de votre propre meilleur ami. Vous ne lui faites donc pas plus confiance qu’à moi ? Même si je sais bien le crédit que vous accordez à ma parole, je persiste : le Seigneur Lancelot ne m’a jamais touché, ni même laissé entendre à quelque sentiment déplacé que ce fut. Est-ce que vous avez seulement la moindre preuve de ce que vous avancez, excepté des bruits de couloir ?
Arthur refuse de détourner le regard. Sa gorge est sèche et son cœur pulse bruyamment dans ses oreilles, mais il est… il est presque sûr. Il a lui-même combattu l’idée assez longtemps pour devoir se rendre à l’évidence : les faits concordent et c’est en réalité la conclusion la plus vraisemblable.
─ Non, admet-il toutefois, un peu à contre-cœur. Pas encore. Mais ça va venir.
Guenièvre a le visage fermé et les épaules tombantes. Elle soupire.
─ Je vois. Et qu’est-ce que vous allez en faire maintenant, de votre bon ami, de votre chevalier fidèle, que vous accusez tout à coup de désirs coupables ? Le bannir ? L’emprisonner ? Le faire mettre à mort ?
Sa voix, calme, inflexible, et son regard limpide, auquel Arthur a l’impression de ne plus pouvoir se soustraire, le touchent plus durement que toutes les insultes qu’elle a pu proférer. Arthur, au pied du mur, se décompose. Il pâlit, il panique, il spasme, il ne veut pas qu’elle sache, qu’elle voit l’état dans lequel sa question, légitime s’il en est, le jette. Il arrache presque une réponse de sa langue, affectant sans espoir une indifférence qu’il est si loin de ressentir.
─ Mais… pfff, mh- Peut-être ! Je suis le roi, je fais bien ce qu’il me plait.
La façon dont Guenièvre le dévisage lui donne l’impression d’être percé à jour, dans sa détresse, dans sa faiblesse, nu et vulnérable. Sa bouche rose se plisse en un rire bref, amer et dépréciateur, alors qu’une larme roule sur sa joue ronde.
─ Eh ben, j’ai hâte de voir ça ! Ça me fera les pieds, et à vous aussi, nous serons tous les deux un peu plus seuls et malheureux, et vous aurez finalement de quoi vous vanter auprès de mon père pendant le dîner !
Chapter 6: Interlude
Notes:
Bon, soyons concis : j'ai manifestement foiré mon planning de publication. Shame on me. Je me console en me disant qu'au moins, j'aurais eu le mérite d'essayer d'en avoir un - à défaut d'une qualité d'exécution, y'avais de la bonne volonté, quoi.
Quoi qu'il en soit, bon chapitre à vous - le septième et dernier de cette partie arrive très bientôt.
Également, n'hésitez pas à laisser des kudos ou des commentaires, histoire que je sache ce que vous pensez de l'histoire, si ça vous plait, tout ça - je sais qu'il se passe pas grand chose pour le moment, cette partie de la série est un peu un croisement entre une séquelle bonus et un très (trop ?) long prologue à l'intrigue principale, mais je trouve quand même les dynamiques et la caractérisation des personnages intéressante en elle-même, et puis, bon, ça m'entraîne à trouver le ton et à saisir les personnages. Promis, la partie 2 sera bien plus rythmée en action, et déviera aussi carrément plus franchement du canon, du coup.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Arthur est assis sur son trône, le visage agité de tics devant l’habituel défilé des glandus. Son humeur massacrante doit transparaître dans son expression, parce que Roparz et Guethenoc ont l’air étrangement plus hésitants que d’habitudes dans leurs diatribes, mais franchement, cette marginale amélioration ne fait ni chaud ni froid au roi de Bretagne. Ce matin, rien à faire, il se contrefout des affaires du peuple. Il sent encore dans ses paumes, contre ses poignets, sa colère amère, à peine estompée depuis la veille. Clairement, si Guenièvre a finalement un seul talent, c’est celui de le mettre sur les nerfs. Sur ce point, elle est imbattable.
Et dire qu’il s’était senti coupable ! Qu’il avait pensé, sincèrement, pouvoir en parler avec elle ! Qu’est-ce qu’il lui avait pris de croire Démétra, avec ses conneries d’instinct féminin ! Avec ses conclusions capilotractées et ses grands yeux doucereux !
Ah, il était beau, le résultat ! Ils avaient tout bonnement fini la soirée à se jeter des trucs à la tronche, et pas figurativement. Guenièvre lui avait ordonné de foutre le camp, ce à quoi il lui avait rappelé qu’ils étaient dans sa chambre à lui, merci bien, et que c’était à elle de se tirer si elle n’était pas contente. Evidemment, quand elle l’avait fait (mais à quoi elle pensait, franchement), il avait dû céder. Il ne pouvait pas décemment laisser sa femme se promener la nuit dans les couloirs du château pour aller dormir n’importe où. Que diraient les gens ? Sans parler de ses parents, avec qui il mangeait presque tous les midis… Alors c’était lui qui était parti, en claquant la porte. Il n’avait pas voulu faire face aux immanquables questions qui l’auraient accueilli chez Démétra, qui savait qu’il devait passer la nuit avec Guenièvre, sans parler du fait qu’il lui en voulait un peu de ce qui s’était passé avec sa femme. Il ne savait pas quelle piaule était libre, et il ne voulait croiser personne, alors il avait juste décroché une tenture d’un mur, et il était allé s’allonger par terre à la table ronde, enroulé dans sa couverture de fortune.
Maintenant, le cul vissé sur son trône et le regard brouillé par l’ennui, il avait une putain de barre dans le dos et un début de torticolis. Ça lui apprendrait à aller dormir par terre pour préserver sa femme des couloirs humides et des médisances, tiens.
A l’autre bout de la pièce, il aperçoit Lancelot qui passe de l’autre côté de la porte ouverte de la salle du trône, alors qu’il traverse le couloir qui la sépare du hall où patientent le reste des débiles qu’Arthur doit encore écouter lui parler de leurs poules et de leurs oeufs volés avant de pouvoir espérer se tirer déjeuner. Arthur fronce les sourcils. Qu’est-ce qu’il fout là, celui-ci ? Soit disant qu’il devait partir en repérage pour préparer la mission aux Caves de Cambretout prévues pour le surlendemain, et que c’est pour ça qu’il ne pouvait pas assurer la séance de doléance du jour. Qu’est-ce que c’est que ce bordel, encore ?
Le roi accroche une seconde le regard pâle de Lancelot par delà la distance, et croit le voir esquisser un demi-sourire dédaigneux, avant de disparaître derrière le mur de pierre. La colère - et peut-être, derrière, la panique, une panique acide qui lui anesthésie la langue, qui fait trembler ses doigts agrippés aux bras de son siège - lui brûle les tempes. Il rêve de se lever, là maintenant, de traverser la salle à grands pas pour monter les escaliers quatre à quatre et, finalement, de refermer ses doigts sur le ridicule fichu immaculé que Lancelot s’obstine à porter autour du cou, pour-
─ Du coup, Sire, la requête, on se la met en pendentif, ou vous pensez que vous pouvez considérer ?
Arthur cligne des yeux, les doigts blancs sur l'accoudoir de son trône.
─ Mais l’poussez pas, sale bête ! intervient Roparz en tapant violemment dans l’épaule de son confrère. Voyez pas qu’il est tout de travers aujourd’hui, not’ souverain ? Tout c’que vous allez y récolter c’est qu’y va nous y renvoyer dans not’ purin et vous aurez gagné le gros lot !
Le roi serre la mâchoire, le regard dur, désagréablement ramené à cette salle, où il se sent prisonnier, enchaîné à son trône et à l’absurdité de ses responsabilités, à ces débiles qui le suivent partout pour l’accabler de leur stupidité, quand Lancelot courre la campagne, libre, lui. Il brûle d’être ailleurs. Il brûle de pouvoir agir librement, sans avoir à porter sans cesse le royaume sur ses épaules, tapis dans son ombre. Un spasme nerveux tord sa bouche quand il répond :
─ Non mais écoutez, oui, voilà, on va dire ça : je considère. Du coup, quand j’aurais fini de considérer, je viendrais vous prévenir, et si jamais, je sais pas, vous sentez comme de la fumée, vous voyez, comme une odeur de cramé dans l’air, c’est surement que j’aurais considéré que vous m’avez trop cassé les couilles avec vos visites hebdomadaire pour n’importe quelle connerie, et que j’aurais foutu le feu à vos cabanes pour me passer les nerfs !
Les deux compères le fixent comme des cons, la bouche grande ouverte. Si Arthur pouvait le saisir, le forcer à lui faire face, Lancelot serait bien obligé, alors, de le regarder, de le voir, de reconnaître ce vide entre eux. Non ?
─ Vous voyez je vous y avait dit !
─ N’importe quoi, c’est vous avec vos- vos commentations pourries et votre odeur de bouse, ça rendrait n’importe qui zinzin, voilà !
─ Euh, ce que notre bon roi veut dire, essaie délicatement de temporiser Bohort, c’est que Kaamelott va considérer votre requête, et que nous reviendrons vers vous dès que nous aurons déterminé la solution la plus adéquate à la problématique que vous nous avez posé. Rentrez chez vous sans inquiétude, nous avons entendu votre demande.
─ Non, moi je pense que ce qu’il voulait dire, il l’a dit. De toute façon, si c’était que de moi, on y aurait déjà foutu le feu, au bourbier de ces cons-là. Le problème, c’est que comme il les laisse venir, ils viennent, et puis il leur dit qu’il les écoute, alors ils parlent. Quand on fout le feu à leur piaule, les gens viennent pas vous emmerder avec leurs problèmes, ça je l’ai toujours dit, moi.
La conversation continue sans Arthur qui s’est détourné, le menton appuyé contre sa paume, engoncé plus profondément encore dans les fourrures de son siège ; son regard absent traverse la pierre grise des murs de sa forteresse pour se perdre dans des couloirs et des escaliers inaccessibles.
─ Dites, vous avez l’air vif, aujourd’hui. Pas particulièrement alerte mais remonté, vous voyez, vous envoyez plus que vos ronds de jambes habituels quoi.
Arthur jette un coup d'œil à son Ministre de la Défense en machonnant ses lentilles, se demandant vaguement s’il doit s’inquiéter du tour que prend la conversation alors qu’ils déjeunaient jusqu’ici dans un calme relatif - une fois n’est pas coutume.
─ Si vous le dites, Beau-père.
─ Nan mais je vous assure, ça torche plus sec que souvent ! Je suis bien placé pour le savoir, hein c’est quand même plus souvent moi qu’un autre qui doit se les taper au quotidien, vos simagrés de roi modéré, pour pas dire de femmelette parce que ça vous vexe, mais vous savez ce que j’en pense !
─ Ben justement, on va pas en parler ! s’agace Arthur avant de soupirer : Et puis, vous me dites ça… j’en sais rien, peut-être. Enfin… vif, pas vif, en quoi ça vous dérange à la fin?
Léodagan lève sa cuillère en ce qui peut probablement être compris comme un signe d’apaisement.
─ Ah non mais, moi je trouve ça plutôt bien, hein. C’est juste que, voilà… ça change. Vous conviendrez que ça peut étonner un peu.
Arthur ne répond rien, vaguement suspicieux, et attend la suite en dépiautant sa volaille. Léodagan s’est lui-aussi reconcentré sur son assiette, mais il plane au milieu de leurs bruits de mastication enthousiaste comme une question, ou du moins une curiosité persistante et… légèrement inconfortable.
─ Et… reprend finalement Arthur, l’air de rien : rassurez-moi, vous allez pas commencer à me poser des questions sur mes états d’âmes, quand même ?
Léodagan s’essuie les mains sur la nappe avant de s’accouder sur la table, pensif.
─ Ben d’habitude, vous savez bien, les trucs de bonne-femme, là, les états d’âmes, comme vous dîtes - et que j’ai le moral dans les chausses, et que machine m’a rendue triste - ça me donne la gerbe, je peux pas, mais… Bon. Aujourd’hui, faut avouer, je me sens plutôt bien - en même temps, j’ai entendu ce matin que deux mecs ont été condamnés au bûcher alors que c’était même pas moi qui jugeait, vous imaginez la bonne nouvelle ! Du coup, je me dis, pourquoi pas ? Si vous voulez me raconter, je dis pas non.
Le Sanguinaire a l’air presque guilleret, effectivement, ce qui n’est pas loin de coller des sueurs froides à Arthur qui ne sait jamais bien quoi faire des accès de joie aussi imprévisibles que destructeurs du roi de Carmélide.
─ Euh, ça me touche Beau-père, mais… non, sans façon.
─ Sûr ? J’ai pas besoin de vous dire que l’occasion se représentera p’têtre jamais, hein.
─ Oui, ça je me doute… Je vous assure, ça fait rien. Une fois, c’était déjà assez bizarre comme ça, sans vouloir vous offenser.
Léodagan écarte l’idée d’un hochement de tête, et propose à Arthur la miche de pain dont il vient de rompre un morceau. Arthur la prend, le remerciant d’un signe.
─ Non, mais… Par contre, vu que vous avez l’air de vouloir discuter, j’aurais aimé vous demander conseil sur un truc qui me tracasse en ce moment.
─ Ah ouais ? Un problème avec ma fille ?
Arthur avale sa gorgée de vin de travers et grimace.
─ Non, mais… pas du tout ! Vous pensez vraiment que je viendrais vous parler de ça ?
─ Non, et j’aime autant, parce que laissez moi vous dire que je donne pas dans le conseil conjugal. J’ai déjà bien assez à faire avec ma propre bonne-femme pour m’occuper de celles des autres, même quand c’est ma fille.
Arthur fronce les sourcils mais secoue simplement la tête sans relever, choisissant plutôt de prendre une minute pour réfléchir à la façon dont il allait formuler son propos dans le contexte. Il laisse son index courir sur le bord aigu de sa coupe, pensif, avant de reprendre :
─ Bref. Non, mais j’ai un problème avec un général, en fait. Disons qu’on a des relations tendues et que je le soupçonne de carrément penser à me trahir.
─ Foutez-y le feu, répond Léodagan en se resservant à boire. Y vous posera plus problème.
─ Non mais… argumente Arthur en secouant le bout de pain avec lequel il était occupé à saucer son assiette ; il est compétent. Vous connaissez notre armée, Seigneur Léodagan. Des types qui savent un peu ce qu’ils font, on en a pas vraiment une tripotée…
Le chef de guerre soupire entre deux gorgées de vin.
─ Par contre, ce qu’on a comme couillons…
─ Justement, renchérit Arthur. Je vais pas m’amuser à aller exécuter des mecs sur de simples suppositions, surtout quand ils font partie du haut du panier, excusez moi l’expression.
─ Non mais je vois ce que vous voulez dire. C’est lequel, de général ?
─ Je me rappelle jamais son nom. C’est pas un des vôtres, de toute façon.
─ Parce qu’on fait la distinction entre les vôtres et les miens ? Première nouvelle.
─ Aujourd’hui, oui. Et donc, avec mon type là, je laissais couler, j’avoue que j’espérais que ça se tasse, mais…
Arthur déglutit en repensant au petit sourire de Lancelot, ce matin. Son silence ou son expression doivent être suffisamment éloquents, puisque Léodagan le considère maintenant avec un regard désabusé où perce un soupçon de pitié à travers l’habituelle indifférence.
─ Ça se tasse pas, c’est ça ? Et vous sentez que ça va vous péter à la tronche.
Arthur soupire, et admet du bout des lèvres :
─ C’est à peu près ça, oui. Vous pensez que je devrais adresser le problème plus frontalement ?
─ Moi j’aurais plutôt dit “menacer de le faire exécuter”, vu que vous me dites que c’est un bon élément et que vous préfereriez pas passer le cap. Mais, remarquez, ça compte comme une approche plus frontale donc, dans le fond, oui.
Arthur ne répond rien, les traits tirés, le front plissé par une circonspection manifeste.
─ Pourquoi vous hésitez ? De toute façon, ou bien vous allez le bousculer un peu et il a encore une chance de rentrer dans le rang, ou bien vous attendez qu’il vous poignarde dans le dos - vu que c’est ce qui se profile si j’ai bien compris - ce qui serait con, d’une part, et le sauverait pas forcément d’autre part. Le régicide, même raté, c’est la peine de mort inévitable. Après, il peut aussi caner dans la manœuvre, ça s’est déjà vu. Dans tous les cas, il serait plus d’aucune utilité à l’armée de Kaamelott, hein.
─ C’est vrai que dit comme ça…
─ Des fois, vous vous posez trop de questions, je vous assure. Après c’est un style, hein, c’est sûr, mais au quotidien, ça doit vous peser. De temps à autre, vous devriez faire un break… foncer un peu plus dans le tas, histoire de pouvoir, dans un second temps, revenir plus sereinement à votre politique de tarlouze, voyez ?
─ Mh, je suis pas forcément convaincu sur la généralité mais… disons que je prends note de vos avis.
─ Ouais, disons ça.
Léodagan se repenche sur son assiette, qu’il termine de saucer d’un mouvement définitif avant de repousser bruyamment, renversant presque son verre sur la table.
─ Bon, chais pas vous mais j’ai pas prévu de passer la journée là, j’ai deux trois bricoles à régler avant que la nuit tombe, alors si vous avez fini, on va p’têtre repartir faire tourner la baraque ?
Arthur prend une grande inspiration et se lève à son tour.
─ Ouais, allez. Le truc va pas se faire tout seul, comme vous le soulignez.
Léodagan commence à se diriger vers la sortie, puis s’arrête si net qu’Arthur, qui lui avait emboîté le pas, se le prend presque dans la figure. Il se retourne vers son gendre :
─ Ah oui, avant que j’oublie, ma femme m’a dit de vous dire qu’elle et ma fille partent en Carmélide par diligence cet après-midi, il parait qu’elles rentreront que la semaine prochaine. Vous étiez au courant, vous ?
Arthur secoue la tête et contourne l’homme pour ouvrir la porte de la salle à manger, faisant signe à Léodagan, qui passe en continuant sa diatribe.
─ Ah. D’après ce que j’ai compris, c’est une lubie de la gamine. Moi, je leur ai dit d’attendre un peu, histoire d’envoyer un messager prévenir la famille et préparer les chambres, mais ma femme a dit qu’elles avaient besoin de prendre l’air maintenant, que ça ferait du bien à la petite, et que ça pouvait pas attendre et je sais plus quoi. Enfin, voilà, comme ça vous savez pourquoi on les verra pas ce soir. Et je sais pas pour vous, mais personnellement, ça me fera pas de mal de prendre un break.
─ Je vous le fais pas dire, Beau-père.
La porte se referme derrière lui et Arthur se retrouve dans sa chambre, seul. Le lit est vide et tiré, la seule lumière est celle de la bougie qu’il tient à la main. Sa dernière réunion de la journée s’est éternisée - un rapport étrange en provenance d’un des poste frontières. Probablement le simple produit de la paranoïa des gardes-côtes, dont tout le château sait qu’ils ont le mental dans les chaussettes et l’alcool facile. Ou bien, plus sinistrement, le signe d’un réel problème en perspective, encore indiscernable et incompréhensible.
Le roi soupire et se déshabille, déposant sa bougie sur son chevet pour se glisser directement sous les draps froids de cette chambre trop humide, dont le silence lui semble presque laisser entendre l’écho, ce soir. Il devrait être reconnaissant que sa pomme de femme se soit tirée, lui évitant gracieusement d’avoir à choisir entre passer une autre nuit à se casser le dos par terre ou une nouvelle séance d’engueulades. Etrangement pourtant, cette solitude providentielle ne l’apaise pas vraiment. Il a le goût des regrets sur les lèvres, et le regard de Lancelot ce matin semble avoir rouvert dans sa poitrine une blessure sourde, dont la douleur irrationnelle ne cesse de l'accabler. Pire que tout, le mauvais pressentiment qui l'oppresse depuis des semaines persiste. Il se tourne et se retourne dans ce lit glacé sans parvenir à s’endormir, hanté par les réminiscences confuses des paroles de Léodagan, Guenièvre, Démétra…
Ça se tasse pas, c’est ça ? Et vous sentez que ça va vous péter à la tronche.
Parce que vous avez encore des doutes, là ?
Foutez-y le feu. Y vous posera plus problème.
Vous ne lui faites donc pas plus confiance qu’à moi ?
Il n’y a rien d’autre à faire : vous allez devoir aller leur demander. A lui… ou à elle.
De toute façon, ou bien vous allez le bousculer un peu et il a encore une chance de rentrer dans le rang…
Vous savez bien que personne ne vous est plus dévoué que moi, Sire.
Arthur se redresse d’un coup dans son lit, le souffle court, les battements de son cœur assourdissants à ses oreilles. Il rejette brusquement la couverture, attrape sa bougie presque consumée et sort à pas vifs dans le couloir où il hèle le premier serviteur venu.
─ Vous, là ! Oui, vous ! Vous voyez quelqu’un d’autre ? Allez me trouver le Seigneur Lancelot demain matin, aux premières lueurs de l’aube, et faites-lui savoir que je veux le voir sans faute dans la salle du trône à la huitième(1) heure.
Notes:
(1) Je suis excessivement fier.e d'avoir fait des recherches sur les systèmes horaires médiévaux et antiques pour ce chapitre. Au final, j'ai décidé que le plus plausible était qu'Arthur avait importé de Rome (avec les écoles, les théâtres, les acqueducs et les routes pavées) le système des heures temporaires ou heures inégales. Selon ce système, la durée (variable) du jour est divisée en 12 intervalles (variables également donc) qui forme les 12 heures de la journée, la 7e heure tombant invariablement à la moitié du jour (meridies). Bonus méga stylé, j'ai trouvé ce site qui permet de convertir n'importe quelle date / heure en système horaire et calendaire romain : https://www.cours-de-latin.com/outils/date-romaine/
Chapter Text
Le bruit lourd (le boucan, soyons honnête) de la porte de la salle du trône s’ouvrant sur le chevalier errant tire Arthur de ses ruminations angoissées. On y est, c’est le moment. Il sent le nœud, bien serré au fond de son ventre.
─ Ah, Seigneur Lancelot, vous voilà. J’espère que le conseil de guerre de ce matin s’est bien passé ?
La salle est vide, Arthur y a scrupuleusement veillé. Tout le monde est parti manger et il s’est même assuré de congédier les gardes. C’est inhabituel et il s’était presque attendu à devoir se justifier face aux questions de son plus fin chevalier mais…
Le regard de Lancelot est absent, il passe sur le roi sans vraiment le voir, sans le regarder, déjà dehors, reparti les dieux savent où. Malgré son sourire poli, sa réponse laconique et son ton indifférent ne laissent aucune place à la chaleur ou à l’attention qui imprégnait autrefois leurs échanges. Arthur sent la solitude, glacée, se lover dans son cou, sous ses fourrures, contre son flanc.
─ Très bien, Sire. Vous vouliez me voir pour…?
Au moins, ça aura le mérite d’être une conversation efficace à défaut d’être agréable, songe Arthur.
─ Bon, alors, mh, je vous ai fait demander parce que, voilà, j’ai… une question à vous poser. Peut-être, c’est possible hein, que je me plante complètement. Si c’est le cas, je vous présente mes excuses par avance, mais, mh, je vais quand même la tenter parce que j’arrive pas à me l’enlever de la tête… Arthur s’interrompt et inspire un grand coup avant de se forcer à articulier enfin : Est-ce que vous êtes amoureux de ma femme?
Lancelot hoquète, s’étouffe avec sa salive, son regard bleu soudain bien plus alerte, braqué sur le roi, qui le surplombe depuis son trône.
─ Pardon, Sire ?
─ Vous avez bien entendu. Est-ce que vous êtes amoureux de ma femme ?
Le visage du roi est stoïque, illisible, et sa voix est ferme. Il ne cille pas. Le visage de Lancelot convulse entre la surprise, le désarroi, la mortification, peut-être la colère. Sa bouche s’ouvre pour protester, se récrier, nier, mais rien ne sort et il la referme, se murant finalement dans un masque fermé, défensif. Arthur attend, mais les lèvres de son vassal restent résolument closes.
Au bout d’un long moment, il se résout à briser le silence dans un soupir :
─ Seigneur Lancelot, j’ai besoin d’une réponse claire, alors je vous le demande une dernière fois : est-ce que oui ou non vous êtes amoureux de ma-
─ Oui.
Le mot, prononcé à voix basse, presque comme on se parle à soi-même, coupe Arthur dans son élan. Lancelot a le regard vague et son visage est transfiguré. Quand il relève la tête vers Arthur, ses yeux sont durs. Sa voix, brûlante de défi, s'adresse cette fois clairement au roi quand il répète, plus fort :
─ Oui, voilà je suis amoureux de la reine, c’est vrai. Je suis tombé sous son charme dès la première fois que je l’ai vue. Mais je n’ai pas à rougir de cet amour qui est resté pur et a su ne jamais entacher sa vertu de femme mariée, ne serait-ce que par la confession de mes sentiments dont je n’ai jamais soufflé mot à la reine. Même si, et je n’en ai aucun doute, j’aurais su la traiter mille fois mieux que vous. L’honorer comme elle le mérite, plutôt que de la voir souffrir votre négligence et votre mépris… pendant que vous allez vous satisfaire à toutes les autres chambres du royaume plutôt que d’accomplir votre devoir et de concevoir l’héritier qui protégera votre héritage. Comment pouvez vous être gracié d’un tel cadeau et en faire si peu de cas, je ne le comprendrais jamais !
Il reprend son souffle, les joues cramoisies, son transport transfigurant ses traits et sa posture d’une façon qu’Arthur n’a encore jamais vue, et poursuit, méprisant :
─ Mais il faut bien se rendre à l’évidence, pour ça comme pour le reste, vous n’avez pas la carrure de la légende. Ah, il est beau le roi Arthur avec sa quête sacrée. Un pantin ridicule à la tête d’un ramassis d’irrécupérables incapables, dont vous préférez vous occuper plutôt que de remplir la mission que vous ont confiée les dieux. Vous êtes pathétique.
Ses yeux sont incandescents contre ceux d’Arthur, qui a l’impression de suffoquer. Lancelot a l’air complètement délirant et, en même temps, plus sincère, plus réel que jamais.
─ Alors oui, je l’avoue, je suis amoureux de la reine. Je ne sais pas comment vous l’avez découvert, mais maintenant c’est dit. Alors allez-y, faîtes-vous plaisir, bannissez-moi de kaamelott, mettez-moi aux fers, pour ce que j’en ai à faire ! Je serais toujours mille fois meilleur que vous, et mille fois plus juste !
Sur cette dernière provocation, et sans laisser à Arthur le temps même d’ouvrir la bouche, il tourne les talons dans une dramatique envolée de cape et sort à grandes enjambées. L’écho de la porte, qui claque derrière lui, persiste longtemps dans la salle déserte, remplis les oreilles d’Arthur, abasourdi, d’un chagrin amer. On croirait entendre le glas de fin d’un monde.
Notes:
Et... c'est l'apogée, le final grandiose... le clap de fin pour cette fic !
Est-ce que ça vous a plu ? Est-ce que vous voulez lire la suite ? Laissez-moi des kudos et des commentaires pour me le faire savoir !Cette introduction était beaucoup plus longue que ce que j'avais envisagé à la base et, de ce fait, cette série de fic risque bien d'être interminable si j'arrive à l'écrire jusqu'au bout. C'est certainement un défi à relever.
La prochaine fic de cette série sera intitulée "La Solution d'Arthur" et aboutira (spoilers?) à la formation d'un Sedoretu à Kaamelott. On commence à s'approcher du sujet, vous ne trouvez pas ? Lentement, mais surement. Une troisième fic est déjà prévue pour conclure cet Acte I en triptique, avant de démarrer l'Acte II, que je n'ai pas encore fini de scénariser.

Deponia on Chapter 1 Sat 08 Nov 2025 11:24PM UTC
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MarianWeiss3luna on Chapter 1 Mon 10 Nov 2025 02:47PM UTC
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UlricUlric on Chapter 2 Mon 09 Dec 2024 10:01AM UTC
Last Edited Mon 09 Dec 2024 10:01AM UTC
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MarianWeiss3luna on Chapter 2 Fri 31 Jan 2025 03:40PM UTC
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Ttifar on Chapter 7 Fri 24 Jan 2025 09:59PM UTC
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MarianWeiss3luna on Chapter 7 Fri 31 Jan 2025 03:39PM UTC
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LittleTrucs (Guest) on Chapter 7 Mon 10 Feb 2025 07:04PM UTC
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MarianWeiss3luna on Chapter 7 Mon 24 Feb 2025 09:41AM UTC
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Nymphaliora on Chapter 7 Fri 11 Jul 2025 04:37PM UTC
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strawberrySoftTeeth on Chapter 7 Wed 05 Nov 2025 09:31PM UTC
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MarianWeiss3luna on Chapter 7 Thu 06 Nov 2025 10:59AM UTC
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strawberrySoftTeeth on Chapter 7 Thu 06 Nov 2025 11:30AM UTC
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Deponia on Chapter 7 Mon 10 Nov 2025 12:13AM UTC
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